Université d’été 2004 : compte rendu


Du 26 au 28 août s’est tenue la quatrième université d’été de Sauver les Lettres, à l’école communale de Médréac ( 35 ), mise à notre disposition par M. le Maire.

L’audience croissante de notre collectif a permis de réunir des participants appartenant à tout le niveau du système éducatif, de la maternelle à l’université et aux grandes écoles, ainsi que des parents d’élèves.

Sauver les Lettres s’étend aussi géographiquement : les participants venaient de Bretagne, de Normandie, du Midi – Pyrénées, du Nord, de la Région Parisienne, de la région PACA.

Enfin, le nombre de participants venant de l’enseignement primaire était très important : c’est pourquoi la majorité des interventions portent sur ce niveau du système éducatif. ; mais cela indique aussi clairement les priorités : il ne sert à rien de tenter de redresser la maison si l’on n’en consolide pas les fondations.

 

Sommaire des interventions

Jeudi 26 août après-midi
L’apprentissage de la lecture : méthode syllabique et méthodes globales.

Vendredi 27 août matin
- La grammaire dans l’enseignement primaire.
- Les dégâts de l’inspection dans le primaire : comment y faire face ?

Vendredi 27 août après-midi
- Les mathématiques à l’école primaire.
- La dégradation des contenus et des finalités dans l’enseignement secondaire.

Samedi 28 août matin
- Discussion générale.
- Synthèse des actions prioritaires à mener.
En présence de Monsieur Philippe Rouault, député d’Ille et Vilaine.

 

 

Jeudi 26 août après - midi
Lire - écrire
Présentation par Rachel Boutonnet, Institutrice
Auteur du Journal d’une Institutrice clandestine
(Ramsay, 2003).


La méthode de lecture à départ global porte une grande responsabilité dans l’extension de l’illettrisme. En effet, si la méthode globale qui a sévi pendant les années 70 n'est plus pratiquée actuellement dans les CP, la méthode à départ global fait encore la quasi unanimité. Les conséquences en sont dramatiques.


Dans cette méthode, le maître part d'une phrase pour en faire découvrir les éléments par un travail d'analyse mais l'enfant doit construire ce savoir seul. Pour cela, ce dernier utilise les illustrations qu'il met en relation avec les mots et il émet des hypothèses qu'il vérifie ensuite. La mémoire visuelle étant très sollicitée, l'enfant finit par acquérir un nombre de mots assez important ce qui lui donne l'illusion de savoir lire. Après plusieurs semaines de ces activités, on aborde les différents phonèmes. Par exemple, une seule leçon pour les sons 'an', 'am', 'en', etc. Toutes les écritures d'un même phonème sont abordées en même temps.

A ce stade de l'apprentissage de la lecture, l'élève, a déjà acquis de mauvaises habitudes : sa lecture est souvent approximative et ce défaut persistera toujours. En cours moyen et au collège-lycée on rencontre très souvent des confusions du type " taxiphone " pour " téléphone " moto " pour " mobylette ". L'élève est incapable de déchiffrer un mot inconnu, puisque la valeur de toutes les lettres ne lui est pas enseignée dès les premières semaines et de manière systématique. En effet, le maître ne donne pas le code à l'enfant, c'est celui-ci qui doit le découvrir seul. C'est ce que les pédagogues modernes appellent le constructivisme. Le travail que l'enfant doit fournir est basé sur des jeux de reconnaissance, textes à trous, phrases à compléter, phrases à reconstituer, mise en relation dessins/ phrases. Tous ces exercices ont pour but d’éviter le déchiffrage.

Dans cette méthode, la systématisation " consonne + voyelle = syllabe " est à éviter. Mais comme le constatent de nombreux enseignants, cette méthode n'apprend pas à lire et entraîne des problèmes définitifs en orthographe. Colette Ouzilou dans son livre Dyslexie une vraie fausse épidémie explique que ces méthodes provoquent des dégâts irrémédiables, et que les milliers d'enfants qui doivent suivre une orthophonie en sont les victimes.


Par contre, l’apprentissage de la lecture par la méthode alphabétique, pratiqué de manière systématique pendant un horaire important (quinze heures par semaine au CP), et simultané avec l’apprentissage de l'écriture, est toujours couronné de succès : les premiers jours, l'élève apprend à lire et écrire les voyelles. Ensuite viennent les consonnes, enfin les syllabes formées par ces lettres.

La lecture et l'écriture sont enseignées simultanément avec rigueur, tout en entraînant les mémoires visuelle, auditive et gestuelle avec autant d'intensité. Dans la méthode à départ global, au contraire, la mémoire visuelle est largement privilégiée. Dans le cas de la méthode syllabique, le maître donne à l'enfant le code pour lui permettre, assez rapidement, de déchiffrer, de manière autonome, tout mot inconnu. Il est souvent reproché à cette méthode de différer l'accès au sens. Ceci est faux. Il suffit pour s'en convaincre de lire les textes auxquels étaient confrontés les enfants dans les livres à méthode alphabétique des années soixante.

Actuellement cette méthode n'est pas employée dans les écoles, elle y est implicitement interdite par la majorité des inspecteurs. Accusée de donner une lecture mécanique, elle a été farouchement combattue par les pédagogues modernes depuis trente ans. Preuve en est qu'il n'y a pas de livres scolaires employant cette méthode sur le marché actuel. Seule la méthode Lire avec Léo et Léa diffusée jusqu’à présent par Internet, vient d’être éditée chez Belin. La méthode Boscher ( rééditée sans discontinuer depuis le début du siècle), elle, est plébiscitée par les parents qui l'utilisent de plus en plus pour apprendre à lire à leur enfant quand ils s'aperçoivent que l'enseignement donné à l'école n'est pas efficace. Bien des parents ne se rendent pas compte des lacunes de leur enfant et sont trompés sur leurs capacités. Les dégâts deviennent évidents dans les grandes classes mais il est trop tard. Les chiffres le montrent et les plus optimistes annoncent 15% d'illettrisme.

Il ne faut pas oublier que la méthode globale a été inventée par Decroly pour des enfants sourds...convient-elle aux autres ? Rien n'est moins sûr, l'expérience de trois décennies commence à démontrer que non. On peut considérer qu’un certain nombre des élèves qui l’ont subie sont de véritables "handicapés sociaux". .

Les parents sont bien souvent démunis : confrontés aux problèmes de lecture et d’écriture de leur enfant, ils le confient à l'orthophoniste ou au pédopsychiatre . Personne ne nie que le nombre de patients fréquentant ces cabinets ne cesse d’augmenter . Des auteurs sérieux font une relation directe entre ces " pathologies " et les méthodes pédagogiques (Ouzilou, Israël, Weinstein-Badour). De nombreux enseignants aussi dénoncent ce scandale et n'hésitent plus à refuser de pratiquer cette méthode à départ global, mais ils risquent des sanctions de la part de la hiérarchie.


La formation en IUFM continue de promouvoir ces méthodes pédagogiques au nom du constructivisme. Aussi est-il bien difficile, pour les jeunes professeurs des écoles, complètement démunis, de résister.

Discussion

Raisons idéologiques de la méthode globale


Nous nous interrogeons sur les raisons idéologiques de cette méthode et concluons qu'il est très difficile de les identifier. Nous sommes convaincus qu'il y a des intérêts de pouvoir et un dogme idéologique. En effet, comment imaginer que toute une corporation de formateurs IUFM, de " scientifiques " de l'Éducation, d'inspecteurs accepte de reconnaître ses erreurs depuis trente ans ainsi que la mise en cause de leur pouvoir et des avantages financiers qui y sont liés ? Les méthodes qui ont fait leurs preuves dans le passé ( l'école française n'était-elle pas reconnue comme la meilleure du monde en soixante ?) ont été bannies , interdites de manière arbitraire pour des motifs purement idéologiques, de façon dogmatique. Ces dogmes sont un mélange de méthodes américaines - qui ont depuis longtemps fait la preuve de leur faillite - et d’une sensibilité rousseauiste qui tend à considérer l’enfant comme un être merveilleux qui se développe de lui-même, et que la société ne peut que mutiler et corrompre ; ce puérocentrisme fait des enseignants des êtres nuisibles. Reste que le coût humain et financier de ces erreurs est inestimable.

Car les méthodes globales, qui sont supposées donner accès au sens reposent uniquement sur la mémoire, sans jamais faire appel à la logique. On croit alléger l’apprentissage ; mais ce n’est que l’entraînement d’une mémoire pure sans compréhension.


L'évaluation


Pour mettre en évidence ce constat, il faudrait mettre en place des tests sérieux de lecture et d'orthographe dès le CP. Car les évaluations nationales effectuées actuellement ne sont pas fiables, car leur seul but est d’engendrer un optimisme injustifié. Les évaluations concluent toujours à des résultats acceptables malgré le constat des parents et des enseignants. Il faudrait au contraire préparer des tests simples mais transparents, compréhensibles par tous. En effet, les résultats des évaluations sont illisibles par les parents et ne sont pas lues par le collègue de l’année suivante. La fragmentation extrême des tests informe sur une mosaïque de " compétences " qui n’aboutit qu’à un " saucissonnage " de l'élève. Des dizaines de compétences à évaluer par des tests souvent simplistes, des comptes rendus donnés dans un langage hermétique : tant de travail pour rien , sinon pour masquer la vérité.

