À propos du rapport sur la filière littéraire.
Communication d'Agnès Joste. Université d'été 2007.
Communication sur le rapport des Inspections générales sur la filière littéraire, " Evaluation des mesures prises pour revaloriser la filière littéraire ", juillet 2006, rendu public en décembre 2006 (http://media.education.gouv.fr/file/63/8/3638.pdf). Les réflexions encourageantes sur l’enseignement de la littérature, les demandes instantes de révision des programmes que l’on vient d’entendre les unes et les autres, semblent dessiner l’espace de résistance, de discussion et de proposition que pourraient avoir auprès de l’institution les défenseurs de l’enseignement littéraire. Mais le ministère n’en est plus là. Les structures que nous pensions encore fortes, et qu’il faudrait seulement corriger, adapter, améliorer (les programmes, les horaires, les contenus, les exercices, l’orientation générale de l’enseignement des lettres), ont potentiellement volé en éclats dans l’esprit du ministère : l’idée d’enseignement même est menacée, la nécessité des études littéraires et philosophiques, la nécessité même de l’enseignement scolaire de ces deux matières, sont déniées. Il ne s’agit pas d’une idée en l’air ni d’une affirmation gratuite. Ces intentions sont accréditées par le rapport récent des Inspections générales sur la filière littéraire :" Evaluation des mesures prises pour revaloriser la filière littéraire ", rendu public en décembre dernier. Ce rapport constate le déclin numérique de la filière, et consacre de nombreuses pages à le développer, à le justifier, et à entériner la mort prochaine de la série, par une série de facteurs " inexorables " : l’air du temps, la concurrence de la filière scientifique, l’état intellectuel de la société, les déficits langagiers et culturels d’élèves incapables de suivre l’enseignement de la littérature et de la philosophie, pas plus que d’en tirer profit. Il présente toutes les modifications institutionnelles de la série (rebaptisées revalorisation de la filière littéraire) depuis la réforme du lycée de 1992, comme à la fois positives, et toutes vouées à l’échec, puisque n’ayant pas causé le redressement escompté. Les ministères successifs auraient donc fait tous les efforts nécessaires et souhaitables d’adaptation de la série littéraire, mais ils auraient tous échoué en dépit d’une sollicitude constante. Il faut donc en finir avec les littéraires. Cette analyse présente bien des manques et des insuffisances, que montre le Contre-rapport sur la filière littéraire,
La disparition de L pourrait selon le rapport prendre des formes à déterminer : soit fondre les filières L et ES, soit faire une filière commune, soit maintenir la série L, mais en en modifiant la nature.
Dans cette dernière hypothèse considérée comme la plus probable, la filière littéraire comprendrait un tronc commun, assorti de cinq dominantes au choix. Ces dominantes porteraient le nom d’un débouché possible des études, en faisant entrer au lycée des perspectives professionnalisantes et technologiques qui menaceraient, bien évidemment, le caractère généraliste, théorique et formateur des études littéraires du second cycle. Elles seraient, dans l’ordre, " Littératures et civilisations ", " Arts et culture ", " Communication et maîtrise des langages ", " Sciences humaines ", " Institutions et droit ". Chaque lycée ne proposerait qu’une ou deux de ces " dominantes ", sous forme de " pôles ", ce qui menace le caractère national et républicain des enseignements et des diplômes, les élèves ne disposant pas partout des enseignements correspondant à leurs goûts ou leurs capacités.
Ces enseignements eux-mêmes seront variables d’un établissement à l’autre : en effet, les dominantes ne seraient pas régies par des programmes, mais dépendraient de " cahiers des charges " différant d’un lycée à l’autre, et dépendant des " ressources humaines " de l’établissement : aucun professeur de droit par exemple n’est prévu, les enseignants d’histoire devant assumer cet enseignement, et tout à l’avenant. L’idéal républicain et national sombre dans de tels projets.
Le tronc commun complétant les dominantes optionnelles serait fortement renforcé en mathématiques.
Si l’on comprend bien, le tronc des matières littéraires deviendrait ainsi scientifique, sur le modèle de la série S, tandis que les autres enseignements qu’il comprendrait deviendraient technologiques et passeraient sous la coupe des " compétences " fixées par les recommandations européennes visant à envisager tous les enseignements comme des " services rendus au monde économique ". Le français et la philosophie, dans cette perspective, enseigneraient la compétence de la " capacité à argumenter ", le français se consacrant aux " débats " et à " l’analogie ", la philosophie à " l’argumentation et la dialectique ". La philosophie enseignée dès la Première serait consacrée à la " transdisciplinarité " , et en Terminale réduite à l’enseignement de questions contemporaines. Le français perdrait toute spécificité littéraire pour se limiter à " toutes sortes de langages iconiques et verbaux ".
La littérature et la philosophie ne seraient plus vraiment enseignées (sous forme restreinte, car les horaires maximaux seraient de cinq heures pour l’ensemble d’une " dominante " toutes matières additionnées) que dans deux dominantes sur cinq, et éventuellement complétées en options limitées, appelées " mineures ". C’est dire la marginalisation de ces deux disciplines, et leur réduction, par le biais de l’argumentation omniprésente, à des protocoles rhétoriques.
Mais ce rapport prépare sans doute, sous couvert de régler la filière littéraire, l’effondrement du second cycle : en effet, il traite de la classe de Seconde, alors que la série L ne commence qu’en Première. On prévoit pour cette classe l’effondrement des disciplines : les prévisions ne mentionnent plus de matières ni de connaissances, mais le " croisement de plusieurs champs disciplinaires ", une " variété de processus intellectuels ", des " méthodes d’acquisition du savoir et de construction des compétences ", toutes appellations ébouriffantes qui ne dispenseront plus de savoirs solides ni ne mobiliseront de professeurs véritablement qualifiés dans des disciplines reconnues. Il s’agit de gérer au plus près les ressources humaines, au besoin par la déqualification et la bivalence, sans davantage s’occuper d’élèves, dont les cours ne seront plus régis par des programmes, mais là encore par des " cahiers des charges " variables d’un établissement à l’autre. On se demande d’ailleurs comment des séries de baccalauréat distinctes pourraient être choisies, après ce fatras. Il est vrai que les Inspecteurs, toujours soucieux du détail, ont prévu qu’à l’examen, les candidats fixeraient eux-mêmes les coefficients de leurs matières.
Le second cycle dans son ensemble succombera donc, et plus encore l’avenir des élèves, que rien ne pourra plus conduire valablement, après un lycée inégalitaire et dissous, vers des formations universitaires dignes de ce nom.
Le temps est donc compté pour la résistance. Elle est pour aujourd’hui.