Français en primaire : vers des lendemains qui chantent.

" Le pays était au bord du gouffre, et nous lui avons fait faire un immense pas en avant ! " (discours d'un " responsable de l'Etat, [exposant] les raisons qu'il y a d'espérer en un avenir meilleur " - sujet de juin 2001).


Les futurs programmes du primaire peuvent être consultés sur Eduscol, à l'adresse http://www.eduscol.education.fr/D0048/primprog.htm (les professeurs d'école en ont reçu un exemplaire papier afin qu'ils puissent en débattre). Ils comportent un certain nombre de mesures qui, me semble-t-il, valent qu’on en informe les collègues du secondaire et tous les parents… Je m’intéresserai ici au projet pour le cycle 3, un document de 27 pages, téléchargeable à l’adresse ci-dessus, et n'envisagerai que ce qui concerne l'enseignement du français, mais les collègues de mathématiques trouveront aussi sans peine de quoi s’interroger.

Tout d'abord, les premières lignes : "Au cycle 3, l'élève continue à acquérir les bases de son éducation : maîtrise du langage, éducation civique, mathématiques, éducation artistique et éducation physique" (page 1). Bien. "Maîtrise du langage", très bien. Suit d'ailleurs, deux paragraphes plus loin, une belle déclaration : "Aucun élève ne doit quitter l'école primaire sans avoir cette assurance minimale dans le maniement du langage oral et du langage écrit qui lui permette d'être suffisamment autonome pour travailler au collège." On envisage même le cas d'élèves "arrivant en début de cycle sans avoir acquis les bases de la lecture et de l'écriture" (haut de la page 2). Pas de problème, ils bénéficieront d'un PPAP (" programme personnalisé d’aide et de progrès ") ! Mais avec quel encadrement, sur quel horaire ? Le projet de programme se contente de renvoyer aux BO n°42 de novembre 2000 et n°13 de mars 2001.

Voici ce qu’en disait le BO de novembre 2000 : " Pour les élèves qui doivent bénéficier d'un "programme personnalisé d'aide et de progrès", c'est d'une reprise d'apprentissages non aboutis qu'il s'agit. Il n'est pas suffisant de répéter à l'identique ce qui a déjà été fait. Il faut proposer des démarches différentes, utiliser des supports et des techniques variés. Pour ces activités, le maître ne peut laisser les élèves seuls face à la tâche. Par ses questions, par les interactions qu'il induit entre enfants, par les mises en relation qu'il aide à réaliser, il met en mouvement la compréhension et les acquisitions nouvelles. Lorsque les problèmes sont aigus (lacunes importantes de connaissances et de méthodes, déficit de structuration, inhibitions...), des approches plus spécialisées peuvent être nécessaires, dans l'école ou en dehors. Les membres des RASED [1] doivent considérer qu'ils ont à prendre leur part de cet effort en faveur de la réussite scolaire même si les activités de remédiation ne doivent pas leur être confiées systématiquement ; leurs interventions gagnent à avoir une forte densité (caractère fréquent pendant une période courte) dans le premier trimestre de l'année scolaire avec les élèves de CE2. Il est souhaitable qu'ils participent à la réflexion des maîtres sur l'adaptation de leur action pour les élèves en difficulté. " On ne saurait être plus vague… Tout est souhaitable, rien n’est obligatoire.

PPAP signifierait-il Plan Personnel d’Analphabétisation Programmée ?


Poursuivant la lecture, on découvre (p. 2, deuxième §) : "On pourra s'étonner que cette partie si importante du programme ne comporte pas d'horaire en propre en dehors de la contribution spécifique que lui apporte l'observation réfléchie de la langue française (grammaire, orthographe, conjugaison, vocabulaire)" J'arrête là, et me reporte, page 4, au tableau des horaires, où l'on découvre que, la "maîtrise du langage" (= Parler, Lire, Écrire) étant qualifiée de "transversal" (sic), effectivement, ne bénéficie d'aucun horaire. que, par contre, les élèves du cycle 3 vont bénéficier, dans le domaine "Éducation littéraire et humaine" d'un enseignement de "Littérature" (si, si !) à horaire variable (dont la fourchette varie de 4h 30 à 5 heures), et qu'ils auront aussi droit à un enseignement de "grammaire" (ce doit être "l'observation réfléchie de la langue française (grammaire, orthographe, conjugaison, vocabulaire)" cf. ci-dessus) de 1 heure à 1h 30 maximum. Soit au total, 6 heures (contre 9 h actuellement, lorsqu’il n’y a pas de langue vivante) [2].

Et encore 6 heures ... Juste au-dessus du tableau, quelques lignes rappellent qu'il s'agit de l'horaire hebdomadaire, établi sur 5 demi-journées, et qu'il faut soustraire 15 mn de récréation par demi-journée de l'horaire global. Je vous laisse faire le calcul. Bien sûr, on peut imaginer que c'est un autre domaine qui en fera les frais.

Mais, pas de panique, de la "maîtrise du langage", on en fait tout le temps ! Puisqu'on vous le dit ! (Au fait, pourquoi langage, et non langue française? Pourquoi "maîtrise du langage" et non "français"? J'ai mauvais esprit, mais peut-être pensez-vous la même chose que moi...)

