L’éducation libérée selon Sarkozy
ou Comment renforcer au nom de la liberté toutes les inégalités Nicolas Sarkozy a fait à l’éducation nationale l’honneur de lui consacrer son premier discours de candidat auto-désigné : le 1er décembre 2006 à Angers. Ce discours oral vivant est, sur les questions d’éducation, quasi programmatique. Il doit donc être évalué et pesé avec soin. Il se caractérise par l’écart gigantesque qui s’y creuse entre le diagnostic – un diagnostic que ne désavouerait pas l’extrême-gauche – et les solutions ultralibérales préconisées, qui ont de quoi inquiéter fortement le plus grand nombre. Le candidat à la présidence part d’un constat cruel, mais assez largement exact : une école à deux vitesses ; des élites de moins en moins ouvertes aux couches défavorisées ; l’ascenseur social en panne ; l’égalité des chances en déroute ; le caractère irresponsable et ravageur d’une pédagogie qui a mis l’élève au centre du système au lieu d’y mettre le savoir. Il faut, répète-t-il (en s’engouffrant dans la brèche ouverte par d’inquiétants propos de sa rivale socialiste) (1), faire confiance aux enseignants et à leur expérience. Mais si le diagnostic est percutant, les remèdes qui suivent sont dévastateurs. On passe d’un coup de l’extrême-gauche à l’ultra-droite. Le candidat commence par des condamnations en forme de coup de balai. Il condamne en bloc les Zones d’Education Prioritaires (Z.E.P.), qui sont, selon lui, un échec complet, le collège unique, qui est, selon lui, un collège inique, parce qu’il ne tient aucun compte du fait que tous les enfants sont différents, et la carte scolaire, parce que les parents doivent avoir la liberté d’envoyer leurs enfants dans le collège ou le lycée de leur choix. Concrètement le candidat propose : Cette " libération " de l’enseignement aura, selon lui, un double effet. D’une part le travail et le mérite deviendront enfin les principaux moteurs du système, en remplaçant la sélection par l’argent et les relations. D’autre part, cela permettra " l’adaptation du système éducatif aux perspectives d’emploi ". Des remèdes qui vont " légaliser " et accroître le mal Voici donc découvert les remèdes à tous les maux : le libre choix du meilleur établissement, la diversification de l’enseignement public (à l’intérieur de chaque établissement et entre les établissements), le développement du privé. Le grand fantasme mythique de la Libre Concurrence, ce frère ennemi de la Lutte des classes, est promu soudain au rang de panacée éducative. Pourquoi donc conserver toutes ces inventions coûteuses et contraignantes que sont les Z.E.P. et autres cartes scolaires ? Super-Sarko va nous débarrasser de cette racaille, ces dispositifs parasitaires et paralysants qui infectent l’école républicaine. Comme je l’ai dit plus haut, le candidat a multiplié le 1er décembre, les bonnes paroles et les coups de chapeau en direction des enseignants. Il faut " les respecter. " " Il faut leur faire confiance. " Il ne faut plus " s’immiscer dans leur travail pédagogique " (s’agissant des parents). Le candidat en a un peu parlé chez Arlette Chabot (ce n’était pas son propos et il ne connaît manifestement pas plus le supérieur que le secondaire). Il rêve simplement, comme ses amis, de libéralisme à l’américaine. Autonomie des universités, financement par des entreprises, gouvernance révisée, etc. : les lieux communs habituels… Mais sur le paupérisme général du monde étudiant, pas un mot. Au passage, deux propositions intéressantes : davantage de logements pour les étudiants, des Bibliothèques universitaires ouvertes plus longtemps. Mais quand, comment, et qui paiera ? Des propositions fracassantes, plus inspirées par des présupposés idéologiques qu’appuyées sur une bonne connaissance des dossiers (le ministre de l’intérieur devrait au moins apprendre que l’école n’est ni une entreprise, ni un quartier sensible).
qu’on prétend corriger
Un diagnostic sévère et pertinent…
Le candidat rejoint ainsi les critiques que les gens les plus sensés et la majorité des professeurs ont développées depuis plus de dix ans, comme s’il s’apercevait soudain de ce qu’on sait depuis longtemps.
