Doutes et propositions d’un rééducateur de l’Éducation Nationale


Je suis maître G (rééducateur psychopédagogue, ndlr) depuis 1992, date à laquelle j’ai été nommé sur un poste que j’occupe encore actuellement. Je travaille en collaboration avec une maîtresse E (soutien scolaire, remédiation pédagogique, ndlr) et une psychologue scolaire qui intervient également sur un autre secteur géographique.

Après bientôt douze années sur ce poste, je suis poussé par l’envie d’apporter un témoignage sur une fonction bien singulière au sein de l’Éducation Nationale. Ce témoignage est destiné à mes collègues, aux enseignants, à mes supérieurs hiérarchiques mais également à ceux qui s’intéressent à l’école et qui pensent que la lutte contre l’illettrisme est l’affaire de tous.

S’il y a parmi ceux qui auront ce document en main, des personnes qui ont perdu tout esprit critique, que ce soit par lassitude, par dogmatisme ou par désillusion, je les encourage malgré tout à faire un petit effort pour aller au terme de ces quelques paragraphes. Sachez que je préfèrerais de beaucoup être l’objet de critiques acerbes plutôt que d’un dédain stérile ou d’une morne indifférence.

 

La pratique quotidienne m’a progressivement amené à douter du bien-fondé ainsi que de l’efficacité réelle de certaines conceptions et analyses liées au traitement de la difficulté scolaire. Si celles-ci pouvaient sembler pertinentes dans un système idéal, le contact avec la réalité fait qu’il en est tout autrement.

En effet, dès mon entrée en fonction j’ai constaté un nombre très important de signalements concernant des élèves de CP et de CE1 en échec dans l’apprentissage de la lecture. Rapidement j’ai mis en place une politique de prévention s’adressant aux élèves de maternelle. Parallèlement aux prises en charge individuelles, je suis donc intervenu dans toutes les écoles du secteur.

N’ayant pas dans les années suivantes constaté de diminution notable du nombre de signalements et intrigué par tant d’échecs, je fus progressivement amené à m’intéresser à cette année cruciale pour l’apprentissage de la lecture : le cours préparatoire.

Pour moi qui venais de l’Éducation spécialisée en internat et qui avais une vision idéaliste de l’école élémentaire, je dois dire que dans certains cas je fus fort surpris. En voulant aller au delà du simple traitement de l’aide matérialisée par une fiche de signalement, je me suis intéressé aux conditions de l’enseignement de la lecture. J’ai pu noter de grandes différences entre les classes, différences au niveau des effectifs, des cours doubles éventuels mais également au niveau des types de relations pédagogiques et des méthodes de lecture. En ce qui concerne ce dernier point, j’ai noté la diversité des méthodes employées.

Si la plupart du temps l’enseignement m’est apparu cohérent, je dois avouer que dans certains cas ce que j’ai observé m’a laissé fort perplexe. Je tiens à préciser à ce propos que dans le secteur où j’interviens il y a un important pourcentage de professeurs des écoles débutants. Mes constatations ne remettent nullement en cause les qualités individuelles ou professionnelles de ces jeunes, qui fragilisés par leur manque d’expérience ne peuvent s’appuyer sur une formation qui les a laissés sur leur faim…

Sans pour cela mettre de côté le regard particulier que le maître G doit poser sur la difficulté de l’enfant, mes interrogations, mes réflexions et mes doutes m’ont conduit à modifier profondément mes interventions professionnelles.

Dans ces quelques paragraphes après une présentation rapide des différents types d’aides telles qu’elles sont officiellement définies, je m’attarderai plus particulièrement sur la spécificité de l’aide G. Il est vrai qu’il y a beaucoup d’incompréhension autour de la fonction exacte du rééducateur, ce flou autour de cette identité professionnelle se rencontre à tous les niveaux : parents, enseignants, inspecteurs et plus ennuyeux encore… maîtres G eux-mêmes ! 

Cela m’amènera tout naturellement à remonter à " la source ", c’est à dire au stage de formation. J’essaierai alors à travers le récit de mon expérience de stagiaire d’apporter des éléments pouvant expliquer l’incompréhension des uns et le désarroi des autres.

Partant du récit de mon activité professionnelle, je tenterai, après avoir exposé quatre cas d’élèves en difficulté scolaire, d’expliquer les raisons qui m’ont conduit à changer ma pratique de façon radicale.

Dans une société où les psychologues prennent de plus en plus de pouvoir, je donnerai mon avis sur les limites et l’efficacité réelle de la rééducation.

Pour que le PSYCHOLOGISME et le DÉTERMINISME SOCIAL ne deviennent pas l’ALIBI HUMANISTE d’un système inefficient, je tenterai à travers une analyse volontairement partisane de montrer que l’emploi de méthodes de lecture structurantes pourrait éviter de très nombreux échecs scolaires. Il faut bien sûr pour cela, en dehors de tout dogmatisme et de toute idéologie, OSER se poser quelques questions simples, d’autant qu’il y a à mon avis quelques réponses … simples elles aussi.

Avec le système des réseaux d’aides, les difficultés scolaires rencontrées par les élèves sont analysées de façon à faire ressortir deux types de causes débouchant sur deux types de prises en charge théoriquement très différentes.

On distingue tout d’abord les problèmes d’ordre pédagogique (et-ou) intellectuel débouchant sur une aide conduite par le maître E, cette aide s’adresse alors à l’élève en difficulté. Dans l’autre cas (après analyses et investigations) la difficulté scolaire est considérée comme la manifestation d’un trouble psychologique transitoire, le maître G prend alors en charge un enfant et a pour mission de lui faire retrouver l’envie d’apprendre à travers l’estime qu’il a de lui-même. C’est la rééducation.

En fait, l’expérience prouve qu’entre ces deux conceptions la frontière est floue, perméable et souvent très discutable. Pourtant, le regard croisé sur la difficulté offre des avantages, il permet d’élargir le champ des idées, d’affiner les investigations, de confronter les avis pour finalement arriver à une meilleure compréhension de la difficulté de l’enfant.

Si cette difficulté est effectivement réelle, l’enfant en est toujours le centre. Dans une démarche systémique de l’aide, l’entourage est mis à contribution et les différents partenaires sont impliqués (réellement ou fantasmatiquement) dans le processus rééducatif. Dans ce système, les maîtres ne sont envisagés que dans leur dimension relationnelle. Dans notre grande famille il est mal venu de mettre en cause les compétences individuelles et les méthodes pédagogiques des collègues.

Si pour le maître E le projet mis en place pour aider l’élève peut sembler relativement aisé à élaborer, il en va tout autrement pour le maître G ! En effet, quelles sont concrètement les stratégies qui peuvent être mises au service d’un projet si ambitieux : " faire retrouver à l’enfant l’envie d’apprendre à travers l’estime qu’il a de lui-même ". Quels secrets tenant probablement de la magie blanche le stage de formation a-t-il bien pu dévoiler ?

Cela m’amène à relater mon expérience de stagiaire. Pour ne pas qu’il y ait de méprise, je tiens à préciser que ce stage a été de par son contenu extrêmement intéressant. Envisagées isolément, toutes les matières étudiées nous ont apporté une large palette d’informations sur l’enfance et la petite enfance. Lorsque l’on n’a pas eu la chance de faire des études supérieures, un tel stage laisse une empreinte aussi bien sur le plan professionnel que personnel.

Je serai par contre plus critique quant à la partie consacrée à la rééducation. Si durant cette année nous avons pu nous exprimer, cela a toujours été dans certaines limites, limites que nous avons rapidement cernées ! Il était clair que l’on attendait de nous une adhésion totale et sans faille. Les rares stagiaires qui ont osé garder une véritable liberté de parole l’ont compris à leurs dépens. L’ambiance générale fut souvent oppressante, le public résigné et le type de fonctionnement sectaire.

 

Le premier jour de la formation, cinquante stagiaires se retrouvent dans un cadre austère pour une présentation de l’équipe des formateurs. Avec un humour caustique, ceux-ci nous font comprendre que ce stage sera éprouvant, qu’il nous ébranlera dans nos convictions et qu’il sera de toute façon très déstabilisant. Pour nous qui n’avons eu jusqu’à présent que des relations pédagogiques ou éducatives avec les enfants, la remise en question devra être totale. Ils nous annoncent que nous sommes en stage option G pour oublier notre passé d’enseignant, que nous devons tourner une page et laisser notre blouse grisée au vestiaire (sourires complices entre formateurs). Le directeur du stage nous demande de réfléchir une dernière fois avant un engagement définitif (regards étonnés entre stagiaires, sourires crispés, moues dubitatives).

Le lendemain matin quarante huit stagiaires se présentent dans la salle, effrayés par cette mise en garde, deux d’entres nous ont préféré renoncer avant même la première heure de cours.

Durant le stage, les matières étudiées sont très variées, néanmoins le fil conducteur, fédérateur de toutes ces informations, c’est bien sûr la partie consacrée à l’aide rééducative. Bien que nous soyons dans le domaine des sciences humaines, cette partie qui ne s’appuie en fait que sur un précepte de départ, un " pari ", la rééducation nous est souvent présentée comme une vérité définitive, voire une science exacte. Dans un auditoire impressionné par tant de savoir et peu enclin à l’esprit critique, les rares objections exprimées en début de stage laissent rapidement place à un bachotage docile.