Liberté des méthodes .. Les programmes.


C'est donc pour cela que nous exigeons la liberté de choix de la méthode de lecture dans nos classes. Certes, tout montre que la méthode alphabétique est la seule qui soit efficace, mais restons certains que l'imposer pourrait entraîner des effets pervers. Il faut plutôt prouver son efficacité par une pratique rigoureuse de cette méthode, en toute liberté. Mais cette mise en oeuvre exige des horaires conséquents, comme ceux de 1960, qui permettaient de consacrer 15 heures à l’apprentissage spécifique du français, au lieu de 9 actuellement.


L'école se disperse dans des activités coûteuses en temps et en argent, et parfaitement inutiles. Comment peut-on croire qu'un élève ne maîtrisant pas sa langue maternelle, la grammaire, la lecture, puisse apprendre l'anglais ou une autre langue ? L'informatique est-elle une discipline si importante, en primaire, qu'il faille lui consacrer tant de temps au détriment des fondamentaux ? Et tous ces projets d'école et autres animations doivent-ils prendre la place de matières aussi importantes que la lecture ? Dès la classe de CP on constate une dispersion programmée de l'école. Il faut revenir à plus de sagesse et de rigueur. Nous avons depuis trop longtemps été contraints de jouer les apprentis-sorciers.

 


Matinée du vendredi 27 août
La grammaire dans l’enseignement primaire
Présentation par Guillaume Gouhier, instituteur, et discussion.


Les manuels actuels (dès le primaire) partent du tout pour aller vers l’élément. Ainsi, dans le manuel  Du texte au mot le chapitre intitulé  "  le groupe nominal " étudie le groupe nominal, puis ses constituants avant d’aborder le nom !

Cette approche absurde qui consiste à aller du complexe à l’élémentaire, employée dans toutes les matières, à commencer par la lecture, est la principale raison de la catastrophe scolaire actuelle, liée à l’envahissement des théories constructivistes.

Les instituteurs présents se mettent donc résolument hors la loi en osant faire apprendre aux élèves la nature des mots alors que les notions d’adverbe, d’adjectif ou de pronom n’apparaissent plus dans les instructions officielles. Tous font des leçons de grammaire associées à des exercices systématiques, de type Bled, travaillent sur les homonymes grammaticaux, utilisent des jeux grammaticaux, font de l’analyse logique et des dictées. Marc Le Bris précise faire en CM2 deux leçons hebdomadaires de grammaire, une dictée, relue par les élèves, puis corrigée au tableau chaque jour et une dictée plus longue le vendredi. Certains présentent brièvement des systèmes de symboles pour entraîner les élèves à faire régulièrement l’analyse des natures et fonctions de phrases assez simples. Les leçons de vocabulaire, cinq mots à apprendre chaque soir par exemple, sont aussi l’occasion d’apprendre en même temps la nature des mots.

Dans le primaire, les manuels comme les formateurs IUFM - et donc beaucoup d’instituteurs- ne traitent que des fonctions. D’où les difficultés des élèves commençant l’allemand en 6ème, le latin en 4ème, cours qui servent désormais d’abord à les initier à la grammaire française. Tant pis pour les autres. Tant pis également pour les lacunes persistantes qui renforcent chez des élèves dépourvus d’indispensables pré-requis l’idée que l’allemand et le latin sont des langues difficiles et provoquent échecs et abandons dans ces matières.

C. F., jeune institutrice sortant d’IUFM explique ce qu’on entend par " l’observation réfléchie de la langue " ( une après-midi en tout et pour tout lors de sa formation) : il s’agit d’écrire au tableau une phrase simple, de laisser les élèves trouver eux-mêmes pourquoi tel mot est sujet et de classer les mots par fonction, en jouant éventuellement sur des substitutions envisageables de termes. Un jeune instituteur, obligé de subir un formateur en dehors des horaires de cours, ayant contesté l’intérêt de séances de grammaire consistant à demander aux élèves d’imaginer des classements de mots, a été réprimandé, alors même qu’une petite élève dénonçait à sa manière l’arbitraire stupide de cette pratique en refusant d’écrire par crainte que " son classement " ne " plaise " pas au maître… Ces pratiques aberrantes demandent aux élèves beaucoup de temps et d’efforts parfaitement stériles qui trompent les parents et parfois créent de très mauvais réflexes chez les jeunes élèves sommés de réinventer leur langue ou les mathématiques.

L’imagerie médicale montre d’ailleurs que le cerveau de l’enfant se structure en fonction de ce qui lui est demandé, et qu’il est presque aussi difficile de combler certaines carences après dix ans que d’aider un enfant à perdre de mauvaises habitudes de raisonnement qu’il a dû élaborer, faute d’avoir appris une méthode ou un raisonnement de son maître. Quant à la " dictée à l’adulte ", nouvelle lubie prescrite en CM2, qui consiste pour l’instituteur à écrire une histoire sous la dictée d’un élève, elle est non seulement dépourvue de toute utilité mais nocive en ce qu’elle leurre l’enfant sur ses capacités. Il s’agit d’un recyclage absurde d’une pratique des maîtresses de maternelle, notant sur un dessin quelques explications demandées à l’enfant. ( On a bien recyclé un sujet de brevet au bac, avant de renoncer à la notion de sujet au brevet, pour le remplacer par une multiplicité de petits exercices).

G. G. rappelle que d’après les dernières instructions pour le primaire, l’horaire prévu pour la grammaire, l’orthographe et le vocabulaire se réduit à deux heures par semaine et que les jeunes enseignants ne connaissent pas l’ancienne nomenclature de la " grammaire de phrase ", encore familière à certains parents. Il semblerait pourtant fort utile de mettre en place une nomenclature grammaticale - si possible - commune aux professeurs de français et de langues vivantes pour réinstaurer " l’analyse logique ", prétendue ennuyeuse - ce qui est loin d’être le cas pour tous les élèves, et de toute façon n’enlève rien au caractère indispensable de cette étude qui conditionne la compréhension des textes, notamment littéraires, et la possibilité de résister à la propagande comme à la publicité.

Or, dans l’état actuel des choses, 50% des lycéens ne maîtrisent pas la conjugaison. Et leurs graves lacunes de conjugaison - la méconnaissance du conditionnel notamment - les empêchent de comprendre une phrase dès qu’elle est un peu longue. La grammaire de phrase a été éliminée des programmes, au profit des " grammaires de texte et de discours ". Elle était accusée des maux suivants : elle ne s’appuyait que sur une langue structurée, à laquelle on reprochait d’être figée, et - ce faisant - d’être la langue exclusive d’une classe sociale privilégiée dont il fallait abolir la suprématie. Résultat : même dans les classes préparatoires, seule une petite minorité échappe au désastre évoqué plus haut. En lycée, dès qu’une phrase est un peu longue, il faut l’expliquer et les élèves accumulent les contresens les plus graves sur les textes littéraires, notamment ironiques, comme sur les " documents " qu’ils sont censés étudier en histoire. Ignorant les conjugaisons, le conditionnel et la grammaire, beaucoup d’élèves s’avèrent incapables de comprendre qu’ils lisent un texte de propagande lorsqu’un professeur d’histoire leur fait étudier un document de ce genre. Est-ce ainsi que l’on prétend " enseigner la citoyenneté ? " La méconnaissance de la ponctuation est aussi répandue que grave : elle est affective et non logique, lorsqu’elle existe. Même des textes relativement faciles suscitent des contresens et l’on constate que les élèves font le résumé d’un texte en fonction de leurs goûts et de leurs ignorances, au mépris des connecteurs logiques et du sens du texte. Ils gardent les idées qui leur plaisent (ou qu’ils comprennent), et suppriment celles qu’ils ne comprennent pas.

On peut s’inquiéter en constatant qu’en Grande-Bretagne, où la langue est apprise par imprégnation, sans cours de grammaire, la sélection sociale qui s’opère par le niveau de langue est féroce. Contrairement à ce que prétendent certains, la grammaire n’est pas une spécificité française. L’Italie l’enseignait aussi avant la réforme des trois " i " (Inglese, anglais, Impresa : entreprise, Internet) et les lycéens atteignaient un haut niveau en latin et en grec. On peut se demander si la suppression de la grammaire dans l’enseignement français ne correspond pas à un désir d’unifier de force l’Europe par un unique sabir appelé anglais. Il facilite en tous cas la disparition de l’allemand et du latin, matières réputées trop coûteuses et que les rectorats tentent de supprimer par tous les moyens, incitant notamment les chefs d’établissement à supprimer ces options par des dotations globales horaires insuffisantes et prônant l’exemple des Etats-Unis où le latin n’est enseigné qu’en faculté ; mais il ne peut être enseigné qu’après deux ans d’étude de la grammaire anglaise, précise un universitaire latiniste américain.

La suppression de l’étude de la grammaire et du vocabulaire affecte également beaucoup les matières scientifiques : en mathématiques, pas plus qu’en français, les élèves ne savent plus rédiger ni trouver le lien logique entre cause et conséquence constatent les professeurs du secondaire. C’est encore le cas d’un certain nombre d’élèves de classes préparatoires. Des élèves arrivent dans ces classes en confondant théorème et définition, et sans savoir ce qu’est une hypothèse.