Ce diagnostic percutant, le candidat le rehausse de formules brillantes et justes : " L’école est le patrimoine de ceux qui n’en ont aucun. ", " Je vous propose une école qui développe l’esprit critique et l’esprit de vérité. ", " Il faut revenir aux grands textes, faire lire aux élèves "La dernière classe" [Alphonse Daudet], Les Misérables, Germinal, L’Espoir. ".
A ce stade, celui de la critique, il n’est pas indifférent que le candidat auto-proclamé de la droite s’efforce de faire porter à la gauche la responsabilité exclusive de tous les échecs éducatifs depuis 1968. Il joue autant qu’il le peut sur le fantasme de la lourdeur pesante et oppressive des régimes socialistes et sur celui des illusions nocives d’une gauche au marxisme archaïque, qui s’imaginerait pouvoir créer la plus démocratique des écoles possibles par le nivellement pédagogique. Heureusement le champion de la Liberté, c’est-à-dire lui, surgit, délivre de ses chaînes l’Ecole affaiblie et captive, et voici que la Liberté brille de tout son éclat et éclaire de son flambeau le monde de l’éducation républicaine.
En réalité, le candidat fausse singulièrement la réalité historique. C’est la droite (Edgar Faure) qui, après 68, a posé les bases du pédagogisme démagogique, c’est elle, qui, depuis 68, est restée des dizaines d’années au pouvoir, c’est encore elle qui détient depuis cinq ans un pouvoir sans partage. Où voit-on qu’elle ait tenté de modifier le pédagogisme et l’autoritarisme dominants ? Elle a multiplié allègrement les mini-réformes sans effet et les circulaires contraignantes. Et elle continue en ce moment même (2). En fait, il est clair que le candidat est parfaitement conscient des responsabilités de son parti, même s’il se garde bien d’en faire état. Car son slogan de " rupture tranquille " concerne plus son propre camp qu’une gauche écartée du pouvoir depuis des années. Apparemment, c’est la politique actuelle de la droite (qu’il applique et soutient sans états d’âme) qui semble être trop molle au champion du libéralisme sans frein.
Comment expliquer autrement son idée du changement dans la continuité ? La vérité de son diagnostic se retourne donc largement, et d’une manière voulue, contre son propre camp.
…et les remèdes dévastateurs de l’ultralibéralisme
– logiquement de diversifier l’offre en collège, pour répondre à la diversité des capacités des enfants ;
– de diversifier les lycées entre eux, en créant ici des lycées de littérature, là des lycées de langues étrangères, ou encore des lycées où l’après-midi est libre, comme en Allemagne (3);
– enfin d’aller dans le sens de l’implantation en tous lieux – " et pourquoi pas dans les quartiers populaires ? " – d’établissements privés sous contrat, afin d’offrir aux parents le choix le plus large.
Tout cela est un peu simple. Le candidat-président préfère visiblement des déclarations aussi fracassantes que démagogiques à une réflexion nuancée, fondée sur une bonne connaissance des dossiers. Prenons les Z.E.P. Une courte passe d’arme entre le candidat et un chef d’établissement, lors de l’émission télévisée " A vous de juger " du 30 novembre (4), est révélatrice des ignorances ou des aveuglements du ministre de l’Intérieur. Le chef d’établissement : les moyens supplémentaires attribués aux collèges de Z.E.P. ont pourtant permis, entre autres, d’avoir des classes moins chargées. Le ministre-candidat minimise : à peine quelques élèves en moins. Mais la principale insiste fermement : jusqu’à 10 élèves en moins (c’est-à-dire un tiers de la classe). Même aller-retour express à propos de l’échec scolaire. Le ministre-candidat répète que les difficultés ne proviennent pas toutes de la pauvreté et du statut social des familles (c’est exact). Mais le chef d’établissement lui rétorque que l’expérience et les chiffres des principaux de collèges montrent que les difficultés restent avant tout en corrélation étroite avec le niveau socio-économique et culturel des familles (c’est encore plus exact).
Quant au collège unique et à la carte scolaire, on n’a pas attendu M. Sarkozy pour en voir à la fois la longue utilité et les faiblesses actuelles. Et on sait aussi que c’est le développement (grâce à qui ?) de quartiers paupérisés et ghettoïsés qui, petit à petit, a détruit la mixité sociale et différencié des collèges " bien fréquentés " et des collèges prolétarisés. Mais de là à conclure qu’il faut d’un trait de plume permettre à chacun d’envoyer ses enfants dans l’établissement qui correspond à son niveau de fortune, il y a une marge.
