Les passages " à la carte" en fin de première :
quel effet sur la classe de terminale et la réussite au bac ?
Réflexions à partir d’une cohorte d’élèves (2002 – 2005)
L’analyse qui suit est faite à partir d’un corpus trop réduit pour permettre de dégager autre chose que des indications provisoires, et cela pour deux raisons. D’une part, elle ne repose que sur une cohorte d’élèves de première à terminale, des années 2002 à 2005 ; d’autre part le nombre d’élèves concernés ne permet pas, sur une seule année, de dégager les effets spécifiques des redoublements consentis ou refusés. Il conviendra donc de poursuivre l’enquête, pour voir si les indications données par ces premiers résultats sont confirmées. Il va de soi que ces indications ont une valeur purement statistique : elles ne prennent pas en compte tel ou tel cas particulier.
Le taux de redoublements proposés en fin de première est – toutes sections confondues - de 22, 5 %. Il est donc à peine inférieur au taux de redoublement de fin de seconde.
On peut avancer plusieurs explications :
1 - Un certain nombre d’élèves sont orientés en première " à l’ancienneté " : après deux ans de seconde, comme tous ne relèvent pas d’une orientation spécifique (BEP, STI, 1ère expérimentale), ils passent en première par défaut. Il n’est pas étonnant, alors, qu’ils se retrouvent à nouveau en difficulté l’année suivante : n’ayant pas atteint le niveau de fin de seconde, on se demande comment ils pourraient, miraculeusement, suivre avec profit le cursus de première. Cette orientation valant surtout pour les STT, il est logique de constater que c’est dans les premières de cette section qu’on trouve un taux très élevé de propositions de redoublement (28 %).
2 - Sans doute ne suffit-il pas d’une année pour combler le fossé entre le collège et le lycée : en seconde, il faut habituer les élèves à une somme de travail individuel, à des exigences auxquelles les années de collège ne les ont pas préparés. Cette discipline ne s’acquiert pas du jour au lendemain, et une grande partie de l’année de seconde est consacrée à cette acquisition. Ce n’est donc souvent qu’en milieu d’année (dans le meilleur des cas), qu’un réel travail de seconde est possible. On ne dispose donc que d’une demie année pour amener les élèves au nouveau saut que constitue le passage de la seconde à la première.
1 - Le petit nombre d’élèves de certaines sections (notamment en L) ne permet pas de conclusions statistiques probantes. Comment tirer de conclusions définitives, des pourcentages, à partir de 16 élèves ?
2 - Les données ne concernent qu’une cohorte : or, chacun sait que les données peuvent fluctuer en fonction de contingences structurelles (par exemple, création d’une première S supplémentaire, faisant office de " pompe aspirante ", et incitant à l’indulgence quant au niveau de compétences scientifiques des élèves …).
Néanmoins, on peut tirer quelques enseignements de ce suivi des redoublements de fin de première.
Taux de redoublements proposés et en fin de première :
L |
S |
ES |
STT |
32% |
20% |
24% |
28% |
Si l’on excepte la section L (où, depuis quelques années, les résultats au bac sont beaucoup plus généreux que le jugement des conseils de classe de terminale), on constate que moins les orientations se font par défaut, (l’expérience des fiches de vœux des élèves montrent que la hiérarchie des choix des orientations est assez constante), moins il y a d’échec à la fin de la première. Bien sûr, les sociologues déduiraient de ce tableau qu’il faut que les élèves de STT aillent massivement en S puisque c’est la section qui connaît le moins d’échec, mais c’est parce que nous ne voulons pas laisser le travail de statistiques aux gestionnaires et/ou aux idéologues que nous nous livrons à cette étude. Nous savons au contraire que c’est dans la mesure où les critères de sélection pour la S restent relativement fiables, que les élèves qu’on y admet sont le moins en échec.
Taux de redoublements acceptés en fin de première :
Section |
L |
S |
ES |
STT |
Redoublements proposés |
32% |
20% |
24% |
28% |
Redoublements acceptés |
25% |
68% |
37,5% |
45% |
Paradoxalement, on constate que c’est en S, dans la section où il y a le moins d’échec en fin de première que les redoublements sont le plus acceptés. On peut y voir deux causes.
D’une part, les élèves qui choisissent cette section ont conscience qu’ils s’engagent dans des études longues ; on peut supposer alors que la réussite de leurs études prime sur l’impatience de sortir du système scolaire. D’autre part, dans cette section, les parents suivent en général le cursus de leurs enfants avec plus d’attention et plus d’information, et sont donc plus sensibles aux avis des professeurs; cela permet de tempérer, plus souvent que dans d’autres sections, le désir de certains élèves d’en finir au plus vite, ou de passer coûte que coûte dans la classe supérieure, pour rester avec leurs camarades.
