Lettres, tracts
Adresse amicale d'un gréviste aux non-grévistes
Le texte qui suit émane d'un professeur d'un lycée de la région
havraise.
Chers collègues, amis, copains.
Expliquez-moi.
Je veux croire que vous n'êtes pas tombés par hasard dans ce métier ;
que vous avez pour la discipline que vous enseignez au moins un peu d'amour,
voire de passion ; pour les jeunes qui vous sont confiés un peu d'affection
et d'estime ; et pour vous mêmes un minimum de considération -
raisonnablement.
Comment alors, expliquez-le moi, pensez-vous pouvoir travailler, les
prochaines années (si nous échouons), sous la tutelle de la Haute
Administration qui, ouvertement, méprise en bloc, notre métier, la culture,
le savoir, la jeunesse, et nous méprise nous- mêmes ouvertement,
effrontément ? Comment le pourrez-vous ? A moins, bien sûr que vous n'ayez
précédé cette Haute Administration dans ce mépris, ce que je ne peux
envisager.
Se pourrait-il que vous ne sachiez pas ce qui est en jeu ? J'entendais
dire il y a peu de jours en salle des profs que « nous » faisions une
montagne d'une réforme qui ne serait « qu'une réforme de plus ». et que nous
nous en « étions toujours tirés ».
D'abord nous ne nous en sommes pas « tirés ». Nous en sommes arrivés là,
ce qui n'est pas la même chose. « Là », c'est-à-dire à ce point où les deux
Sinistres peuvent lancer leur projet avec de bonnes chances de le voir
aboutir. Ensuite ? Ensuite, je vais vous dire de la manière la plus simple
ce qu'est ce projet : c'est une entreprise d'équarrissage. Si vous trouvez
que j'exagère, lisez les citations des textes de l'OCDE que vous trouverez
en P.S., et songez que désormais nos gouvernants sont aux ordres de l'OCDE.
Alors voilà. Moi je suis gréviste. Une grève, c'est fatigant, et ça
coûte cher. J'ai, comme tout le monde, besoin de mon salaire. Je ne le
toucherai pas dans son intégralité, c'est d'ores et déjà sûr. Peut-être même
aurai-je fait grève pour rien. Pour rien ? Non. Car quoiqu'il advienne, je
pourrai, après tout cela, croiser sans honte le regard de mes enfants.
C'est tout ce que je vous souhaite.
P. (en son seul nom propre).
P.S. Recueil de citations :
OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique, mondiale),
en 1996 :
Le rôle des pouvoirs publics se limite à « assurer l'accès à l'
apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont
l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres vont
continuer de progresser. »
« Les établissements sont incités à se comporter en entreprises. Les
étudiants doivent payer tout ou partie du prix de leur cours. »
« Tous les services d'intérêt collectif, notamment l'enseignement, la santé,
les diverses formes de protection sociale, ainsi que les transports et les
communications, sont transférés à la sphère marchande du secteur privé. Les
contraintes budgétaires du secteur public devraient diminuer, d'où une
baisse des taux d'intérêt et de ce fait, des charges financières moindres
pour les investisseurs privés. »
Claude Allègre, 1998 :
« Nous allons vendre notre savoir-faire à l'étranger, et nous nous sommes
fixé un objectif de 2 millairds de francs de chiffres d'affaires en trois
ans. Je suis convaincu qu'il s'agit là du grand marché du XXIème siècle. »
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