Rapport Attali
Ci-dessous un extrait de la première partie, chapitre I ("Au commencement, le savoir"), Les clés du changement Le temps est venu de modifier les modes d’éducation,
d’orientation et de promotion au sein de la société. La préoccupation du
résultat (qui n’est autre que la réussite de tous les élèves) doit aujourd’hui
primer sur la simple exigence de moyens. La France peut faire beaucoup mieux
avec les mêmes moyens. La régression en lecture, en sciences et en relations
humaines n’est pas une fatalité. Les pays qui ont progressé ou rattrapé leur
retard ont, mieux que la France, tenu compte de la très grande plasticité de
l’intelligence et de la création incessante de nouveaux rituels culturels. Ils
ont tous tenu compte des rythmes scolaires fondés sur les processus biologiques
d’apprentissage : grandes vacances moins longues, journées plus courtes et plus
légères, sport et détente en début d’après-midi… Les rythmes scolaires français
impliquent des journées lourdes et des programmes mal répartis qui ralentissent
les processus d’apprentissage ! OBJECTIF Doter tous les enfants des atouts nécessaires au
monde DÉCISION 1 Améliorer la formation des éducateurs et éducatrices de
crèche et des assistantes maternelles, revaloriser leur diplôme et en augmenter
le nombre. L’acquisition de la confiance se fait pour les deux tiers
de tous nos enfants, quels que soient la culture et le niveau social, lors des
dix premiers mois, bien avant le début de la parole. Pratiquement tous les
enfants épanouis se trouvent dans des milieux affectifs et sociaux stables :
lorsque arrive l’âge de l’école, ils sont les mieux préparés à en profiter. À
l’opposé, un enfant sur trois connaît dès les premiers mois une difficulté de
développement. Lorsqu’ils entrent à l’école, ils vivent cette épreuve comme un
véritable traumatisme, régressent, dorment mal, et leur angoisse provoque une
inhibition relationnelle et intellectuelle qui les place d’emblée parmi les
mauvaises performances scolaires. Humiliés par l’école, ils se mettent à la
détester et développent souvent des comportements
hostiles. Au total, quand ils arrivent à l’école primaire, les
enfants présentent des différences en termes d’éveil, de maîtrise du
vocabulaire, de capacité d’écoute, d’aptitude à retenir, etc. L’école primaire
ne permet pas de réduire les difficultés décelées à la maternelle. Les facteurs
de base de la croissance sont alors irréversiblement en
place. La prise en charge très tôt des enfants est par
conséquent primordiale. Pour cela, il est fondamental de se donner des
obligations de résultats en termes d’éveil des comportements pour les enfants
dès la crèche ou la garde chez des assistantes
maternelles. La priorité est de mieux former les 280 000 assistantes
maternelles et l’ensemble des éducatrices de crèche pour qu’elles participent à
l’acquisition par les enfants, dès les tout premiers mois de la vie, des
éléments fondamentaux, dont le langage. Cette formation pourrait être largement
effectuée par Internet, à coût très réduit, et pourrait être mise en place dès
la rentrée 2009. Aussi faut-il doubler de 120 à 240 heures le nombre
d’heures de formation des assistantes maternelles et des éducatrices de crèche,
et augmenter le nombre de ces personnels. DÉCISION 2 Repenser le socle commun des connaissances pour y ajouter
le travail en groupe, l’anglais, l’informatique et
l’économie. L’Éducation nationale a défini un « socle commun des
connaissances » qui s’articule autour de 7 « piliers » : la maîtrise de la
langue française ; la pratique d’une langue vivante étrangère ; la
connaissance des principaux éléments de mathématiques, et la maîtrise d’une
culture scientifique ; la possession d’une culture humaniste ; la maîtrise des
techniques usuelles de l’information et de la communication ; l’acquisition des
compétences sociales et civiques ; l’accession à l’autonomie et l’acquisition de
l’esprit d’initiative. La maîtrise de ce socle est contrôlée en CE1, à la fin de
l’école primaire, et au niveau du brevet. Dans ce socle, rien n’est dit sur la
maîtrise d’Internet, la capacité à travailler en groupe, la maîtrise de
l’anglais, le développement de la créativité ou l’apprentissage de
l’économie. Tous ces objectifs doivent être introduits sans pour
autant alourdir la charge scolaire des enfants. L’apprentissage de l’anglais et
l’usage d’Internet doivent être développés massivement dès le primaire.
