Des nouveaux programmes pour le lycée : extraits d'un entretien avec Alain Viala


 

Comment s'élaborent les programmes ?
Entretien avec Alain Viala
         Préambule
         Développer la faculté d'invention et l'imagination
         L'épreuve anticipée de français
         L'organisation de l'enseignement, la gestion du temps
         La valorisation des sections littéraires
         La place de l'image
         Les travaux personnels encadrés

Les nouveaux programmes de français pour le lycée, applicables en classe de seconde à la rentrée 2000, ont été publiés dans le BO hors série N°6 du 12 août 1999 (consultable au format PDF) et sur le site Internet du CNDP (au format html).

Dans le cadre d'une collaboration établie avec la revue L'École des lettres, nous vous proposons des extraits d'un entretien accordé par Alain Viala, président du Groupe technique disciplinaire (GTD) lettres, aux collaborateurs de la revue : Yves Stalloni, Sylvie Ducas-Spaës, Jacques Vassevière. Le but de cet entretien, publié dans le N°2 de la revue (août 1999), est de préciser certaines des orientations des nouveaux programmes de français pour le lycée. (Les intertitres sont de la rédaction d'Educnet.)

La revue L'École des Lettres se propose de poursuivre la réflexion sur le contenu et la mise en œuvre des nouveaux programmes dans ses prochains numéros et demande à ses lecteurs de lui communiquer leurs remarques et leurs questions par courrier électronique ou postal à l'adresse suivante : Rédaction de L'École des lettres, 11, rue de Sèvres - 75006 Paris

Dans le premier numéro de la revue, Alain Viala avait apporté des précisions sur l'élaboration des programmes.


Comment s'élaborent les programmes ?  

...Depuis 1989 et la loi d'orientation, […] la réflexion sur les orientations générales en matière de programmes relève du Centre national des programmes (CNP). C'est un organisme qui regroupe des praticiens et des spécialistes connus. Ses membres sont nommés pour cinq ans (et donc pas renouvelés à chaque changement de ministre). Le rôle du CNP est de réfléchir aux orientations d'ensemble à l'échelon non des disciplines particulières mais transdisciplinaire (ou au moins interdisciplinaire). Pour chaque discipline intervient un GTD ou Groupe technique disciplinaire. Il est composé d'universitaires (dont son président), d'enseignants de terrain (comme on dit) et le cas échéant, intuiti personae, de membres des corps d'inspection ; tous sont par ailleurs en fonction dans leurs postes. Les Directions ont en charge le suivi administratif. La mission de l'Inspection est d'évaluation.

Le Ministre décide quels programmes doivent être gardés, revus, renouvelés, changés, voire créés. Au GTD de chaque discipline revient le travail scientifique et didactique : par ses réflexions, recherches, consultations, il nourrit sa conception et rédaction d'un projet. Qui est ensuite soumis au CNP. Puis qui passe - après des navettes et des consultations éventuelles - devant le Conseil supérieur de l'éducation (CSÉ), organisme consultatif où siègent des représentants des associations et des syndicats. Enfin par la signature du Ministre et la publication au BOÉN. […]
(L'École des lettres second cycle - numéro 1, juillet 1999, pp. 1-3).

La liste des membres du Groupe technique disciplinaire lettres a été publiée dans le B0 N°28 du 15 juillet 1999 : Alain Viala, Université Paris III - chaire d'études françaises, Oxford ; Anne Armand, IA-IPR, Nantes ; Denis Bertrand, maître de conférences, Paris III ; Françoise Le Maguet, documentaliste, IUFM, Créteil ; Joël Lesueur, IA-IPR, Rennes ; Isabelle Mimouni, professeur, lycée Léonard de Vinci, Levallois-Perret ; André Petitjean , professeur des universités, Metz ; Anne Videau, maître de conférences, Paris X ; Catherine Weinland, IGEN.