On nous explique donc que la difficulté scolaire est dans certains cas la manifestation de ce que l’on peut considérer comme le symptôme (terme emprunté à la médecine) d’un problème ou d’une problématique affectant l’enfant de façon consciente ou inconsciente. Cette problématique envahit alors la " sphère psychique " du sujet lui interdisant provisoirement l’accès aux apprentissages. Le premier travail du maître G consiste alors à recueillir un certain nombre d’informations pour tenter de mettre " du sens " sur cette problématique (rencontre avec l’enseignant, les parents, éléments d’anamnèse etc.…). Pour pouvoir décrypter ce sens, le stagiaire apprend à percevoir " des signes " , il est familiarisé avec diverses théories, concepts et techniques d’analyse pouvant l’aider dans cette recherche. Ces techniques empruntent pour une grande part à la psychanalyse et à différentes " Écoles " de psychothérapie. Le stagiaire apprend également à interpréter ces signes à partir de différents supports (dessin, modelage, jeux, etc.…), à mener un entretien avec l’enseignant et les familles. Dans cette optique, le travail est uniquement envisagé dans la perspective d’une prise en charge individuelle qui bien que nous soyons dans le cadre scolaire s’adresse à l’enfant et non à l’élève. Lorsque ces précieuses informations sont recueillies et que le maître G a réussi ou à l’impression d’avoir réussi à mettre du sens sur une problématique, les investigations doivent déboucher sur un projet d’aide à l’enfant. L’accord des parents est demandé et leur participation active au processus rééducatif vivement souhaitée.

Le travail du rééducateur vise alors à la réduction du symptôme à travers la " lecture " par l’enfant de la problématique qui lui est propre. Ce type de technique n’a dans sa pratique plus de secret pour personne. Les médias nous relatent presque quotidiennement l’intervention de " cellules de crises psychologiques ". Ces cellules sont déployées lorsqu’un accident ou un drame risque d’être psychologiquement traumatisant pour les victimes et les éventuels témoins. Elles ont pour but d’évacuer une trop grande charge émotionnelle par la médiation du dessin ou de la parole afin d’éviter le développement d’une névrose traumatique. La rééducation, qui elle s’adresse le plus souvent à des traumatismes inconscients, reprend le même principe dans un processus plus long et plus complexe.

L’étape suivante c’est le " dépassement de la problématique " débouchant théoriquement sur la restauration de l’envie d’apprendre.

Arrivés à ce stade, certains stagiaires s’inquiètent, à juste titre, vont-ils sortir en fin d’année avec en poche un diplôme de psychothérapeute ? Pour d’autres, c’est la révélation, eux qui rêvaient d’un nouveau statut professionnel, leur fantasme se réalise enfin. Certains se prennent déjà pour des disciples de Freud, les tenues vestimentaires s’assombrissent ; les regards sont plus profonds remplis d’interrogations métaphysiques. Le vocabulaire et l’humour se spécialisent, les jeux de mots à la " sauce " psychanalytique fusent (jeu de l’oie, jeu de loi – l’ego des legos – le je du jeu – les mots des maux – etc.). Ils appartiennent maintenant à la famille des " psy ".

Pour les sceptiques, le responsable du stage dédramatise et rassure. Il explique…

En thérapie la médiation privilégiée entre le patient et le thérapeute est la parole. Le patient est la plupart du temps conscient de sa problématique, il est dans une démarche volontaire qui le pousse à demander de l’aide. En rééducation, il en va tout autrement, la problématique n’est souvent que suggérée, jouée, représentée, symbolisée à travers différents supports (jeux de rôles, modelage, dessin à deux, etc.). C’est la fameuse " stratégie de détour ".

Bien que nous soyons à l’école, la difficulté scolaire en tant que révélateur du symptôme fait que la pédagogie est à bannir de l’espace rééducatif, elle est même diabolisée par certains formateurs.

En fait, si l’accent est volontairement mis sur la différence entre rééducation et thérapie, c’est que celle-ci n’est pas politiquement correcte à l’école qui n’est pas un lieu de soins. Les formateurs incitent d’ailleurs quelques stagiaires à baser le thème de leur mémoire de fin d’année sur cette différence pour qu’ainsi elle soit confortée. Personnellement je ne pense pas qu’il faille un mémoire de cent pages pour justifier une différence quand toutefois elle existe, dans ce cas, c’est que la nuance est extrêmement subtile. Je pense que nous sommes là à la frontière entre différenciation et justification.

La rééducation serait donc à la psychothérapie ce qu’un plat allégé est à un bon cassoulet ; un pâle ersatz qui n’ose pas dire son nom ?

Le problème d’identité professionnelle du rééducateur résulte en partie de cette définition peu claire. Il faut ajouter à cela que le contenu du stage amène progressivement à un rejet plus ou moins conscient de l’image de l’enseignant. En choisissant de partir en stage la démarche était déjà amorcée. Souvent usé par des années de pédagogie, confronté à des conditions de travail de plus en plus dures, investi de responsabilités multiples, noyé dans des textes officiels déconnectés de la réalité, le stagiaire n’a aucun état d’âme pour se forger une nouvelle identité professionnelle. Durant le stage la pédagogie et l’ " objet scolaire " sont exclus voire diabolisés. De plus, la rééducation est une technique qui ne se définit que par la négative, elle n’est surtout pas la pédagogie, elle n’est pas vraiment la thérapie, quand il ne reste plus rien… C’est la rééducation.

Ce manque de clarté, cette ambiguïté sur un rôle mal défini sont une porte ouverte à tous les délires verbaux et verbeux. Sur le terrain, tous les atouts sont dans les mains du rééducateur qui est seul juge de ses actes et de ses décisions. Tout cela suscite logiquement de l’inquiétude, des interrogations, de la méfiance, de l’hostilité et ne favorise pas une identité professionnelle claire.

Après une année de stage et les pressions en vue de l’examen, qu’en est-il de cet instit du mois de septembre ? Que de chemin parcouru !

La tête remplie de concepts mais sans formation professionnelle réelle, le maître G nouvellement promu s’apprête dès la rentrée suivante à faire " le bien " dans les campagnes en chassant les " vilaines " problématiques qui hantent l’esprit de nos chers petits en difficulté. Certains stagiaires ont échoué à l’examen, parmi ceux-ci, le seul d’entre nous qui ait réussi à garder sa liberté de parole jusqu’au bout. Son échec a confirmé à mes yeux le caractère sectaire de cette formation. Celui-ci a définitivement compromis ses chances lorsque lors d’un compte rendu de stage pratique, une formatrice réprimanda sèchement deux " apprenties " rééducatrices qui avaient osé ( ?) sortir quatre enfants d’une classe pour un travail de prévention. En agissant ainsi, ces deux inconscientes avaient donc selon elle fait courir aux enfants un réel danger psychologique !!? Cette formatrice qui n’avait probablement jamais vu d’enfants autrement qu’en photo et qui nous avoua sa répulsion à les toucher (beurk!) devint blême lorsque le collègue excédé s’exclama (je me souviens exactement des termes employés) : " Vous ne pouvez pas leur foutre un peu la paix à ces gamins et les laisser vivre tranquillement ". Un long silence suivit cet incident. Je m’en veux encore aujourd’hui de ne pas avoir eu le courage de soutenir ce collègue qui rata son examen dès les premières épreuves.

Durant ce stage beaucoup de gens ont craqué nerveusement, fragilisés et déstabilisés par l’image qu’on leur renvoyait d’eux-mêmes.

Fraîchement émoulu, le maître G se met à analyser à tours de bras, c’est plus fort que lui, il s’inquiète du moindre détail, découvre des problèmes psychologiques dans sa propre famille. Traquant tout symptôme éventuel, une constipation passagère devient immédiatement une problématique freudienne. Je me remémore les dernières " reprises de rééducation " à l’occasion desquelles les stagiaires présentaient leurs analyses et leurs projets ; le directeur de stage y était attendu fébrilement comme un gourou par ses fidèles ; lorsqu’enfin il arrivait, c’était dans un silence religieux face à des yeux brillant d’un mélange de crainte et d’admiration.

C’est sûr, comme on nous l’avait prédit début septembre, nous avons bel et bien brûlé nos blouses grises. Durant cette année de formation, la parole n’a jamais été libérée, nous avons pratiqué l’autocensure, complexés que nous étions, face à tant de savoir et de culture. En écoutant certains formateurs experts en dialectique, j’ai pu mesurer à quel point celui qui " possède " les mots tient le pouvoir. En fin d’année l’ambiance était devenue irrespirable malgré les quelques bouffées d’oxygène apportées par les conceptions plus naturalistes d’un professeur de philosophie. Pourtant, la balance était globalement positive, l’enrichissement personnel apporté par le stage ne faisait aucun doute.

 

Le jour de la rentrée, je suis dans mon école de rattachement, quand la sonnerie retentit, je me retrouve bien seul. Le directeur de l’école élémentaire à qui j’explique tant bien que mal mon rôle, se dit convaincu par l’utilité de ma fonction (il faut dire qu’il est très sympathique !), mais il est désolé de ne pouvoir me libérer une salle digne de ce nom. Je me rends rapidement compte que je ne suis pas attendu comme un sauveur et que si je veux me faire accepter je dois dans un premier temps créer de toute pièce mon activité professionnelle. Il faut que je m’impose à travers un fonctionnement crédible alors, rapidement j’interviens dans les écoles maternelles. Bientôt les premiers signalements arrivent, les rendez-vous avec les enseignants et les parents s’enchaînent. Je rencontre les premiers enfants à la recherche de pistes pour d’hypothétiques problématiques, Je m’accroche à ma spécificité mais les choses ne m’apparaissent pas évidentes, je suis souvent envahi par le doute. Les prises en charge commencent, des situations complexes se dénouent, des relations fortes s’établissent avec les enfants qui évoluent favorablement en séance ce qui est d’ailleurs le fruit de toute relation saine.

Alors en fonction des jours, des individus et de l’humeur de chacun, je revois:
-Le sourire de la maîtresse " sympa " qui dit avoir remarqué un léger changement, sauf en lecture bien sûr.
-La " tronche " d’une autre qui me demande à quoi sert exactement ce que je fais et s’il est vraiment nécessaire de continuer l’aide.
-L’institutrice qui m’invite à repasser une autre fois car il y a un léger changement dans l’emploi du temps.
-Cette enseignante intriguée et curieuse qui voudrait bien savoir ce qui se passe en séance. Gène de ma part, puis petit sourire de celui qui a la science mais qui est marqué par le sceau du secret.