Les parents qui appartiennent aux couches les moins favorisées ont bien du souci à se faire pour leurs enfants si on supprime d’un coup, sans mesure compensatoire, collège unique et carte scolaire (avec les Z.E.P.) ! Car la différenciation massive des classes et des collèges aboutira immanquablement à des classes de niveau et à des collèges d’excellence ou de second rang, c’est-à-dire à un système qui sépare fortement les élèves forts et les élèves faibles et qui interdit aux forts de tirer les faibles. Schéma classique. Si, à cause de difficultés familiales, psychologiques, sociales, les enfants sont orientés dès la 6ème (à 11 ans) vers des voies " inférieures ", les voilà condamnés à vie à l’infériorisation sociale. Les passerelles de rattrapage restent toujours trop hautes. Certes, grâce à des établissements adaptés, on les préparera efficacement et le plus tôt possible à des métiers utiles. Plus besoin de plombiers polonais. Et ainsi chacun de son côté sera bien préparé à son statut futur de cadre ou d’employé. Rassurez-vous un peu toutefois, vous les immigrés, les exilés du dehors et du dedans : si, par chance, vous avez un enfant doué et assez motivé, il y aura toujours des mesures de discrimination positive pour récupérer son excellent cerveau au service du système libéral. C’est même le seul cas où l’intelligence, le travail et le mérite, s’ajoutant à la chance, joueront vraiment à plein.
Ce n’est pas le développement de l’école privée en tous lieux qui va arranger les choses. Ce serait plutôt pire. Quels établissements s’implanteront dans des quartiers populaires, en dehors d’établissements confessionnels ou destinés aux plus capables d’intégration rapide ? Danger pour la laïcité, dont le candidat ultra-libéral, du reste, ne dit pas un mot ! Quant aux autres quartiers, pourquoi y implanterait-on des établissement privés, sinon pour gagner de l’argent ? Et à quoi serviront-ils dans tous les cas, si ce n’est à isoler les clientèles assez argentées ou assez fortunées pour payer ? Bonjour à la ségrégation sociale ouverte, qui ne vaut pas mieux que celle qui se cache.
Ainsi, par la liberté imposée à tous, le pouvoir d’Etat peut consacrer, sous prétexte d’y mettre un frein, la sélection par l’argent. Car si l’Etat selon Sarkozy se fait discret, il est bien présent à chaque étape : pour garantir, en tous lieux et à tous les niveaux, cette sélection par l’argent ; pour imposer à chaque fin de cycle une orientation adaptée aux perspectives d’emploi, dans un monde économique où la loi du plus fort et du plus riche est désormais la règle. La liberté, oui. Mais certainement pas une liberté de choix tournée vers l’accomplissement personnel de chacun et l’égalité de tous. Liberté, rivalité, inégalité : belle devise pour la République…
Personne, certes, n’est assez fou pour souhaiter le maintien du statu quo. Mais ce qu’il faut viser, ce sont des solutions d’envergure, plus ambitieuses que les fantasmes doctrinaires du candidat libéral. Il y a d’abord les grandes mesures urbanistiques qui concernent le logement et le brassage des populations (le maire Sarkozy ne pourrait-il se soucier un peu d’appliquer à Neuilly la loi sur l’obligation de construire 20% de logements sociaux ?). Il y a la construction de collèges plus petits et plus nombreux, leur extraction des ghettos, leur installation dans des secteurs médians, plus éloignés, desservis par des bus : le libéral qui aime tant l’Amérique ne pourrait-il s’inspirer du système de " busing " adoptés par les U.S.A. pour leurs quartiers chauds ? A l’intérieur des collèges, diverses mesures de bon sens sont envisageables. Mais tout cela demande un peu plus de réflexion que d’appliquer aveuglément des présupposés sectaires.
Et les enseignants dans tout cela ?
