Comme il a été démontré ici, il y a un scandale des horaires du français au collège : http://www.sauv.net/horcoll.php

Il faut que chacun s'il se sent concerné par cette baisse dramatique des horaires, ces heures de soutien qui disparaissent inexorablement (c'est une qualité, oui, qui se perd aussi) diffuse largement ce document : son carnet d'adresses, ses contacts professionnels, toutes les institutions liées à l'enseignement et éventuellement les médias.

Comment peut-on prétendre lutter contre l'illettrisme et diminuer le volume horaire des apprentissages pour faire des économies, toujours plus ? ... Un professeur certifié avec quatre ou cinq classes (pure folie ! c'est peut-être la raison qui fait que tant de collègues certifiés, en lettres modernes, sont à temps partiel, bien malgré eux, pour pouvoir survivre, ce qui est bien une manière de scandale que personne n'évoque ouvertement) peut-il vraiment prendre la mesure des difficultés de tous ses élèves ? Les aider efficacement, les suivre de près, leur donner tous les exercices nécessaires ? Contrôler fréquemment l'avancement de chacun ? Faire faire des travaux d'écriture réguliers, prendre la mesure des lacunes et des progrès de Jérôme, Warda, Najib ?

Peut-il matériellement faire tout cela ? Et préparer ses cours ? Avec des sixièmes à vingt-neuf ? Peut-il, honnêtement, même en se démultipliant, en devenant le Charlot des Temps modernes éducatifs, en se faisant homme-orchestre, une sorte de Vishnou aux mille bras (presque tous prolongés d'un bic rouge qui s'active aux corrections de copie) et qui plus est doué d'ubiquité, peut-il, lui qui, sur le front de la fracture sociale et linguistique, éduque et enseigne deux fois plus d'élèves qu'autrefois (eh oui ! comme tout est plus facile aujourd'hui, on en conviendra, il est naturel de prendre en charge deux fois plus d'élèves !), peut-il, sérieusement, hein, entreprendre de lutter effectivement contre l'illettrisme, petit ou grand ?

Hypocrisie.

Tabou.

A prof surmené, élèves floués. Pour nous permettre d'en faire toujours plus et de mieux le faire, on nous rabote le Temps. Mais ce sont les élèves, en vérité, qu'on rabote.

Si s'opposer à une régression c'est être conservateur, alors nous nous voulons bien "conservateurs" sur ce chapitre.

En 1998, M. Jean Ferrier, Inspecteur général de l’Éducation nationale, remettait à Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l’enseignement scolaire, un " rapport " intitulé Améliorer les performances de l’école primaire, dans lequel il notait : " La qualité des apprentissages et les progrès des élèves sont en relation directe avec le temps consacré aux apprentissages ". Jean Ferrier notait aussi que " le scolaire se dilue dans le social voire dans le récréatif ", et dénonçait " le nombre croissant de sorties scolaires " ou " les délégations abusives de compétences faites à des intervenants extérieurs ". Ce qui est vrai pour l'école primaire, l'est aussi évidemment pour le collège. Mais ce rapport, curieusement ou plutôt, naturellement, ne rencontra pas un grand écho dans l'Institution...

Nous voulons bien pallier presque TOUT, tenter l'impossible au quotidien, patiemment, pour autant qu'on nous en donne un peu les moyens... Or on nous rend la tâche un peu plus difficile à chaque réforme. Enseigner décemment est devenu impossible, mais pour nos réformateurs ce n'est pas encore tout à fait suffisamment impossible : les IDD, la réunionite stérile, les projets d'établissements, la frénésie des cahiers d'évaluation , la "transversalité" à gogo, la trucologie tous azimuts SUR FOND DE DIMINUTION CONSTANTE DES HORAIRES DE FRANCAIS et donc de la qualité du rapport enseignant-enseigné, tout cela parvient fort bien désormais à rendre tout à fait suffisamment impossible un enseignement satisfaisant.

