Rendons leur honneur aux professeurs

"Making the Teaching Profession Respectable Again"
Article de Léon Botstein, président de Bard College,
New York Times du 26 juillet 1999


Tout effort pour améliorer la qualité de nos écoles sera vain si nous ne formons pas de meilleurs professeurs. Pourtant, malgré quelques signes d’un regain d’intérêt chez certains étudiants d’ universités d’élite, les étudiants les plus doués et les plus talentueux ne choisissent pas la carrière d’enseignant. En effet, l’attrait pour la profession a nettement régressé en 1999 par rapport aux années 70, époque à laquelle l’enseignement arrivait déjà loin derrière la médecine, le droit et le commerce. Avant 1960, l’Amérique pouvait s’appuyer sur le machisme, puisque l’enseignement était peut-être la seule carrière réellement ouverte aux femmes. Les femmes qui seraient peut-être devenues professeurs dans les générations précédentes sont aujourd’hui banquiers, médecins ou avocats. De plus, pendant la seconde guerre mondiale mais surtout lors de la crise des années 30, l’enseignement était perçu comme une profession respectable par les enfants d’immigrés aspirant à la classe moyenne. Aujourd’hui, les enfants et petits-enfants de ces professeurs n’ont pas repris le flambeau. Il est bien loin le temps où les parents formaient l’espoir que leur enfant devienne un jour professeur ! Le recrutement de professeurs de talent se heurte à la relative modestie des salaires, mais aussi au manque de prestige de la profession. On continue à croire que les professeurs ne font pas grand chose. Après tout, ils semblent ne pas faire de journées complètes, et ils sont en vacances tout l’été. Par ailleurs, même la hiérarchie ne considère pas les professeurs comme des professionnels. Ils ont peu de latitude dans le choix des contenus et méthodes et les programmes sont, en grande partie, assujettis à des tests sans intérêt et obligatoires qui sont censés établir des niveaux. Les classes sont surchargées et, trop souvent, on y passe le plus clair de son temps à maintenir le calme. Bien des écoles dans nos villes manquent de matériel pédagogique, de manuels ou du minimum d’équipements de laboratoire. Qui, dans ces conditions, pourrait avoir envie d’embrasser une telle carrière?

La situation est désastreuse mais une chance historique s’offre à nous. Plus d’un tiers des professeurs actuellement en activité prendront leur retraite dans les dix années à venir. Compte tenu de la hausse prévue du nombre d’élèves sur la même période, les besoins en professeurs seront plus grands encore que dans les années 50 qui ont connu la scolarisation des enfants du baby boom. Pour recruter un contingent suffisant de nouveaux professeurs, nous devons rendre tout son prestige à l’enseignement en revoyant entièrement la formation et le mode de certification des enseignants.

Si l’enseignement n’inspire plus le respect, c’est que les instituts de formation des enseignants ont pris la pédagogie pour unique vocation. L’Amérique classe ses professeurs horizontalement, en fonction de l’âge des élèves auxquels ils enseignent. Aucune autre société développée ne forme ses professeurs à des méthodes valables principalement pour un groupe d’âge donné. Actuellement, un professeur d’anglais de 6th grade (équivalent de la sixième) passe plus de temps à travailler avec un professeur de mathématique d’une même classe qu’avec des collègues enseignant la lecture en 1st grade (CP), des professeurs d’anglais de lycée ou d’université. Cette méthode trouve sa justification douteuse dans le dogme de la pédagogie par âge. (" age-appropriate educational science ")

Nous devrions, au contraire, former et regrouper les enseignants selon la discipline qu’ils enseignent. Les professeurs de mathématique en lycée et en primaire devrait être formés par des professeurs de mathématique et considérer les autres professeurs de mathématique comme leurs collègues. Ce n’est pas du tout le cas actuellement. Les instituts de formation sont coupés du reste de l’université et méprisés par les autres départements. Cela saute aux yeux à la lecture de n’importe quelle brochure de présentation où figurent les départements de physique, de mathématique et de musique et, séparément, l’institut ou le département de formation des professeurs avec ses programmes indépendants, son équipe professorale à part et ses programmes de science de l’éducation, enseignement des mathématiques et enseignement de la musique.

Actuellement, moins de 65% des professeurs nouvellement recrutés sont détenteurs d’un diplôme ou même d’un certificat dans la discipline qu’ils enseignent. Presque le tiers de tous les professeurs enseignent des disciplines pour lesquelles ils n’ont reçu aucune formation sérieuse. Plus de la moitié des élèves étudiant la physique en lycée ont pour professeur des enseignants n’ayant ni diplôme, ni certificat de physique. Ces chiffres accablants ne donnent pas même la mesure du problème. En effet, la plupart des professeurs détenteurs d’une maîtrise et de certificats de premier cycle dans une matière les ont obtenus dans des instituts de formation. C’est-à-dire qu’ils ont appris la pédagogie d’une discipline au lieu de la discipline elle-même.

Nos universités ont relégué la formation des professeurs dans des enclaves de seconde zone où la machine pédagogique a prospéré. Il faut fermer les instituts de formation et intégrer la formation des professeurs à l’université. Ainsi la formation des professeurs serait placée sous l’égide des départements de sciences et sciences humaines. Il faut supprimer le diplôme d’enseignement et exiger que les professeurs possèdent un diplôme dans une autre discipline que la pédagogie, de préférence dans la discipline qu’ils ont l’intention d’enseigner. Cela paraît particulièrement indiqué dans le cas des professeurs de lycée qui enseignent des disciplines spécifiques telles que la chimie, mais les professeurs des écoles ont également besoin d’avoir des connaissances approfondies. En effet, rien n’est plus difficile que d’enseigner les bases. Il faut avoir une solide maîtrise d’une discipline pour en inculquer les premières notions, qu’il s’agisse des mathématiques ou de la musique par exemple. Par ailleurs, la pédagogie peut tout à fait s’apprendre par le biais de stages d’apprentissage après l’obtention de la licence ou par la pratique grâce à un bon encadrement.

Il faut que les états abandonnent leurs systèmes actuels de certification des professeurs. Ils sont le reflet de la collusion qui a toujours existé entre les instituts de formation et les autorités fédérales. Si cette alliance s’est maintenue, c’est en raison de la volonté de la communauté universitaire (scientifiques, historiens, professeurs de littérature et leurs collègues des autres départements) de ne pas s’impliquer dans la formation des professeurs du primaire et du secondaire. En effet, si l’enseignement est dédaigné en dehors de l’université, il fait l’objet, au mieux, d‘une certaine condescendance sur nos campus.

Pourtant, paradoxalement, peu de professions apportent autant de gratification et de satisfactions. Si l’on prend les bonnes mesures pour doter les professeurs d’une réelle compétence dans une discipline, l’enseignement pourrait enfin inspirer du respect. Alors, peut-être, serons-nous prêts à accorder aux professeurs la même autonomie et les mêmes responsabilités qu’aux médecins et aux avocats. On objectera que la pénurie à venir pourrait entraîner mécaniquement une amélioration des conditions de salaire et de travail des professeurs. Mais pourquoi se satisfaire d’individus peu qualifiés et qu’il faudrait payer plus ? Il faut tirer parti de cette situation pour le bien de nos enfants en leur donnant des professeurs bien formés et dignes de respect grâce à la rigueur et la qualité de la formation que l’on aura exigé d’eux.

Léon Botstein, est l’auteur de Les enfants de Jefferson : l’enseignement et les promesses de la culture américaine.


Traduit par Sophie V., 09/2002