Contributions : Analyses |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
L'insoluble problème des candidats libres et le "nouveau dispositif de formation des maîtres" (Résumé)
par Pedro CORDOBA
Co-directeur du Département de langues romanes de l'Université de Reims
Signé par MM. Brihault et Cornu, respectivement
président de l'Université de Rennes II et directeur de l'IUFM
de Grenoble, un rapport d'étape intitulé "Nouveau dispositif
de la formation des maîtres" a été remis à
M.Jack Lang le 15 juillet dernier. La décision finale sur
la "réforme du Capes" doit être prise en janvier 2001 et
s'appliquera à la rentrée suivante. 1. Opération-kamikase
: les chiffres du Capes
LES CANDIDATS
A l'heure actuelle, plus de la moitié des
candidats au Capes ne sont pas admis dans les IUFM. Ce sont des candidats
"libres", dont le nombre a considérablement augmenté ces
dernières années. Ils sont passés de 20 015
en 1995 à 29 712 en 1998 alors que, pendant la même période,
le nombre des candidats-IUFM baissait de 26 524 à 25 443.
LES ADMIS
Les IUFM avaient 5923 admis en 1995, ils n'en ont plus que 4480 trois ans plus tard ; les candidats libres eux ont maintenu leurs positions : 2657 admis en 1995, 2664 admis en 1998. Le nombre de postes mis au concours a beaucoup baissé ( - 36, 80%) mais ce sont les IUFM qui ont intégralement payé la facture : ils ont perdu 1443 postes tandis que les candidats libres en gagnaient 7. C'est sans doute ce que le rapport "Alluin-Cornu" appelait "RECRUTER PLUS, FORMER MIEUX" ... 2. Logique du coup tordu : le "nouveau dispositif"
C'est pour se tirer du guêpier où ils se
sont eux-mêmes fourrés que les IUFM ont imaginé le
"nouveau dispositif". Il s'agit de refiler la note aux universités
(et aux candidats).
Les IUFM donc n'ont pas le choix
: ou bien ils subissent une marginalisation croissante jusqu'à
être évacués de la préparation au Capes, ou
bien ils MODIFIENT LES CRITÈRES DE SÉLECTION DU CAPES. Tel
est le sens du "nouveau dispositif" : fabriquer un mini-Capes, un
Capes ridicule, un Capes à leur image et à leur portée.
Le premier projet - que beaucoup de collègues ignorent - consistait tout simplement à faire disparaître le Capes. Passé en septembre après la licence, il devenait "concours d'entrée" à l'IUFM, ce qui apportait une solution radicale au problème puisque les IUFM n'avaient plus affaire, par définition, qu'à des "admis". Ce projet, présenté lors des "tables rondes Oriano" à l'automne 1997, fut refusé par la CPU. Changeant leur fusil d'épaule, les IUFM concoctèrent alors le projet "Alluin-Cornu", qui revient aujourd'hui sous la signature "Brihault-Cornu". Il consiste à décaler d'un cran le projet initial en coupant en deux le Capes.
Dans la perspective de ses promoteurs, ce projet présente
l'immense avantage de supprimer le problème des "candidats libres".
En effet leur succès ne nuit pas seulement à l'image de
marque des IUFM. Il compromet toute leur politique de "formation des maîtres"
qui se base sur ce que le SNESup (qui, hélas, soutient ce schéma)
appelle la "formation en biseau" et suppose qu'on rapproche l'année
de formation théorique et l'année de formation pratique.
Or au lieu de se réduire, le fossé se creuse entre les deux
années pour la raison toute bête mais écrasante qu'elles
concernent de moins en moins les mêmes personnes. En 1998, plus
de 80% des étudiants-IUFM de première année n'étaient
pas admis en deuxième année et près de 40% des lauréats
n'avaient pas suivi la première année de préparation
dans un IUFM ! 3. Boomerang : nouveaux effets pervers
Ce scénario serait parfait s'il était viable. Mais il ne l'est pas. L'intelligence, nous l'avons vu, n'est pas la chose du monde la mieux répartie parmi les Directeurs d'IUFM : trop occupés à ruminer des mauvais coups pour en prévoir les conséquences. La régulation des flux était une fausse "bonne idée", qui a entraîné la défaite des candidats-IUFM au Capes. Il en sera exactement de même avec le "nouveau dispositif". Car les candidats libres ne vont pas être aussi faciles à éliminer qu'ils l'imaginent.
Personne ne veut le reconnaître
mais il faut regarder la réalité en face : l'écrit
ne sera plus préparé comme aujourd'hui par des universitaires
sous-traités par les IUFM. Parce que les IUFM n'en auront plus
besoin et parce que les universitaires, pour les raisons qu'on va dire,
ne voudront pas. De deux choses l'une donc : ou l'écrit est préparé
à l'IUFM, dans les locaux de l'IUFM et par les formateurs de l'IUFM
ou non.
Le problème juridique vient de ce que le "nouveau dispositif" fait disparaître le Capes actuel et le remplace par deux concours différents : un concours d'entrée à l'IUFM (un pré-Capes écrit) et un concours de recrutement (un nouveau Capes oral). Or ces deux concours doivent être ouverts aux candidats libres. Ils ne peuvent pas l'être et, par suite, le "nouveau dispositif" n'est pas viable. La seule issue possible serait de transformer l'écrit du Capes en un concours de pré-recrutement et donc de donner aux admissibles le statut d'élèves-fonctionnaires stagiaires. Il faudra alors les rémunérer : qu'en pense le Ministère des Finances? Et, de plus, que fera-t-on de ces admissibles, pré-recrutés par l'Éducation nationale, lorsqu'ils auront échoué à l'oral? Vont-ils être mis à la porte, et de quel droit? Vont-ils être admis à repasser l'oral, et dans quel cadre? Faudra-t-il les payer à ne rien faire entre le mois de juillet et le mois de mars de l'année suivante? Et que fera-t-on s'ils échouent deux ou trois fois de suite? Tout cela est abracadabrant et le simple fait qu'on en soit réduit à examiner ces hypothèses fait douter de la santé mentale des promoteurs du projet en question.