Bien entendu, la volonté n'est pas tant de fabriquer des illettrés et de mettre des bâtons dans les roues des enseignants, que de faire de substantielles économies. Comme d'habitude, il n'y a pas d'autre complot que celui du fric i.e. des "impératifs d'adaptation", i.e. de la "modernisation" : je veux parler de notre Destin.

Quant à la "séquence didactique", désormais présentée comme la panacée de l'enseignement du français, même intelligente (beaucoup, hélas, démaillent qui croient "décloisonner"...) elle permet objectivement d'organiser la pénurie. Qu'on relise ce qu'en dit notre collègue P. Delerm pour s'en convaincre (cf. http://www.sauv.net/gorgee.php ). Avouez qu'elle s'accommode merveilleusement de la disette ! Que voilà une pédagogie miraculeuse, qui jamais ne tient la dragée haute aux "variables d'ajustement" !

Nous sommes là au cœur du problème. Sauver les lettres, cela assurément a un coût. On le voit ici pour le collège mais c'est vrai pour le primaire et le lycée. Que l'on songe qu'il n'y a pas si longtemps, un professeur certifié de lettres pouvait n'avoir en charge et ce pour un temps plein, que deux sixièmes (9 heures professeur et 6 heures élèves, 3 + 3, pour une sixième), tandis qu'aujourd'hui il peut en avoir quatre. Mesure-t-on bien à ce seul exemple significatif ce que nos élèves ont perdu ? La qualité, la quantité, l'attention réelle du professeur pour chacun.

Comme on parle de mal'bouffe on pourrait parler de nos jours de mal'éducation. Le temps du luxe, diront certains, est révolu : nous disons que ce luxe était du nécessaire et qu'il est devenu plus que jamais nécessaire. Seulement voilà, un professeur qui prend en charge deux ou trois classes (un moindre rendement), ça revient bigrement plus cher qu'un Gérard Majax de la "pédagogie différenciée", détenteur d'un brevet du concours Lépine de l'innovation en camelote pédagogique et promoteur du "tout tranversal" à prix discount !

Voyez-vous, une fois dissipées les volutes de fumigènes colorés d'un certain pédagogisme, on en revient souvent à des problèmes de tiroir-caisse.

Si l'on veut de l'enseignement de premier choix pour tous, il faut savoir bourse délier. Car vous aurez beau (et ce serait là de la belle ouvrage) faire la chasse aux gaspis dans l'E.N. ( Dieu sait qu'il y a du boulot, dans le vrac : brochures de luxe, évaluations nationales inutiles, stages de formations fumeux, formateurs non moins fumeux, moyens pléthoriques accordés aux très opaques IUFM que la majorité des stagiaires s'accordent à trouver "inefficaces, inutiles et parasitaires", chargés de mission plus ou moins bidon, experts auto-proclamés payés à cogiter dans le vide, pseudo-chercheurs, réceptions mondaines, et caetera... ), vous aurez beau, dis-je, économiser beaucoup de très bons millions d'euros, cela ne suffira pas à financer une école pour tous digne de ce nom... Si le redéploiement des choix budgétaires se justifie donc, il ne financera pas le sauvetage des lettres et la lutte contre l'illettrisme. Nous voulons des horaires disciplinaires décents, des dédoublements de classe, des études dirigées, des postes de professeurs titulaires (sans parler des postes de surveillants et d'éducateurs) et tout cela ne saurait se faire à moyens constants. Nous voulons une vraie formation des maîtres, une formation universitaire et professionnelle et non un formatage au rabais : cela aussi coûte.

La fin primerait désormais sur les moyens, nous dit-on. Le beau sophisme ! Au vu des faits têtus, il y a une idée qui peut faire plus que traverser l’esprit : est-ce que finalement, la réforme, ce ne serait pas de " gérer les stocks lycéens et collégiens " au moindre coût ?