Entretien avec Alain Viala

Préambule

En préambule à l'entretien, Alain Viala apporte des informations indispensables et présente les orientations des nouveaux programmes.

     […]
     Le programme de français pour le LEGT, pour la Seconde (rentrée 2000), est un programme cadre. Il sera suivi de documents d'accompagnement destinés à le préciser lorsque les professeurs en auront eu connaissance. Pour entrer un peu dans le détail, je voudrais vous donner deux informations : la première, c'est que va se dérouler un plan national de formation spécial pour le français, avec des journées nationales, puis interacadémiques, puis académiques, suivies d'opérations locales, sur le modèle de ce qui a été fait pour les programmes de collège ; la seconde, c'est que tout ou partie de ces programmes sera expérimenté au cours de l'année à venir dans une cinquantaine de sites. Les documents d'accompagnement seront mis au point en tenant compte à la fois des remontées du plan national de formation et de ces expérimentations. D'autre part, nous avions déjà expérimenté certains des contenus avant d'aborder la mise en route des programmes. Certains collègues les avaient déjà testés dans leurs classes.

      Je fais confiance à nos collègues et je pense que ce qui remontera de ces opérations - en particulier lorsqu'il s'agit d'expérimentation - sera le meilleur moyen de faire des mises au point de toutes sortes.

     D'autant qu'il existe un malaise manifeste, peut-être dans l'enseignement en général, mais plus précisément dans notre discipline, le français. Ce malaise, je le perçois sous deux formes. Premièrement, il tient au fait que cette discipline est en même temps la langue commune à tout l'enseignement, par conséquent tout le monde a le droit de se mêler du français - tout le monde n'en a pas nécessairement les compétences, mais tout le monde en a le droit. Deuxièmement, c'est une discipline sensible parce qu'elle touche à des enjeux qui ont valeur axiologique, des enjeux esthétiques, et des enjeux idéologiques, comme en histoire, en éducation civique, en philosophie, voire en sciences sociales. On est en présence d'un objet sensible et, scientifiquement, pas très bien portant. Je veux dire par là que cette discipline est éclatée en de multiples courants de recherche et d'interprétation, qu'il s'agisse de langue ou de littérature, lesquels ont en commun d'être tous partiels. Il n'existe pas, à l'heure actuelle, de perception globale de cette discipline.

     […]
     Deuxième remarque, en préambule : le but a aussi été, dans ces programmes, de donner une image de la discipline qui rende compte de ses multiples dimensions, à savoir langue et littérature, mais pas littérature uniquement. La loi dit bien qu'il s'agit d'un enseignement du français et pas seulement d'un enseignement des lettres. Il faut y faire intervenir la langue et les diverses sortes de textes, parmi lesquels les textes littéraires. Nous avons donc essayé de prendre en compte les genres, l'histoire littéraire, les registres, les idées et la langue.

      Troisième remarque : il ne faut pas qu'on se limite au tiercé gagnant Candide, Fleurs du mal, Dom Juan, en roman, poésie et théâtre. Sur un plan scientifique, je tiens à souligner que, si l'on veut se montrer correct à l'égard des élèves auxquels on s'adresse, il ne faut pas oublier que, s'il y a aujourd'hui une prépondérance du roman, historiquement il n'est pas un genre plus massif que bien d'autres, comme les genres épistolaire ou biographique qui ont occupé, sur la durée de l'histoire de la littérature française, des positions importantes. Il paraissait donc nécessaire d'élargir la gamme des genres proposés.

