Sur les documents d'accompagnement

      Je m'étonne de ne rien lire, ni sur votre site ni ailleurs, concernant les "Documents d'accompagnement" des programmes de Français pour les classes de seconde et de première reçus en début d'année scolaire...

      Le corps enseignant aurait pu saluer,  au moins d'un haussement de sourcil admiratif,  le simple fait de disposer de documents précisant les nouveaux programmes un mois seulement après la rentrée, date à laquelle ils étaient applicables.

      Mais ce n'est pas là ce qui motive ma perplexité.

      En zélée (et masochiste ?) fonctionnaire, crayon en main, j'ai attentivement lu le document officiel. Ma première réaction de surprise fut motivée par les célèbres "exercices d'écriture exploratoire" (p.15) dont bien évidemment, tout le monde (sauf moi) aura perçu la pertinence et l'efficacité, surtout lorsqu'il s'agit de les appliquer à l'objet d'étude "Eloge et blâme", cela va de soi.

      Mais ce n'est toujours pas ce qui fut à l'origine de ma perplexité. C'est à la page 17 de l'impérissable chef-d'oeuvre ministériel que je me demandai si je rêvais, si je devais retourner de toute urgence sur les bancs de la faculté pour combler mes lacunes, ou si je pouvais soupçonner les rédacteurs du texte d'avoir concocté ce paragraphe concernant les registreslors d'un inoubliable et inénarrable délire didactico-pédagogique. J'avais déjà du mal à bannir de mes propos en cours le terme "tonalité" pour le remplacer systématiquement par le mot "registre", mais de surcroît, il allait falloir enseigner à mes élèves de Première le registre... délibératif ? Mais alors... arrêtez-moi si je me trompe, le raisonnement qui suit ne peut que porter à son comble la perplexité : observons le sommaire (page 3), où nous pouvons lire : "l'argumentation en classe de première : convaincre, persuader et délibérer"... tête du chapitre commençant page 43. Vous me suivez toujours ? Admettons qu'un "registre délibératif" existe bel et bien, force est d'admettre à la lecture de ce titre de chapitre qu'il doit également exister un "registre convaincant", et un "registre persuasif" : puisque les trois verbes à l'infinitif sont visiblement mis sur le même plan, on peut légitimement en conclure que les adjectifs leur correspondant peuvent de la même façon être accolés au nom "registre"... En toute logique toujours, ces trois registres seraient alors des sous-registres d'un registre plus vaste... l'argumentatif ! Jusqu'ici, j'avais cru comprendre que l'argumentatif relevait de la notion de "discours" : me trompais-je ? ou la notion de "registre argumentatif" était-elle apparue pendant les universités d'été ? ou "registre" et "discours" étaient-ils assimilables ?

      Ma perplexité est d'autant plus grande face à de telles "nouveautés" issues de la puissante réflexion générée par l'esprit de réforme, que j'ai bien l'impression d'être la seule à être surprise !... Ou alors... Serais-je la seule à avoir fait preuve d'une conscience professionnelle suffisamment masochiste pour lire d'un bout à l'autre la prose ministérielle ?

      Pourtant, ma patience avait déjà été mise à rude épreuve dès la page 13, en découvrant que la "littérature engagée" était un "mouvement littéraire" ! Moi qui avais justement commencé l'année par une séquence didactique sur l'engagement en poésie, pour effleurer le mouvement baroque avec d'Aubigné, effectuer un petit crochet du côté du romantisme avec Hugo, un léger détour chez les surréalistes avec Eluard et finir le parcours chronologiquement engagé avec Césaire... vais-je devoir expliquer à mes élèves (alors que je n'en suis pas convaincue !), que baroque, romantisme et surréalisme ne sont que les sous-mouvements d'un mouvement littéraire plus vaste, la littérature engagée conçue comme une "scansion majeure de l'histoire" ? Il me faudrait alors revoir toute la problématique de ma séquence qui tendait à montrer que les moyens mis au service de l'engagement pouvaient se retrouver d'un mouvement à l'autre, mais que chaque mouvement avait aussi créé les siens ! Bref, je voulais faire réfléchir mes élèves à la notion de "mouvement littéraire"... et j'avais tout faux dès le départ !...

      
      Quand Voltaire écrivait qu'il prenait envie de marcher à quatre pattes en lisant la prose de Rousseau, je n'ose imaginer ce que lui aurait aurait inspiré la lecture de ces documents... Je n'ai pas son talent !


En vous souhaitant une nouvelle année toujours aussi pleine d'énergie pour dénoncer les atteintes à notre volonté de dispenser un enseignement de qualité, je vous adresse mes cordiales salutations (et vous autorise à publier mon "billet d'humeur" , même si son principal but est de me permettre, en ce début d'année, d'évacuer mes restes de mauvaise humeur de l'an passé)

Patricia MAZON
Académie de Bordeaux

05/01/2002