Entretien avec G. de Robien
La Croix du 4 octobre 2006
Q. Vous venez de demander à l'inspection générale de vérifier l'application des nouveaux programmes sur la lecture. Craignez-vous une résistance ? R. Vérifier la bonne application des réformes relève du travail normal de l'inspection générale. L'apprentissage de la lecture est vraiment au coeur de la réforme des programmes scolaires engagée avec la définition et la mise en place du socle commun. Savoir lire donne la clé qui ouvre à tous les autres apprentissages. C'est pour cette raison que je tenais à cette réforme et que je veille à ce qu'elle soit bien appliquée. Q. Des sanctions seront-elles prises contre les enseignants récalcitrants ? R. Pourquoi parler de sanctions ? L'enjeu est de mieux accompagner les professeurs qui ont pu avoir de mauvaises informations. Je rappelle que près de 70% des enseignants et l'immense majorité des parents approuvent cette réforme. Q. La dictée est-elle un outil d'apprentissage, de contrôle des élèves ? R. Les deux à la fois. C'est un formidable exercice de maîtrise de soi, de concentration. La dictée responsabilise l'élève et l'oblige à un effort de mémorisation. Faire des dictées n'est pas ringard. D'autant que l'exercice peut être pratiqué de façon ludique ou selon des formes originales comme l'autodictée. Q. Etes-vous favorable à une réforme de l'orthographe ? R. Ma mission de ministre de l'éducation est de veiller à l'apprentissage de l'orthographe, pas de la réformer. Notre langue représente un patrimoine indissociable de ce qu'est la France, notre culture. C'est en outre un extraordinaire outil d'intégration. Cela dit, il y a déjà eu dans le passé des entreprises de simplification. Quand on ouvre le Bled, on découvre que notre langue est d'une complexité inouïe, tant sont nombreuses les exceptions aux règles qui échappent à toute logique. La complexité décourage certains élèves qui rejettent en bloc l'orthographe et la grammaire. Des simplifications de bon sens seraient peut-être un jour les bienvenues, mais je m'en remets sur ce point aux spécialistes. Q. La grammaire est-elle aujourd'hui mal enseignée ? R. Non, car dire cela serait remettre en cause le travail des professeurs. Le problème vient d'une discipline enseignée sur la base de mauvais programmes, tellement complexes à force de subtilités que seuls les auteurs les comprennent. Ils sont incompréhensibles et la progression dans les apprentissages manque de rigueur et de logique. Pour corser le tout, certains manuels scolaires en rajoutent encore dans la complexité. J'ai donc demandé au professeur Bentolila de me remettre ses propositions le 15 novembre. Il ne s'agit pas d'effectuer un retour en arrière mais d'engager une réforme pragmatique, résolument moderne. Q. Partagez-vous l'analyse selon laquelle on a fait perdre aux élèves le sens de l'effort et du travail personnel ? R. Oui, Les élèves d'aujourd'hui ne sont pas différents de leurs aînés. Simplement, ils ne perçoivent plus l'intérêt, le mérite qu'ils auraient à tirer de leur travail. On leur redonnera l'envie de faire un effort en fixant enfin des objectifs précis aux différentes étapes de la scolarité. De même, les parents ont le droit de comprendre ce qu'on attend du travail de leurs enfants. C'est tout l'enjeu du socle commun. Son but n'est pas de réduire les ambitions de l'école mais au contraire de préciser ce qui doit être acquis par tous. Les programmes scolaires sont aujourd'hui peu cohérents. J'installerai officiellement à la Sorbonne ce mois-ci les groupes de travail qui ont déjà commencé à passer au crible les programmes scolaires au crible du socle commun. En janvier prochain, ce sera terminé. S'il faut alléger ici, simplifier ici, nous le ferons. Q. Les études internationales rappellent que la France est championne du monde du redoublement. R. En France, on redouble trop. Ce n'est bon ni pour les élèves ni pour une bonne utilisation de l'argent public. En lien avec le socle commun, la mise en place d'évaluations nouvelles en CE1 et en CM2 ainsi que les "parcours personnalisés de réussite éducative" devraient permettre de remédier à ce problème. Nous avons inscrit dans la loi le principe de la liberté pédagogique. Je lance aujourd'hui un appel aux équipes pédagogiques; essayez d'autres solutions pour accompagner les élèves. Je m'engage à ce que tous les moyens financiers qui seront économisés pour éviter le redoublement soient réinvestis dans des dispositifs d'aide et de soutien aux élèves en difficulté. Q. Pensez-vous possible d'enterrer la hache de guerre entre pédagogues et défenseurs de la culture scolaire classique ? R. Cette querelle idéologique n'a aucun sens. La mission de l'éducation nationale a de tout temps été de transmettre des savoirs et d'éveiller des élèves à l'autonomie. Apprendre à apprendre, disent fort justement les pédagogues. Les fables de La Fontaine autant que les nouvelles technologies ou l'expérimentation scientifique sont inscrites dans le socle commun. Voilà qui devrait rassurer les défenseurs de la culture scolaire. Si l'école a besoin de talents, elle peut faire l'économie des dogmes.