Si par moments j’ai la sensation d’aller dans la bonne direction, la plupart du temps je ne suis pas à l’aise, je doute de plus en plus et je sens confusément en moi une grande énergie que je ne peux pas libérer.

Dans le processus rééducatif souvent les situations se sclérosent, plus rien n’avance et malgré une évaluation interne favorable, les répercussions sont bien faibles au niveau de la classe. Je perds un peu confiance en moi, je me dévalorise. Je tente de me rassurer auprès de mes collègues qui ne sont guère plus enthousiastes que moi. Certains pourtant défendent bec et ongles une spécificité en tenant en public l’inverse du discours tenu en privé.

Alors, bien souvent, devant tant d’échecs, je suis tenté de prendre un livre de lecture ou tout autre objet " démoniaque ". Je réagis en père de famille responsable en me demandant quelle serait mon attitude en cas de difficulté scolaire chez l’un de mes enfants. Mais, c’est négliger la puissance du conditionnement et la culpabilité qu’il entraîne. Tout là haut, au dessus des nuages, le directeur de stage veille prêt à pointer son doigt réprobateur. L’envie de " tuer le père " se fait pourtant de plus en plus pressante, mais je n’ose pas encore franchir le pas.

Au fil des années, j’ai assisté à une nette augmentation du nombre des élèves en difficulté, les problèmes sociaux, culturels et familiaux sont devenus massifs. Alors, c’est l’inflation des signalements. Comment répondre à toutes ces situations dans un cadre professionnel qui s’appuie sur une technique n’autorisant que les prises en charge individuelles ? Dès le plus jeune âge, des enfants sont désorientés, déchirés. Faut-il envisager de nommer un maître G par école ? voire dans certains cas par classe ? Que penser dans ces conditions de la rééducation, cette construction idéale où les maîtres et les parents sont les partenaires " désirants " de changement ? Certains d’entre eux ne répondent même pas aux lettres concernant leur enfant !

Dans le processus rééducatif la rencontre avec les parents est posée comme un préalable indispensable, faut-il alors quand cela n’est pas possible exclure l’enfant de toute aide ?

Pourquoi tant d’enfants fragilisés au CP et au CE1 ? Beaucoup de questions me viennent à l’esprit et accentuent mes doutes.

Le processus rééducatif demande beaucoup d’énergie et de temps pour un nombre de prises en charge extrêmement restreint. Si l’on veut respecter scrupuleusement les critères d’indication, très peu d’enfants sont concernés par l’éventualité d’une aide. D’autre part, lorsque l’aide est décidée, le processus est si précis que beaucoup de prises en charge ne voient jamais le jour. La rééducation qui s’appuie sur une conception duelle de l’aide a été théorisée à une époque où les besoins étaient sans doute moins criants. Bien que discutée en réunion de réseau, la perspective de cette aide ne dépend en réalité que d’une seule personne, elle est laissée à l’appréciation du rééducateur qui s’appuie sur sa sensibilité, son professionnalisme, son ressenti, il se trouve en fait dans une situation de toute puissance dans laquelle la dialectique prend une place prépondérante. Même dans le cas d’une évolution positive de l’aide, les retombées sur l’efficience scolaire sont rarement constatées, elles ont d’ailleurs été évaluées à plusieurs reprises et il faut bien reconnaître en dehors de tout parti pris ou corporatisme que les conclusions de ces rapports ne font aucun doute. Alors qu’on sait qu’une thérapie suivie par un adulte " demandeur " peut durer plusieurs années, à quels résultats peut-on vraiment s’attendre avec un enfant en l’espace d’une quinzaine de séances. Si par bonheur l’enfant redevient désirant, que de travail pour le remettre à niveau !

Pourtant, certains succès sont spectaculaires, des situations se débloquent de façon radicale, le plus souvent au début du processus ré éducatif, lors de la rencontre des différents partenaires de l’aide. J’ai vu des mutismes scolaires et des agitations disparaître spontanément, une énurésie définitivement guérie, des motivations scolaires restaurées. Hormis ces effets cathartiques, il y a heureusement des rééducations abouties, mais je pense que la plupart du temps elles s’expliquent par un gros investissement relationnel ou une identification idéale et ce dans un cadre privilégié.

Toutefois dans un système qui produit beaucoup d’échecs, ces réussites quoique réelles restent marginales. La question qui se pose est celle du nombre très important d’élèves en difficulté au CP et au CE1.

Si beaucoup de signalements laissent clairement apparaître des demandes d’aide strictement pédagogique, beaucoup d’entre elles sont rédigées de façon à mettre " la puce à l’oreille " du maître G. Les enfants de cette tranche d’âge constituent-ils une population à risque ? Les pressions psychologiques exercées par le milieu familial génèrent-elles une anxiété latente ?

Dans les signalements rédigés par les enseignants certaines expressions reviennent souvent : " Pas concentré ", " pas motivé ", " pas envie ", " se désintéresse ", " a baissé les bras ". Si ces signalements se veulent une description la plus objective possible d’une situation, ils sont également la première interprétation d’un problème réel.

Depuis quelques années on note une explosion du nombre d’émissions télévisées touchant à la psychologie. Dans cette société du " tout psy " on assiste donc depuis un certain temps à un changement dans les termes employés. Par exemple un élève qui jusqu’alors était signalé pour sa paresse ou son désintérêt, peut devenir un élève " qui ne s’autorise pas à apprendre " ( si ce problème effectivement existe, il constitue en fait un cas fort rare, contrairement à son inverse, c’est à dire un enfant que l’on n’autorise pas à apprendre. Je reviendrai sur ce problème dans un autre paragraphe). Un élève distrait devient un élève préoccupé ou perturbé par des pensées inhibitrices. Dans certains cas, la difficulté de l’enfant est directement reliée à un évènement familial, une rivalité dans la fratrie, une naissance récente, une mésentente parentale. Ces analyses qui peuvent évidemment être pertinentes ne peuvent pourtant pas être annoncées d’emblée.

Tous ces signalements sont des projections transférentielles à travers lesquelles l’enseignant active ses " moyens de défense ". Le risque pour le rééducateur c’est d’entrer en résonance avec l’interprétation qui lui est faite et d’ainsi centrer le problème de l’échec sur l’enfant lui-même. Et si dans beaucoup de cas nous nous trompions dans l’illusion du " bien faire " réparateur ? Si aveuglés par des pensées définitives nous refusions dans certains cas de voir la réalité en face ?

 

 

Dans cette seconde partie, j’expose quatre cas d’élèves signalés en difficulté pour lesquels une décision d’aide rééducative a été jugée la plus appropriée. Les prénoms des enfants sont volontairement fantaisistes, les noms des enseignants et des écoles ne sont jamais mentionnés. Ces exemples se veulent l’illustration de la diversité et de la complexité des causes à l’origine de l’échec scolaire. Tout en tenant bien entendu compte de certains cas de souffrances psychologiques réelles, j’attire l’attention sur les risques d’une interprétation erronée ou trop hâtive. Après une mise en garde contre le psychologisme triomphant et le déterminisme social compatissant je terminerai dans une toute dernière partie par un plaidoyer pour la méthode de lecture syllabique qui est à mon avis la plus pertinente, la plus structurante mais aussi et surtout la plus adaptée aux enfants d’aujourd’hui.

 

Le cas de Pierre L’autorisation du père et la rupture du tabou.

 

Pierre élève de CE1 est signalé pour la deuxième année consécutive, celui-ci avait été aidé sans succès au cours préparatoire dans un groupe conduit par la maîtresse E. Un redoublement avait été proposé à la famille, celle-ci ayant refusé, Pierre se présente eu CE1 avec un niveau de lecture quasiment nul. Je me charge de mener les investigations habituelles. Cet élève me semble d’intelligence normale, une prise en charge par le maître G s’impose. Je prends rendez-vous avec les parents.

Les parents se présentent, la mère est effacée, le père est un costaud tatoué, il semble agressif, il est en conflit avec la maîtresse de son fils et laisse à cette occasion éclater toute sa misogynie. Il semble d’autre part avoir des comptes à régler avec l’institution scolaire qui a dû le faire beaucoup souffrir (à moins que ce ne soit le contraire).

Je perçois dans le regard de Pierre que son père représente pour lui un modèle identificatoire fort. Alors, après un long palabre j’arrive progressivement à convaincre ce père de la nécessité pour son fils d’apprendre à lire (cela ne lui semblait pas évident au départ). A la fin de cet entretien, je sens que le papa est prêt à m’accorder sa confiance, qu’il est décidé à accepter un transfert provisoire de pouvoir et à partager pour un temps son rôle de modèle identificatoire. Je pose ma main sur la tête de Pierre pour symboliser cette passation temporaire.

En séance Pierre me confie qu’il n’aime pas la lecture, qu’il trouve ça " chiant ", mais, cela est dit d’une façon telle que j’interprète ses propos tout à fait à l’inverse.

En fait, pris dans l’étau de la permission du père et en voulant conforter celui-ci dans la haine éprouvée pour la maîtresse, Pierre est mal à l’aise, il se sent en état d’infériorité par rapport à ses camarades qui se moquent de lui. (Ceci est mon interprétation, elle aurait pu être tout autre, elle n’a de valeur que dans la limite d’une recherche de sens).

Je décide à ce moment qu’il " faut y aller ", je vais forcer la porte et faire entrer l’ " objet scolaire " dans l’espace rééducatif. Face à ma détermination, Pierre mime une opposition de façade, puis il manifeste timidement son envie d’apprendre (il en a effectivement très envie).

