Projet de programme de français
(seconde et première)
Préambule Notre discipline est sinistrée, les inégalités y sont considérables, les laissés-pour-compte très nombreux. Les professeurs de français déplorent chez les lycéens de graves lacunes en matière de langue (orthographe, syntaxe, lexique), à l’écrit mais aussi à l’oral où beaucoup d’élèves ont des difficultés à s’exprimer. Les professeurs des autres disciplines constatent que les énoncés ou les textes des sujets sont souvent mal compris, les devoirs très mal rédigés et orthographiés. Objectifs • Connaissance et pratique diversifiée de la langue, écrite et orale, pour l’exactitude des analyses textuelles et la correction du langage. Cohérence et progression La cohérence du programme doit être sensible aux élèves eux-mêmes. Elle ne sera pas cherchée dans des " objets d’étude " et des " perspectives d’étude ", qui conduisent à un véritable émiettement des savoirs, mais dans l’histoire littéraire et culturelle (avec ouverture à la littérature européenne), qui permet en outre d’établir des liens avec d’autres disciplines (histoire, langues, arts plastiques, musique). Il s’agit de comprendre la place de l’œuvre dans l’histoire des contenus et des formes, les raisons de son attrait, du plaisir pris à la lire, celles de son actualité voire de sa pérennité, afin d’apprendre à questionner valablement son sens. Contenu Lectures analytiques ou cursives : textes littéraires (œuvres intégrales, groupement de textes) ; textes complémentaires (essais, extraits d’ouvrages de sciences humaines, articles de dictionnaires, de revues, de journaux). Progression :
La dernière réforme, contrairement à ce qu’avaient annoncé ses promoteurs, n’a pas résolu les problèmes posés par la démocratisation des lycées. Celle-ci a été gérée comme une massification et le français s’est vu attribuer des horaires notoirement insuffisants pour traiter un programme auquel le document d’" accompagnement " a donné une très grande extension. Cette ambition quasi encyclopédique a produit – et c’était inévitable – des réductions dans les pratiques d’enseignement : en témoignent les " descriptifs " présentés à l’épreuve orale (qui, par exemple, font rarement place à une question aussi importante que l’humanisme) mais aussi le discours de certains IA-IPR et les consignes d’évaluation fournies aux correcteurs de l’EAF. En outre, le primat de l’" objet d’étude " incite à chercher dans l’œuvre un savoir général qui lui est extérieur et lui préexiste ou l’illustration d’un type de discours : ainsi, telle fable de La Fontaine, telle scène de théâtre sont examinées principalement sous l’angle de l’argumentation. La valorisation des catégories orientant la lecture se fait au détriment des œuvres, leur multiplication prive les élèves des repères dont ils ont besoin. Dans ces conditions, ils sont bien loin de pouvoir accéder à l’autonomie que les deux années de lycée sont censées leur faire acquérir.
L’institution ne semble pas soucieuse de procéder à une évaluation sérieuse de la mise en œuvre de ce nouveau programme ni des connaissances et des compétences qu’il permet aux élèves d’acquérir. Elle a jusqu’à présent fort peu tenu compte des critiques des professeurs ; l’aménagement du programme de première paru au B.O. du 2 novembre 2006 et applicable à la rentrée 2007 apportera quelques améliorations mais ne suffira pas à créer un ensemble cohérent. Il est donc nécessaire de jeter les bases d’un nouveau programme.
• Formation d’une culture (avec l’idée que tout ne se vaut pas…), par la lecture et l’étude de nombreux textes, principalement littéraires, auxquels s’ajoutent des œuvres appartenant aux autres arts.
• Développement de l’esprit critique et du jugement.
Le programme définira donc, de manière souple et pragmatique, des questions centrées sur un auteur ou sur un mouvement, un moment, une problématique littéraires. Ces questions seront réparties sur les années de seconde et de première de manière à donner, à la fin des études secondaires et compte tenu du travail à effectuer préalablement au collège, une vision globale de l’histoire littéraire et culturelle. Il ne s’agira pas de rechercher l’exhaustivité ni un approfondissement excessif (la " problématisation " de l’histoire littéraire en elle-même doit être laissée à l’enseignement supérieur) mais de fournir des cadres et des repères permettant d’apprécier les œuvres en se référant à l’évolution des genres et des formes, des thèmes et des problèmes littéraires, des idées, de la condition des écrivains, des fonctions assignées à la littérature et plus généralement au contexte historique qui les a vues naître. Cela suppose un minimum d’harmonisation entre les programmes de français et ceux d’histoire.