Il est donc indispensable de rétablir au primaire et au collège un enseignement structuré et progressif de la grammaire de phrase, de la conjugaison, du vocabulaire ainsi que des horaires importants permettant cours magistraux et exercices répétitifs ; il est aussi indispensable de reprendre ou d’élaborer une nomenclature grammaticale claire et précise.

Diverses références de manuels et propositions de leçons à l’intention des jeunes instituteurs et des parents seront progressivement mises sur le site de Sauver les lettres ou appy.ecole qui a déjà commencé ce travail. Ceux qui ont des propositions peuvent les adresser au comité de lecture en utilisant l’espace membres de SLL. Ceux qui sont disposés à scanner tout ou une partie d’anciens bons manuels sont invités à se signaler.

Parmi les nombreux manuels apportés à Médréac, Marc Le Bris a présenté un manuel de 1969 : Grammaire française expliquée par G et R. Gallichet, enseignement moyen de 11 à 14 ans ( Charles Lavauzelle et Cie)

Deux anciennes grammaires de Berthou, Voegélé et Grémaux sont encore disponibles en nombre limité chez Belin (insister au besoin, car certains employés en ignorent l’existence) : l’une pour le CE2 , l’autre pour le Cours moyen, qui donnent une très bonne progression pour faire apprendre les conjugaisons.

 


Matinée du vendredi 27 août
Liberté pédagogique et inspection
Intervention de P R, instituteur

 

Pour illustrer quels problèmes pose l’inspection aujourd’hui, au moins dans le primaire, je partirai de deux exemples concrets.

Lors d’une de mes inspections, en 96, l’entretien s’était correctement déroulé, mais dans son rapport l’inspecteur de l’époque (devenu aujourd’hui directeur d’IUFM, tout un symbole !) écrivait : " Toutefois, je demande à Monsieur R de prendre en considération ce point fondamental : depuis la loi d'orientation de 1989, la mission de l'école ne relève plus de l'Instruction mais bien de l'Education et la Formation (article 1 de la loi). (../..)Enfin, comme pour tout enseignant au sein d'un cycle, l'harmonisation des pratiques, la programmation des apprentissages, l'intégration des liaisons entre les cycles dans les démarches pédagogiques de chacun, l'adoption du point de vue de l'élève sur son parcours de formation, la cohérence et la continuité de ses apprentissages, de ses lieux de vie scolaire durant les multiples moments de sa scolarité à l'école publique de S., limitent considérablement l'utilisation quelque peu revendicatrice, par Monsieur R, de la notion de liberté pédagogique". Je lui apprends, à cet égard, que les programmes de 1995 (pages 21-23) définissent seulement la notion de "responsabilité pédagogique". Je l'engage à réfléchir, pour la rentrée, date de mise en œuvre des nouveaux programmes, à cette différence essentielle entre " liberté" et "responsabilité". "

En clair cet inspecteur prétendait limiter mon droit à instruire et pour ce faire cherchait à limiter ma liberté pédagogique.

Je viens d’être à nouveau inspecté cette année. Voici les conditions dans lesquelles cette inspection s’est déroulée.

Dès que je m’installe face à lui, la première question de l’IEN est : " Comment considérez-vous avoir exercé votre métier d’enseignant durant la séance qui vient de se dérouler ? "

Moi : je ne comprends pas la question.

L’IEN reprend la question

Moi : je ne comprends toujours pas.

(Imaginez par exemple qu’un gendarme vous arrête au bord de la route, non pas pour vous signifier que vous avez transgressé une règle du code de la route, mais pour vous demander de justifier en quoi votre conduite dans la dernière heure a montré que vous avez respecté le code de la route !)

L’IEN reprend son questionnaire préalable auquel je n’avais pas répondu, en disant : " On va perdre du temps, puisque vous ne l’avez pas rempli avant ".

Il me pose les questions de son questionnaire concernant la structure de la classe. J’y réponds.

Il saute le cadre concernant la préparation de classe.

Il aborde les questions concernant le projet d’école : " Comment mettez-vous en œuvre le projet d’école ?" " Comment le déclinez-vous dans le cadre de votre projet de classe ? "

Moi : je refuse de répondre à ce type de question. Ce n’est pas à moi à m’auto-évaluer ou à faire une autocritique devant l’inspecteur.

L’IEN : Ah, bon ! Vous n’avez pas à faire votre autocritique ?

Moi : Mettons les choses carte sur table. Avec l’expérience et l’ancienneté que j’ai, je n’accepterai plus qu’on me fasse prendre des vessies pour des lanternes. Vous avez deux attitudes possibles lors de cette inspection : ou vous venez vérifier le travail effectif fait dans ma classe, auquel cas j’accepterai de répondre aux demandes d’éclaircissement que vous formulerez, ou vous venez vérifier mon assujettissement à des directives et une pédagogie officielle, auquel cas il est inutile de poursuivre cet entretien.

L’IEN répond en récitant ce qu’il a écrit dans son document préparatoire : un contrôle de conformité, une évaluation qualitative des compétences de l’enseignant.

Je précise que je ne répondrai qu’à des questions concernant mon travail.

L’IEN : puisque vous voulez qu’on aborde les questions concernant votre travail, eh bien on va le faire.

Vous êtes resté à votre bureau pendant ¾ d’heure en faisant des corrections qui n’avaient rien à voir avec l’activité. Comment avez-vous pu venir en aide aux élèves en difficulté ? J’ai vu des élèves qui n’ont rien produit de la séance. Je me demande même si votre attitude ne relève pas de la provocation.

(Précision : il s’agissait d’une activité d’expression écrite objet d’un travail étalé sur plusieurs semaines : en lecture, nous étudions une pièce de théâtre ; la semaine précédente, nous avions fait un travail sur la structure du texte de théâtre accompagné d’exercices ; lors de cette séance j’avais donné consigne d’écrire une petite scène en respectant la structure du texte de théâtre en donnant au tableau plusieurs exemples de situations que les élèves pouvaient utiliser, en précisant qu’il s’agissait de propositions destinées à les aider mais qu’il pouvaient en trouver d’autres ; j’avais également précisé de venir me voir s’ils étaient toujours bloqués au bout de 10 ou 15 minutes (ce sont des CM2) ; pendant que j’étais au bureau, j’ai eu presque en permanence des élèves qui sont venus me voir pour solliciter mon aide sur de multiples questions (l’inspecteur, assis à l’autre bout de la classe, ne pouvait pas entendre ce qui se disait puisque la règle de fonctionnement de la classe est d’utiliser le chuchotement, règle que j’applique à moi-même lorsque je m’adresse à un élève en particulier).

Je rétorque que je trouve scandaleux qu’il puisse considérer que des corrections n’ont rien à voir avec le travail de classe ; que j’ai aidé les élèves en difficulté puisqu’ils ont été nombreux à venir défiler à mon bureau.

L’IEN : Oui, il y en avait jusqu’à 8 ou 10 à attendre. Pendant ce temps-là, ils ne font rien, alors que vous auriez dû circuler entre les tables.

Moi : Si j’avais circulé entre les tables, répondant aux demandes des élèves qui lèvent le doigt, comme je ne peux répondre qu’à un élève à la fois, les autres n’auraient pas davantage travaillé ; ils seraient restés à leur place en levant le doigt, c’est tout.

L’IEN : Quant à votre cahier journal, (je ne me souviens plus de la formule employée, mais le ton et la manière faisaient apparaître que ce cahier journal était trop succinct et que c’était une grosse faute).

(Précision : mon cahier journal est un trame du déroulement de la journée ; le détail des leçons se trouve dans d’autre documents, fiches par exemple, dont une grande partie – tout le français – était d’ailleurs dans le classeur qui me sert de cahier journal).

Lorsque je lui fais remarquer que les élèves de ma classe ont, aux évaluations de 6ème, des résultats supérieurs à la moyenne nationale ainsi qu’à la moyenne du collège, l’IEN me répond " Encore heureux ! "

Je me suis donc vu contraint de mettre un terme à l’entretien en priant l’IEN de sortir.

Cet inspecteur a gelé ma note pédagogique. J’ai répondu point par point à son rapport d’inspection, en justifiant mes choix, et en précisant que je n’accepterai pas que l’on m’impose des méthodes pédagogiques auxquelles je ne souscris pas. Ceci m’a valu de recevoir une lettre recommandée avec accusé de réception de la part de l’Inspecteur d’académie pendant le mois de juillet, pour me signifier que ma réponse était inacceptable et qu’une procédure disciplinaire était engagée à mon égard. Je suis convoqué à l’inspection académique le 15 septembre pour prendre connaissance de mon dossier.

Mon cas est-il un cas isolé ? Dans le département, lors de la CAPD de juillet, nous avons appris qu’il y avait eu 3 ou 4 baisses de notes et une dizaine de gels de note. Les échos qui nous parviennent font également état de problèmes d’inspection de plus en plus fréquents. Ceci est d’autant plus significatif que dans le premier degré, les enseignants font difficilement état de mauvais rapports d’inspection ; la tendance est en effet de culpabiliser en considérant ces rapports comme fondés. Il y a une certaine infantilisation de notre profession.

