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Sorcelleries

J’ai fait un cauchemar : dans les ténèbres d’un avenir proche me sont apparus quelques uns des bouillons d’onze heures que nous concoctent dans leurs chaudrons punais les actuels ou les futurs conseillers de la rue de Grenelle, si l’on en croit quelques-uns des orateurs entendus au colloque de QSF [1]. Voici quelques échantillons prélevés dans la marmite et les commentaires de la goûteuse.

 

A – Les nouvelles recettes radicales du grand sorcier, Benoist Apparu  :

– Recréer des filières qui alignent les études supérieures sur les bacs obtenus : le marché du travail pour les bac pro; les études courtes BTS et IUT pour les bacs techniques ; les études longues pour les bacs généraux. — Chacun à sa place et fi des passerelles donc.

– Regrouper le primaire et le collège qui deviendraient le nouveau primaire dédié à l’acquisition du « socle » et regrouper lycée et 3 premières années d’université… —C’est commencé avec l’inclusion de la 6ème dans le cycle CM2/6ème.

– Augmenter les droits d’inscription en fac. — Les banques s’en frottent déjà les mains.

– Renforcer « l’orientation active » et en faire un élément du programme des lycées. — Encore ! combien d’heures de cours avons-nous déjà perdues au nom de Sainte Orientation ?

 

B – Quelques best-sellers de la tambouille diabolique remis au goût du jour par Michel Bouchaud, ex- proviseur de Louis Le Grand :

– Faire de l’orientation un élément du programme des lycées. — Eh oui, encore ! lui aussi !

– Associer les professeurs du supérieur à l’élaboration des programmes de lycée. — N’est-ce pas le cas depuis longtemps ? cf. les tristement célèbres « programmes Viala » en français…

– Décloisonner les savoirs. — Encore ! peut-être finirons-nous par découvrir que au fond il n’y a qu’un seul domaine de savoir … on est pris de vertige !

– Limiter les options qui coûtent cher et dispersent les horaires. — Pauvres options ! mais en reste-t-il encore assez pour faire vraiment des économies ?

 

C – Les philtres enivrants de la Grande enchanteresse, Isabelle This Saint-Jean, professeur, mais aussi responsable du supérieur et de la recherche au PS :

– Lutter contre l’injustice et la reproduction sociale en allant chercher les talents méconnus dans les catégories défavorisées. — Et que prévoit-on pour les défavorisés qui n’ont pas de talents ? Resteront-ils condamnés à reproduire le manque de talents de leurs parents ?

– Concevoir que la formation se fait « tout au long de la vie » . — Vieille rengaine qui plaît toujours par son petit goût humaniste, mais qui cache de plus en plus mal le projet de faire disparaître la référence aux diplômes nationaux et la garantie qu’ils procurent à leurs détenteurs, pas encore condamnés à l’inemployabilité éternelle.

– Enfin, ingrédient suprême, il faut bien admettre que « les jeunes ne pensent pas comme nous » (sic) et que donc toutes nos visions des problèmes sont vieilles et dépassées. Sans commentaire.

 ***

L’Education Nationale saura-t-elle résister à un tel déferlement de décoctions retorses et d’élixirs trompeurs ?

Surtout que ce laboratoire méphitique est, comme de juste, pavé de bonnes intentions.

 

Mireille Kentzinger

 

[1] Cf. sur le site de « Sauver les lettres » le compte-rendu du colloque organisé par l’association « Qualité de la Science Française », le 12/02/2016 au Collège de France  sur le thème « Quel lycée pour quelle université ? » ; on pourra constater que les propos épinglés dans le présent billet ne sont qu’une petite partie de tout ce qui s’est dit dans ce colloque, par ailleurs très intéressant.