Les langues anciennes bougent encore


Journal du dimanche, 16/05/2004.

Les langues anciennes bougent encore

Denis Boulard

Latin et grec n'ont plus la cote. Pourtant, ces matières délaissées gardent des adeptes convaincus. Des associations lancent un appel pour les sauver

Ses parents ne l'ont pas poussé. Son grand frère, Thomas, l'a prévenu : " C'est dur, faut beaucoup apprendre. " Pourtant, Robin, 13 ans, regard vif et parole facile, a choisi de faire du latin. Mieux, il est même dans l'une des rares classes bilingues latin-grec de cinquième. Et il est ravi. " C'est super, on peut lire L'Iliade et L'Odyssée dans le texte ! " A 17 ans, Pauline partage cette passion pour les langues anciennes. Elle l'a payée au prix fort. Acceptée en terminale scientifique, cette brune aux grands yeux déterminés a affronté ses parents pour pouvoir redoubler sa première et faire des langues anciennes. Un bras de fer qui a laissé des cicatrices sur lesquelles elle ne s'attarde pas. Elle préfère parler de son rêve de devenir conservatrice de musée. Claire, Mathieu ou Aude, également au collège-lycée Claude-Monet (Paris), n'ont pas connu ces difficultés. Mais tous témoignent de l'incompréhension des autres. " On nous traite d'intellos parce qu'on fait du latin ", rapporte l'un. " Ils nous répètent que nous perdons notre temps, que ça ne nous servira à rien plus tard, en un mot, que c'est nul ", lâche l'autre. Officiellement, ils sont plus de 550.000 à faire vivre les langues (dites) mortes. Un chiffre en hausse ces dernières années, mais qui représente encore moins de 14 % des effectifs du second degré. Ce faible pourcentage pourrait encore diminuer dès sep tembre : dans un souci de " rationalisation des moyens ", le ministère de l'Education envisage de réduire les sections de latingrec.

Des parents qui ne comprennent pas toujours l'attrait du latin ou du grec pour leurs enfants. Mais l'enseignement a changé. Conjugaisons et déclinaisons ne sont plus apprises par coeur. Thèmes et versions passent parfois par des biais inattendus : après Astérix, Hany Potter est à son tour traduit en latin... et même bientôt en grec.

A la rentrée, certains rectorats, notamment ceux de Bordeaux, Limoges ou Versailles, devraient ainsi perdre de nombreuses classes. Et se retrouver dans la situation d'Annecy, en Haute-Savoie, où latin et grec ne sont plus enseignés qu'en centre-ville. Côté ministère, on se justifie " Il n'est pas question que ces langues anciennes deviennent matières mortes. Mais il y a un problème d'attractivité : élèves et parents privilégient - aujourd'hui les matières qui paient au bac. "

Hier, autour de l'incontournable académicienne Jacqueline de Romilly, de nombreuses associations se sont retrouvées pour pousser un cri d'alarme. Leur force? Une pétition qui a d'ores et déjà recueilli plus de 66.000 signatures*. Pour Marie-Hélène Menaut, présidente de la Coordination nationale des associations régionales des enseignants de langues anciennes (Cnarela), " il faut renouer le dialogue avec le ministre et surtout revaloriser la filière littéraire ".

Seules et maigres consolations : demain, François FilIon, le ministre de l'Education, rencontrera Jacqueline de Romilly. Et le 24 mai, les " avocats " du latin-grec rencontreront Roch-Olivier Maistre, le conseiller de Jacques Chirac pour l'éducation. Mais cette reprise du dialogue ne rassure pas totalement latinistes et hellénistes, qui redoutent la dernière recommandation du Haut Comité de suivi des concours.

Il y a trois semaines, cette instance consultative a proposé de supprimer les épreuves écrites de latin et de grec au Capes et à l'agrégation de lettres classiques. Pour les 10.634 professeurs de cette matière, c'est une " catastrophe ". " C'est notre culture qui est ici menacée. Aujourd'hui, les universités n'ont plus d'étudiants. Demain, nous n'aurons plus de recherche sur les textes anciens ou le patrimoine ", observe Marielle Paul, professeur en zone d'éducation prioritaire (Zep) à Bollène (Vaucluse). Françoise Gicquel, la proviseur de Claude-Monet, regrette, elle, " l'ambiance consumériste et utilitaire " de l'école actuelle. " Quelle formation propose-t-on ? Quelle société voulons-nous ? Ces questions ne s'adressent pas seulement à l'Education nationale, elles s'adressent aussi aux parents. "

Des parents qui ne comprennent pas toujours l'attrait du latin ou du grec pour leurs enfants. Mais l'enseignement a changé. Conjugaisons et déclinaisons ne sont plus apprises par coeur. Thèmes et versions passent parfois par des biais inattendus : après Astérix, Hany Potter est à son tour traduit en latin... et même bientôt en grec.

(*) http//ww.sauv.net/ latingrec2004.php