      Nous avons fait des propositions en ce sens afin de répondre d'abord aux besoins culturels des lycéens, qui ont changé. […]

      On a affaire à des lycéens qui, pour certains, n'ont pas un capital culturel familial très riche ni fréquemment renouvelé : pour ces élèves-là, le lycée est le moment où ils vont pouvoir rencontrer une culture qu'ils n'ont pas nécessairement tous les jours à portée de main. On ne peut pas faire comme s'ils la maîtrisaient déjà, et notre tâche première est de leur permettre de la rencontrer d'une façon aussi ouverte que possible. […]

     Premettez-moi une remarque réaliste : longtemps, ce sont les modalités du baccalauréat qui ont piloté les programmes. Comme ceux-ci étaient très ouverts, ce qui était attendu pour le bac devenait déterminant. On se trouvait dans une configuration où, d'un côté, beaucoup de choses étaient proposées et, d'un autre côté, les choix se trouvaient très restreints.

      Il fallait aussi tenir compte de l'évolution du collège dans les programmes. On se préoccupe, au collège, de la maîtrise de l'ensemble des formes du discours, problématique qui se prolonge au lycée. Par ailleurs, nous avons cherché à favoriser une approche active du cours de français, ce qui suppose de ménager une place suffisante à la possibilité d'écrire, de parler, de produire des textes. Si l'on veut que l'élève comprenne ce qu'est un genre - je rappelle à ce propos que si, bien évidemment, les genres sont présents en littérature, ils ne le sont pas qu'en littérature : ils sont des règles qui couvrent l'ensemble des domaines culturels -, la meilleure façon de faire en sorte qu'il s'approprie ce genre, c'est de le lui faire pratiquer, donc de faire en classe de la production de textes d'invention. D'autre part, cultiver les capacités d'invention des élèves est une nécessité générale, et le français est sans doute la matière qui offre les plus belles opportunités pour le faire. Alors pourquoi s'en priver ? D'autant qu'à cette condition les élèves prendront sans doute plaisir à faire du français.

      Dernier point de cette présentation rapide : le préambule du texte dit que l'on a conservé des éléments des précédents programmes, que l'on en a précisé d'autres et qu'on a ajouté des innovations. Parmi les éléments que nous avons conservés et précisés, il y a l'apprentissage de la langue. Il n'est pas réglé une fois pour toutes, ni à la sortie du primaire, ni à la sortie du collège : il doit se poursuivre au lycée et je ne surprendrai personne en disant que l'apprentissage de la langue est une entreprise permanente. […]

      Je voudrais ajouter pour conclure cette présentation que les innovations contenues dans ce programme portent sur l'élargissement des domaines littéraires abordés, sur une place de plein droit faite à une vraie rhétorique. […] Je ne parle pas d'une rhétorique des figures et de l'elocutio […] Non, il s'agit de considérer qu'une grande part de la production de textes est faite pour argumenter, confronter les opinions, convaincre, persuader, éventuellement démontrer - ce qui nous sort un peu du domaine de la rhétorique -, éventuellement séduire - ce qui nous y replonge -, et qu'il n'y a pas à le dissimuler.

      Aujourd'hui, si l'on veut sauver - je déteste ce terme - la part de la littérature au lycée, il ne faut absolument pas rester sur une position défensive. Plus la littérature correspond à une conception restreinte, plus elle meurt. Un mot d'histoire pour expliquer cela : le modèle littéraire qui s'est imposé au lycée l'a fait avec une génération et demie de retard - c'est normal : historiquement, il en a toujours été ainsi -, quand s'est imposé, dans l'ensemble des pratiques littéraires, le modèle d'une littérature d'élite à forte visée esthétique, phénomène apparu dans la seconde moitié du XIXe siècle. Cela ne s'applique donc ni à Diderot, ni à Voltaire, moins encore à Molière. Bref, c'est ce modèle-là qui s'est imposé au lycée - l'excellent ouvrage de Martine Jey* le montre avec précision - et il a perduré tant que les programmes n'ont pas bougé. […] Si je dis que " sauver " est un mot qui me déplaît, c'est parce que je n'aime pas les termes défensifs, mais je pense que, si on reste dans une conception étroite de la littérature, on nuit aux lycéens, on nuit à la littérature et on nuira d'autant plus aux uns et à l'autre que l'on a aujourd'hui des lycéens qui, socialement, ne lisent pas beaucoup. […] Il est donc nécessaire de leur faire élaborer, dans le cadre scolaire, leur " bagage de lecture ", comme on dit : c'est une première mission importante. Et ces programmes essaient de donner des indications dans ce sens.