Il apparaît de plus en plus que l’inspection est devenue une inquisition ; les inspecteurs sont des évêques chargés de contrôler la conformité à un dogme.

Rachel Boutonnet signalait la veille que les enseignants qui utilisent des méthodes syllabiques sont contraints de se cacher s’ils ne veulent pas se voir " encadrés " par l’inspecteur et les conseillers pédagogiques.

En tant que défenseurs de l’instruction publique, nous serons de plus en plus victimes de cette inquisition. On cherche à nous faire passer pour de mauvais enseignants : puisque l’on ne peut nous reprocher ouvertement nos choix pédagogiques car cela ne serait pas acceptable aux yeux de l’opinion, on veut démontrer que puisque nous n’adoptons pas les méthodes officielles nous faisons mal notre travail.

Comment dès lors ne pas rester isolés ? Comment et avec quelles armes réagir collectivement pour nous défendre face à de tels agissements ?

Voici quelques pistes de réflexion que je vous soumets afin d’alimenter le débat :

 

Intervention de D. P.,
Instituteur

Il reste encore une certaine marge de manœuvre, en utilisant la dissimulation : on peut - avec la complicité des enfants - " faire semblant " le jour de l’inspection. Mais c’est d’autant plus navrant qu’au fond, si le système scolaire continue de fonctionner tant bien que mal, c’est parce que beaucoup d’enseignants ne suivent pas les instructions. Et si la plupart des classes tournent, c’est que l’enseignant biaise sans arrêt les textes. Ce n’est donc pas la règle, mais l’exception qui continue de faire tourner le système. Toutefois, l’étau inquisitorial se resserre, et ces pratiques deviennent de plus en plus difficiles à cacher.

On a l’impression d’être face à une caste cléricale, qui fonde son pouvoir de " Pharisiens " (c’est à dire de " séparés " selon l’étymologie), sur l’humiliation. La description qui en est faite dans l'Évangile selon Saint Mathieu est particulièrement ressemblante : les inspecteurs imposent des fardeaux que les enseignants ne peuvent porter (" ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt " Mt 23,4). Il devient alors impossible d’être irréprochable, de n’être pas coupable de mal faire dans tel ou tel domaine des instructions que nous recevons et dont nous sommes submergés . C’est ainsi que les inspecteurs tiennent les enseignants sous le joug d’une culpabilisation permanente. De plus, ces inspecteurs sont comme " des sépulcres blanchis" à la chaux  (" Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites qui ressemblez à des sépulcres blanchis : au dehors ils ont belle apparence mais au dedans ils sont pleins d’ossements de morts et de toute pourriture " Mt 23,27)

La première couche de chaux, c’est la " démocratie " : on n’est pas démocrate parce qu’on ne laisse pas les élèves s’exprimer, et qu’on leur impose des règles un peu strictes. On n’est pas démocrate parce que l’on ne travaille pas assez " en équipe ".

La deuxième couche de chaux, c’est le " progrès ".On n’est pas " progressiste " si l’on n’applique pas les programmes, ou si le manuel est ancien, ou si le matériel scolaire n’est pas renouvelé systématiquement. On sait pourtant le coût, souvent inutile, de ce " progressisme ", et les enjeux commerciaux qu’il sous-tend.

La troisième couche de chaux, c’est la " science ". On nous impose de fausses évidences, dont on n’a pas le droit de contester la validité :

- " favoriser les automatismes des apprentissages, c’est perdre de vue la prise de sens " ;

- " il faut toujours plus ouvrir l’école sur le monde " ;

- " on n’adapte jamais assez son discours, ses références, à la culture des enfants " ;

- " l’élève doit lui-même construire son propre savoir ".

Les inspecteurs sont aussi des pharisiens parce qu’ils pensent que le salut pédagogique ne peut venir que d’une observance stricte de la lettre des textes officiels. C’est en effet une préoccupation obsédante dans les rapports. Mais quand on leur fait remarquer que la lettre des textes est parfois contradictoire, ils répondent qu’il faut en respecter " l’esprit "... Et non contents d’imposer ces dogmes, les formateurs s’efforcent de cacher toutes les formations efficaces qui existent.


Discussion

Un collègue remarque que lorsqu’un enseignant s’insurge contre la violence, qu’a dénoncée P R, l’inspecteur lui reproche son " agressivité ", comme si l’humilité et la contrition étaient les seules attitudes acceptables.

M. L. propose qu’un enseignant soit jugé non sur ses pratiques, mais sur ses résultats. Il faudrait alors que les résultats des évaluations des élèves soient jointes au dossier de l’enseignant. Ce serait la seule façon de mesurer objectivement l’efficacité d’une pratique pédagogique. Un collègue suggère de rétablir une sorte de certificat d’étude en fin de primaire, pour permettre une évaluation objective du niveau des élèves.

Un certain nombre de collègues objectent que ce type de proposition est très difficile à mettre en pratique. Nous avons, depuis de nombreuses années l’expérience d’évaluations académiques ou nationales, au primaire, au collège, ou au lycée, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont peu éclairantes sur le niveau réel des élèves, car elles sont souvent plus faites pour masquer les problèmes que pour les révéler. Elles ont d’ailleurs été abandonnées à l’entrée en seconde, tant elles ne constituaient qu’une perte de temps pour les professeurs et une démotivation pour les élèves. De plus, comme ces évaluations sont élaborées par les pédagogues orthodoxes, on imagine mal un système qui produise une évaluation de résultats qui nie sa propre efficacité.

D’autres témoignages font apparaître que la position de l’inspection n’est peut-être pas aussi monolithique et sectaire qu’a pu le faire croire l’analyse de P R. Certains inspecteurs sans oser affronter ouvertement leur hiérarchie, ne nous sont pas hostiles, soit parce qu’ils ont l’esprit ouvert, soit parce qu’ils nous approuvent. Il ne s’agit donc pas de stigmatiser l’inspection en tant que corps. Mais c’est sans doute plus vrai dans le secondaire.

C. G. relate une inspection en Seconde, l’an dernier . Tout en pratiquant une pédagogie, une progression, et des contenus totalement opposés aux programmes des lycées, il n’a reçu que des louanges de l’inspecteur, qui l’a félicité de sa rigueur et de ses exigences, dans un rapport dithyrambique.

B. M. ajoute qu’un représentant du Ministère a assuré des membres de SLL que des consignes avaient été transmises aux inspecteurs pour qu’ils acceptent l’enseignement de la méthode syllabique. L’Inspection sent d’ailleurs que le vent tourne, et des inspecteurs naguère fervents zélateurs de la méthode globale, comme Hébrard, déclarent : " je ne veux plus voir de méthode globale ".

M. P. remarque que le libre choix des méthodes est un droit statutaire. P. R. ajoute que puisque le choix des méthodes est imprescriptible, il ne faut pas se laisser entraîner dans des discussions sur leur validité, mais sur le droit de les choisir. Et si l’on nous objecte qu’une pratique est " contraire aux textes ", on doit évoquer l’article 28 du code de la fonction publique qui stipule qu’il faut appliquer les textes "  sauf s’ils vont contre l’intérêt public ".

M.L.B. récapitule les actions proposées pour résister aux inspections humiliantes.

1 - Publier les rapports malhonnêtes ou injurieux. Les diffuser systématiquement par affichage, par Internet ; se les communiquer d’un collègue à l’autre. Cette publicité scandalise et déstabilise les inspecteurs, et sortira les collègues de l’isolement, et de leur sentiment d’infamie, dont joue l’Inspection.

2 - Répondre systématiquement aux rapports d’Inspections arbitraires en en contestant les malhonnêtetés.

3 - Constituer et diffuser un " kit d’aide à l’inspection " comportant :
- un certain nombre de textes statutaires exposant nos droits ;
- des conseils, trucs, et astuces, qui permettent de ne pas se sentir infériorisé face à l’inspecteur, pour rétablir, dans l’entretien un rapport d’égalité : par exemple, il est essentiel de prendre des notes quand l’inspecteur parle : c’est lui montrer qu’il ne peut accuser impunément, et qu’il ne pourra nier avoir prononcé ses paroles, car il restera trace de l’entretien.
- Préciser que le " devoir de réserve ", invoqué par les inspecteurs pour nous reprocher la diffusion des rapports, ne s’applique absolument pas dans ce cas, car un rapport n’est pas un document confidentiel, et nous ne sommes pas des fonctionnaires d’autorité.

4 - Enfin et surtout, dès qu’on entame une procédure de contestation ou de recours, il faut absolument avoir l’appui d’un syndicat et la présence d’un délégué syndical pour toute convocation. Sauver les Lettres n’est pas un syndicat. Le collectif ne peut donc être un recours dans le cadre d’une contestation qui relève du droit du travail.

 


Vendredi 27 août après-midi
Les mathématiques à l’école primaire,
par Michel Delord, professeur de mathématiques,
et Marc Le Bris, instituteur,
auteur de Et vos enfants ne sauront pas lire … ni compter ( Stock, 2003)

 

Comme pour la lecture, les modernistes, (on les appelle didacticiens des maths) ont trouvé le principe universel qui permet d’enseigner toute chose, quelle qu’elle soit. Et miracle, c’est la même théorie que pour la lecture : il suffit de partir du tout pour aller à l’élément : l’élève, à qui on soumet une " situation problème " complexe, l’analyse lui-même. De cette analyse autonome, bien qu’effectuée en groupe, il tirera les connaissances élémentaires, compréhensions et même démarches scientifiques qui constitueront ses savoirs.