Maintenant la décision est prise, ni lui ni moi ne pouvons reculer. Par cet acte insensé, je risque probablement d’être dénoncé, voire menacé ! Dans ce cas réel de rééducation, je vais m’attaquer directement au symptôme ! Des phénomènes de déplacement vont sûrement se produire, Pierre va faire pipi au lit, devenir bègue ou faire d’horribles cauchemars ! La prise de risque semble énorme, je suis en train de rompre un tabou.

Tout la haut dans les nuages j’entends la voix menaçante du directeur de stage pointant du doigt cette petite école de campagne.

Pourtant, le projet est on ne peut plus clair, il consiste tout simplement à apprendre à lire. Lorsque je dis tout simplement, j’exagère à peine car Pierre apprend à lire en deux mois et demi à raison de deux puis d’une séance hebdomadaire. N’ayant aucune expérience en la matière, le support de lecture est une méthode synthétique-sensorielle que j’ai trouvée par hasard dans le rayon pédagogie d’une grande surface (Nous verrons par la suite que le détail prendra toute son importance).

Les progrès sont fulgurants, de toute évidence, Pierre avait stocké de nombreuses informations au niveau de son subconscient en attente d’une " autorisation " à apprendre. Peu à peu, il réinvestit au niveau de la classe. Je suis stupéfait par la facilité avec laquelle cet enfant a appris à lire.

Un " pur " de la rééducation à qui je fais part de cette expérience objecte que si Pierre à réussi à apprendre à lire en séance, c’est qu’il s’agit probablement d’une erreur d’indication. Il trouve ma démarche mal venue voire hérétique, pour lui, ce ne peut pas être un cas de ré éducation.

Nous sommes avec la rééducation dans le domaine des sciences humaines où il faut bien reconnaître on peut souvent prouver tout et son contraire, il suffit pour cela d’avoir les mots pour le faire. Dans une spécialité où règne un flou évident, la " non-vérification " d’un critère n’entraîne pas en ce domaine l’annulation du constat de départ. La complexité humaine ne peut ni se résumer ni se programmer dans un concept quel qu’il soit. Pour les collègues qui s’accrochent à une position théorique déjà bien fragile, n’oublions pas que même les sciences dites exactes répondent à la loi du paradigme qui veut qu’une affirmation, une technique, une théorie ou une conception ne soit considérée comme valable et universelle que jusqu’au moment où elle est mise à défaut (ne serait-ce qu’une fois). Dans une profession qui revendique être un espace de parole libérée et d’ouverture d’esprit, on en détermine rapidement les limites balisées par les " ismes " de toute sensibilité. L’aveuglement théorique confère parfois à la bêtise et à la négation de l’intelligence. Pourquoi ne pas vouloir ouvrir une porte quand c’est le principal acteur qui indique le chemin ? Il faut savoir user de bon sens et de pragmatisme quand ceux-ci peuvent être mis au service de l’enfant en difficulté. Le manque d’ouverture d’esprit et de réalisme peuvent déboucher sur une réelle cruauté.

Bien sûr, au cours de sa scolarité Pierre aurait certainement appris à lire, mais si tardivement et si incomplètement que l’échec scolaire aurait été inévitable. Je tiens à préciser que Pierre suit actuellement un cursus scolaire normal.

Dans cet exemple, les apports théoriques issus de ma formation m’ont permis de mettre un sens sur ce refus d’entrer dans la culture. Quant au processus rééducatif, (je l’appellerai quand même comme ça) il a été basé sur un échange d’énergie, une relation forte et une volonté inflexible. Aucun retour en arrière n’était permis.

Au cours de cette prise en charge, j’ai noté que dans cette classe, beaucoup d’enfants étaient en difficulté. J’ai découvert avec étonnement que lors de leur CP, les élèves avaient pourtant utilisé une méthode mixte classique. En fait, cette méthode n’avait de mixte que le nom car les élèves ont jonglé avec des étiquettes et joué aux devinettes jusqu’au mois de février avant de passer (bien tardivement) à une approche plus syllabique (très sommaire dans le cas présent).

Dans cette prise en charge ou pour la première fois j’ai fait entrer la pédagogie, j’ai pu exprimer mon envie de transmettre et me sentir enfin utile, comme libéré d’un carcan. Par ailleurs, j’ai été surpris qu’une telle progression de lecture soit utilisée et je me suis promis dès lors de m’intéresser de plus près à cet aspect du problème.

 

Le cas de Valérie

Evitons de confondre cause et conséquence.

 

Au début de l’année scolaire nous avons à analyser le signalement concernant Valérie une élève de CE1. La maîtresse affolée constate que cette élève n’a strictement aucune acquisition en lecture. Le signalement insiste sur le mutisme et la tristesse de cette petite ainsi que sur son isolement au sein de la classe. Ce cas relève de toute évidence d’une aide G.

Je rencontre les deux parents, affolés eux aussi, ils ne comprennent pas comment Valérie a pu passer dans la classe supérieure, ils demandent eux même sa réintégration au CP.

Les parents de Valérie décrivent leur fille comme active et gaie, mais, ils déplorent son blocage complet face au travail scolaire. Pour eux, l’école semble être le seul lieu où s’expriment ce mutisme et cette tristesse. Les parents sont de toute évidence aimants et attentionnés. Nous tentons ensemble de mettre du sens sur une telle situation. De plus en plus à l’aise, ils me confient que le CP a été catastrophique, pour eux la grande responsable de ce gâchis c’est la maîtresse du CP. Ne m’autorisant aucun jugement, je ne peux que compatir bien que je sois en partie d’accord avec eux. En effet, pour des raisons liées aux conditions de l’enseignement et à l’inexpérience, beaucoup d’enfants se retrouvent en difficulté au début du CE1.

Dans la deuxième partie de l’entretien Valérie nous rejoint, je propose de lui apprendre à lire dans une prise en charge individuelle. Devant le sourire attendri de ses parents, Valérie acquiesce d’un timide mouvement de tête, mais sans conviction réelle.

Après deux séances où j’essaie d’établir une relation grâce à différentes médiations, je l’invite à lire quelques mots. Les craintes de la maîtresse sont rapidement confirmées. Valérie se recroqueville, je n’arrive plus à croiser son regard. Elle ne montre aucune compétence en lecture, elle reconnaît tout juste quelques lettres, aucune syllabe ou mot global n’est identifié.

Comme cela a été décidé, nous entamons dès la troisième séance l’apprentissage de la lecture. D’abord les voyelles, puis les consonnes et bien sûr rapidement nous passons aux syllabes. Valérie s’exprime d’une voix faible mais elle coopère véritablement et semble surprise par la facilité dont elle fait preuve pour mémoriser et déchiffrer. En fin de séance, un moment est réservé pour l’expression personnelle (en général un dessin).

De semaine en semaine Valérie prend progressivement confiance en elle. La maîtresse constate également des progrès rapides et un changement dans le comportement. Valérie s’ouvre vers les autres. Les acquis " tiennent " lorsque Valérie peut enfin lire des mots variés, j’introduis alors des phases simples puis de courtes histoires en insistant sur le sens et la reformulation des informations traitées.

Au début du deuxième trimestre, après un entretien avec la maîtresse, je décide l’arrêt de la prise en charge. Valérie n’a d’ailleurs plus vraiment envie que l’aide continue, c’est là le " privilège " du rééducateur qui se sent rejeté quant l’aide a été efficace.

Valérie a maintenant un niveau de lecture tout à fait acceptable, la qualité de l’écrit laisse encore à désirer mais les mots sont correctement segmentés et les sons globalement respectés. Que d’efforts pour nous deux ! Vouloir condenser un apprentissage structuré est une activité intense et épuisante.

Depuis qu’elle sait lire, Valérie est transformée, elle prend la parole, elle a enfin des ami(e)s, elle joue pendant la récréation. Je reçois sa maman qui, stupéfaite du changement me remercie, émue jusqu’aux larmes.

Pourtant, cette prise en charge aurait pu se dérouler tout autrement, dans le pire des cas, un collègue aurait fait émerger une problématique d’une toute autre nature autour de cette petite (ce qui est toujours possible quand une personne va mal). Après une quinzaine de séances peu convaincantes, il aurait probablement conseillé aux parents un suivi extérieur voire une psychothérapie, laissant Valérie dans sa souffrance et… son illettrisme.

En effet, pour Valérie, la souffrance ressentie, le repli, la culpabilité inhibitrice étaient probablement la conséquence et non la cause de la difficulté scolaire. L’année du CP avait effectivement été catastrophique, la qualité de l’enseignement avait été médiocre et peu structurante, une fois de plus beaucoup d’élèves se sont retrouvés en difficulté. Perdue, déçue, ne comprenant pas ce que l’on attendait d’elle, Valérie s’est repliée sur elle-même, se contentant d’accomplir à la perfection les exercices d’écriture et de copie. Elle avait fini par penser que l’acquisition de la lecture était hors de sa portée et son attitude était le reflet de son sentiment de culpabilité.

Prenons garde que trop hâtivement l’interprétation psychologique d’une difficulté ne vienne masquer un problème ayant une solution beaucoup plus pragmatique.

Certains collègues m’ont reproché d’être sorti de mon rôle en apprenant à lire à un enfant. De quel rôle me parle-t-on ? Après cette prise en charge, Valérie n’a-t-elle pas retrouvé l’envie d’apprendre à travers l’estime qu’elle a d’elle-même ? Le contrat est rempli au-delà de toute espérance, cela est l’essentiel, pour le reste…

Si je ne m’étais pas autorisé à lui apprendre à lire, qui l’aurait fait à ma place ? La maîtresse E à l’emploi du temps déjà surchargé ? Ou bien, en médicalisant la difficulté, Valérie serait-elle allée grossir la liste d’attente d’une orthophoniste débordée ?