* Martine Jey, La littérature au lycée, invention d'une discipline (1880-1925), Centre d'analyse syntaxique de l'Université de Metz, 1998

Alain Viala répond ensuite aux questions des collaborateurs de L'École des lettres.


Développer la faculté d'invention et l'imagination

Yves STALLONI. - La part la plus novatrice de ces programmes est, me semble-t-il, celle que vous appelez " invention ". […] En employant ainsi le mot " invention ", vous - ou du moins les instances que vous représentez - tenez à mettre enfin l'accent davantage sur la fiction que sur la production telle qu'elle se pratique aujourd'hui. […] Mais si l'on développe la dimension de la fiction, la classe de français ne risque-t-elle pas de se transformer en une chose très à la mode aujourd'hui : l'atelier d'écriture ?

      Nous mettons en route une équipe de travail qui va piloter ce que sera le texte d'invention. Nous allons beaucoup nous en occuper dans le cadre du plan national de formation, qui va être l'un des piliers de l'opération, et nous avons déjà toute une série de projets et de travaux en chantier. Nous souhaitons faire une place bien établie à des espaces permettant la création de fictions, dans les ateliers d'expression artistique : l'écriture y entre de plein droit. Dans le cours de français, par ailleurs, le texte d'invention ne revient pas à transformer chaque lycéen en un petit romancier ou poète méconnu et assassiné. Le but est de prendre conscience que textes à consignes, écriture à partir de modèles, transformation de textes, parodies, pastiches, reconversions, permettent de faire apparaître des protocoles d'écriture. Cela permet, par exemple, de ne pas faire cinq minutes d'exposé théorique sur l'intertextualité, mais de voir, dans la pratique, ce qu'est un intertexte et de faire apparaître des protocoles d'écriture… […]

      Ce sont des choses qui se pratiquent mais qui n'ont pas de légitimité institutionnelle. Dans le préambule, nous disons bien qu'il s'agit aussi de légitimer des pratiques existantes, qui, on l'a vu, étaient fructueuses et qui ne bénéficient pas d'un statut légitime, qui sont donc un peu marginales. L'intention est de leur donner droit de cité, plein et entier.

Yves STALLONI. - Le problème, c'est que là-dessus se greffent - comme dans toute forme d'enseignement - le contrôle, l'évaluation, la sanction des notes, puis la sanction ultime du baccalauréat. Comment faire passer tout cela au crible de la docimologie ? La formule devient déjà beaucoup moins souple…

       Je n'en suis pas si sûr. Demander aux élèves d'inventer un texte à partir d'un matériau - de deux textes, en faire un troisième, ou d'un premier texte en faire un deuxième -, cela se note. Il y a des protocoles de travail. Par exemple, si l'on a travaillé sur le dialogue et le comique, on peut voir si les élèves ont compris ce qu'était un dialogue et en quoi résidait le comique, en leur demandant de produire, à partir d'un texte romanesque, un dialogue présentant les traits du comique. Cela se note. Il n'est pas plus difficile de voir si un élève sait comment fonctionne un dialogue que de lui demander d'en commenter un. Ce sont deux façons différentes d'appréhender les mêmes compréhensions chez l'élève, mais elles ne sont pas exclusives l'une de l'autre.


L'épreuve anticipée de français

      Pour le présent, ce sont les programmes de Seconde qui sont publiés. Le cadre général des objectifs du lycée y est, bien sûr, défini. Et dans ce cadre, l'évaluation doit être liée aux objectifs poursuivis dans le programme. Dans le cas contraire, on arriverait à la situation que j'évoquais tout à l'heure : à savoir que ce serait l'évaluation qui piloterait le programme et non l'inverse. Il faut donc que, dans le programme même, on dise : " Voici les règles proposées pour l'évaluation ".