L’apprentissage d’Internet passe par la mise à disposition des outils dont il
sera question plus loin. Internet permet de privilégier davantage des méthodes
d’enseignement susceptibles de développer la créativité, le questionnement,
l’expérimentation et le travail de groupe. Il permet aussi de faciliter le
développement d’aptitudes spécifiques (linguistiques, informatiques,
artistiques, sportives, créatives) autant que les connaissances académiques, et
de faire de l’échec une façon d’apprendre et non de punir. L’enseignement de l’économie doit être aussi, dès le
primaire, concret, positif, et exigeant sur les dimensions éthiques, sociales et
écologiques de la croissance. Il devra expliquer le rôle du travail, de
l’entreprise et de l’entrepreneur, montrer que le scandale est dans la pauvreté
plus que dans la richesse, dans les injustices plus que dans les inégalités. Il
devra expliciter le rôle relatif de la concurrence et des collectivités
publiques dans la création et la répartition des
richesses. DÉCISION 3 Prendre les moyens pour éviter les redoublements dans
l’ensei gnement primaire. Le redoublement n’apporte aucune solution au retard des
élèves. Il faut l’éviter au maximum. Le rôle du maître doit donc être avant tout
de faire confiance et de donner confiance. L’optimisme s’acquiert dès ce stade
et détermine le goût de travailler, de créer, d’entreprendre, essentiel à la
croissance. OBJECTIF Engager les établissements du primaire et du
secondaire sur la réussite de tous leurs élèves DÉCISION 4 Accorder plus d’autonomie aux établissements primaires et
secondaires. Une autonomie de gestion accrue des établissements
scolaires, depuis l’école primaire, permettrait de mieux adapter l’enseignement
aux besoins. Une liste de recrutement national constituant un « vivier
» doit être établie, dans laquelle les établissements puiseront pour embaucher
leurs professeurs. Cette autonomie permettrait aussi, en motivant les enseignants, d’encourager la nouveauté en
matière de réussite scolaire, alors que le pilotage actuel des enseignements,
trop centralisé et tatillon, leur ôte beaucoup de possibilités de s’approprier
leurs cours et d’adapter la pédagogie aux besoins spécifiques des
élèves. Cette autonomie sera complétée par des moyens adaptés
accordés aux écoles des quartiers et des banlieues défavorisés, dont il sera
question plus loin. DÉCISION 5 Évaluer les professeurs sur leur capacité à faire
progresser tous les élèves. Chaque école devra faire l’objet d’une évaluation par une
autorité administrative spécialisée et indépendante du ministère, tenant compte
de l’avis des usagers, de leurs résultats, de leurs évolutions à moyen terme.
Ces évaluations devront être rendues publiques. L’évaluation des professeurs ne
peut pas reposer uniquement sur les notes qu’obtiennent leurs meilleurs élèves
ni sur l’examen d’inspecteurs. Elle doit aussi reposer sur une évaluation de
leur pédagogie par leurs élèves, sur leur capacité à faire progresser chacun et
sur la prise en compte des résultats scolaires ultérieurs. DÉCISION 6 Permettre aux parents de choisir librement le lieu de
scolarisation de leurs enfants. La carte scolaire, qui oblige les enfants à s’inscrire
dans l’école de leur quartier, sépare les élèves des quartiers difficiles de
ceux des centres-villes. Elle est contournée par ceux qui ont les moyens de
bénéficier de passe-droits ou de financer des études dans un établissement
privé. Il faut donc permettre, dans un premier temps, un libre choix total de
l’établissement par les parents et les élèves, qui pourront tenir compte de
l’évaluation publique des établissements. En cas de demande excédentaire pour un établissement, des
priorités transparentes, géographiques et sociales, seront
établies. Des « droits à l’école » seront attribués à chaque enfant
et utilisables dans toutes les écoles : ce dispositif permettra d’établir une
véritable liberté de choix, pour que chacun puisse bénéficier dans son voisinage
d’écoles publiques et privées conventionnées. En pratique, l’État affectera aux
parents une somme d’argent par élève. Chaque parent pourra l’utiliser dans un
établissement public ou privé de son choix. Le conventionnement des écoles
privées devra être très strict sur la nature des enseignements et le respect des
valeurs de la République. Les parents pourront ainsi bénéficier d’une totale
liberté de choix de l’établissement et profiteront de ce financement quel que
soit leur choix. La Suède utilise déjà ce système
efficacement. Par ailleurs, un développement du tutorat et de l’«
apprentissage en ligne » doit aider les 300 000 élèves qui sortent du CM2 sans
maîtriser les fondamentaux à rattraper leur retard. L’ « apprentissage en
ligne », qui permet de développer une véritable interactivité, évite en outre un
séjour tardif à l’école, parfois vécu comme une humiliation. OBJECTIF Favoriser dans le secondaire l’éclosion de
toutes les intelligences DÉCISION 7 Refonder l’information sur l’orientation sur les