Bien sûr pour s’attaquer à ce genre de travail, il faut se retrousser les manches mais la rédaction d’un tel projet rééducatif (car c’en est un) tient en deux lignes. " Apprendre à lire à Valérie pour qu’elle retrouve l’estime d’elle même et le plaisir d’aller à l’école "

A ce propos, je pense qu’un projet rééducatif ou un bilan psychologique doivent être exprimés en termes clairs, Les notions, les idées et les concepts qui ne peuvent s’exprimer par des mots simples sont en fait très rares surtout au niveau où nous nous situons. La dimension ésotérique parfois apportée à ce genre de document permet à son auteur de se cacher face à ceux qui n’ont pas les clefs du code. Elle permet également de masquer une difficulté à mettre du sens sur une situation. Dans tous les cas c’est un manque de respect et de transparence face à des partenaires qui ne demandent qu’à comprendre.

La rédaction d’un projet rééducatif ne doit pas être un simple exercice de style mais l’amorce d’une action concrète si possible efficace.

 

 

Le cas de Paul Apprendre à lire entre une mère " dévoratrice " et un préjugé socioculturel.

 

Au mois de Mars, cinq enfants d’une classe de CP sont signalés, parmi eux le jeune Paul. Après examen de la feuille de signalement et une rencontre avec la maîtresse, la décision est prise pour une aide rééducative.

Paul est issu d’un milieu défavorisé, c’est un enfant émotif, il bégaie et rougit facilement. Il a de plus de grosses difficultés d’articulation, les mots sont écorchés, certaines syllabes sont omises. Lorsqu’il s’exprime, son langage n’est pas structuré, il semble ne pas attribuer aux mots une identité propre. Il s’exprime à l’aide de " blocs sonores " perçus globalement.

La présentation que la maîtresse me fait de Paul est très négative, à son avis celui-ci est à la limite de la déficience intellectuelle, c’est tout juste si elle ne s’excuse pas d’avoir fait un signalement pour un cas aussi lourd. D’un sourire complice, elle me dit que je comprendrai mieux le problème lorsque j’aurai rencontré la maman.

Je fixe un rendez-vous aux parents, la mère se présente seule un samedi matin. Cette dame d’abord assez fruste est venue à l’école en cyclomoteur. Avant tout travail en commun, elle veut s’assurer que je ne suis pas un psychologue. Dans sa logique, (c’est souvent le cas dans les campagnes) le mot psychologue fait peur et est associé à la déficience intellectuelle voir même à la folie. Je la rassure et l’entretien peut commencer.

Paul est son fils unique, elle le surprotège et s’angoisse pour son avenir. Cette maman est très nerveuse, cette surprotection est en fait un véritable étouffement. Elle dit faire beaucoup travailler son fils mais avec peu de succès, elle semble terrorisée à l’idée que celui-ci tombe dans la délinquance ( !?). Elle loue les vertus du travail et après un passage sur les fainéants de chômeurs et sur les étrangers qui prennent les emplois des français, elle me demande enfin ce que j’envisage pour son fils. Paul assiste figé à l’entretien, sa mère parle pour lui et quand il prend timidement la parole, c’est après avoir cherché une approbation dans le regard de celle-ci.

La seule aide envisageable par cette maman c’est bien entendu une aide purement pédagogique. Je m’engage à faire de mon mieux dans ce domaine mais, je tente de lui faire comprendre que cet apprentissage va principalement concerner son fils et moi-même et qu’elle doit dans un premier temps se tenir en retrait.

Les premières séances sont destinées à instaurer la confiance, Paul est mal à l’aise en relation duelle. Il culpabilise lorsqu’il dessine ou joue alors que ses camarades " font du travail " . Paul est méfiant, il reste dans son rôle et bien que nous ne soyons que deux dans cette salle, la présence d’une tierce personne pèse lourdement. Je pousse Paul à s’exprimer en tentant de percer la carapace dans laquelle il étouffe. Sa confiance en moi grandit, il comprend que je ne suis pas le complice de sa mère, que je lui garantis le secret et qu’il peut profiter de cet espace-temps pour être lui-même.

Malgré une attitude toujours réservée, la confiance est bientôt suffisante pour pouvoir entamer un travail.

Après une brève évaluation, je constate un niveau en lecture quasiment nul, quelques mots " outils " sont connus globalement, Paul ne sait pas associer les phonèmes, il ignore le sens du mot syllabe. Dans cette classe la maîtresse pratique elle aussi une méthode comportant une très importante partie globale, la combinatoire a été abordée depuis peu (nous sommes en Mars !). Une fois de plus, je décide de reprendre l’apprentissage de la lecture à zéro. Paul rencontre des difficultés de mémorisation, malgré tout, il progresse régulièrement et fait preuve de beaucoup de volonté. Pour m’assurer qu’il est bien " dans le lire " et pas dans " un dire " dénué de sens, je m’appuie sur les images mentales qu’il me renvoie, sur la reformulation des informations et sur des petits dessins qu’il griffonne.

Nous ne travaillons que dans un univers connu, les mots nouveaux et les phrases ne sont constitués que de syllabes déjà étudiées. Si cette méthode très structurante porte rapidement ses fruits, elle limite dans un premier temps la richesse et la variété des textes proposés.

Avec un petit sourire moqueur, la maîtresse me demande régulièrement des nouvelles de l’évolution du travail entamé. Elle dit ne pas avoir constaté de changement notable.

Pourtant, Paul commence à lire. Un jour la maîtresse ouvre le cahier qu’il utilise avec moi et ne peut s’empêcher d’ironiser sur son contenu, elle est particulièrement accrochée par une phrase : " La moto de papa va vite ". Ces quelques mots déclenchent son hilarité et cela me vexe profondément. Pourtant ! Que d’efforts pour en arriver là !

Paul peut lire cette phrase, il est capable de compter le nombre de syllabes qu’elle comporte, il peut en identifier les différents phonèmes, il peut l’écrire sans erreur en respectant la segmentation et surtout, il met du sens sur cette information simple. Tout cela constitue en fait une grande victoire.

Bien sûr, nous ne sommes pas dans la belle littérature, mais, je suis persuadé qu’à ce moment de l’année, il n’y a pas plus de la moitié des enfants de cette classe capables de lire cette phrase sans difficulté.

Il y a en effet dans ce CP de nombreux enfants en échec. Il y a les échecs avérés et ceux masqués par le développement d’une mémoire compensatrice. Il y a également les échecs relativisés par l’aide des parents qui s’appuient sur la " bonne vieille " méthode de lecture de leur enfance.

Alors, faut-il donner plus d’importance à la forme qu’au fond ? Privilégier l’art et la manière au détriment de l’efficacité réelle ?

La mère de Paul connaît les jours de prise en charge, elle m’attend souvent à la sortie, je suis parfois obligé de quitter l’école par une porte dérobée. Cette maman a besoin d’être rassurée, elle a surtout peur que son fils lui échappe. Quand je ne peux l’éviter, je la rassure et lui demande de le laisser " respirer ", elle me promet de faire des efforts mais en réalité, je la sens imperméable à toute forme de raisonnement.

Avec le temps, cette prise en charge, qui est en fait devenue mon combat, évolue au-delà de toutes mes espérances.

En associant les syllabes, en analysant les mots, en décomposant les phrases, les capacités phonologiques de Paul se sont développées de façon spectaculaire, il écorche de moins en moins les mots, il établit un rapport entre la langue parlée et sa transcription écrite. Son anxiété diminue. Si certains jours, son bégaiement est toujours présent, il s’évapore dès qu’il est en réussite. Il prend confiance en lui. S’il ne peut pas vraiment se détacher de l’emprise de sa mère, il prend conscience de la situation et il nous arrive même d’en plaisanter ensemble.

En lecture, le déchiffrage reste lent mais cela ne nuit pas à la prise de sens. Paul peut maintenant lire de petits textes " dans sa tête ". Oralement, le débit haché devient plus fluide. La reconnaissance rapide de listes de mots connus facilite cette transition.

La maîtresse n’ironise plus, j’ai l’impression qu’elle me fuit. En fin d’année scolaire, PAUL SAIT LIRE, il est et il restera probablement un élève très moyen, oui mais… un élève lecteur.

Pris dans l’étau d’une mère dévorante et d’un préjugé socioculturel, Paul a malgré tout appris à lire au prix il est vrai de gros efforts, j’ai parfois été dur avec lui, plusieurs fois il a été au bord des larmes. Cet élève portait une " étiquette " qui aurait pu faire passer son échec pour une fatalité. Pourtant, il n’avait nullement besoin de compassion malgré ce " handicap " de départ. Lui qui était incapable de reconnaître globalement plus de quatre mots, a pu en apprenant à lire avec une méthode adaptée, rééduquer son langage et se forger une personnalité plus autonome. La méthode utilisée par cette institutrice qui s’appuie sur un long départ global, donne des résultats très médiocres, elle est de toute façon totalement inadaptée aux enfants les plus fragiles.

 

 

Le cas d’Antoine

De l’aide rééducative au soutien psychologique.

 

Le jeune Antoine est signalé au début du CE1 pour de gros problèmes de comportement. Il refuse de travailler, se déplace sans arrêt, le peu de travail qu’il produit est bâclé, de plus, il s’est livré à plusieurs exhibitions sexuelles au sein de la classe. La maîtresse est débordée car la vie du groupe est totalement bouleversée. Elle présente Antoine comme un enfant intelligent qui peut être performant dans ses rares moments de quiétude. Malgré un niveau scolaire assez faible, elle considère qu’Antoine n’a pas de difficultés particulières en lecture. Il a un petit frère scolarisé à l’école maternelle qui est également signalé pour des problèmes de comportement.

Je rencontre la maman, c’est une très jeune femme qui a multiplié les scandales auprès des enseignantes, elle est séparée du père des enfants et décrit la vie familiale comme un véritable enfer. Cette femme semble avoir une forte tendance dépressive et paraît très instable psychologiquement. Lorsque le père a quitté le foyer familial, les deux garçons ont assisté à des scènes très violentes entre leurs parents. Depuis ce départ, la maman a eu plusieurs compagnons, le dernier en date a été physiquement expulsé de la maison avec l’aide active d’Antoine.