      D'autre part, il définit un cadre, ce qui signifie que les modalités n'en sont pas arrêtées. Ainsi, par exemple, je ne voudrais donc pas qu'on dise aujourd'hui : " On a supprimé le commentaire de texte. " C'est faux. On verra dans l'année le travail de la commission sur le baccalauréat et l'épreuve anticipée de français sur les modalités correspondant à ce cadre-là.

      Mais, sans anticiper sur les propositions qui viendront au printemps 2000 (pour l'ÉAF 2002), je ne me déroberai pas aujourd'hui, et j'indique deux idées qui me semblent des idées fortes et sur lesquelles cette commission va travailler. La première, c'est que l'on a, à l'heure actuelle, quatre exercices possibles pour l'épreuve anticipée de français, quatre exercices qui tous, sous des formes diverses, sont des exercices de commentaire. L'élève a quatre chances, mais pourvu qu'il glose quatre fois : explication de texte à l'oral, texte argumentatif, qui suppose de commenter le texte qu'on a sous les yeux, le commentaire proprement dit, et la dissertation appliquée à une œuvre spécifique, qui amène nécessairement à commenter l'œuvre. On peut donc quatre fois vérifier la compétence de commentateur du candidat, mais on ne peut guère vérifier plus ouvertement ses compétences d'expression, ses compétences de " producteur ", c'est-à-dire de quelqu'un qui, ayant quelque chose à dire, se débrouille pour le faire entendre le mieux possible. L'idée est donc de rétablir un peu d'équilibre entre le commentaire et la production : on peut aussi partir d'un matériau ou d'un modèle et se mettre en posture de production. Voilà pour l'écrit.

      Second point, qui risque de susciter des réactions diverses : l'oral. Les cadres de référence étant définis - sachant que l'on va avoir non pas une liste d'œuvres obligées mais une liste de domaines qui auront été abordés pendant l'année -, le candidat pourrait tirer un texte qu'il n'aurait peut-être jamais lu, mais qui sera nécessairement pris dans l'un de ces domaines. Par exemple, si, dans l'année, il a travaillé sur l'essai au siècle des Lumières - quelle que soit la forme de l'essai, dictionnaire philosophique, essai sur les mœurs, etc -, il sait qu'il peut très bien tomber sur une page qu'il n'aura pas forcément lue auparavant, mais qui relèvera de ce domaine-là… […]

Sylvie DUCAS-SPAËS. - La liste n'est certes pas une bonne solution et elle entraîne des effets pervers, mais cette épreuve ne va-t-elle pas être plus difficile pour l'élève ?

     Prenons la question autrement : quel est le but ? Le but est-il de savoir si un élève quittant le cours de français - puisque certains ne feront plus que rarement du français par la suite, voire plus du tout - est capable de rendre compte de connaissances acquises sur 12, 15 ou 24 textes, ou s'il est capable de se débrouiller convenablement pour, avec une heure de temps de préparation, lire 20 ou 25 lignes et montrer qu'il a compris l'essentiel de leur signification et de leurs caractéristiques ? Nous touchons là à une question de philosophie de l'école. Pour ma part, je ne suis pas sûr que connaître 20 textes dans toute sa vie fasse vraiment un bagage pour un élève. Je préfère pouvoir me dire : " On a vérifié que cet élève est capable de lire un texte qui ne lui est pas trop étranger - sans être non plus un texte préparé, bachoté à l'avance - et de rendre compte de 20 lignes d'une difficulté moyenne "…[…]

     Le but est de certifier - or un diplôme est une certification - que telle personne est apte à se débrouiller correctement face à un texte ; non pas à restituer et répéter plus ou moins bien ce qu'elle a vu pendant l'année, mais à mobiliser ce qu'elle a appris pendant sa scolarité et à le rendre efficace.