Les Directeurs d'IUFM rêvent bien sûr de renvoyer à l'université tous leurs étudiants en échec. Cela ne serait pas possible avec des élèves - fonctionnaires stagaires. Cela ne serait pas possible avec les autres non plus parce que les universitaires ne sont pas des imbéciles et se contenteront de leur répondre : vous les avez voulus, gardez-les. Tout licencié a le droit de s'inscrire en maîtrise. Là n'est pas la question. Les directeurs d'IUFM veulent que l'université valide par un diplôme l'échec de leurs candidats. Mais ils ne mentionnent même pas l'existence des 75% de candidats libres car il y a, c'est bien connu, des candidats plus égaux que les autres. Ils ont la compassion sélective, comme le reste. Or il existe un précédent historique à cette "éthique" qui renvoie au degré zéro de l'existence humaine les trois quarts d'une population et ce précédent a un nom. Ils feraient bien d'y réfléchir avant de proposer une telle ignominie. Dans leur frénésie de réformes pour sauver leur boutique en éliminant les candidats libres, ils n'en sont même pas conscients, bien sûr, c'est pourquoi on n'insistera pas. Mais par quel étrange "tour de folie" peut-on croire que l'université va délivrer des équivalences de diplômes de niveau Bac+4 à des étudiants qui auront échoué à un concours de niveau Bac+0? Et, dans le même ordre d'idées, comment peuvent-ils demander que l'université délivre un mastaire qui est un grade de niveau Bac+5 (agrégation, DEA, DESS) à des professeurs des écoles ou des certifiés stagiaires? Ont-ils totalement perdu, outre le sens moral, celui des réalités? 4. Une autre politique est possible
L'université est prête à donner à
TOUS les licenciés la préparation au Capes à
laquelle ils ont DROIT. Le taux moyen
de réussite ne changera pas. Mais conformément à
l'esprit des concours et aux principes qui régissent l'état
de droit, tous les candidats seront dans les mêmes conditions; ils
auront les mêmes chances, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il
faut donc que la préparation aux épreuves théoriques
soit rendue à l'université : seuls ceux qui préfèrent,
quels que soient leurs motifs, ne pas suivre les cours passeront alors
le concours en candidats libres et le problème sera résolu
de lui-même.
Il faut enfin que l'on engage, sans aucun préalable, une vraie réflexion sur les vrais problèmes et qu'on y associe tous ceux qui sont concernés. Pour améliorer le niveau des candidats et augmenter les taux de réussite, ne vaudrait-il pas mieux que le Capes se passe à Bac+4? Et, dans ce cas, faut-il exiger des candidats qu'ils soient titulaires d'une maîtrise (avec éventuellement une option)? Ou ne serait-il pas préférable de mettre en place une première année d'orientation universitaire, en augmentant considérablement le nombre de places dans les filières techniques et professionnelles (BTS, IUT, IUP)? Il n'y aurait alors aucun problème pour délivrer un mastaire à tous les admissibles au Capes et mettre éventuellement en place un examen, qui pourrait être assez léger, pour les autres : l'université ne peut pas délivrer des diplômes sans aucun contrôle d'aucun type. Comment résoudre aussi les problèmes posés par le "stage en responsabilité"? Est-il normal d'envoyer des certifiés stagiaires dans des classes souvent très difficiles sans AUCUNE formation pratique? Comment justement améliorer la formation pratique des enseignants, qui devrait être la seule mission des IUFM et qu'ils n'assurent pas? Car il ne suffit évidemment pas d'avoir réussi les épreuves théoriques du Capes pour être un bon professeur. Comment faire donc pour que la titularisation des stagiaires ne soit pas quasi automatique et qu'on n'envoie pas dans les classes des professeurs incapables d'enseigner? Qui doit faire partie des jurys de titularisation? Et de façon plus générale, quelle doit être, dans la formation des maîtres, la place de l'Inspection, de plus en plus marginalisée par la politique des IUFM? Voilà de vraies questions qui méritent une réflexion approfondie. Or non seulement le projet "Brihault-Cornu" n'y apporte aucune réponse. Il ne permet même pas de les penser.
Ce projet mal ficelé, illégal, injuste
et immoral doit être définitivement abandonné. Il
mènera à sa perte quiconque voudra le mettre en place. Car
l'expérience prouve que lorsque des problèmes de ce genre
se posent à l'université, ils ne se règlent pas seulement
devant les tribunaux administratifs ou devant le Conseil d'état.
Croit-on que les quelques 40 000 licenciés refusés par les
IUFM vont se laisser euthanasier sans mot dire? Ou envisage-t-on de gaîté
de coeur au Ministère de les voir dans la rue, bientôt rejoints
par quelques centaines de milliers d'étudiants qui auront
vite compris le sort qu'on leur réserve? La route est longue d'ici
les présidentielles de 2002. La conjoncture politique nous est
maintenant favorable. Nous saurons en profiter.
[NB. Ce texte est un résumé très
succint d'une étude beaucoup plus longue. Elle fait une cinquantaine
de pages, comporte tous les chiffres discipline par discipline (ceux de
1999 ne sont pas encore connus, on se demande d'ailleurs pourquoi) et
examine minutieusement les différents aspects du projet.
Elle vous sera envoyée sur demande : pedrocor@club-internet.fr
] |
Accueil | . |