Sinon, ils vont bénéficier de leur demi-heure de "vie collective - débat hebdomadaire" (Tableau des horaires de la page 4) et d'une heure de langue étrangère ou régionale.

Un retour à la page 2 vous permettra d'apprendre qu'un enfant "construit ses savoirs", que "la maîtrise du langage ne peut en aucun cas être acquise dans des exercices formels fonctionnant à vide", qu'elle "s'acquiert dans tous les domaines du cycle 3 grâce aux multiples connaissance qu'ils assurent", etc.

Bon, mais enfin, ces petits, ils vont faire de la "littérature" ! Ça, c'est très beau, et le paragraphe qui expose ce que doit en être l'enseignement est également fort beau. On y trouve les grands mots: "lecture", "culture", "classiques de la littérature", et cette magnifique conclusion: "C'est sur la base de ces lectures que peuvent se développer dans l'école des débats sur les grands problèmes qui sont abordés par les écrivains, comme sur l'émotion tant esthétique que morale qu'ils offrent à leurs lecteurs".

Page 11 est détaillé le "programme de littérature". Page 13, celui de "l'observation réfléchie de la langue française." C'est d'ailleurs la seule fois où le mot "français" apparaît. Je vous laisse la joie et le bonheur de découvrir ce que l'on peut faire étudier en 1 heure hebdomadaire. Un exemple au hasard (choisi par la rétrograde conservatrice que je suis) : la conjugaison.

"La conjugaison est, au cycle 3, centrée sur l'observation des variations qui affectent les verbes plutôt que sur leur mémorisation. Les règles d'engendrement du présent, du passé composé, de l'imparfait, du futur, du conditionnel, et du présent du subjonctif peuvent être aisément dégagées ainsi que les régularités orthographiques qui les caractérisent (leurs formes rares et le passé simple seront étudiés au collège). Les verbes les plus fréquents seront étudiés en priorité" (page13). Et, page 14 (2ème colonne) : "être capable de : trouver le présent, le passé composé, l'imparfait, le futur, le conditionnel présent et le présent du subjonctif des VERBES RÉGULIERS (à partir des règles d'engendrement)" De même, page 7, dans le tableau des compétences attendues en fin de cycle 3, dans la cellule à l’intersection de la colonne " Ecriture " et de la ligne " Observation réfléchie de la langue française " trouve-t-on : " construire le présent, le passé composé, l’imparfait, le futur, le conditionnel et le présent du subjonctif des verbes les plus fréquents ".


Et voilà...

Bien sûr, les " experts " concepteurs de ce programme, qui n'en sont pas à une contradiction près (je resterai polie) expliquent, sans sourciller le moins du monde, page 13 (2ème colonne) : "L'approche des diverses manières de situer et de caractériser les événements dans le passé par l'emploi des divers temps verbaux se fait dans la narration." Page 11 (2ème colonne): "Écriture à partir de la littérature. La plupart des genres littéraires rencontrés en lecture peuvent être le point de départ d'un projet d'écriture (conte, récit des origines, légende, nouvelle policière, nouvelle de science-fiction, récit de voyage fictif, fable, pièce de théâtre...)

Vous aurez remarqué avec moi (il suffit d'ouvrir n'importe quel livre pour la jeunesse, a fortiori de "littérature" pour s'en convaincre) qu'à part les deux derniers genres cités (fable et théâtre) tous, sans exception sont rédigés au passé, et donc emploient abondamment le passé simple. Mais les enfants n'apprendront pas le passé simple.

J'ai enseigné en collège à des élèves à qui l'on avait refusé cet apprentissage ; les productions écrites étaient catastrophiques. J'ai travaillé avec une amie institutrice, dans sa classe de CE1 et 2. Les enfants, spontanément, rédigent au passé simple (et au besoin "engendrent" - pour parler comme les concepteurs de ces programmes - ceux dont ils ont besoin, les fameux "il faisa" et "il disa"). Il a suffi de leur apprendre les formes correctes, et ils les ont retenues et employées, même en CE1. Je précise qu'il s'agissait d'une école rurale, dans un secteur culturellement très défavorisé, sur le plateau picard. Ces enfants-là écrivaient des textes bien meilleurs que mes élèves de 6ème, à qui l'on avait interdit le passé simple, sous prétexte que c'était "trop difficile pour eux".

Mais j’oubliais ! Les élèves à qui sont destinés ces nouveaux programmes sont un " nouveau public " ! On jugeait leurs aînés dignes d’apprendre, capables de recevoir un enseignement exigeant. Le " nouveau public " n’aura pas cette chance, victime de la démagogie et du mépris des " experts ".

Je crois que décidément, nous allons vers des lendemains qui chantent... et vous laisse découvrir les autres merveilles de ces nouveaux programmes.


Michèle Leroux Baron


[1] Les Réseaux d'Aides Spécialisées pour les Enfants en Difficulté mieux connus sous l'abréviation R.A.S.E.D. ont succédé aux G.A.P.P. (Groupes d'Aide Psycho Pédagogique). Ils dépendent directement de l'Inspecteur de l'Education nationale et s'occupent des enfants des écoles maternelles et élémentaires.
[2] Pour toute information sur les horaires actuels, consulter : http://www.education.gouv.fr/prim/ecole.htm et http://www.sauv.net/refprim.htm.

09/2001