"En finir avec l'encyclopédisme" (sic)
Que nos députés, réunis sous la houlette débonnaire de M. Périssol (gauche et droite main dans la main !) veuillent "en finir avec l'encyclopédisme", cela n'a pas l'air d'embêter grand monde. Qu'une telle formule, hideuse, dans un pays comme la France qui a connu Hugo comme parlementaire exprime un consensus à la Chambre n'éveillerait aucune réaction ? Fût-elle enthousiaste devant une aspiration à un changement si profond et si radical ? On me dira que pour nos représentants du peuple; "encyclopédisme" signifie "exhaustivité". Que ces messieurs (je peux vous assurer pourtant qu'ils n'ont pas toujours lu Montaigne), préfèrent une "tête bien faite" à une "tête bien pleine". Pourtant, est-ce que l'école a jamais voulu enseigner un savoir exhaustif ?! Est-ce qu'elle gave les élèves comme des oies et empile toujours plus d'informations dans leurs têtes sans souci de méthode ? C'est ridicule... Faites par exemple une expérience simple : prenez un manuel d'histoire de sixième de 1990 (Egypte, Grèce, Rome) et comparez le à un manuel de 2003 ou 2004. Le texte a quasiment fondu de moitié : c'est surtout la tête bien vide qu'on prépare. Me dira-t-on alors que les parlementaires accusent par-là les "disciplines" insuffisamment interconnectées. La formule est alors idiote et amnésique puisque le projet encyclopédique marque aussi la volonté de relier toutes les connaissances qui peuvent l'être et que l'école aussi, au-delà des disciplines, doit rendre possible la navette de l'esprit entre les éléments et les totalités, les totalités et les éléments. Kuklos, c'est le cercle. Quelqu'un a-t-il jamais prétendu qu'il fallait que chaque élève ait parcouru tout le Cercle alors que chacun sait, aujourd'hui, que l'honnête homme ne peut plus embrasser tout le champ de la connaissance et que de toute façon les savoirs sont ouverts, sans cesse réactualisés, les "systèmes" souvent invalidés par le retour aux faits et à l'expérience ? Comme si les héritiers de l'esprit encyclopédique n'étaient animés aujourd'hui que d’une espèce de volonté de complétude idiote et illusoire. Une boulimie de contenus savants et de savoirs "empilés" à la hâte. Comme si cet état d'esprit transposé à l'enseignement d'aujourd'hui proposait autre chose qu'enseigner des parcours (riches, substantiels, cohérents ) à travers les sciences et les humanités et qui permettent d'ouvrir l'appétit de connaissance et de semer les bons germes. Mais la réflexion d'Edgar Morin par exemple, n'a pas dû parvenir jusqu'au Palais Bourbon. C'est probablement que s'engager dans la complexité chère au sociologue, suppose d’avoir DEJÀ un bon bagage disciplinaire (le mot est honni...) et que les disciplines depuis trente ans ont été mises en coupes réglées aussi bien au primaire qu'au collège (singulièrement le français et les maths) sans que la représentation nationale semble s'en émouvoir. On sait que la qualité des apprentissages est liée au volume horaire de ces apprentissages. Eh bien un certifié de lettres, il y a trente ans, pouvait n'avoir en charge que deux classes de sixième pour faire un temps plein (avec de nombreuses heures très nécessaires en demi-groupe). Aujourd'hui il pourrait en avoir quatre [1]. Cherchez l'erreur. La qualité s'est perdue avec la quantité et les heures indispensables en petits effectifs. Justification de ces vaches maigres qui expliquent en grande partie la montée de l'illettrisme : le français est "transversal", c'est-à-dire qu'il s'enseigne dans toutes les disciplines. LOL comme diraient nos élèves. L'école devient un fast-food et ses objectifs de rendement ne correspondent à aucune qualité garantie. "En finir avec l'encyclopédisme", c'est en finir avec l'homme. Qui veut tuer son école l'accuse d'"encyclopédisme". L'encyclopédisme c'est la volonté