Travaux personnels (mal) encadrés
Je suis professeur de philosophie en lycée depuis dix ans, je m'occupe chaque année des TPE (travaux personnels encadrés) en classe terminale littéraire et, à l'heure où des milliers de lycéens défilent en faisant de la défense des TPE une priorité, il me semble urgent de rétablir quelques vérités élémentaires.Sait-on d'abord qu'à cause des TPE l'horaire de philosophie en section scientifique est passé de quatre heures par semaine à trois heures par semaine, et qu'ainsi les séries scientifiques du baccalauréat général (S) n'ont, depuis cette réforme, pas plus de philosophie que les séries sciences médico-sociales du baccalauréat technologique (SMS) ? Sait-on ensuite qu'à cause des TPE l'horaire de philosophie est, pendant un an, passé de huit heures par semaine à sept heures en section littéraire (L), avant d'être heureusement rétabli grâce à des protestations nourries ?Sait-on enfin que, lorsqu'il s'agit de faire soutenir les TPE, les examinateurs reçoivent les élèves avant d'avoir pu prendre connaissance de leur production et qu'ils ne disposent, après cet oral vraiment invraisemblable (puisqu'il s'agit d'interroger des élèves sur un travail que l'on ne connaît pas encore), que d'une vingtaine de minutes pour parcourir à la va-vite cette production ? L'appellation "travail personnel encadré" est totalement démagogique et malsaine : la dissertation ou le commentaire de texte, par exemple, ne sont-ils pas des exercices personnels et encadrés par des règles ? Quel jeu joue-t-on en tentant d'opposer les exercices classiques, supposés "impersonnels" parce que rigoureux et méthodiques, aux TPE proclamés "personnels", parce que sans exigence précise et sans méthode définie ? Les professeurs ne disposent d'aucun moyen efficace pour encadrer vraiment ces travaux et les soumettre à une réelle exigence. La seule "innovation" des TPE est d'avoir permis aux élèves de choisir le sujet qu'ils vont traiter et la forme que prendra leur production. Une telle liberté béante les laisse le plus souvent largement démunis et les pousse fréquemment à inventer des sujets et des supports totalement artificiels.Les séances de TPE se résument presque toujours à des séances de détente, certes conviviales et agréables, mais stériles. Il faut savoir aussi que les TPE sont une option, mais, ici encore, une option obligatoire (il fallait l'inventer !) : les élèves sont donc obligés d'assister aux séances de TPE, mais ils ne sont pas obligés de présenter un TPE au baccalauréat (...). Et cette option obligatoire a été affectée dès le départ, comme la première des options facultatives, d'un coefficient 2 pour la rendre plus attractive et persuader chacun de ses bienfaits. De telles ficelles pour imposer une réforme par la force sans vraiment l'avouer sont misérables. Emmanuel Lacoue-Labarthe