La France, comme d'autres pays européens, manque d'ouvriers qualifiés. L’Europe au sommet de Stockholm a décidé de parier sur l’éducation, en particulier l’enseignement professionnel et la formation continue, pour rester compétitive. Ce qui incite Jean-Luc Mélenchon à remettre en cause le collège unique afin de former la main d'œuvre dont l'économie française a besoin. De son côté le sociologue François Dubet (Libération du 22 mars 2001) craint que cela ne reproduise et renforce les inégalités sociales en conduisant une jeunesse socialement défavorisée et en échec scolaire vers une orientation perçue comme négative. Entérinant lui aussi la faillite du collège unique, que personne ne semble désormais contester, il en appelle à un collège pour tous, qui permette l'épanouissement de tous les élèves en intégrant la culture technique. Suivons-le dans cette voie tout en sachant préserver le principe du collège unique - instruire toute une classe d'âge à un niveau commun - sans en rabattre sur les exigences. La " culture commune " dispensée au collège ne doit pas se mesurer en termes de compétences. Sachons rompre avec les discours comportementalistes, reflets d'une conception managériale ou tayloriste de l'homme, qui envahissent les programmes scolaires, dès l'école primaire désormais. Les collégiens, avant d'être de futurs ouvriers ou employés compétents et qualifiés, ont le droit de conquérir leur liberté, par un savoir émancipateur, et d'exercer leur esprit critique en quatrième et en troisième. Une " culture " strictement utilitariste risque de se retourner en haine de la vraie culture. Plutôt que de commencer à former le collégien à l'employabilité, il faut chercher à accroître sa puissance d'être et d'agir, et faire de lui un futur citoyen capable de gouverner et d'être gouverné. Or il est à craindre qu'on cherche bien plutôt à l'atrophier, au vu des dictées de quatre lignes qui sont devenues l'objectif terminal du collège. Au lieu de stimuler et construire son jugement, par lequel s’acquiert une citoyenneté active (le sujet de réflexion a été supprimé l'année dernière), il s'agit désormais - signe d'une décadence de l'époque - de moraliser, de prêcher dans le désert un nouveau " catéchisme " citoyen qui, au mieux, laissera complètement indifférent, au pire, suscitera rires et sarcasmes. Sachons ensuite moduler le collège unique en fonction des goûts et des possibilités de chacun. Les classes de sixième et de cinquième resteraient un tronc commun, où les apprentissages, quitte à bousculer quelque peu certains blocs disciplinaires, seraient recentrés sur le français et les mathématiques, puis l'histoire-géographie, la deuxième langue vivante enseignée depuis le primaire, et une troisième langue vivante européenne. A partir de la quatrième serait introduit un enseignement technique pour tous, d'un volume horaire de 2 ou 5 heures selon le souhait de l'élève. Pour l'obtention du brevet, qui continuerait d'associer le contrôle continu dans toutes les disciplines et un examen terminal en français, mathématiques, histoire-géographie, langue vivante et enseignement technique, l'élève pourrait, pour ce dernier, pondérer en fonction de ses points forts chaque discipline d'un coefficient allant de 1 à 4, la somme des coefficients affectés aux cinq disciplines devant être égale à 10. Ce brevet, à la différence de la formule actuelle, indigente, voire méprisante pour les élèves, serait un véritable examen conditionnant le passage au lycée professionnel, technique ou général. La sélection est certes un thème tabou parmi les milieux de gauche, car on dépiste en elle un moyen pour les héritiers de se reproduire. Mais la crainte ne tient plus dès lors que l'examen intègre (avec un coefficient possible maximal de 4) la culture technique. En outre le refus de la sélection sur des critères scolaires, tout pétri d'une générosité émotionnelle toujours prête à vibrer, ouvre la porte, à la sortie de l'école, à toutes sortes d'injustices fondées sur l'argent, les relations des parents, etc. L'élève qui n'obtiendrait pas son examen serait autorisé à redoubler. Il faudrait prévoir une issue pour ceux qui ne parviendraient toujours pas à avoir leur brevet : on pourrait imaginer qu'ils soient mis en apprentissage sur des postes du bassin d'emploi auquel appartient leur collège. Les avantages d'une telle proposition concrète sont nombreux. Revaloriser l'enseignement technique, permettre une ventilation harmonieuse vers l'enseignement professionnel ou général fondée sur les capacités des élèves, c'est-à-dire sur leur réussite et non plus sur leur échec, réhabiliter le sens de l'effort qui fait cruellement défaut dans l'institution scolaire aujourd'hui, ce qui autorise la fuite en avant : limitation des redoublements, évaluations factices à l'entrée en sixième et seconde, examens bradés. Si l'élève a besoin de croire en lui, encore faut-il que l'Ecole soit là pour lui permettre de s'élever, pour lui présenter des obstacles nécessaires au dépassement de soi, alors que, engagée dans la spirale du moindre effort, elle n'est plus qu'une fabrique d'individus moyens, nivelés et hébétés. A ce titre il est un désolant spectacle : les élèves arrivés en seconde l’année dernière, issus de la réforme des programmes du collège, rendus indolents, ont été mutilés dans leurs possibilités. Enfin pour que cette proposition concrète fonctionne au mieux, c'est-à-dire génère le moins d'élèves en échec au brevet, il serait bon - au lieu de s'évertuer à baisser toujours plus le niveau - de revenir, contre le dogmatisme ambiant, au bon sens, en ce qui concerne l'enseignement primaire notamment, qui conditionne la scolarité future. Celui-ci devrait cesser de servir de terrain d'expérimentations hasardeuses à des chercheurs en " sciences " de l'éducation sur le dos des enfants de la nation. Cela implique de conserver (car Hannah Arendt nous a appris qu'être conservateur en matière d'éducation est le meilleur compliment qu'on puisse recevoir) la méthode syllabique, l'exercice de la mémoire, les devoirs à la maison, etc. Il serait bon ensuite que l'enseignement puisse s'effectuer en petits groupes et que l'on cesse de pousser au forceps les élèves d'une classe à l'autre, indépendamment de leur rythme et de leur niveau et au risque de les handicaper à jamais. Plus généralement, au-delà du collège unique, dans un contexte où le premier ministre, prenant le thème de la violence comme prétexte, a appelé l'Ecole à faire " bouger son enseignement ", où les savoirs sont en passe d'être évincés dans les classes par les savoir-être et les savoir-faire, où les concours de professeur des écoles et les Capes sont réformés dans un sens qui renforce le pouvoir des IUFM et mise sur la professionnalisation du métier d'enseignant au détriment de la qualité universitaire des candidats, ne serait-il pas judicieux de lancer des états généraux de l'Ecole ? Les réformes dont a besoin notre système scolaire et qui engagent l'avenir de notre pays ne méritent-elles pas d'être démocratiquement et ouvertement discutées ? Christophe Billon Article paru dans le numéro de septembre 2001 de " L’École en questions(s) ", revue du MDC sur l’école.