     Il s'agit de philosophie de l'enseignement. Le baccalauréat est un diplôme : ce diplôme est ouvert à quiconque présente les références requises pour y être candidat. On peut l'avoir préparé seul, on peut l'avoir préparé par l'enseignement à distance, on peut l'avoir préparé dans le cadre d'une formation continue, on peut l'avoir préparé au lycée, ce qui est le cas de la plupart, mais quoi qu'il en soit, juridiquement, le baccalauréat est un diplôme. C'est-à-dire qu'il doit pouvoir être accessible à des gens ayant reçu des modes de préparation différents. Le jour de l'examen, on vérifie si le candidat - élève, adulte ou autodidacte - a les compétences requises, et non si le professeur a bien fait son travail. C'est une première chose.

     Seconde chose : la fonction de ce diplôme, au moment où il intervient pour une part importante des élèves concernés, c'est de savoir s'ils disposent des outils de pensée qui leur permettront d'être autonomes. Je me sens, pour ma part, une responsabilité engagée dans ce sens. On peut discuter les méthodes pour y parvenir, mais honnêtement, je ne pense pas que celle-ci soit plus difficile pour les élèves. […]


L'organisation de l'enseignement, la gestion du temps

Jacques VASSEVIÈRE. - …Aurons-nous les moyens, en terme de temps, de préparer effectivement les élèves à cette autonomie que vous souhaitez, que tout le monde souhaite, et qui est dans leur intérêt ? Là, je suis un peu inquiet, compte tenu des réductions d'horaires. Deuxièmement, pour que votre proposition soit vraiment jouable, si je puis dire, il faudrait qu'il y ait une certaine continuité dans ce que vous appelez les " rubriques ". La liberté que vous vous apprêtez à accorder aux collègues dans le choix des œuvres sera-t-elle guidée, encadrée par des rubriques ? Et ces rubriques seront-elles définies seulement pour une année ?

     […]
     Voyons déjà la question du temps. Pour l'instant, c'est le programme de Seconde qui est publié. En y définissant sept rubriques, nous nous sommes dit que, en passant une douzaine d'heures sur chacun de ces contenus, on en donnait une bonne appréhension à l'élève. Prenons l'exemple de la rubrique " comédie et comique " : sur la base de 12 heures - ce qui veut dire un mois de cours -, un élève peut arriver à lire une comédie, quelques textes en amont et en aval dans le temps, voir comment le genre a évolué et faire apparaître la notion de comique. […]

     Je pense que, si on prend une douzaine d'heures pour lire l'École des femmes et reprendre en aval quelques autres textes pour voir comment le genre comique a pu se maintenir et se transformer, on a de quoi donner des points de repère aux élèves sans faire pour autant un cours universitaire sur l'évolution du genre comique. Mais cela suppose effectivement de faire des choix et de mettre les élèves en situation, tantôt d'analyser un texte de façon détaillée, tantôt d'en avoir une appréhension beaucoup plus rapide, cursive. C'est une première chose.

     Deuxième chose : la gestion du temps. Les horaires étaient déjà serrés dans le cadre précédent, ils sont à nouveau serrés dans ce cadre-là, je suis d'accord. Cette difficulté, je ne dis pas qu'elle est résolue, je dis simplement que, en rédigeant ces programmes, nous avons essayé d'en tenir compte.