de comprendre le monde, de relier les connaissances, d'éclairer, à la manière des philosophes. L'école s'inscrit par essence dans le projet initié par Diderot, Voltaire, Condillac, D'Alembert, Hélvétius, Condorcet. L'école sera encyclopédique ou ne sera pas. Et je rappelle que l'encyclopédie ce n'est pas seulement les spéculations philosophiques mais bien sûr, les planches sur les arts mécaniques, l'artisanat. L'opposition compétence/connaissance est factice. Est-ce que l'école de demain ce sera de savoir conduire une voiture (compétence) et ne jamais avoir l'esprit mauvais d'ouvrir le capot pour comprendre le moteur à explosion (connaissance) ? Mieux vaut savoir ouvrir les capots du monde que rester enfermer dans une étroite compétence technicienne. Quelle suffisance ! Après la Superstition, la Contre-Révolution, l'esprit de l'Encyclopédie s'est trouvé un nouvel ennemi mortel : les propagandistes du tout marché alliés à ces soi-disant socialistes qui s'y résignent. Le Peuple un jour remerciera à sa façon ceux qui ont voulu (nos chères "élites") les débarrasser du fardeau de l'école et de son "encyclopédisme". Mais je ne sais pas si Saint-Just aurait voulu se hâter de rendre l"employabilité" populaire comme il voulait faire la philosophie ? P.-S. En réalité, "vouloir en finir avec l'encyclopédisme", formule iconoclaste s'il en est, c'est bel et bien prendre acte du fait que l'école est en train de changer de paradigme fondateur. Qu'est-ce à dire ? Eh bien l'école sera de plus en plus orientée par les dynamiques marchandes et traversée par les politiques néo-libérales. L'économiste C Laval le montre très bien : "La marchandisation est une notion fondamentale pour saisir les mutations de l’école. Reste que, jouant comme un slogan polémique et recouvrant des phénomènes différents, elle mérite une clarification en tant que concept théorique. La marchandisation désigne un processus global qui ne concerne pas en propre l’école mais l’ensemble des activités sociales qui sont directement soumises à la logique marchande et/ou qui ont à se conformer à des impératifs organisationnels ou à des finalités commandés par l’extension du secteur marchand dans l’économie. La marchandisation de l’éducation de ce point de vue n’est qu’une partie d’une dynamique plus générale qui tend à faire reculer l’Etat social et éducateur aussi bien dans les modes de financement que dans les valeurs, les dispositifs et les objectifs qui le différenciaient du secteur marchand. Pour mieux étudier la façon dont cette marchandisation se développe dans l’univers scolaire, on peut tenter une typologie de ses formes, depuis les plus immédiates jusqu’à celles qui le sont beaucoup moins. a) Commercialisation de l’espace scolaire
Dire qu'on "veut en finir" avec l'esprit encyclopédique à l'école est une infamie, une trahison et peut-être bien aussi la manifestation de l'inculture notoire de beaucoup de nos parlementaires (pour qui le mot encyclopédie ne connote plus rien, n'a aucune valeur symbolique, programmatique, utopique. Ignorance de l'histoire et de ses combats. "En finir avec... !"
Sous ce terme, on pourrait recenser les manières diverses dont les fournisseurs les plus variés de produits et services marchands aux établissements et aux élèves – fourniture qui pour une part est indispensable – cherchent à gagner du terrain au détriment du service public lui-même. L’exemple de l’offensive commerciale des industriels producteurs de "nouvelles technologies" est particulièrement significatif. A quoi l’on pourrait ajouter les multiples sortes de sponsorisation, de campagnes publicitaires et de stratégie marketing qui visent à faire entrer les "marques" dans l’école ainsi que tous les modes d’"externalisation" des fonctions à des entreprises privées (entretien, cantine, maintenance, etc.).
