École : la réforme immobile
François Fillon, ministre de l'Éducation nationale, était sur France 2 le jeudi 18 novembre pour présenter l'ébauche de sa future loi d'orientation sur l'école. Mot d'ordre: "prudence". Et, en toile de fond, cette question: peut-on encore vraiment réformer l'école ? Par Natacha Polony Souvenez-vous, le " grand débat national " sur l'avenir de l'école : un million de Français mobilisés, plus de 50 000 contributions, un lourd volume en guise de synthèse, le Miroir du débat. Et, au bout du compte, le fameux rapport de la commission Thélot. Eh bien, voici maintenant la déclinaison concrète de toute cette agitation : le " projet de future loi d'orientation sur l'école " du ministre de l'Éducation, François Fillon. Encore une loi sur l'école ? Oui, encore une, une de plus! Mais " les choses peuvent bouger ", assure-t-on déjà au ministère, comme pour prévenir les éventuelles grognes professorales. Après tout, cette loi est censée modeler le visage de l'école pour les quinze années à venir. Rien de concret Las. En fait de grognes, l'extrême prudence du texte devrait surtout éviter au ministre les habituels déboires de ses prédécesseurs Rue de Grenelle. Quoi de neuf, concrètement, par rapport à la précédente loi, portée en 1989 par Lionel Jospin et Claude Allègre? Quoi de neuf par rapport à cette loi qui, pour beaucoup d'enseignants, est largement responsable des catastrophes actuelles ? Autant le dire, pas grand-chose. En tout cas, pas de quoi précipiter les profs dans la rue. On trouve bien dans le projet quelques mesures intéressantes : triplement du nombre des bourses au mérite, renforcement des dispositifs relais qui permettent de prendre en charge les élèves en très grande difficulté, objectif d'au moins une infirmière par collège, création d'un cahier des charges pour les très contestés instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), désormais rattachés aux universités... Pour le reste, on continue comme si de rien n'était. Vous vous demandez, parents, ce que l'école apprendra demain à vos enfants. Réponse : cette école, dont le nouveau slogan en forme d'incantation est " Plus efficace, plus juste et plus ouverte ", est désormais centrée autour d'un " socle commun " de savoirs fondamentaux, français, mathématiques, nouvelles technologies, langue étrangère et " culture de base pour mieux comprendre notre environnement et pour accéder à la citoyenneté ". Un socle " défini par le Parlement et révisé tous les dix ans ", pour coller au bougisme de l'époque. Ces connaissances seront validées par un nouveau brevet des collèges,en fin de troisième. Il est d'ailleurs rappelé que l'élève qui n'acquiert pas les éléments de ce socle commun doit redoubler, en bénéficiant systématiquement de trois heures supplémentaires d'enseignement par semaine. Rien que de très raisonnable. Mais ce brevet, dont on dit au ministère que " tout élève un minimum consciencieux devrait l'obtenir ", n'est pas nécessaire pour passer en seconde. Allez comprendre... Surtout, les très nombreuses heures de cours supprimées depuis vingt ans, et à l'origine des difficultés de lecture des élèves (arrivé en troisième, un élève a suivi l'équivalent de deux années de moins de cours de français que ses homologues des années 70), ces heures, donc, ne seront pas rétablies. En clair, les mesures concrètes, concernant horaires et programmes, qui pourraient donner aux enseignants le sentiment que leur rôle de transmission des savoirs est réellement pris en compte sont pudiquement laissées de côté. S'adapter, c'est tout Est-il donc si difficile de réformer l'école ? Certes, les mésaventures de Claude Allègre incitent tout nouveau ministre à marcher sur des oeufs. Mais pourquoi, malgré quelques signaux en direction de la frange conservatrice de l'opinion, François Fillon joue-t-il la porcelaine dans le magasin de mammouths ? Trois raisons: 1) D’abord, parce que les syndicats majoritaires, en particulier le Snes, sont à l'origine des orientations prises depuis vingt ans, et dont le résultat est connu : plus de 15 % des enfants entrant en sixième ne savent pas lire ! Plutôt que de se renier, les voilà devenus gardiens du Temple, défenseurs furieux de la loi de 1989. 2) Ensuite, parce qu'une bonne partie de )la hiérarchie de la rue de Grenelle, inspecteurs généraux et académiques en tête, défend ces méthodes pédagogiques farfelues et boursouflées qui déroutent tout parent raisonnable ouvrant les cahiers de ses enfants. Or, si la nouvelle loi proclame la " liberté pédagogique " des enseignants, pour leur permettre d'affirmer leur autorité comme le réclament les parents, ce sont bien ces méthodes de travail, et non l'acquisition finale des savoirs par les élèves, qui seront encore et toujours jugées par les inspecteurs. 3) Enfin, parce que François Fillon entend rendre l'école " conforme aux réalités de ce monde ". Du coup, il semble oublier que le modèle scolaire français doit son rayonnement international à l'accent mis sur la culture, les humanités, qui, en plus de forger des hommes et des citoyens, avait l'avantage de fabriquer des cadres efficaces. Aujourd'hui, il faut " s'adapter ", c'est-à-dire répondre aux exigences directes de l'économie. Conclusion: non seulement François Fillon maintient l'objectif-totem de 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat, mais il y ajoute 100 % d'élèves porteurs d'un diplôme, et 50 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur. Le marché réclame des jeunes qualifiés? Donnons-lui des jeunes diplômés ! Comme le contenu de ces diplômes n'est jamais défini, les exigences pourront encore baisser, les statistiques couvriront le désastre.