      Autre question, celle de la continuité : on procède par rubriques, mais il ne faut pas confondre " rubriques " et " questions au programme ". Par exemple, nous prévoyons de proposer en Seconde l'étude d'un mouvement ou phénomène littéraire et culturel du XIXe ou du XXe siècle, au choix du professeur. Nous en avons dressé une liste qui figurera dans les documents d'accompagnement. Elle n'est pas interminable, elle laisse à l'enseignant le choix entre une demi-douzaine de possibilités. En Première, est proposée l'étude d'un phénomène littéraire ou culturel français et européen, afin que l'on mette la France en relation avec l'Europe. Ainsi, en Seconde, on a plutôt " France et zones francophones " et, en Première, " France et Europe ". C'est un choix : en Seconde, il s'agit de montrer que la France existe au sein d'un environnement dans lequel on peut dialoguer avec la francophonie, et en Première avec l'Europe. Là encore, du XVIe au XIXe siècle, si l'on prend les phénomènes, courants ou mouvements littéraires et culturels concernés, on aboutit à une demi-douzaine.

     On ne va pas dresser chaque année une liste qui substituerait des questions obligatoires aux œuvres obligatoires. […] Il ne s'agit donc pas de livrer chaque année une série de questions, mais simplement que professeurs et élèves décident que, dans ce cadre-là, pour ce mouvement littéraire, ils vont traiter le XVIIIe et les Lumières, par exemple. Ailleurs, une autre classe choisira de travailler sur le baroque ou la Renaissance. Pour l'ÉAF, l'élève pourrait arriver devant l'examinateur et dire : " Dans le cadre de cette rubrique, on a travaillé sur le XVIIIe ou on a travaillé sur le baroque. " Je crois qu'il n'est pas très compliqué pour un examinateur nanti de cette information de dire au candidat : " Voici vingt lignes d'un essai du XVIIIe ou voici un blason du corps féminin sur le mode baroque. " C'est une simple question d'organisation. […]

Yves STALLONI. - Le contrat, ce serait donc sept rubriques à choisir dans une liste qui reste ouverte ou dans une liste imposée ?

     Dans la liste qui est là. Voici les contenus avec lesquels nous demandons aux professeurs de respecter le contrat - et le mot " contrat " me semble pertinent : nous leur demandons de faire en sorte qu'à la fin de l'année leurs élèves soient en mesure de reconnaître ce qu'est un genre avec quelques exemples à l'appui, ce qu'est un registre avec exemples à l'appui, d'avoir acquis un certain nombre de références en histoire culturelle et littéraire, d'avoir réfléchi à ce qu'ils font en produisant des textes, à l'espace de l'argumentation et de l'avoir testé à travers des pratiques d'éloge et de blâme. Voilà le contrat. […]


La valorisation des sections littéraires

Yves STALLONI. - Avez-vous réfléchi aux incidences de cette modification sur les étudiants et lycéens littéraires, c'est-à-dire ceux qui font spécialité d'études littéraires, surtout avec la diminution du temps consacré aux exercices canoniques qui nous ont tous formés, à savoir la dissertation ou le commentaire composé. Que feront-ils quand ils arriveront en hypokhâgne ou à l'université ?

     […]
     Le but de certaines des mesures mises en place est de revaloriser les sections littéraires, de faire que les littéraires aient leurs débouchés dans les facs de lettres et dans les hypokhâgnes. Ce qui veut dire que, l'année prochaine, on va préparer, pour la classe de Première, les filières lettres avec les programmes de latin et de grec et, en outre, la possibilité de choisir une option " Lettres renforcées ", si on peut dire. Ceux qui voudront faire des langues vivantes opteront pour la filière lettres avec option " Langues vivantes ". Celui qui choisira la filière lettres avec option " Littérature " trouvera, dans cet espace-là, certains exercices qui sont les bonnes préparations pour devenir l'analyste de texte qu'est appelé à être, un jour, le professeur de français, mais qui ne borneront pas le destin des " littéraires " à devenir des professeurs de français. […]

     [L'orientation vers la filière L actuellement] est une orientation par défaut parce qu'elle ne débouche pas, pour l'instant, sur des formations d'enseignement supérieur stimulantes et valorisantes.


