" Ne va pas croire à l'équité républicaine du bac ! "

"Point de vue" paru dans 20 minutes le 20 juin 2002


Par Fanny Capel, 28 ans,
professeur de lettres, membre du jury du baccalauréat de français *.

Si tu fais partie des quatre cent mille élèves de Première qui viennent de passer leur toute première épreuve du baccalauréat - l'épreuve anticipée de Français- méfie-toi… Tu crois peut-être qu'une épreuve débouchant sur ce diplôme mythique, c'est du sérieux. Eh bien, désolée de te le dire, mais le bac de français aujourd'hui, après la réforme qui s'applique depuis deux ans, c'est du vent. Excuse-moi, je suis bien placée pour le savoir, je suis professeur de lettres en Première et membre du jury du bac session 2002.

D'abord, sache que malgré tous leurs efforts pour faire face à une situation impossible, tes professeurs n'ont pas pu te préparer de manière cohérente aux nouvelles épreuves. Depuis la rentrée, les instructions officielles les plus floues et les plus contradictoires se sont succédé. Du coup, les épreuves orales ne se passeront pas partout en France de la même façon. Certains de tes camarades auront étudié vingt textes, d'autres quarante…Certains se verront poser des questions pointues, d'autres des questions larges. Ne va pas croire à l'équité républicaine du bac !

Mais rassure-toi ! On a concocté pour toi une épreuve écrite si ubuesque qu'on ne peut qu'être indulgent avec ceux qui l'ont subie. Ainsi, tu as eu environ deux fois moins de temps que tes prédécesseurs pour mener à bien un difficile travail de réflexion (le commentaire ou la dissertation) - en effet, alors que l'épreuve dure toujours quatre heures, il y a trois ou quatre textes à lire en plus, assortis d'une question de synthèse! On ne pourra donc raisonnablement exiger de toi des prouesses, toi qui es par ailleurs privé, sur l'ensemble de ton cursus au lycée, de quelques centaines d'heures de français en moyenne du fait des dispositifs de la réforme. Qu'à cela ne tienne, plutôt que de choisir l'un de ces deux sujets traditionnels, exigeants, tu auras étrenné le nouveau type de sujet, dit "d'invention". Il ne s'agit rien de moins que te prendre pour un écrivain. Comme ça ne se prépare pas sérieusement à l'école, tu peux compter sur ton brio naturel ou la culture que t'ont donnée tes parents. Qui te parle d'égalité des chances ?

Plus fort encore : il y a un double jury ! Le premier évalue tes prestations cette année ; un autre ré-examinera tes notes l'année prochaine, et les augmentera au petit bonheur la chance, en fonction des statistiques attendues. Un dernier scandale, qui remonte déjà à plusieurs années : l'orthographe et l'expression ne constituent au mieux que deux dixièmes de la note. Quand on sait combien ce critère reste discriminant dans la vie sociale, on ne peut que s'indigner face à la mascarade qu'est devenu ce fameux "bac". Mais il paraît que l'objectif des 80 % de réussite n'est plus à l'ordre du jour…Va-t-on pour autant retrouver un "niveau bac" qui vaille vraiment à quelque chose, et cesser de mentir à toute une génération ?

 

* Co-auteur de l'ouvrage "Sauver les lettres, des professeurs accusent" (Textuel, 2001)