Mais ce ne sont là, une fois de plus, que de belles paroles. Il faut aussi, selon lui, respecter les femmes (sauf Mme Royal peut-être), les musulmans, les immigrés qu’on garde. Qu’en est-il dans la pratique ? Citations : " Le système décourage les enseignants qui veulent faire plus que ce pour quoi ils sont rémunérés ". Il faut " des enseignants qui puissent travailler plus s’ils veulent gagner davantage ". Il faut " des études encadrées, pour tous les enfants de France, sur la base du volontariat (des enseignants) ". Et pour toutes ces raisons, on va s’attacher à mieux mesurer leur " mérite " : il faut " (les) évaluer plus souvent ". La voilà, la vraie réalité. Ici, Sarko-Ségo même combat : l’un veut mettre les enseignants (volontairement) au travail jusqu’à 18 heures, en les transformant en surveillants en fin de journée, l’autre suggère 35 heures de présence au collège. Apparemment, pour les deux candidats-présidents, les enseignants pourront toujours préparer leurs cours et corriger leurs copies tout en surveillant les gamins et en les aidant à faire leurs devoirs ! Il leur suffira même, sans doute, d’emporter en étude leurs bouquins et leur ordinateur pour être libres à 18 heures, eux aussi. Quelles propositions merveilleuses ! Travaillez un peu plus que les autres (bénévolement) et, grâce à une " évaluation " attentive, vous serez bien notés et progresserez un peu plus vite " au mérite " (dans la limite des quotas imposés par les finances). Soyez volontaires pour des heures de surveillance et, récompensés de votre dévouement, vous arrondirez vos fins de mois et augmenterez votre pouvoir d’achat. Ce sont les avantages de l’école nouvelle, " managée " comme une entreprise (et on sait comment, en entreprise, les salariés sont priés d’accepter " volontairement " des heures supplémentaires). N’est-ce pas beau un tel " respect " des professeurs ?
Mais au fait, qui va évaluer et noter leur " mérite " ? Les chefs d’établissement, qui sont de plus en plus des gestionnaires et de moins en moins des pédagogues ? Les inspecteurs, que personne n’inspecte jamais eux-mêmes et dont la toute puissance sans contrôle fait de véritables califes (certains d’entre eux sont les premiers à en rire) ? C’est bien parti en tout cas pour un renforcement supplémentaire de l’autoritarisme, du caporalisme, de la cote d’amour. Respect des professeurs ? En réalité, tout est déjà prévu, au nom de l’évaluation et du mérite, pour les fliquer un peu plus, pour les obliger à filer doux, pour les pousser à travailler encore davantage.
Encore faut-il prier le ciel et saint Charlemagne que ça s’arrête là. Parce que ce qui est aujourd’hui le plus à craindre, c’est une augmentation pure et simple des services et une démolition du statut. Tel mot du candidat à propos du professeur Montagnié semble en dire long, inconsciemment, sur ses pensées cachées : " C’est le statut qui est vieux, pas le professeur Montagnié ". Le professeur Montagnié (que je suppose parti en retraite vers 69 ans) pouvait encore faire de l’usage… de même que l’universitaire qui signe le présent texte (il a 68 ans) ! Alors que dire d’enseignants de collège de quelque 60 ans, méritants et en pleine forme ? Ne pourraient-ils pas faire un petit effort ? Et plus généralement, n’est-il pas temps de réviser tous ces statuts de la fonction publique qui, sous prétexte de protéger les fonctionnaires, les endorment et paralysent leur volonté de travailler plus ? Un peu de précarité contribuerait sûrement à accroître leur volonté secrète de travailler davantage. Ce qui précède n’est-il qu’un procès d’intentions ? Si seulement…
Et pourtant, pour promouvoir les enseignants en même temps que l’enseignement, il existe de vraies solutions. Mais elles sont si éloignées de l’esprit de nos gouvernants – ainsi, bien sûr, que des vues du candidat – qu’elles semblent dangereusement révolutionnaires. Tout d’abord, les enseignants du second degré, pourraient élire leurs chefs d’établissement, comme le font les enseignants du supérieur. Ils cesseraient ainsi d’être d’éternels mineurs aux yeux de leur administration. Voilà qui serait un pas décisif vers un changement d’esprit profond et vers un fonctionnement démocratique. Ensuite, ils pourraient constituer des équipes pédagogiques structurelles, grâce à des heures de concertation inscrites dans leurs services. Enfin, ils pourraient être épaulés par de véritables équipes de surveillants-répétiteurs (ce qui permettrait à des étudiants de financer leurs études). Autant de propositions, qui, bien qu’elles relèvent de la simple raison, semblent encore d’une hardiesse inouïe. Décidément, le vrai respect des enseignants, ce n’est pas pour 2007. Ni pour 2012. On en finira plus vite avec le sexisme, le racisme et l’homophobie qu’avec le mépris profond des gouvernants pour les esclaves pédagogues…
Et les universités ?