L’année de seconde est devenue, plus encore que dans le passé, le moment où les élèves (et leurs professeurs) sont confrontés à des difficultés majeures. Pour faciliter la transition entre le premier et le deuxième cycle, il convient d'abord de rendre plus efficace l’enseignement du français à l’école primaire et au collège en proposant à ces niveaux d’enseignement des objectifs élevés mais accessibles et en vérifiant que, majoritairement, ils ont bien été atteints ; il faut en finir avec l’hypocrisie (qui constitue un mépris des élèves) consistant à élaborer des programmes d’une ambition démesurée et à se satisfaire de productions médiocres (voire indignes, pour ce qui est de la correction de la langue).
La classe de seconde, en outre, doit être, pour une part, considérée comme une propédeutique à celle de première, qui conduit à l’examen. On y accordera donc une place particulière à l’étude de la langue (voir ci-dessous) et on y abordera des questions littéraires de manière à conduire une réflexion sur les principaux genres (poésie, théâtre, roman – l’essai et la littérature à visée didactique peuvent être réservés à la classe de première) : on prendra en compte leurs conditions de production, de diffusion, de réception mais on mettra surtout l’accent sur les connaissances qui permettent de mieux comprendre et apprécier les œuvres concernées (versification, étude des sonorités, spécificité du texte de théâtre, règles du théâtre classique, caractéristiques de la description, quelques éléments de narratologie…). Ces connaissances seront revues et approfondies en première mais elles devront être acquises en fin de seconde. C’est pourquoi l’horaire de cette classe sera renforcé et comportera des heures de travail en demi-classe mais aussi en groupes encore plus réduits quand il est nécessaire d’apporter un soutien à certains élèves.
En classe de première, dans toutes les sections, une heure modulable hebdomadaire permettra principalement de préparer l’épreuve orale et de proposer en groupe réduit les remédiations nécessaires.
Problématiques formelles : synthèses sur tel ou tel genre, ou tel moment-clé de l’histoire littéraire.
Ouverture aux arts et à la littérature étrangère.
Classe de seconde |
Classe de première |
XVIe siècle XVIIe siècle XIXe siècle XIXe-XXe siècles |
XVIe siècle XVIIe siècle XVIII e siècle XIXe-XXe siècles XXe siècle |
La langue
Dans ce domaine, l’étude du français au lycée demande de solides acquis du primaire et du collège, qui devraient être dûment constatés en fin de troisième (brevet) et réévalués (par chaque professeur) à l’entrée en seconde de manière à pouvoir procéder à des opérations de remédiation pour les élèves qui en ont besoin. Il n’est plus tolérable de voir des élèves de première ignorer des règles élémentaires d’orthographe, mêler les niveaux de langue, employer un vocabulaire extrêmement réduit et approximatif, produire des textes grossièrement incorrects, et de les laisser poursuivre leurs études en terminale puis dans l’enseignement supérieur comme si de rien n’était.
Indépendamment de ce travail de remédiation et de consolidation, l’année de seconde commencera par une réflexion initiale sur le langage (le signe linguistique, le lexique, les niveaux et registres de langue, l’évolution de l’orthographe et du sens des mots) et ses usages "littéraires" (figures de rhétorique essentielles, ironie, jeux sur le lexique, etc.). Ce travail sera conduit à partir d’un corpus de textes littéraires variés, empruntés aux différents genres, et il donnera lieu à diverses activités de recherche, d’analyse et d’écriture, parmi lesquelles figurera l’utilisation intensive du dictionnaire de langue, notamment à des fins d’enrichissement du vocabulaire.
L’étude de la langue sera autant que possible intégrée à celle des textes. En seconde, et dans le cadre d’un horaire renforcé, elle trouvera aussi sa place dans la préparation et la correction des devoirs, au prix, quand le besoin s’en fera sentir, d’un travail personnalisé effectué avec quelques élèves. L’enseignement de l’orthographe et de la grammaire doit être poursuivi au lycée : reste à déterminer sur quels points précis, en fonction des programmes de collège et des acquis des élèves entrant au lycée. Les connaissances orthographiques et grammaticales seront explicitement évaluées à l’examen : on pourrait réserver un quota de points pour évaluer la qualité de la langue et habituer dès le collège les élèves à cette pratique, de manière à crédibiliser l’exigence de correction linguistique.