Antoine est un enfant en grande souffrance, je le sens mal dans sa peau, il masque son angoisse en faisant le " dur ". Malgré sa petite taille, il méprise ses camarades en les traitant de " gamins ".

Pendant les premières séances, Antoine est sur la défensive, il me défie dans une relation de rivalité en prenant soin de ne pas exposer ses faiblesses.

Au début de la prise en charge, je lui propose de lire un petit texte, il refuse catégoriquement le texte proposé, il en sélectionne un dans son livre de lecture et le " débite " sans hésitation. Les quelques erreurs de vocabulaire qui ne remettent pas en cause le sens global du texte me mettent rapidement la puce à l’oreille. Antoine est incapable d’isoler un mot, de plus, le passage à l’écrit est tout à fait catastrophique. Visiblement cet élève ne sait pas lire, lui est persuadé du contraire et s’enferme dans une attitude toute puissante. Je propose de lui apporter une aide, mais il veut en rester là et écarte tous les documents d’un revers de la main.

Pour lui, la relation de maître à élève est insupportable car elle le met en position de faiblesse, elle attaque frontalement les moyens de défense qu’il s’est forgé. Il me semble alors qu’il y a un tel décalage entre ses aspirations profondes et le personnage qu’il s’est construit que le sentiment de malaise ressenti doit être intense.

Antoine me teste, son langage est ordurier mais, face à mon absence de jugement et confronté à mon " répertoire personnel " il est déstabilisé, peu à peu, son attitude évolue en séance.

Antoine se laisse de plus en plus aller, le défi laisse progressivement place à la complicité et bientôt je me trouve enfin face à un enfant de huit ans.

Rassuré par la garantie du secret que je lui offre, son choix se dirige vers la pâte à modeler, nous fabriquons des personnages avec lesquels nous montons de petits scénarios. Dans un premier temps, il détruit rageusement les figurines lorsqu’il se trouve en danger. Il détruit pour annuler l’angoisse de l’aléa et se réfugie dans sa " toute puissance ". En séance il me parle de plus en plus de ses problèmes personnels " qui lui font mal à la tête " mais pendant le jeu son visage prend les expressions d’un enfant de son âge.

Chaque semaine, je suis attendu avec impatience, les quelques minutes de retard éventuelles me sont durement reprochées. Le jeu reprend là où il s’est arrêté la semaine précédente, ce qui donne sens à l’expression : " l’aide rééducative est un espace-temps entre parenthèses".

Malheureusement, les évènements traumatisants continuent dans la vie d’Antoine et son comportement fluctue en fonction de ceux-ci. Je ne peux pas asseoir l’aide que je tente de lui apporter sur une perspective d’apaisement durable.

En classe le comportement évolue positivement puis se dégrade lorsque les problèmes familiaux ressurgissent. Après l’incendie partiel de son domicile, Antoine déménage, c’est la fin de l’aide.

Antoine a pu pendant cette prise en charge retrouver un peu de sérénité, déverser son trop plein d’angoisse et soulager sa grande souffrance psychologique. Dans une vie sans repère marquée par l’incertitude du lendemain il a trouvé un point d’ancrage pour enfin avoir la possibilité de faire émerger sa nature et sa personnalité d’enfant de huit ans. Cette aide n’a jamais été une aide rééducative au sens où elle est définie théoriquement, les partenaires familiaux n’étaient ni stables ni suffisamment impliqués dans le processus.

Cette aide que l’on peut qualifier de soutien psychologique a eu pour seule action de soulager une grande souffrance.

 

  Pierre était écartelé entre son envie d’apprendre et un problème de loyauté à l’égard de son père. Lorsque cet obstacle fut dépassé, il restait un travail énorme, d’autant que cette classe n’offrait pas les meilleures conditions d’apprentissage de la lecture aux enfants les plus faibles.

 

Le cas de Valérie est plus représentatif du danger que peut induire une interprétation inspirée par un psychologisme réducteur. En ne pouvant ou en refusant (consciemment ou non) d’identifier ce type de problème, le rééducateur peut se faire le complice d’un système scolaire inefficient. Il prend le risque d’enfermer définitivement un enfant dans l’échec scolaire et ce, dès le cours préparatoire.

En cumulant tout les " handicaps ", l’échec de Paul aurait pu passer pour une fatalité. Pour accéder à la lecture Paul a dû sans aucun doute travailler beaucoup plus que les autres. En apprenant à lire avec une méthode syllabique " pure ", il a en plus rééduqué son langage de façon spectaculaire et ce… malgré une mère étouffante.

Quant au soutien psychologique apporté à Antoine, il a permis pour un temps de soulager sa grande souffrance sans malheureusement aucune perspective à long terme.

Entre le psychologisme réducteur et le sociologisme compatissant, le rééducateur a une véritable responsabilité. Avant d’entamer toute action d’aide spécialisée, il doit pouvoir et surtout oser faire la part des choses entre la description orientée d’une situation et les problèmes liés à l’apprentissage. Comme je l’ai exposé dans trois des quatre exemples précédents, je suis convaincu que la pédagogie peut trouver sa place dans l’aide rééducative, elle peut même en être le moteur voire la raison d’être.

L’échec scolaire est trop cruel pour que le maître G se réfugie soit par ignorance soit par dogmatisme stupide dans une attitude faussement humaniste.

 

  Il y a comme nous le constatons tous les ans de nombreux échecs au CP et au CE1, il y en a d’ailleurs plus qu’on le croit car un certain nombre d’entre eux sont masqués, masqués comme nous avons pu le voir par l’enfant lui-même qui développe des "compensations", masqués également par l’institution qui systématise le passage du CP au CE1.

L’idée d’un apprentissage progressif de la lecture en deux années était sûrement excellente. Dans un système où la notion de cycle serait réelle et efficiente, le passage automatique d’une classe à l’autre serait pleinement justifié.

Malheureusement, dans les faits, tout cela se révèle inefficace car les méthodes, les objectifs et la progression à l’intérieur de ce cycle ne sont à mon avis pas suffisamment harmonisés. Les modalités et l’organisation pratique d’un tel système n’ont pas été expliquées de façon concrète, cela est d’autant plus dommageable que beaucoup d’enseignants étaient prêts à " jouer le jeu ". A part quelques rares exemples, le mot " cycle " ne recouvre aucune réalité sur le terrain.

Et pourtant, depuis de dix ans des fonctionnaires du ministère équipés d’œillères en acier inoxydable vantent les mérites d’un système qui dans les faits n’existe pas ! Ils s’appuient pour cela sur des enquêtes et des études " de commande " dont le caractère partial et pseudo scientifique font qu’elles ne peuvent être objectivement prises au sérieux par un observateur averti.

Cette répartition théorique de l’apprentissage de la lecture sur deux années a par contre des effets pervers, elle transforme la vie professionnelle de certains maîtres de CE1 en véritable enfer.

En effet, ceux-ci sont obligés de s’adapter à des classes hétérogènes, de " jongler " entre de nombreux groupes de niveaux, de délaisser les uns pour mieux aider les autres et de sacrifier le temps consacré au langage. Ces conditions de travail inacceptables les font douter de leur mission, elles les découragent prématurément dans une profession où il est de plus en plus dur de s’épanouir.

Dans les cas d’élèves en difficulté exposés précédemment, je me suis montré très critique à l’égard de certaines méthodes de lecture employées par quelques enseignants. Ces méthodes presque toujours dites " mixtes " s’appuient sur un départ global plus ou moins long avant de poursuivre dans un deuxième temps par la combinatoire.

Cette partie globale qui s’inspire de la méthode du même nom (qui elle n’est plus employée) prend parfois une place prépondérante dans l’apprentissage. A mon sens une telle dérive conduit aux mêmes défauts qu’un abord purement global. Ce type d’apprentissage qui jongle entre le global et le syllabique mal assimilé est encore plus déstabilisent si l’élève n’obtient pas les réponses aux questions qu’inévitablement il se pose et que, trop souvent, il enfouit.

Après une expérience relativement longue auprès des élèves en difficulté, je suis de plus en plus convaincu que l’utilisation d’une méthode syllabique " pure " diminuerait de façon spectaculaire le nombre d’élèves signalés en échec (y compris les signalements débouchant sur une aide rééducative).

Le CP doit devenir une classe " à part ", avec des enseignants véritablement formés ou expérimentés. L’effectif doit y être allégé pour permettre de laisser au langage la place qu’il mérite. Il faut également remettre en cause certaines pratiques de la grande section de maternelle.

En menant un projet sur la conscience phonologique avec des enfants de grande section, j’ai pu constater combien cette voie était délaissée ou peu approfondie au profit d’exercices sur table répétitifs.

Dans le CP, il me semble donc souhaitable que le maître utilise une méthode de lecture structurante et cohérente qui donne à chaque élève en fonction de ses moyens, de ses envies et de sa culture la possibilité d’apprendre à lire dans les meilleures conditions.

Je le répète, la méthode syllabique me paraît la plus appropriée pour répondre à cette ambition.

Depuis une trentaine d’années en préconisant des méthodes dites nouvelles, certains " spécialistes " qui semblent n’avoir comme force de conviction que la démagogie préconisent un apprentissage élitiste pour tous ( !?) dont on attend toujours les effets miraculeux.

Toute une génération d’enseignants est marquée par un inconscient collectif qui rejette la méthode syllabique et ce de façon totalement irrationnelle. Cette ambiguïté fait qu’il y a beaucoup de réticence à poser un œil objectif sur la réalité de la situation.

J’espère que dans les paragraphes suivants je pourrai apporter suffisamment d’arguments pour justifier mes affirmations et débarrasser la méthode syllabique des préjugés qui l’entourent.