Conclusion
Voilà un homme qui n’arrête pas de se vanter de parler avec vérité, sincérité et honnêteté, un homme qui commence son discours sur l’éducation en prétendant dénoncer toutes les hypocrisies du système. Pourtant ce grand honnête homme ne commence jamais son laïus en disant franchement qu’il est le champion de l’ultra-libéralisme et de la concurrence sans contrôle. Auprès de lui, Chirac va finir par apparaître comme un socio-libéral pas très éloigné de Ségolène Royal (moralisme en moins) ! Le néo-conservatisme et les préjugés doctrinaires du candidat, surgis des profondeurs du XIXème siècle, restent soigneusement dissimulés – dissimulés derrière un blabla républicain envahissant. Comme s’il était évident pour tout le monde qu’il suffit d’un coup de peinture fraîche pour faire du libéralisme un facteur de progrès plutôt que de misère morale et matérielle. En fait d’archaïsme, il est difficile de remonter plus haut que la loi naturelle de dévoration réciproque.
Bref, le démagogue populiste si soucieux de faire lire aux enfants Les Misérables et Germinal, devrait les relire lui-même, pour y voir les effets dévastateurs des doctrines qu’il défend. Et le candidat qui s’efforce de faire prendre pour de grandes nouveautés les vieilles lunes du libéralisme devrait avancer un peu plus loin sur le chemin de la clarté et de la loyauté. Mais on doit pouvoir lui faire confiance sur un point, celui de ses actes à venir : " Je dirai tout avant, parce que je ferai tout après ". Et c’est justement là que, non seulement pour les plus déshérités, mais aussi pour le plus grand nombre des Français – ceux qui n’ont pour vivre que leur salaire (ou leur retraite) et la Sécu, ceux qui n’ont que l’école pour patrimoine –, il y a de quoi s’inquiéter sérieusement…
J.-C. Carrière,
professeur émérite à l’Université de Toulouse-Lettres
vice-président d’une association régionale de spécialistes (secondaire et supérieur)
1. La proposition de 35 heures de présence des enseignants dans leur collège, la dénonciation des revenus cachés que les leçons payantes apporteraient à beaucoup d’entre eux au seul bénéfice des particuliers.
2. On fait grand bruit autour des vrais-faux débats pédagogiques sur la méthode de lecture globale ou l’enseignement de la grammaire. Mais actuellement ce rideau de fumée cache divers projets de " pilotage par la performance ", inspirés par une dangereuse logique d’entreprise. Voici un aperçu des instructions actuellement données par le ministre aux principaux de collège : établir un " diagnostic " en vue de définir une action et un " levier de projet " ; pour ce diagnostic, utiliser des " indicateurs ", à relever par collecte ou à demander au rectorat ; le tout en vue d’un " contrat d’objectif " pour 2, 3 ou 5 ans, suivi d’une reddition de comptes et d’une " évaluation de la performance " etc. Voilà donc repris une fois de plus, au détriment du vrai travail pédagogique, ce processus lourd et complètement opaque d’enquête et d’évaluation du " mérite " (élèves, profs, établissements, etc.). Robien se projette en 2008, 2009 et 2011, mais on peut compter sur ses successeurs, quels qu’ils soient, pour prendre la suite. Mais à quoi donc sert cette lourde machine, cette manière " managériale " de gérer l’éducation comme une entreprise ? La réponse est évidente : à faire des économies de crédits et de personnels, tout en répartissant comme on veut ce qui reste.
3. Cette suggestion a été faite, à titre d’exemple, dans l’émission télévisée citée dans la note suivante.
4. L’émission télévisée du 30 novembre a servi de banc d’essai au candidat pour son discours d’Angers. A l’exception du chef d’établissement, les faibles intervenants liés à l’Education Nationale ont plus ou moins apporté de l’eau au moulin du candidat : une étudiante en soutenant qu’on peut réussir dans une discipline encombrée (par l’acharnement et le travail), J.-P. Brighelli, en continuant sa charge contre les échecs du système (charge que le candidat reprend à son compte !). Un sympathique enseignant de maths, il est vrai, défend hautement le respect dû aux enseignants (ce qui ne gêne pas le ministre), mais son double métier pittoresque d’enseignant et d’acteur (dans une représentation comique de l’enseignement) affaiblit sa crédibilité et fait planer le soupçon que les enseignants ont assez de temps pour exercer une double activité.