La capacité à s’exprimer oralement dans le cadre de la classe dans des interventions construites, préparées ou spontanées, doit être développée à l’école primaire et au collège. Elle met en jeu non seulement la maîtrise de la langue mais aussi la mobilisation des connaissances, l’argumentation, le rapport à autrui. Au lycée, diverses activités sont possibles : prise de parole pendant le cours ; débat informé et argumenté ; exposé portant sur un texte, une œuvre ou une question ; compte rendu de lecture de textes non littéraires (presse, essais, critiques) comportant un résumé, une analyse ou une synthèse suivie d’une appréciation critique motivée ; présentation d’œuvres littéraires ou non (peinture, musique) en relation avec le programme ; lecture expressive de textes ; etc.
Épreuves anticipées de français au baccalauréat (EAF)
Les épreuves écrite et orale doivent être définies de manière à permettre une bonne évaluation du travail de l’année. Ce n’est pas le cas des actuels sujets " d’invention ", qu’il est impossible de préparer sérieusement en classe et qui mobilisent généralement très peu de connaissances disciplinaires. L’ancien sujet composé d’un résumé (initialement, d’un résumé ou d’une analyse) d’un texte argumentatif et d’une discussion présentait un défaut similaire (au moins pour la discussion) et permettait surtout d’évaluer l’intelligence et l’aisance verbale du candidat. L’écriture d’invention, pratiquée à l’occasion dans l’année comme exercice de formation, pourrait être envisagée comme épreuve dans le cadre d’une option " Art littéraire " dotée d’un véritable horaire et de professeurs formés.
Ces épreuves anticipées doivent en outre pouvoir être bien préparées en seconde et en première : un horaire réduit ne permet donc pas de les diversifier outre mesure. Il faut pourtant offrir un choix au candidat, ne serait-ce que pour éviter les injustices dues à des inégalités de préparation selon les lycées et les classes.
Ces considérations conduisent à présenter les propositions suivantes.
S’agissant de l’épreuve écrite, soit on privilégie sa simplification et la réduction du temps consacré à sa préparation et on se limite à deux types de sujets, soit on maintient un troisième sujet dont la définition est plus compatible avec ce temps de préparation.
Dans le premier cas, l’épreuve est réduite à un commentaire de texte littéraire et à une dissertation, en rapport avec une ou plusieurs questions du programme (sujets I et II actuels).
Dans le second cas, on maintient un corpus cohérent de textes littéraires et, éventuellement, de divers documents, écrits ou visuels, posant un problème littéraire en rapport avec le programme. Ce corpus est constitué de manière à faciliter la compréhension des textes par leur confrontation (préparation au commentaire, éventuellement comparé) et la réflexion sur un problème littéraire (préparation à la dissertation). Un troisième sujet porte sur le corpus lui-même et est composé de deux parties : un exercice de synthèse (brève explicitation et présentation ordonnée des idées exprimées sur ce problème) suivi d’une discussion argumentée et illustrée d’exemples précis (notée sur 12 ou 14 points).
Dans les deux cas, l’actuelle question préalable sur quatre points (à laquelle les candidats donnent un développement excessif ou qui fait double emploi avec le sujet) disparaît, laissant ainsi plus de temps pour mener une réflexion approfondie.
L’épreuve orale est l’occasion d’évaluer les capacités de lecture du candidat et le travail qu’il a effectué au cours de l’année. Le candidat étudie un extrait choisi dans sa liste puis participe à un entretien librement mené par l’examinateur : retour sur l’explication du candidat (comportant aussi une ou deux questions mesurant ses connaissances lexicales et grammaticales), élargissement à l’œuvre, à une question littéraire, etc.
L’actuelle question est supprimée : l’entretien doit suffire à évaluer si les connaissances sont solides et assimilées ; en outre, il faut absolument alléger les procédures de cette épreuve.
Michel Buttet, Agnès Joste, Philippe Le Quéré, Jacques Vassevière.
Juin 2007