Quand Sarkozy prétend « sauver les lettres »… ou sauver la face ? (Philippe Le Quéré) ?>

Quand Sarkozy prétend « sauver les lettres »… ou sauver la face ? (Philippe Le Quéré)

Nicolas Sarkozy s’est donc fendu d’une tribune dans le Figaro, dans laquelle il se pose en défenseur du français et des humanités à l’école, et, singeant au passage quelques-unes de nos idées, n’hésite pas à fustiger aussi bien une école « qui n’est plus chargée de transmettre des savoirs et de former des esprits », que des « pédagogues (ayant) décidé que l’élève devait construire lui-même son savoir (et de) promouvoir des activités ludiques et citoyennes » et des manuels scolaires transformés en « livres de catéchisme qui n’ont rien à faire à l’école de la République. »

Comment ne pas y voir pur électoralisme, et du plus impudent !

Bien sûr la critique de la politique menée par le PS rejoint largement ce que nous disons à Sauver les Lettres. Les petites mains de Sarkozy ne se gênent pas pour faire feu de tout bois et piocher aux bonnes sources (dont notre site) de quoi épicer le fond de soupe classiquement conservateur de son discours. Signalons-leur au passage qu’elles devraient mettre à jour leurs fiches, puisque les chiffres sur la baisse des horaires de français sont erronés, comme le prouve un article de Libération paru quelques jours après, qui se réfère aux nôtres.

Mais le chef du parti Les Républicains se garde bien de mettre en cause la “réforme” Chatel du Lycée (1) dont l’actuel saccage du Collège est l’autre volet, les deux forfaits ayant été fomentés par la même camarilla pédagogiste qui sévit rue de Grenelle depuis plus de trente ans.

Promettre d’abolir les foutaises Peillon-Robine sans faire le lien avec les méfaits de l’époque précédente est aussi crédible qu’annoncer la guerre à la finance, avec la circonstance aggravante que les naïfs auditeurs du Bourget, excédés par l’omniprésident, pouvaient à la rigueur s’émerveiller  de découvrir les capacités lyriques d’un politicien bonhomme dont ils ne connaissaient que l’habileté manœuvrière, tandis qu’on a vu à l’œuvre l’inculte contempteur de La Princesse de Clèves, qui n’a pas hésité en son temps à mettre en doute le bien-fondé d’un enseignement des Langues anciennes financé par les deniers publics…

Son texte ne fait du reste pas longtemps illusion ; on y retrouve les obsessions habituelles de la droite : le roman national et la grandeur de la France éternelle d’une part, l’impatience de faire travailler davantage les profs d’autre part. Au-delà des formules ronflantes, un programme qui patauge dans l’à-peu près (lire le décodage du Monde).

Nous n’avons pas à montrer la moindre complaisance pour ces grossières simagrées, d’autant que nous savons que sur le fond, en dépit des proclamations électoralistes, LA politique des partis qui se relaient au gouvernement est très largement cornaquée de Bruxelles. Nous sommes bien placés pour le savoir dans notre domaine sinistré de l’éducation, et ce n’est pas le racolage indécent d’un ancien président largement responsable du désastre actuel qui doit abuser les vrais défenseurs de l’École républicaine.(2)

Philippe Le Quéré.

(1) Rappelons que  c’est  la réforme Chatel du lycée qui en 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a supprimé 54 heures de français en Seconde, 72 h de littérature (soit 50% de l’horaire de la matière) en Terminale L. À ce titre Sarkozy apparaît bien comme un naufrageur des lettres.

(2) Sur un plan plus général, cette analyse publiée le 6 avril dans un blog hébergé par Mediapart permet de comprendre que le clivage politique pertinent ne se situe pas entre les deux formes de libéralisme que sont la droite et la gauche de gouvernement, mais découle de l’existence historique de deux « gauches », la « libérale » et la « combative ». L’auteur est un collègue de Lettres initialement formé à l’informatique et visiblement féru d’histoire dont on appréciera la rigueur de pensée et la clarté d’expression.