Dans le grand " déballage " des idées nouvelles des années soixante et soixante dix, certains intellectuels se revendiquant novateurs ont proposé une nouvelle façon d’aborder l’apprentissage de la lecture. C’est à cette période qu’est apparue la fameuse méthode globale. En fait, cette méthode existait depuis longtemps mais son emploi se limitait à l’apprentissage de la lecture des enfants sourds. Cet apprentissage se faisait par imprégnation visuelle à l’aide d’images figuratives et symboliques.

Dans le grand bouleversement des idées de cette époque, certains pédagogues ont voulu faire de cette méthode destinée aux enfants handicapés une norme pour l’ensemble du système scolaire. En réalité, cela répondait plus à une volonté de changement radical qu’à une véritable nécessité pédagogique ( du passé faisons table rase ). Cette " révolution " de la pédagogie était en outre sous-tendue par un discours égalitariste des plus obscurs et inspiré par une conception idéaliste de la nature humaine.

Concrètement, cette méthode consiste à intégrer globalement les mots par reconnaissance morphologique. Lorsqu’un mot est identifié, il est associé intérieurement à son équivalent phonétique. Je vois le mot " papa ", je pense et j’entends le mot " papa " dans ma petite musique intérieure. Dans cette méthode la lecture à voix haute est vivement déconseillée, D’une certaine façon, la lecture devient le langage de l’œil.

Lorsqu’ils sont " photographiés " les mots sont mis dans le répertoire de la mémoire, morphologiquement et phonétiquement. Le pédagogue ne fait en aucune manière référence à un code quelconque, la lecture ne se fait que par la voie dite " directe " ou voie " d’adressage " ou encore voie " logographique ".

Pour progresser dans son apprentissage, l’élève doit d’une certaine façon deviner les mots en utilisant comme seule prise d’indices, le sens tiré du contexte. Les erreurs de vocabulaire sont d’ailleurs tolérées si elles ne nuisent pas au sens du texte.

En utilisant ses compétences personnelles, son vécu, son envie, sa culture, l’enfant doit échafauder son savoir, on parle également de voie transférentielle. Pour que cet échafaudage puisse se construire, il faut bien sûr que les textes proposés comportent une majorité de mots connus de façon à ce que la nouveauté puisse émerger du contexte.

Si un enfant est désirant, motivé, si son bagage culturel est riche et son niveau de langage développé, effectivement il progresse et il lit dans les limites de l’univers qu’il s’est construit. Il reste malgré tout dépendant de son répertoire personnel.

Mais, ne nous leurrons pas, toute méthode à des limites qui peuvent être contournées. L’enfant intelligent ou rusé découvre souvent de façon intuitive le code que l’on tente de lui cacher. Certains enfants n’apprennent-ils pas à lire pratiquement seuls avec comme unique support la connaissance des lettres de l’alphabet ? Mais, nous ne sommes pas là pour parler de ces cas exceptionnels qui sont loin de refléter la réalité de la population scolaire.

En fait, avec cette méthode, l’enfant est directement dépendant du maître qui doit proposer des textes adaptés. Cette méthode pensée pour libérer l’enfant d’un code arbitraire se révèle en réalité aliénante. L’enfant intelligent ne comprend pas ce qu’on attend de lui, il sent qu’on lui cache quelque chose qui ressemble a une clé, il se retrouve psychologiquement dans une situation de " non-dit " et peut perdre confiance dans les adultes.

Avec cette démarche pédagogique, les enfants qui éprouvent des difficultés mettent en place des stratégies de contournement en développant par exemple à l’extrême leur mémoire auditive. J’ai vu des élèves retenir des pages entières sans pouvoir en isoler le moindre mot.

Cet apprentissage qui nie la nature même de notre système de " lecture-écriture " est décourageant car il semble ne pas avoir de fin. " On apprend à lire toute sa vie " (Foucambert). Je pense que cette pédagogie est une insulte envers l’intelligence des jeunes à qui on refuse de confier un code en les maintenant en réalité dans une dépendance vaine et stupide.

Les élèves les plus faibles et les moins motivés se découragent, ceux qui ont un langage pauvre et qui pourraient profiter d’une méthode structurée pour progresser sont rapidement plongés dans l’échec. Les parents des milieux défavorisés sont dans l’illusion du lire de leurs enfants. Ceux qui faisaient traditionnellement confiance au système scolaire se sentent trompés et ne respectent plus l’institution. Dans les milieux favorisés on aide son enfant avec une méthode traditionnelle ou on se tourne vers l’enseignement privé.

Cette méthode qui en réalité ne permet pas d’accéder de façon autonome à des mots nouveaux est liberticide et outrageusement élitiste. Je ne m’ " étendrai " pas sur les effets concernant l’orthographe qui sont tout simplement catastrophiques.

Comme je l’ai précisé précédemment, cette méthode vivement déconseillée par le ministre de l’Éducation Nationale n’est heureusement plus employée comme telle. Elle n’est toutefois pas interdite et on retrouve d’ailleurs partiellement son principe de base dans certaines méthodes mixtes qui, si elles sont mal conduites peuvent se révéler aussi nocives.

En fait cet apprentissage global est apparu au moment où toute une génération de jeunes intellectuels a ressenti comme étouffante l’omniprésence des adultes dans la vie des enfants et des adolescents. En réaction, dans un désir d’indépendance, la pédagogie a été repensée de façon à ce que l’enfant puisse de façon autonome construire lui-même ses savoirs. En analysant, en découvrant, il doit devenir l’acteur de ses propres apprentissages.

Oui mais, la société n’est pas restée figée, en trente ans, elle a même énormément évolué , elle n’offre plus à certains enfants les repères suffisants pour qu’ils se forgent une personnalité saine et solide. Beaucoup de familles sont éclatées, les adultes manquent aussi par leur consistance morale et ne savent plus ou ne peuvent plus indiquer le chemin. Il est bien loin le " trop plein " d’adultes des années soixante.

Et c’est à ces enfants qui tentent tant bien que mal de construire leur personnalité que l’on va en plus demander d’être les artisans de leur savoir ?

Arrêtons de penser à leur place et de transférer sur eux les aspirations de nos enfances lointaines. Osons les regarder tels qu’ils sont, dans leurs plaisirs, dans leurs envies, dans leurs aspirations réelles dont ils nous envoient chaque jour des messages.

Dans la grande majorité des cas, ils attendent qu’un adulte les prenne par la main pour leur montrer le chemin. Ils veulent être encouragés, réprimandés quand ils le méritent, ils veulent exister à travers les exigences d’une personne qui les respecte et leur accorde un véritable intérêt. Ils veulent qu’on leur offre la sécurité affective et physique à laquelle ils ont droit. Ce ne sont pas des adultes en miniature, laissons les profiter de leur statut d’enfant. Pour beaucoup d’entre eux, mais surtout pour les plus fragiles, la construction des savoirs doit passer par un référent identificatoire et la pédagogie être de l’ordre de la transmission voire de l’initiation.

  Jusqu’au milieu des années soixante, la méthode de lecture la plus généralement utilisée était la méthode syllabique. Cette méthode qui " colle " à la nature même de notre système de " lecture-écriture " donnait malgré certaines imperfections des résultats tout à fait honorables. Parmi ces imperfections on peut noter que le début de l’apprentissage était uniquement axé sur le code et que la compréhension et le sens étaient dans un premier temps mis au second plan. L’enseignement était uniquement frontal, les textes proposés étaient pauvres, les lettres de l’alphabet n’étaient pas présentées dans leur version phonétique. Malgré tout, cette méthode qui s’articulait autour d’un va et vient permanent entre l’oral et l’écrit donnait à la grande majorité des enfants l’occasion d’apprendre à lire et à écrire tout à fait correctement.

Alors, on ne comprend pas très bien pourquoi cette méthode a pu être à ce point diabolisée par toute une génération.

En effet cette méthode qui s’appuie sur une progression logique et structurante a été caricaturée au point d’être réduite à une technique annonante que de pauvres écoliers tentaient de débiter de plus en plus vite pour enfin produire quelque chose qui puisse ressembler à un mot.

Ses détracteurs les plus virulents affirmaient même que, ne pouvant se détacher du code, les enfants ne pourraient jamais véritablement lire un texte, mais uniquement le dire comme on dit une messe en latin, c’est à dire sans la moindre notion de sens.

Si effectivement ce genre de symptôme existe il s’agit soit d’une alexie attentionnelle (affection neurologique fort rare) soit plus probablement de la manifestation d’un problème du à un décalage important entre une technique de déchiffrage efficiente et l’extrême faiblesse d’un niveau de langage.

Vouloir imputer cette difficulté à la méthode employée, c’est supposer qu’un abord global de la lecture serait plus performant en faisant émerger le sens tant désiré. Malheureusement les retards de langage se moquent des méthodes et lorsqu’au bout de six mois d’apprentissage un enfant n’a retenu que quatre mots globaux, on peut sincèrement douter que c’est en s’appuyant sur cette technique qu’il aurait pu devenir lecteur. Une fois de plus on confond la cause et la conséquence.

En réalité avec la méthode syllabique, une progression naturelle est respectée.

L’apprenti lecteur passe tout d’abord par la voie d’assemblage où il déchiffre les mots nouveaux pour les phonétiser. Après plusieurs rencontres, ces mots passent tout naturellement dans la voie d’adressage  où là ils sont reconnus et phonétisés instantanément. La dernière voie est la voie  orthographique  qui elle donne les indices pour construire le sens (pin - pain - peint).

L’apprentissage syllabique n’est évidemment pas un frein à la prise de sens par le contexte bien au contraire, elle est dans ce cas un indice parmi tant d’autres contrairement à un abord global où la prise de sens est l’unique indice envisageable. Ce détail est peut être à l’origine de l’idée reçue qui a duré pendant des années et qui fait que la méthode globale était considérée comme plus noble car se référant uniquement au sens. Ce détail est en fait extrêmement réducteur car il limite les portes d’entrée dans l’écrit. Lorsque le jeune lecteur rencontre des difficultés pour passer de la voie d’assemblage à la voie d’adressage, certaines techniques comme l’identification rapide de mots morphologiquement voisins permettent de favoriser cette transition.