Une situation problème, c’est " prenez ce carton et ces ciseaux et construisez une boîte distributrice de mouchoirs " ou bien, " un géant aux bottes de vingt-sept verstes ne peut faire des pas que de 27 verstes. Atteindra-t-il son château situé à 650 verstes ? ". Cette deuxième situation-problème est proposée au milieu du CM1, pour découvrir le sens de la division et inventer une technique qui permette de trouver le résultat. Les élèves ne savent pas faire de division : ils inventent leur méthode –en général, ils enlèvent les 27 verstes, puis encore 27 verstes et encore jusqu’à ce qu’ils se lassent, ou se disputent dans le groupe pour savoir s’ils laissent tomber ou s’ils ne pourraient pas trouver une méthode plus efficace. Cette dispute s’appelle " le conflit socio-cognitif ". Le " conflit socio-cognitif " est censé amener l’élève à élaborer les preuves, et tant qu’on y est, le concept de la nécessité de la preuve.

Avant 1970, on commençait par les éléments. Par exemple, pour la division, dont l’algorithme général de résolution est accusé désormais de tous les maux, on commençait dès le CP à faire

32 | 5

2 | 6

et on apprenait la ‘petite chanson’ : " en 32 combien de fois 5 ? Il y va 6 fois. 6 fois 5, 30. Trente enlevé de (ou bien ôté de) 32, il reste 2.

Cette ‘petite’ division par 2 ou par 5 était pratiquée souvent. Elle devenait ainsi un ‘élément’ stable et installé dans les têtes, qui permettait ensuite, au CE, d’effectuer des divisions plus complexes. Et aisi de suite jusqu’à la pratique de l’algorithme général. Au passage, on apprenait les tables de 2 et de 5 au CP, dans les deux sens ...

Aujourd’hui, pour comprendre le sens de l’addition, les didacticiens des maths insistent pendant presque deux ans sur des situations-problèmes additives. Sans aborder la soustraction, sinon en inversant l’addition, en la transformant en addition à trou (37 + combien ? = 54). La multiplication arrive avant la soustraction (souvent au CE seulement), présentée exclusivement par une histoire de boîte de chocolats, situation-problème destinée surtout à montrer immédiatement la commutativité de la multiplication (5 x 8 = 8 x 5). La division n’arrive qu’au milieu du CM1.

Avant, les quatre opérations étaient définies et apprises au CP. Ainsi, les élèves devaient, dès 6 ans, s’entraîner maintes et maintes fois à trouver quelle opération parmi les quatre servait à trouver la réponse à tel ou tel problème simple et adapté à leur âge. C’est par la comparaison entre les différentes opérations, par la pratique, que leur sens se précise. C’est en faisant qu’on comprend ce qu’on fait.

De plus, les opérations étaient définies par leur utilité : " on utilise la division pour calculer le nombre de parts ou la valeur d’une part ". Définitions désormais interdites aux maîtres modernes, puisque les enfants doivent les élaborer eux-mêmes : ils construisent leurs apprentissages.

10 % des élèves modernes (quelquefois plus) confondent facilement addition et multiplication. L’explication tient en partie à sa trop longue présence unique dans l’univers intellectuel des petits élèves, à tel point qu’il est fréquent d’entendre des CE1, répondre à la question " que doit-on faire dans ce cas ? " : " une opération ". Réponse vide. Qui s’explique par la confusion entre les deux mots " addition " et " opération ", légitimement considérés comme synonymes par des enfants qui ne connaissent qu’une seule opération.

Ainsi, à la question " Combien d’œufs dans 7 boîtes de douze ", on peut très bien obtenir la réponse 7 + 12.

Il y a pourtant une différence très importante, entre l’addition et la multiplication. C’est qu’on ne peut additionner que des quantités de même type alors qu’on multiplie une même quantité de choses un certain nombre de fois. Malheureusement, cette différence n’est plus du tout apparente, par principe moderniste : la présence d’unités dans les opérations est interdite par nos grands théoriciens ;

Si toujours on écrit 18 € + 7 € = 25 €, ou bien 7 moutons + 8 moutons = 15 moutons, alors les élèves sauront, verront, comprendront ce que fait l’addition. On saura bien effectivement qu’on n’ajoute pas " des torchons et des serviettes ".. Et on fera bien la différence avec 7 œufs x 3 = 21 œufs, qui se lit précisément " sept œufs multipliés par trois égale 21 œufs). Ou, dans l’autre sens : " trois fois sept œufs égale vingt-et-un œufs ". 3 est alors le premier nombre pur qui apparaît dans l’univers intellectuel des jeunes élèves – par opposition au nombre concret : 3 bonbons, c’est concret !

C’est un manuel de Cours Élémentaire entier qu’il faudrait écrire, en le testant en classe, tellement il y a de choses pratiques de ce type que nous, enseignants, avons à réapprendre.

 


Vendredi 27 août après-midi
Réflexions sur l’enseignement secondaire et discussion

 

I - Le collège (Gaëtan Cotard, professeur de Lettres au collège et au lycée)

Nous connaissons au collège les mêmes dégradations que celles qui ont été analysées pour l’école primaire.

Je me bornerai à deux exemples qui montreront combien les situations sont comparables.

1 - La grammaire de phrase (qui étudie les rapports des mots entre eux dans la phrase et permet de déterminer les accords et l’orthographe grammaticale) n’a pas disparu du texte des programmes mais il ressort de la lecture des documents d’accompagnement et des manuels qu’elle est réduite à la portion congrue et que la priorité est à la grammaire de texte et de discours.

2 - La généralisation de l’obligation d’enseigner par " séquences " a introduit une grande confusion dans l’esprit des élèves, dans la mesure où elle interdit toute étude spécifique et structurée, que ce soit l’étude de la grammaire, du vocabulaire, de l’étude littéraire d’une façon autre que superficielle, pour ne rien dire de l’histoire littéraire. En fait, elle réduit les plus beaux textes, les plus riches esthétiquement, à un simple document, à un " objet d’étude " au même titre qu’un mode d’emploi ou qu’une description technique. C’est ainsi que Mme Weinland, la doyenne de l’inspection générale de Lettres, recommande chaudement de consacrer une séquence (soit une un dizaine de cours) autour de la pile Volta, dont les potentialités lyriques n’échappent à personne (http://www.sauv.net/kwvolta.htm).

Ce type de pédagogie, qui dilue toutes les réelles compétences d’analyse, de raisonnement, et d’expression, ne permet plus d’apprécier le niveau véritable des élèves, et permet ainsi de masquer les effets catastrophiques de l’effondrement de l’enseignement dans le primaire. C’est dans la même logique que le brevet a été vidé de toute exigence de connaissances précises (cf. http://www.sauv.net/ctrc.php?id=585), pour correspondre à ce qu’attend le ministère d’un bon examen : " un examen que tout le monde réussit ", pour reprendre la définition donnée par M. Boissinot, inspecteur général, éminent représentant de la bien-pensance, cheville ouvrière des réformes et devenu chef de cabinet de Luc Ferry.

Mais le problème n’est pas seulement celui de l’appauvrissement des contenus : c’est aussi celui de l’approche destructurée des quelques contenus qui restent.

 

II - Le lycée (Robert Wainer, professeur de Lettres au lycée)

Comme le lycée est le dernier stade avant l’entrée à l’université, les problèmes - similaires à ceux qu’ont évoqués les collègues du primaire et du collège, revêtent un caractère plus dramatique. Car le lycée se trouve écartelé entre deux finalités.

D’une part, il s’inscrit dans le prolongement de l’école primaire et du collège : la massification rendant quasiment obligatoire la scolarisation du CP à la terminale (dans la mesure où une fois entré en seconde, un élève, même s’il est renvoyé d’un établissement, doit obligatoirement être recasé dans une autre structure), l’enseignement pratiqué ne peut que s’adapter à un moins disant intellectuel  - ce que François Dubet nomme le " SMIC culturel " - s’il veut pouvoir s’adapter à ces élèves qu’on garde parce qu’on souhaite plus les socialiser que les instruire.

Mais d’autre part, on attend toujours du lycée qu’il prépare à des études supérieures qualifiantes, exigeantes, et spécialisées, car le baccalauréat reste l’examen d’entrée à l’université..

Cette situation quasiment schizophrénique aboutit à des classes ingérables par leur hétérogénéité, et destructrices pour tout le monde :
- pour les élèves en difficulté, qui sont constamment renvoyés à leur échec, à leur inadaptation au système scolaire secondaire et à l’enseignement qu’ils reçoivent ;
- pour les élèves susceptibles de recevoir un enseignement ambitieux, mais qui doivent faire preuve d’une force de caractère peu commune pour réussir à travailler dans un tel environnement, et avec une telle absence de stimulation ;
- pour les professeurs qui ne peuvent à la fois prodiguer, dans la même classe, un enseignement destiné à des élèves qui éprouvent encore en première, des difficultés de lecture et d’expression, et à des élèves qui peuvent prétendre à des études supérieures exigeantes.