b) La production de services et produits éducatifs payants
On peut ranger sous cette rubrique toutes les formes d’enseignement conçu comme un service directement commercial, dans lequel le service éducatif a un prix couvert par le consommateur. C’est bien sûr le cas des services fournis par les écoles et universités privées ou par des organismes de formation pour adultes; c’est également le cas du soutien scolaire en pleine mutation "industrielle"; c’est aussi l’essor possible d’un enseignement à distance (e-learning) doté d’un système de péage; c’est encore le développement d’agences privées de testing des élèves et de labellisation des "entreprises éducatives".
c) La mise en marché (ou "marchéisation") de l’enseignement
La logique de marché se développe à l’intérieur du service éducatif juridiquement public, surtout s’il est déjà soumis de l’extérieur à la pression concurrentielle d’un secteur scolaire privé. Cette "mise en marché" consiste à donner plus d’autonomie pédagogique et financière aux établissements d’enseignement afin qu’ils répondent de façon plus adaptée et plus "efficace" à la demande diversifiée d’une clientèle dotée d’un "libre choix" de l’établissement. L’imaginaire du marché s’impose alors dans la réorganisation des systèmes éducatifs jusqu’à vouloir que les établissements scolaires se calquent, dans leur administration, leur gestion, leur "esprit", sur les entreprises du secteur marchand.
d) Construction de l’éducation comme marchandise
Ces mutations s’appuient sur des processus, moins visibles et plus lents, de rationalisation et de standardisation pédagogique – commencés dès la phase de bureaucratisation de l’éducation au XIXe siècle – qui s’avèrent indispensables à la transformation de l’éducation en produit commercial. Ce dernier doit au préalable être autre chose que le fruit hasardeux et non reproductible de la rencontre de subjectivités. Il doit être calibré, comparable, mesurable, relativement homogène. La technicisation de la pédagogie, l’essor de l’évaluation quantitative et des modes de comparaison internationale sont quelques-unes des pratiques sociales qui donnent un support "objectif" au calcul de type coût/bénéfice sans lequel aucune marchandisation de l’éducation n’est possible. Avant d’être vendue à grande échelle, il faut en somme qu’elle acquière la forme d’une marchandise.
Cette typologie permet de montrer qu’on ne doit pas s’arrêter dans l’analyse aux seules formes immédiates de la transformation marchande de l’école. Ce qui est en question s’ancre dans des mutations économiques et sociologiques fondamentales. Si l’éducation tend à devenir ce "capital humain" dont parlent les économistes, c’est parce qu’elle est d’un côté un facteur de production essentiel pour les systèmes productifs et qu’elle est d’un autre côté regardée par les individus comme une sorte d’assurance contre le chômage, la précarité, le déclassement et, bien entendu, comme une voie de promotion personnelle. L’éducation se "marchandise" donc à la mesure dont la société de marché "privatise" les individus et leurs modes d’existence." C. Laval
En proclamant donc la fin de l'encyclopédisme, le politique reprend la vieille antienne d'un pédagogisme rétrograde (qui a montré sa capacité de nuisance) et qui a toujours été l'allié objectif du néo-libéralisme : on trouvera toujours un "scientifique de l'éducation" pour jeter les oripeaux d'une théorie pédagogique qui viendra justifier un enseignement à moindre coût. En français par exemple, "transversalité", "travail en séquences didactiques" ont été de merveilleux auxiliaires d'une mal'bouffe scolaire qui s'est généralisée.
Les avant-gardistes sont, aujourd'hui, ceux qui ont une ambition pour l'institution scolaire (elle n'est pas encore un SIEG...) et ne la veulent pas faire servir à autre chose qu'à faire des hommes émancipés, libres, cultivés, instruits, capables de réfléchir, d'interroger leurs racines. "Prends un livre, c'est une arme", le vieux programme brechtien est toujours d'actualité à une époque où on ne se donne même plus les moyens d'enseigner correctement à TOUS la langue de Voltaire, Hugo ou Jaurès.
A. Desjardins
Sauver les lettres
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1. Evolution des horaires de l'enseignement du français
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