Dans cette présentation, rien de bien choquant, au contraire, avec cette méthode les enfants progressent tous ensemble, ils développent une véritable autonomie en déchiffrant puis en lisant des mots jusque là inconnus. Ils peuvent même avoir accès au " dictionnaire des onomatopées " ce plaisir ne pourra malheureusement pas être partagé avec leurs petits camarades " victimes " de la méthode globale.

Il est vrai que si ce type d’apprentissage est bien mené, il est dans un premier temps contraignant et répétitif. Le code est effectivement arbitraire, ça tombe bien ! C’est sa nature, il faut l’accepter tel qu’il est. Il est vrai que cet apprentissage nécessite de longs moments de répétitions en commun, mais ceux-ci sont destinés à aider les plus faibles, l’apprentissage est le problème du groupe, tout le monde doit y participer, lécole doit aussi conduire à la solidarité.

-Oui il faut faire des efforts pour devenir performant, cette affirmation qui est une lapalissade pour tout musicien ou sportif sérieux ne semble pas aller de soi pour certains pédagogues.

-Oui les élèves doivent être fréquemment sollicités à l’oral.

-Oui la qualité et la variété du langage du maître doivent être exemplaires.

-Oui une classe surchargée ou un double niveau éventuel sont des handicaps dans ce type d’apprentissage.

-Oui cette méthode nécessite au minimum une heure d’enseignement frontal quotidien pendant laquelle la plus grande concentration doit être exigée.

Quant à la méthode globale qui fort heureusement n’est plus employée comme telle, son principe est uniquement utilisé dans les méthodes mixtes pour enrichir les textes étudiés. Malheureusement, cette partie globale, sous prétexte d’enrichissement peut troubler l’esprit des élèves quand syllabique et global se croisent en chemin.

J’ai assisté à une leçon au cours de laquelle la voyelle O a été présentée. Après quelques exercices de perception auditive et visuelle et alors que la notion semblait acquise par les enfants, la maîtresse passa sans transition à l’activité suivante. Elle écrivit quelques mots au tableau, ceux-ci constituaient en fait le titre d’une histoire connue des élèves. L’enseignante s’efforça alors de faire acquérir à son auditoire ces quelques mots de façon globale.

Ce titre était : " Bonjour monsieur cochon rose "

Dans cette phrase qui comporte six lettres O, deux seulement d’entres elles correspondaient à la présentation précédente. La maîtresse ne fit absolument pas allusion à cette ambiguïté. Je remarquai le regard interrogateur de certains enfants qui pourtant de ne s’exprimèrent pas. Après avoir fait remarquer ce " détail " à la maîtresse, elle prit évidemment immédiatement conscience du problème et m’avoua que celui-ci lui était passé totalement inaperçu d’autant qu’il n’avait bien sûr jamais été abordé à l’IUFM.

Au delà de ce cas particulier, la question qui se pose alors est : Qu’est-ce qu’une formation professionnelle ?

La vérité sur cette querelle de méthodes est tout simplement déplorable.

Depuis une trentaine d’années, les instigateurs de la méthode globale ont des postes clé au ministère de l’Éducation Nationale. Ils se sont même créé une spécialité sur mesure : " Les sciences de l’éducation ".

Pendant de longues années tout en donnant l’illusion de la liberté, on a essayé de culpabiliser ceux qui fort logiquement et fort intelligemment utilisaient la méthode syllabique. De bons enseignants, performants dans leurs résultats et soucieux de l’avenir des enfants qui étaient sous leur responsabilité ont été bien malgré eux entraînés dans la politisation et l’idéologisation des différentes approches d’entrée dans la lecture.

La méthode syllabique…
-qui est dispensée par un adulte qui détient un savoir
-qui est associée au passé et à la tradition
-qui aliènerait l’enfant par un code rigide
-qui demande des efforts
-qui demande des séances de répétitions rébarbatives
-qui se réfère à la transmission de maître à élève
-qui interdirait l’accès au sens, voire à l’intelligence !
-qui est un apprentissage plutôt d’une découverte
…ne peut être qu’une méthode de droite conservatrice et réactionnaire.

Avec la méthode globale, tout est léger presque aérien. On prend son temps. On n’apprend plus mais on découvre au gré de ses envies.

L’enfant est enfin libéré d’un code contraignant qui risquait de l’aliéner comme son père et son grand-père l’avaient été avant lui. A défaut de devenir véritablement lecteur, il devient l’artisan de son propre savoir. Cette méthode novatrice, progressiste où le maître devient un médiateur et où l’élève est enfin libéré de ses chaînes est bien entendu une méthode de gauche qui annonce un élève nouveau, voire un homme nouveau.

Evidemment, dans une logique dogmatique, un enfant qui ne peut pas apprendre avec une méthode qui a été pourtant pensée pour lui est soit déficient intellectuel, soit dyslexique, soit perturbé psychologiquement. Que tout le monde se rassure, les réseaux d’aides sont là, les orthophonistes également. Etrangement, en envoyant l’enfant chez un spécialiste, la méthode syllabique, utilisée intensément par ces professionnels, est tout à coup tolérée. La médicalisation de l’échec scolaire a donc pour effet de faire accepter dans un cabinet paramédical des pratiques qui seraient inconcevables en classe.

Effectivement, certains cabinets d’orthophonistes sont devenus des succursales de l’Éducation Nationale et débitent à la chaîne de la combinatoire à des enfants qui pourraient fort bien le faire en classe.

IL est déplorable de constater que les élèves qui ont véritablement besoin de cette aide ne peuvent y avoir accès faute de place. Dans son livre " Dyslexie une vraie fausse épidémie " Colette Ouzilou décrit bien ce problème.

En réalité, tout cela est bien triste , ces querelles idéologiques stupides où des adultes irresponsables se sont déchirés sur le dos des enfants ont en plus créé un inconscient collectif dans le corps enseignant. Combien de maîtresses ayant pourtant le cœur ancré politiquement bien à gauche se sont senties coupables d’énoncer que B et A faisaient BA de peur d’être taxées d’enseignantes réactionnaires. Combien se sont enfermés dans une attitude ambivalente en ne mettant pas en œuvre ce que leur intelligence leur dictait. Certains inspecteurs et conseillers pédagogiques ont fait preuve d’intolérance en sanctionnant des maîtres sérieux et efficaces et ce, sans tenir compte des résultats objectifs.

Ne pouvant plus ignorer les effets catastrophiques de la méthode globale, effets qui ne pouvaient plus être masqués par des rapports " bidons ", le ministre a, sans réellement l’interdire, vivement déconseillé cette méthode.

 

 

Il n’y a encore pas si longtemps, un élève en échec scolaire était considéré comme idiot ou fainéant, il portait cette étiquette (parfois au sens propre) durant toute sa scolarité voire toute sa vie.

Bénéficiant de la révolution des connaissances et des concepts dans le domaine des sciences humaines, les esprits évoluèrent progressivement.

Des enseignants humanistes s’intéressèrent de plus en plus à ces enfants à la marge du système scolaire. Ils tentèrent de les comprendre et proposèrent des solutions pédagogiques adaptées pour leur venir en aide. Après avoir dans un premier temps considéré l’échec scolaire comme la cause d’une réelle souffrance, certains psychologues furent bientôt convaincus que l’échec pouvait également en être l’expression. Ces deux conceptions furent validées et dans un souci humaniste évident, elles aboutirent à deux spécialités professionnelles où pédagogie et psychologie purent trouver leur place. Mais pour être véritablement efficiente, cette dualité de l’aide devait pouvoir s’inscrire dans un système scolaire idéal.

Depuis de nombreuses années, la qualité de l’enseignement s’est, pour de multiples raisons fortement dégradée. Parmi celles-ci, il y a l’emploi au cours préparatoire de méthodes de lecture inadaptées.

Alors, dans un tel contexte, quel sens donner à l’échec ? Comment " soigner " un élève si c’est l’institution qui est malade ?

Comment travailler en collaboration avec des enseignants qui après leur passage à l’IUFM sont lâchés dans la nature sans formation professionnelle réelle ?

La médiatisation de la psychologie dans la société actuelle fait que le pas est vite franchi pour transformer un élève victime de maltraitance pédagogique en élève victime d’un trouble psychologique. Les enseignants spécialisés mais plus particulièrement les rééducateurs doivent être conscients de ce problème sinon, ils risquent en fermant les yeux de se faire les complices d’un système inefficient. Ils risquent en tenant un discours apparemment humaniste de laisser glisser de nombreux élèves vers l’échec scolaire. Par une attitude compatissante envers les plus démunis, ils risquent également de renforcer l’inégalité des chances.

Les enseignants spécialisés ne doivent plus se contenter d’assurer le quotidien, en s’évertuant à apporter des solutions ponctuelles à des problèmes de plus en plus nombreux, ils se décourageront ou s’épuiseront face à cette Hydre de Lerne dont les têtes repoussent de plus en plus vite.

Les solutions de fond ne sont pas que dans la multiplication des aides individuelles, une véritable réflexion globale est possible, je suis persuadé que beaucoup d’enseignants y sont prêts, l’institution doit être mise face à ses responsabilités.

Les rééducateurs quant à eux ne doivent pas se figer dans un immobilisme théorique ou dogmatique. Tout en gardant leur particularité, ils peuvent devenir des partenaires actifs dans la lutte contre l’illettrisme, sinon, victimes de leur inefficacité ou de leur inutilité, leur spécificité professionnelle est appelée à disparaître.

Thierry Venot
Maître G
Château-Renard

10/2004