Pourtant, malgré toutes les injonctions qui sont faites aux professeurs pour baisser leurs exigences disciplinaires et intellectuelles, malgré la baisse des exigences des programmes, malgré la baisse du niveau des épreuves, l’augmentation des redoublements en seconde, la moyenne toujours aussi basse au bac de français, montre que les professeurs de lycée résistent mieux à la pression de l’institution que les collègues du primaire. C’est sans doute qu’un professeur du secondaire est un amoureux de sa discipline, et sa vocation pédagogique est indissociable du désir de transmettre et de faire partager l’amour de cette discipline. C’est pourquoi, dans son domaine, il est sans doute beaucoup moins aisé de lui faire prendre des vessies pour des lanternes que dans le primaire, où le caractère disciplinaire, par sa dispersion, peut plus facilement disparaître sous la logorrhée et l’arbitraire de la psycho-pédagogie. Ainsi, le rapport à la hiérarchie semble moins infantilisant dans le secondaire que dans le primaire, car un inspecteur de Lettres reste un pair en Lettres, même s’il est un supérieur hiérarchique.

Quels sont alors les moyens du ministère pour briser cette résistance et augmenter les flux de bacheliers ?

1 - Ouvrir les vannes.

Les recteurs bombardent les principaux de collèges de circulaires pour qu’ils augmentent le pourcentage de passages en seconde. Tant pis si les élèves, qui auraient pu suivre un bon enseignement en BEP, se retrouvent en échec au bout de deux secondes : ils finiront par passer " à l’ancienneté " dans le cycle première-terminale, et arriveront, à dix huit ans, en échec face à un vague bac technique totalement déprécié.

Mais, submergé par ce type d’élèves, le professeur finit bien par baisser la garde, et adapter son rythme, et le contenu de ses cours, à la majorité de son public en difficulté, quitte à abandonner ceux qui pourraient suivre.

2 - Casser l’enseignement par discipline.

On a crée de fausses matières, qui ne relèvent d’aucun savoir, d’aucune discipline, et qui ne requièrent donc pas la présence d’un professeur spécifique : au collège, ce sont les Itinéraires de Découvertes, au lycée les Travaux Personnels Encadrés, l'Éducation Civique, Juridique et Sociale… Ces activités ont toutes la même caractéristique : elles peuvent être assurées par n’importe quel professeur, qui se retrouve dans le rôle d’animateur non qualifié ; elles ne doivent jamais revêtir la forme d’un cours ; elles doivent être évaluées avec la plus grande indulgence. Ainsi, au Bac, les TPE, qui sont élaborés pendant deux trimestre au cours de la première ou de la terminale, bénéficient d’un coefficient 2, au même titre que les autres options, matières étudiées pendant cinq ou trois ans... Le candidat peut présenter un exposé, mais aussi une chanson ou un dessin, ou une petite scène de théâtre avec un camarade. On comprend qu’un élève abandonne le latin, qui a le même coefficient, mais pour lequel il doit travailler depuis la quatrième, au profit d’une activité aussi ludique et aussi rémunératrice !

De plus, la journée d’un élève n’étant pas extensible à l’infini, ces heures d’animation ont été créées en supprimant des heures d’enseignement disciplinaire, en français, en mathématiques, en langues, ce qui tend encore à affaiblir l’enseignement disciplinaire.

3 - Réformer les épreuves à la baisse.

Morgane Page vous montrera tout à l’heure à quel degré d’abaissement intellectuel est arrivé l’épreuve d’histoire au bac ; je me bornerai à vous donner quelques exemples pour le français.

A l’écrit, on peut dire qu’il y a toujours moyen, pour un élève qui n’a pas suivi un seul cours dans l’année, de trouver un sujet qui lui permette de tirer son épingle du jeu. Ainsi, l’épreuve comporte un corpus de plusieurs textes, que les candidats ne peuvent que rapidement parcourir, et sur lequel on leur pose deux questions, pour lesquelles on nous recommande la plus grande indulgence vu qu’ils n’ont pas le temps de les comprendre vraiment. Ensuite figure au choix une dissertation, un commentaire composé et une rédaction (baptisée pompeusement " sujet d’invention " pour la différencier de l’épreuve du brevet). Le sujet proposé aux élèves des sections techniques en 2004 demandait, outre des exigences formelles sur les « choix d’écriture », d’ « évoquer un moment de votre vie" . Outre l’injustice qui consiste à mettre ce type d’exercice en concurrence avec des exercices intellectuellement exigeants comme la dissertation ou le commentaire de texte, c’est une épreuve difficilement évaluable, car un tel sujet entraîne des confidences souvent sincères, et parfois gênantes, mais écrites dans un français inacceptable, car ce sont souvent les élèves en difficultés qui se rabattent sur ce sujet. Or, sanctionner un niveau de langue et de réflexion est possible quand cela ne met pas en jeu l’intimité du candidat ; c’est beaucoup plus difficile avec ce type d’épreuve

4 - Réformer les contenus de l’enseignement

Je vous renvoie à l’analyse des programmes de français à laquelle s’est livrée Agnès Joste dans son livre La réforme du français au lycée, contre expertise d’une trahison (Mille et une nuits, 2002). Dans le cas précis du français, primariser l’enseignement du lycée, c’est faire que les textes littéraires ne soient plus l’objet d’une réflexion esthétique ou culturelle inouïe, mais le véhicule d’un message moral familier. Ainsi, la tâche prioritaire attribuée au professeur de français dans le préambule des programmes est " la formation du citoyen ". C’est pourquoi au CAPES de Lettres, on demande aux candidats de montrer "  le caractère citoyen " du texte qu’ils présentent à l’oral.

S’ils ne sont pas envisagés dans une perspective moralisatrice, les textes doivent être approchés comme des modèles de communication ou de comportement. Ainsi, au lieu de suivre, comme naguère une progression chronologique, les programmes sont découpés en rubriques comportementales ou psychologiques : on étudie " le biographique " pour inciter les adolescents à réfléchir sur eux-mêmes et à parler d’eux sans honte ; on étudie " l’épistolaire " parce qu’outre la connaissance et l’amour de soi, il faut aussi apprendre à communiquer avec les autres. Reste que le roman n’est plus étudié en première, ni la poésie en seconde, et que nombre d’élèves sortent du lycée sans posséder ce patrimoine commun qui permet de communiquer entre générations, et se reconnaître dans une même culture, ne serait-ce qu’à travers quelques auteurs incontournables et fondateurs.

5 - Réformer les concours.

Au CAPES, l’importance des compétences disciplinaires diminue au profit d’épreuves de pédagogie, transformant ainsi les professeurs du secondaire en professeurs des écoles. Bien sûr, s’ils passent moins de temps, dans leurs études à bûcher leur discipline parce qu’il faut préparer les épreuves de " psycho-péda ", ils seront moins compétents dans cette discipline, et moins exigeants avec les élèves. De plus on évincera progressivement ceux qui choisissent ce métier parce qu’ils ne se voient pas enseigner autre chose que la matière qu’ils aiment. Du coup, sans paravent disciplinaire solide, ils deviendront aussi vulnérables que les professeurs des écoles, et se montreront plus dociles aux injonctions ministérielles, et à l’introduction de la polyvalence. C’est pourquoi les IUFM rêvent de dessaisir l’université du CAPES, pour en prendre la charge. Il faut reconnaître ce mérite à Ferry d’avoir empêché ce désastre, car la réforme était en marche...

 

III - Un exemple de dégradation des contenus dans le secondaire : l’évolution de l’enseignement de l’histoire et de la géographie (Morgane Page, professeur d’histoire en collège et en lycée).

1 - Les programmes

L’histoire est avant tout une discipline de connaissances, de contenus. A priori elle ne devrait pas trop souffrir des nouvelles méthodes pédagogiques. Pourtant ces connaissances sont progressivement réduites, désarticulées, et instrumentalisées par rapport au formatage d’un hypothétique citoyen futur.

En Seconde, l’histoire a été réduite à des " flashes " ( pour correspondre aux vœux de Claude Allègre quand il était ministre) sur des périodes qui n’ont rien à voir entre elles, puisqu’on peut passer arbitrairement, par exemple, du cinquième siècle avant Jésus Christ à Athènes, au XIIème siècle dans l’occident médiéval, puis au XIVème.... Cela interdit toute mise en place d’une conscience historique, c’est à dire d’une conscience de la causalité ; se juxtaposent ainsi des périodes d’apogée des civilisations qui sons censées servir de modèles atemporels, au lieu d’essayer d’aider à comprendre des enchaînements. Cette désarticulation favorise par ailleurs la dérive vers un cadrage moral - obsessionnel dans les nouveaux programmes, - qui explique l’omniprésence des considérations religieuses dans tous les manuels et à chaque année, qui plus est souvent hors de toute contextualisation historique. Ainsi, on trouve fréquemment l’utilisation du présent de l’indicatif pour décrire des croyances religieuses (Le manuel de 6° Histoire Géographie, Hatier, 1996 : leçon de la page 138 "Né à Béthléem, Jésus passe sa jeunesse à Nazareth. [...] Il accomplit des miracles."