carrières et prendre davantage en compte les aptitudes non
académiques. Aujourd’hui, le choix des études se fait largement « par
défaut » : les meilleurs élèves vont en section scientifique puis en classes
préparatoires ; les autres s’inscrivent, presque à l’aveugle, en filières
économique et sociale et littéraire, en filières technologiques, puis, s’ils
continuent, vont dans les établissements techniques ou d’enseignement supérieur
les plus proches, sans connaître ni les formations offertes ni leurs débouchés,
et sans vocation particulière. Afin de répondre à cette situation, il est nécessaire
d’améliorer et de réformer l’information dès la classe de quatrième, afin que
les futurs étudiants connaissent les débouchés professionnels des diverses
filières (nombre de postes offerts, délais d’obtention des emplois,
rémunérations à la sortie…) et soient avertis des places offertes dans la
discipline recherchée, lorsqu’elles sont limitées en nombre, comme c’est le cas
pour la médecine. L’orientation est aujourd’hui le privilège des enfants
dont les parents sont les mieux informés, en particulier des enfants
d’industriels, de professeurs et de cadres. Elle doit être faite de façon plus
efficace, beaucoup plus adaptée aux exigences de la société d’après-demain et
des connaissances. De plus, l’orientation des élèves dans l’enseignement
secondaire et le recrutement dans le supérieur restent concentrés sur des
critères purement académiques (carnet de notes, capacité à apprendre par coeur
des connaissances et à les restituer, etc.). Les modes d’orientation doivent
désormais prendre en compte leurs résultats dans la durée, apprécier la
motivation, l’ensemble de leurs aptitudes, la créativité, le dynamisme, les dons
particuliers à chacun, en tenant compte de leur environnement
personnel. DÉCISION 8 Développer les stages en
entreprises. Pour améliorer l’orientation, les élèves comme les
enseignants doivent apprendre à mieux connaître le monde de la création, de
l’entreprise, de la recherche. Chaque collégien effectuera à partir de la 4e une semaine
de stage par trimestre (au lieu de 2 à 5 jours par an comme actuellement), dans
des entreprises ou des associations en liaison avec les régions, les pôles de
compétitivité, les chambres de commerce et les chambres de métiers. Une des
missions des seniors restés en entreprise ou dans une association sera l’accueil
et le tutorat de ces jeunes. Un tel dispositif pourrait être mis en place
progressivement sur 5 années afin de permettre aux petites et moyennes
entreprises de s’organiser. DÉCISION 9 Lancer des concours
d’innovation. Les collèges et lycées qui le souhaitent doivent pouvoir
entrer en relation avec des universités, des centres de recherche et des
entreprises pour organiser des « concours d’innovation » à destination de leurs
élèves, pour développer de nouveaux services, ou de nouveaux produits, ou des
oeuvres d’art. Ces concours encouragent l’innovation en même temps qu’ils
promeuvent le travail de groupe. Les meilleures idées se voient attribuer un
financement par les partenaires, pour réaliser un prototype ou un essai. Celles
qui sont éventuellement commercialisées le sont ensuite au profit des élèves et
des établissements scolaires. DÉCISION 10 Mettre en place au collège un service civique
hebdomadaire. La croissance suppose la prise de conscience de
l’interdépendance, de l’importance de l’altruisme, du travail en équipe et de
l’intérêt général. Chacun doit aussi comprendre que le succès de l’autre est une
chance pour lui-même et non une place prise à son détriment. Il convient donc
d’éveiller les élèves au travail associatif à travers la mise en place au
collège d’« après-midi de service civique ». Ces demi-journées prévoiront par
exemple des activités de soutien aux personnes âgées isolées, aux handicapés ou
à d’autres personnes en difficulté ; de tutorat à l’égard des plus jeunes, ou
encore la participation à l’entretien des forêts, à la réhabilitation des vieux
logements. Ce service civique hebdomadaire, qui existe déjà dans
certaines écoles et hors du cadre scolaire sur la base du volontariat, dans des
domaines très divers, doit être généralisé dès la rentrée scolaire 2008 à raison
d’une demi-journée par semaine, en liaison avec les bureaux d’aide sociale des
communes et les associations agissant dans le périmètre des établissements
concernés. L’ensemble de ce qui précède suppose un allègement
substantiel de la pression exercée par les services déconcentrés de l’Éducation
nationale pour faire respecter les programmes actuels et les cursus. Cela
suppose aussi qu’une plus grande autonomie soit laissée aux directeurs
d’établissement pour l’organisation des emplois du temps et pour la mise en
place de telles initiatives. [Extrait de http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000041/0000.pdf]
avec les propositions concernant le primaire et le secondaire.
Texte intégral du rapport : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000041/0000.pdf.