Contre tout projet de charte visant à aménager localement le B.O. relatif à l’oral de l’ÉAF

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Objet : lettre à destination des professeurs de lettres de la péninsule ibérique, contre tout projet de charte visant à aménager localement le B.O. relatif à l’oral de l’ÉAF.

Lisbonne, le 10-XII-2001,

 

Chers collègues,

Nous avons bien reçu votre ébauche de charte visant à encadrer l’oral de la session 2002 de l’ÉAF en péninsule ibérique. Tout en reconnaissant votre légitime souci de mettre de l’ordre dans une épreuve mal définie, nous souhaiterions vous faire part d’un certain malaise à la lecture de votre courrier.

Il existe un arrêté ministériel définissant la nouvelle Épreuve anticipée de français. Lui seul fait office de loi. Quelle peut donc être la valeur juridique et prescriptrice d’une charte pour la conduite de cette ÉAF à l’usage des professeurs de la péninsule ibérique ? Évidemment nulle. Quel en est le bien-fondé ? S’il s’agit de dénoncer implicitement les insuffisances de la nouvelle ÉAF, orale puisque c’est d’elle qu’il s’agit, il fallait élever la voix plus tôt, comme nous nous y sommes employés à Lisbonne, au moment où se négociaient les diverses moutures successives de l’ÉAF. S’il s’agit de substituer une charte, à valeur purement contractuelle, à une loi, c’est autrement plus grave. Le seul texte officiel que nous puissions reconnaître est celui du B.O. nº 26 du 28 juin 2001. L’Éducation Nationale doit refuser les pressions extérieures, notamment les particularismes. C’est pourquoi la mention concernant les hispanismes de nos élèves, vis-à-vis desquels nous devrions faire preuve d’indulgence (et que fait-on des lusitanismes ?), ne saurait rentrer dans aucune charte. Il appartient à chaque correcteur d’évaluer et de soupeser la prestation orale des candidats, sans qu’il soit explicitement question d’indulgence. Faudrait-il à ce titre accorder la même exception linguistique à certaines cités ou régions de France, sous prétexte que dans certaines familles on n’y parle pas ou plus le français ? Ce qu’implique le principe d’une charte, dès lors que nous l’acceptons, est de faire retomber sur nous, professeurs, la responsabilité des dysfonctionnements qui ne manqueront pas de surgir en juin 2002. Si des aménagements doivent être apportés à l’oral de l’ÉAF, ils ne peuvent l’être qu’au niveau du B.O.

Deuxièmement, il est pour nous hors de question - tant qu’aucun B.O. ne nous y contraint - d’uniformiser le descriptif des textes présentés à l’oral, a fortiori selon le modèle présenté par M. l’Inspecteur Pédagogique Régional Martinez. Nous sommes des intellectuels, non des bureaucrates chargés de ranger la littérature dans des carcans qui l’étouffent. Cela a été suffisamment dénoncé par l’universitaire Henri Mitterand ( voir par exemple la revue " Le Débat ", nº 71, septembre-octobre 1992, www.sauv.net/anaodo.htm ), ou par Jean-Pierre Le Goff dans La Barbarie douce. Ce souci de normer – de même que l’esprit général d’une charte - nous paraît témoigner d’un manque de confiance à l’égard du professeur, d’un véritable climat de suspicion entretenu artificiellement par des intérêts extérieurs. Il est profondément illusoire de croire résoudre par l’accumulation des contraintes les difficultés inhérentes au nouvel oral de l’ÉAF. Ce n’est pas ainsi que sera réglé le problème, bien au contraire. Un encadrement excessif de l’oral risque bien d’être paralysant pour l’examinateur, et desséchant pour l’élève.

Last but not least, nous avons été particulièrement choqués par le premier paragraphe de votre " charte ", concernant l’attitude des examinateurs lors de l’oral : " Ayons tout d’abord à l’esprit que l’épreuve orale est la première subie par un élève au cours de sa scolarité, et qu’il faut permettre avant tout au candidat de ne pas être déstabilisé par cette situation angoissante a priori. Mieux, il faut le mettre à l’aise et proscrire toute attitude et toute parole désobligeante. " Réclamerons-nous bientôt avec servilité des cours d’ECJS, ou de " moraline ", pour enseignants ? Qui seront les gardes-rouges chargés de les professer ? La " dérive émotionnelle " (lire le livre du même nom par le philosophe Jean Romain), dont ce paragraphe est la manifestation, a certes l’immense avantage de faire vibrer nos cordes sensibles. Mais les élèves d’aujourd’hui ne sont pas moins incapables que ceux d’hier de traverser ce rite de passage, sans que nous ayons besoin de toutes ces consignes d’indulgence. À trop chérir, ne finit-on pas par gâter ? À trop accorder de pseudo-droits, ne finit-on par oublier ses propres obligations – et celles des élèves ?

Cordiales salutations,

MM. Billon, Gaultier, Le Gall, Toutlouyan, professeurs de lettres du lycée français de Lisbonne en classe de Première.

PS : Une copie de cette lettre est adressée à l’Inspection Générale de Lettres, aux IPR MM. Martinez et Jordy, aux proviseurs des lycées français de Barcelone et Lisbonne, ainsi qu’au collectif " Sauver les lettres " ( www.sauv.net ).