Manuel de 5 °, Hatier, 1997 : leçon p. 26, sur Mahomet : "C'est là que l'ange Gabriel lui apparaît et lui annonce qu'il est le nouveau prophète d'Allah ("Dieu" en arabe).", puis : " A La Mecque, Mahomet commence à annoncer les paroles que Dieu lui transmet."). On installe alors une confusion extrêmement grave entre le fait historique et les dogmes relevant de la croyance. Un dossier de Science et Vie ( n° 1033, octobre 2003) s’alarmait déjà de cette dérive qui met, dans le meilleur des cas, le professeur et l’élève en porte à faux par rapport au manuel : le statut traditionnel du manuel est de faire référence pour le professeur comme pour l’élève. Il est possible, pour un professeur de ne pas tenir compte de tels passages ou même de les critiquer, mais c’est déstabiliser l’élève qui ne sait plus à quel discours se fier. Dans le pire des cas, cela produit une confusion entre science et croyance, et entre science humaine et théologie.

2 - L’épreuve du baccalauréat

Le résultat de cette destruction de ce qui constitue l’intérêt pédagogique de l’histoire (conscience d’une chronologie et d’un enchaînement causal ; distinction entre ce qui relève de l’histoire, ce qui relève de la propagande, et ce qui relève de la foi) se voit, comme en français, dans la transformation de l’épreuve du bac, qui se plie, ici encore, à l’état dégradé du niveau de connaissances et de réflexion des élèves.

a - " L’épreuve courte "

La réforme de 1999 a distingué, pour le baccalauréat, une épreuve " courte " censée durer environ une heure sur les quatre de l’épreuve : elle est constituée d’un croquis de géographie lorsque l’Histoire est tirée comme épreuve longue ; dans le cas contraire il s’agit d’un commentaire d’un document en Histoire : un document assorti de 3 à 5 questions, auxquelles on répond en une page environ (ce qui est peu). L’ensemble de l’épreuve (longue et courte) est noté sur 20 : 12 points pour l’épreuve de première partie, 8 points pour l’épreuve courte. Mais il est précisé que cette répartition de la notation n’est qu’indicative. Les correcteurs sont invités, chaque fois que c’est possible, à valoriser la copie ; ainsi, les critères et conseils de correction distribués aux professeurs (Académie de Créteil 1999), sont clairs : l’épreuve mineure " doit permettre au candidat qui a de bonnes connaissances de voir sa copie tendre vers la moyenne grâce à ce seul exercice ". De plus, " de bonnes réponses aux premières questions suffisent à faire atteindre la moyenne de l’exercice. La qualité des réponses aux questions suivantes permet éventuellement de faire atteindre la moyenne à l’ensemble de la copie ". En clair : grâce à la seule épreuve mineure, qui prend environ une heure sur une épreuve de quatre heures au total, les candidats peuvent obtenir facilement la moyenne en Histoire – Géographie au Baccalauréat.

b - " L’épreuve longue "

De son côté, l’épreuve longue ne permet plus de construire une dissertation ; celle-ci est remplacée depuis 1999 par une " composition ", qui exige moins de réflexion sur la problématique du sujet, et moins d’argumentation. Il n’en demeure pas moins que cette épreuve demande des connaissances solides, indispensables à la formation de l’esprit, et on attend tout de même que ces connaissances soient " organisées ". Pourtant, même  allégée  dans ses exigences, la " composition " en Histoire-Géographie est condamnée. Les réformateurs ont procédé, en 2000, de la même façon que pour l’épreuve de français. L’introduction de l’étude de documents constitue une concurrence malhonnête, qui incite à abandonner les sujets exigeants, comme c’est le cas avec l’introduction du " sujet d’invention " en français : la composition étant en concurrence avec l’étude de documents, cette dernière est évidemment choisie prioritairement par 85 à 90 % des candidats.

c - L’étude de documents : un exercice déformateur

C’est un nouvel exercice issu de la réforme appliquée dès la session de juin 1999. Il ne s’agit plus de rédiger un commentaire approfondi et organisé des documents en s’appuyant sur ses connaissances. D’ailleurs, la notion même de " connaissances " a disparu, assimilée sans doute à une érudition élitiste détestable et laissant la place aux " informations ". Trois questions organisent la démarche de cette étude :

1. Présenter les documents

2. En fonction du sujet, sélectionner, classer et confronter les informations tirées de l’ensemble des documents et les regrouper par thème.

Il est en général conseillé d’organiser ces thèmes et ces informations sous la forme d’un tableau à double entrée, ce qui réduit le travail de rédaction à un strict minimum. Le B.O. n’exige pas de commenter ces informations, d’en tirer des conclusions, de les mettre en perspective en fonction des connaissances acquises. Les candidats se contentent donc tout naturellement de relever des extraits de phrases, des chiffres, sans explication. La plupart du temps, par manque de place dans le tableau, les candidats écrivent en abrégé, ce que nous ne pouvons sanctionner. Il s’agit en fait d’une amorce de plan non rédigé et nourri de paraphrase, d’un brouillon de commentaire que nous devons évaluer.

3. Rédiger de façon synthétique une réponse argumentée à la problématique définie par le sujet en faisant appel, y compris de manière critique, à l’ensemble des informations tirées des documents. A titre indicatif, il est conseillé au candidat de limiter cette synthèse à une page, soit 300 mots environ.

Il n’est demandé pour cette synthèse ni introduction (donc pas de contexte…il est reconnu que la compréhension et la présentation du contexte sont superflues en Histoire !), ni conclusion (donc il n’y a rien à démontrer !), ni organisation des thèmes par un plan, ni connaissances extérieures aux documents. On doit donc se contenter d’une vague paraphrase…

 


Matinée du samedi 28 août
Compte rendu de la discussion générale de clôture
de l’Université d’été de Sauver Les Lettres,
en présence de Philippe Rouault,
député d’Ille et Vilaine, maire de Pacé

 

A l’issue des trois jours de colloque qui ont montré clairement l’état de délabrement du système éducatif français, il paraît nécessaire de proposer des solutions positives pour mettre fin aux pratiques qui ont " démoli la maison commune ".

Réfléchir sur les carences dans les contenus n’est pas suffisant ; car rien ne sert de changer les contenus des programmes, si l’on ne s’attaque pas aussi aux structures, aux procédures d’évaluation et d’orientation, aux méthodes d’enseignement, à la formation, qui portent également une part de responsabilité dans le naufrage de l’école.

On a vu l’efficacité des vœux pieux prononcés par les ministres successifs. Nous savons que l’école ne retrouvera son autorité et son efficacité que si elle se réforme à tous ces niveaux.

Pour rompre le monopole du discours pédagogique dominant et des pratiques pédagogiques imposées, il faut obtenir, dans un premier temps, un droit à l’expérimentation dans tout un réseau d’écoles maternelles et primaires. Ainsi, dans un délai de deux ans, on pourrait tester le résultat de ces pratiques et montrer la supériorité de ces " nouvelles " façons d’enseigner la lecture, l’écriture, le calcul…

La constitution de ce réseau d’écoles permettra de fournir rapidement aux enseignants intéressés des exemples d’emploi du temps, une progression, un manuel, des outils pratiques et efficaces, l’enseignant les adaptant ensuite au fur et à mesure de son expérience et communiquant ses propositions d’amélioration et ses difficultés au réseau.

Ainsi, les nouveaux manuels, diffusés sur Internet, pourraient se roder avant d’être édités. C’est cette pratique qu’a adoptée le réseau LIRAS, pour le manuel Lire Avec Léo et Léa… On peut aussi recommander, en attendant, l’utilisation de certains manuels anciens et éprouvés, comme la méthode de lecture Boscher. Pour les mathématiques, un manuel est en cours d’élaboration et sera mis à disposition sur Internet.

Par ailleurs, les éditeurs, restés indépendants des grands groupes de presse, seraient contents d’imprimer des manuels pérennes car ils ne peuvent plus suivre, actuellement, le changement trop fréquent de manuels, transformés en produits jetables, pour lesquels, d’ailleurs, les conseils régionaux s’apprêtent à dépenser moult euros, peut-être en pure perte.

Cette politique de " manuels de référence " pourra contrebalancer la nouvelle mode des cartables électroniques dont le coût énorme ne garantit nullement une quelconque efficacité, et qui nécessitent une maintenance qui n’est pas assurée. Rappelons-nous le plan " Informatique pour tous ", et les vieux TO 7, vite obsolètes, des années 1980.

L'enseignement méthodique a besoin de temps. C’est pourquoi la première des urgences est de rétablir le nombre d’heures nécessaires pour faire réussir les élèves. C’est une véritable imposture de prétendre que, puisque les sciences, l’histoire, ou l’éducation physique s’enseignent en français, les heures de cours de ces matières tiennent lieu d’apprentissage de la langue ! Preuve en est apportée par une collègue qui enseigne le Français Langue Seconde aux élèves non francophones dans l’académie de Nice. Ces élèves sont regroupés dans des classes, où ils reçoivent 18 heures d’enseignement du français par semaine, et ne sont réintégrés dans des classes de collège normales que lorsqu’ils en ont la capacité linguistique. Cet apprentissage spécifique peut durer quelques mois, mais il peut aller jusqu’à deux ans, en fonction des progrès de ces élèves non francophones. Cette disposition s’est révélée d’une grande efficacité, et tout le monde en est satisfait. Par contre, dans les académies de la région parisienne, où l’on introduit ces non francophones dans les classes avant qu’ils soient capables de suivre, sous le prétexte qu’il ne faut pas " créer de ghetto ", c’est la catastrophe !