La place de l'image

Jacques VASSEVIÈRE. - À propos de l'image, il est question d'images fixes ou animées dans le texte. Le cinéma entre évidemment dans la catégorie des images animées… Alors pourquoi le mot " cinéma " n'y figure-t-il pas explicitement ?

     Pour deux raisons. La première, c'est que je milite personnellement pour que l'image, qui est une question importante, ne soit pas laissée à la seule charge du professeur de français. Les plus gros utilisateurs d'images dans l'enseignement secondaire sont les professeurs d'histoire-géographie, plus que ceux de français. Ils les utilisent beaucoup plus et n'ont pas nécessairement le travail réflexif. Je pense qu'à un moment donné il faudra répartir les tâches à propos de l'image et tomber d'accord, discipline par discipline, pour que chacun apporte sa part de collaboration sur le sujet. C'est une première raison de prudence dans le choix des termes. […]

     La règle du jeu, dans la rédaction des programmes - autre sujet intéressant et par lequel je conclurai - c'est que " on peut " ne devrait pas y figurer. " On peut ", c'est le document d'accompagnement ; les programmes, eux, sont faits pour être contractuels. C'est-à-dire qu'un parent d'élève, un élève, un chef d'établissement, un élu, un citoyen quel qu'il soit, disposent du même document et doivent pouvoir, face à ce document, dire " contrat rempli " ou " pas rempli ". Cela doit aussi permettre aux professeurs de se mettre à couvert si on leur reproche telle et telle pratique ; ils peuvent répondre : " Moi, j'ai rempli mon contrat. " […]

     C'est pourquoi je préfère écrire " image fixe ou mobile " et, dans le document d'accompagnement, gloser en disant : " Parmi les images mobiles, on pourra prélever un segment télévisuel, l'enregistrement d'une pièce de théâtre - dont les droits sont juridiquement moins complexes que les droits filmiques -, un film, etc. " Dans ce cadre-là, il est possible d'expliciter. Conclusion : le cinéma n'est pas exclu. Cela dit, je me demande si professeur de français signifie forcément " professeur de cinéma " ? Non. Par conséquent, je ne veux pas imposer à un collègue qui ne se sent pas apte à traiter du cinéma, l'obligation de le faire, pas plus que je ne veux empêcher quelqu'un qui saura en tirer parti de le faire aussi. Je souhaite donc, dans la rédaction, que cela n'apparaisse pas comme une prescription contraignante.


Les travaux personnels encadrés

Sylvie DUCAS-SPAËS. - Une dernière question : l'enjeu pluridisciplinaire du français revient souvent dans votre texte. Nous n'avons pas parlé des travaux personnels encadrés, interdisciplinaires en Première et Terminale. Je pense qu'il risque d'y avoir une inquiétude à ce sujet : celle de faire du français une discipline carrefour qui serait là pour essayer de répondre à tous les besoins dans d'autres matières.

     Comme au collège, toutes les disciplines ont l'obligation de collaborer pour apprendre aux élèves à bien maîtriser la langue. C'est un premier point important. Second point : le français discipline carrefour me semble une réalité, c'est la langue avec laquelle on travaille. Il faut se demander si on opte pour une tendance fonctionnelle et utilitariste, ou bien pour l'autre tendance, qui peut consister à se replier sur la littérature en disant : " Ça, c'est à nous. " Moi, je dis : " Je pense en français, j'imagine en français, j'invente en français. " Le français devient donc, par exemple, la discipline qui s'occupe légitimement de l'invention. Le texte d'invention n'est pas là à titre décoratif, il est là pour cultiver l'imagination. C'est une façon de rendre au français son rôle de discipline cruciale, de discipline carrefour : constater qu'il sert à penser et à imaginer. […]

Propos recueillis le 2 juillet 1999
(Les nouveaux programmes - Entretien avec Alain Viala - extraits -, in L'École des lettres, second cycle, 1999-2000, N°2, 15 août 1999, pp. 15-32)