Sud-Ouest du jeudi 04/10/2001
Recueilli par PIERRE TILLINAC
DELPHINE GUILLAUMIE. - Beaucoup de collègues le pensent. Ils
ne le
disent pas forcément par lassitude ou découragement. Mais il y a
urgence.
Les ultraréformistes et ultrapédagogistes ont mis la littérature
et
l'enseignement du français sous tutelle. Avec les différentes
réformes, le
texte littéraire est devenu un prétexte à faire une lecture dans
une grille
préétablie. Il faut le passer au crible, le faire rentrer dans
des cases. Le
texte lui-même n'a plus d'intérêt. Il n'y a plus de sens, plus
d'idée à en
extraire, plus de sentiment. Il n'y a plus que des éléments à
relever, des
choses abstraites et sans valeur qui ne résonnent plus dans la
tête des
lycéens et des collégiens.
« S.-O. ». - Est-ce si grave ?
D. G. - Non seulement, on tue la pensée chez les élèves.
Mais, en plus,
on les maintient dans leur ignorance. Il est normal qu'un élève
soit
ignorant puisqu'il est là pour apprendre. S'il savait déjà, il
n'aurait
aucun intérêt à venir à l'école. Au lieu de promouvoir les
individus, on les
contraint à rester dans leur propre condition. Ce n'est pas cette
école que
nous voulons. L'école doit faire progresser, elle ne doit pas
laisser les
gens stagner.
« S.-O. ». - Selon vous, les jeunes n'acquièrent même pas les
bases
indispensables...
D. G. - Ce système ne le permet pas parce que l'on fait comme
si l'élève
les possédait déjà. On fait comme si l'élève avait déjà en
lui-même des
capacités qu'il faudrait simplement développer. Cette conception
démagogique
qui vient des Etats-Unis n'est pas celle qui est à l'origine de
l'école
républicaine et ce n'est pas celle-ci que nous voulons voir
imposer à
l'école. Au contraire, nous voulons penser l'élève comme
quelqu'un qui vient
pour acquérir des connaissances et comprendre que le savoir a une
valeur.
« S.-O. ». - La situation est-elle la même partout ?
D. G. - C'est bien là l'hypocrisie et le scandale. D'un côté,
il y a les
bons établissements dans les bons quartiers avec les bons élèves
qui ont
droit à la bonne éducation. De l'autre, la masse informe des
élèves qui a
droit à l'éducation expérimentale. On le voit bien avec ce qui
s'est passé
pour les fourchettes horaires au collège. Un certain nombre
d'établissements, et notamment dans les zones plutôt favorisées,
ont gardé
cinq heures et demie de français. Les autres sont passés à quatre
heures
plus une heure et demie d'activités comme les parcours
diversifiés, les
travaux croisés et bientôt les itinéraires de découvertes.
« S.-O. ». - Que reprochez-vous à ces activités ?
D. G. - C'est de l'animation. Et, en plus, c'est extrêmement
pénalisant
parce que, pendant ce temps, ils n'acquièrent pas les bases qui
leur
permettront de maîtriser leur langue et de progresser. C'est le
même procédé
qui est utilisé au lycée avec les travaux personnels encadrés que
les élèves
eux-mêmes rejettent pour demander des heures de « vrais cours ».
Derrière tout cela, ce qu'on cherche, c'est à mettre en place
une notion
utilitariste étroite de l'école pour adapter immédiatement les
élèves au
marché du travail. L'adaptation est le maître mot : il faut que
l'on
s'adapte aux élèves, il faut que l'école s'adapte à Internet.
Mais l'école
n'a pas à s'adapter. Elle a à assurer un enseignement et à
promouvoir ses
élèves.
« S.-O. ». - Pas d'école ouverte ?
D. G. - L'école ne doit pas être un sanctuaire. Mais une
école qui
s'ouvre à outrance sur la société et sur les entreprises _ ce
qu'on voit
venir par le biais d'Internet _ ne remplit pas sa mission. Il
faut revenir à
des choses de bon sens. L'apprentissage doit passer par de la
grammaire, des
tâches répétitives, du par coeur, des dictées. La dictée n'est
pas la chose
la plus extraordinaire mais les parents nous en réclament parce
qu'ils
savent bien que c'est important.
« Sauver les lettres. Des professeurs accusent ». Ouvrage
collectif.
Postface de Danièle Sallenave. Textuel. 151 pages. 95 francs.
« SUD-OUEST ». - Pas de pitié pour ceux qui ont voulu réformer
l'enseignement du français. Pour vous, c'est un échec sur toute
la ligne.
Aujourd'hui, nous sommes dans une école qui exclut et qui le
reconnaît.
Elle dit : oui il y a 25 % d'élèves qui arrivent en sixième et
qui ont des
difficultés pour comprendre un texte. On ne peut pas laisser
faire ça.