2003 / 2005 : taux de réussite au bac des élèves de première proposés au redoublement.
Section |
L |
S |
ES |
STT |
||||
Passages forcés |
Rdbts acceptés |
Passages forcés |
Rdbts acceptés |
Passages forcés |
Rdbts acceptés |
Passages forcés |
Rdbts acceptés |
|
Reçus au bac (1ère terminale) |
42% 2 abandons |
75% |
33% |
69% 1 abandon |
20% 2 abandons |
100% |
59% 6 abandons |
57% 5 abandons |
Reçus au bac (2ème terminale) |
33% |
67% |
40% |
0% |
||||
Bilan après 2 terminales |
75% |
? (1 élève) |
100% |
? (3 élèves) |
60% |
100% |
59% |
? (1 élève) |
On constate la même distorsion entre les sections.
Arithmétiquement, le fait de refuser le redoublement en S ne nuit pas au cursus de l’élève, puisque tous les élèves qui avaient forcé le passage en terminale ont fini par obtenir leur bac, même si, pour la plupart, ils ont dû redoubler leur terminale. Toutefois, cette stratégie relève, à notre avis, d’une victoire à la Pyrrhus.
1 – Aucun des élèves ayant refusé le redoublement n’a obtenu de mention ; inversement, 22% des élèves ayant accepté de redoubler leur première ont eu leur bac avec mention. En d’autres termes, le redoublement de première permet d’aborder la terminale sans " ramer ", et d’atteindre un meilleur niveau qu’en forçant le passage.
2 – Cette statistique confirme ce que nous avons maintes fois constaté : un élève qui force le passage efface peut-être une blessure d’amour propre personnelle ou familiale ; mais il passe les deux années qui suivent à bout de souffle, soutenu par maintes prothèses, cours particuliers, angoisses des résultats médiocres, dans une situation d’échec qui n’est guère valorisante pour lui-même.
3 – Enfin, les élèves de S aspirent en général à des cursus sélectifs, dans lesquels le dossier scolaire est important. Or, pour ces dossiers, seules les deux dernières années sont prises en compte. Il vaut donc mieux présenter un dossier comprenant une première et une terminale sanctionnée par un bac avec mention, qu’un échec au bac suivi d’une seconde terminale et d’un bac sans mention.
Les abandons avant l’obtention du bac sont plus courants dans le cas d’élèves ayant forcé le passage.
Enfin, les indications fournies pour les séries technologiques sont difficiles à interpréter de façon tranchée. Contrairement aux sections L et ES, les risques d’abandon en terminale sont aussi importants, que le redoublement ait été accepté ou refusé, et les résultats au bac sont sensiblement équivalents :
L passages forcés |
ES passages forcés |
STT Rdbts acceptés |
STT passages forcés |
|
Abandon sans bac |
16,6% |
20% |
35,7% |
35,2% |
Mais ce tableau montre un taux global d’abandons en STT, bien supérieur au taux des autres séries. Cela pose un problème plus large, celui de l’orientation au forcing des élèves en fin de seconde (notamment après deux années d’échec), et en aval, celui de l’orientation de certains élèves vers le lycée, sans solution de repli possible.
Pour finir, deux remarques d’ordre pédagogique.
1 - Les professeurs qui proposent des redoublements n’ont pas de prime à l’échec ; bien au contraire, ils encourent les remontrances d’une institution dont le but est la circulation rapide des flux d’élèves pour des raisons économiques. C’est donc dans l’intérêt de l’avenir des enfants qu’ils rament à contre courant d’une politique plus gestionnaire et inhumaine qu’éducative.
2 - Les professeurs qui proposent des redoublements pensent à la cohérence pédagogique de leur tâche : il n’est pas possible de donner un enseignement progressif, efficace, dans une classe où l’hétérogénéité des niveaux interdit toute progression du groupe. Bien plus, une présence importante d’élèves dont le niveau ne correspond pas à la classe handicape tous les autres, et spécialement ceux qui, ayant suivi un cursus régulier, sont en droit de ne pas être freinés dans leur aspiration légitime à suivre un enseignement de terminale qui leur assure dans les meilleures conditions la réussite au bac.
Nadine et Robert Wainer, lycée R. Cassin, Gonesse (95).
05/2006