En effet, s’il est vrai que l’apprentissage d’un langue peut se faire sans passage par l’étude de son fonctionnement, c’est à condition qu’elle soit transmise à haute dose, de manière à immerger l’enfant dans un bain linguistique, comme le montre la réussite des enseignants de Français Langue Seconde de l’académie de Nice. Si cette condition n’est pas remplie , il faut nécessairement s’appuyer sur la grammaire d’une langue connue pour inculquer l’autre.

C’est pourquoi l’apprentissage des langues étrangères à l’école primaire est totalement inefficace. Bien plus, ce simulacre est profondément nuisible et déstructurant : n’étant pas pratiqué par des personnels formés, (les professeurs des écoles ont reçu, en tout et pour tout, trois demi-journées de formation pour enseigner une langue dont ils n’ont, au mieux qu’une pratique approximative et courante), il donne aux élèves du primaire un mauvais départ que les professeurs de collège ont beaucoup de mal à réparer. Enfin, ces heures de langue inutiles et néfastes à la formation de l’esprit sont prises aux heures d’enseignements de la langue maternelle, et servent de prétexte à la réduction des horaires dans le secondaire : puisqu’ils sont déjà censés connaître les bases de la langue étrangère dès le primaire, on peut en alléger l’enseignement dans le secondaire.

Ces prétextes pédagogiques et idéologiques camouflent des raisons bassement comptables mais à courte vue. Car le coût de ces heures économisées se paie en souffrance humaine, d’abord, et, en argent dépensé ensuite pour résoudre les problèmes créés par ces mauvais débuts scolaires.

Or une instruction solide, avec six heures de français au collège, l’apprentissage de la grammaire, de l’orthographe, la lecture de bons auteurs, l’apprentissage de leçons - toutes pratiques qui semblent être devenues " tabou " - formerait mieux la jeunesse et à un coût moindre que ce qui s’est imposé ces dernières années.

Mais ces échecs ne grèvent pas le seul budget de l’éducation nationale : personne n’a chiffré ce que coûtent à la sécurité sociale les séances chez les médecins, psychologues , orthophonistes...Or, s’il existe de véritables dyslexiques, à traiter médicalement, ils sont en nombre très limité. Beaucoup de ceux qui consultent les orthophonistes ont tout simplement mal appris à lire et sont du ressort de l’école. Ce sont les orthophonistes eux-mêmes qui le disent. En outre, les communes, qui doivent pallier les carences de l'Éducation Nationale, organiser l’aide aux devoirs, qui était autrefois assurée par l’étude du soir, voient aussi leurs dépenses augmenter par la faute de ces carences scolaires.

De même, il n’est pas normal que tant d’élèves aient besoin de leçons particulières en mathématiques, au niveau du lycée : un parent d’élève explique que dans une classe de terminale S, plus de 80% des familles avaient recours aux cours particuliers, fautes de bases solides dans les connaissances des élèves.

Mais les lacunes de raisonnement, si flagrantes en mathématiques, se retrouvent partout, notamment dans la compréhension et dans le maniement de la langue et de ses articulations. C’est pourquoi le renforcement de l’apprentissage raisonné et systématique de la langue permettra aux élèves de progresser dans toutes les autres matières , y compris, bien évidemment, dans les autres langues. La confusion actuelle entre le futur de l’indicatif et le présent du conditionnel est révélatrice, d’abord d’une belle ignorance grammaticale, mais aussi d’une confusion inquiétante entre le rêve et la réalité. Il faut des repères, dans l’espace et dans le temps, afin d’éviter la confusion d’esprit. C’est pourquoi l’enseignement de l’histoire - quel que soit le niveau où on l’enseigne, doit être fondé sur la chronologie. On donnera ainsi aux élèves les moyens de comprendre, de penser, de juger par eux-mêmes. Pour cela, il faut instruire - qui signifie bâtir, ranger, ordonner - pour y voir clair. Ensuite, rien n’empêche de déranger, une fois qu’on est instruit. Car si l’instruction éduque, l’éducation n’instruit pas.

Il faut absolument alerter et informer les parents et le public des dérives de l’école actuelle en leur expliquant ce que recouvre effectivement la logorrhée pédagogique - apparemment séduisante - dont on les abreuve. Un outil, sous forme d’abécédaire expliquant les principaux concepts en vogue et leurs implications idéologiques et pratiques serait utile aux parents souvent embobinés par le discours d’autorité de l’institution. De plus, les parents doivent se mobiliser aux côtés des enseignants pour demander, au collège, une restitution des heures d’enseignement du français, qui depuis une vingtaine d’années ont diminué de façon dramatique.

Car il ne s’agit par de rajouter des heures dans l’emploi du temps des élèves, mais de supprimer les pseudo-enseignements récemment ajoutés pour revenir à l’essentiel ; par exemple l’ECJS, en lycée, qui oscille entre débat creux et endoctrinement moral, doit redevenir une instruction civique axée sur la connaissance des institutions. Les IDD et autres TPE, études transdisciplinaires préconisées respectivement au collège et au lycée, peuvent paraître séduisantes ; mais ils ne sont profitables qu’à ceux qui maîtrisent déjà les disciplines concernées. Pour les autres, ce sont encore des heures prises aux enseignements fondamentaux ; et ces amputations horaires empêchent de donner aux élèves les bases qui leur permettront ensuite de mettre les différentes disciplines en relation. M. le Député fait d’ailleurs remarquer que pendant les onze ans où il a eu des responsabilités dans une entreprise, il a toujours choisi de recruter des personnes qui avaient une spécialisation précise - même si cette spécialisation ne correspondait pas aux tâches qu’il allait falloir assumer - plutôt que des personnes qui n’avaient pas de formation approfondie dans aucun domaine spécifique.

Toutes ces dérives, issues de la haine des savoirs disciplinaires avaient pour but d’interdire les prétendus " cours magistraux ". Or l’essentiel reste pour nous, d’apporter à l’élève des connaissances ; et nous avons la conviction que l’élève ne peut redécouvrir seul, en quelques heures, ce que l’humanité a mis des siècles, voire des millénaires à découvrir. Il faut donc, au rebours des pédagogies globalisantes et " naturelles ", partir du simple, de l’élément, pour aller au complexe ; il faut instruire, car instruire c’est éduquer. On forme des citoyens en les structurant, non en faisant de l’animation ou du catéchisme. Pire : donner la parole a des gens qui n’ont pas de mots conduit à la violence. Il ne faut donc donner la parole qu’après avoir donné les moyens de parler.

Restaurer la confiance des citoyens dans leur école n’est possible que si l’on restaure l’autorité des maîtres. Mais il ne suffit pas de le répéter, comme le font les ministres qui se succèdent, pour qu’elle soit magiquement ré-instituée.. Certes, dans les pratiques quotidiennes de la vie scolaire, un enseignant doit pouvoir sanctionner un élève, sans être accusé de voie de fait ; il doit au moins être appuyé par sa hiérarchie - directeur, principal ou proviseur - faute de quoi il se trouve discrédité face à l’élève et à la classe. On doit pouvoir exclure un élève perturbateur qui empêche les autres de s’instruire, ce qui est une injustice pour eux ; c’est un geste que nous leur devons.

Mais surtout, l’autorité des enseignants doit venir de la maîtrise qu’ils ont de l’orientation des élèves et des passages dans les classes supérieures, en fonction de critères purement scolaires et intellectuels, et non pour répondre à des impératifs économiques et politiques qui demandent à l’école de gérer des flux sociaux. On doit pouvoir dire que tel élève ne suivra pas dans la classe suivante. Contrairement à ce que veut faire croire l’institution, le redoublement est non seulement un droit pour un élève, mais c’est bien souvent une chance. On doit pouvoir orienter dès la 5° un élève vers un CAP puis un BEP reconnu dans le monde du travail, au lieu de le laisser souffrir des années en collège pour, en fin de compte, n’obtenir aucune formation qualifiante.

Nous avons les pires craintes pour l’avenir. Une loi d’orientation est en préparation . Elle sera, nous dit-on, dans la droite ligne du rapport Thélot qui ne nous semble pas aborder les problèmes de l’éducation de façon parfaitement juste, lucide et honnête. Et s’il est vrai que l’académie de Rennes fait réussir ses élèves un peu mieux que la moyenne, justement, entre autres raisons, parce que les professeurs ont résisté aux consignes lorsque celles-ci leur paraissaient aller à l’encontre du but recherché, pourquoi ne pas aller dans ce sens et s’appuyer sur cet exemple, le soutenir, l’amplifier, le généraliser, au lieu de faire le contraire ? De quoi a-t-on peur ?

Jamais, bien sûr, on ne peut garantir que l’instruction empêche toute dérive, toute erreur de choix de la part des citoyens. Mais la situation actuelle d’illettrisme et d’"innumérisme" croissants , de soumission aux sirènes audio-visuelles et consuméristes sans discernement, elle, fait peur.

09/2004