Itinéraires de destruction de l'École ou le retour de Cro-Magnon

Réforme des collèges (BO du 14 juin 2001
Note de synthèse pour la presse

 

Itinéraires de découvertes

La principale innovation au collège consiste, et elle est de taille, dans les "itinéraires de découvertes" qui concernent le cycle central : les classes de 5ème et de 4ème.

Ces itinéraires de découvertes sont censés permettre une approche interdisciplinaire et un travail autonome sur des projets, "renforcer" chaque discipline. "Au cours du cycle central, chaque élève choisira plusieurs itinéraires de découvertes dans un ensemble de quatre pôles (découverte de la nature et du corps humain, découverte des arts et des humanités, découverte des langues et des civilisations, initiation à la création et aux techniques). Chaque réalisation sera évaluée dans le cadre du brevet d'études complémentaires. " Chacun de ces parcours concernera deux matières au moins et sera dispensé à raison de deux par an, chacun sur onze à douze semaine (l’année scolaire durant en réalité trente –cinq semaines…). D'après ses promoteurs, ces itinéraires devraient permettre de lutter contre l'absence de motivation et constituer une voie d'approfondissement. Il est recommandé, pour la mise en oeuvre de ces ID d'organiser des emplois du temps "permettant de regrouper autrement les élèves et de les mobiliser de façon différenciée", c’est à dire que les classes sont éclatées et reconstituées en " groupes " (emploi du temps en " barrettes ", c’est à dire alignés, pour les classes concernées).

 

Les conséquences immédiates

-Une baisse évidente des horaires d’enseignement pour tous les élèves, d’où découlera une amputation effective des programmes nationaux : c'est ce qu'on ne dit pas aux parents qui sont bercés d’illusions depuis le début !
-Une disparition programmée du groupe-classe faisant perdre à de jeunes élèves des repères indispensables et structurants, qui aident à la socialisation et préviennent toute forme d'incivilité.
-L’utilisation systématique des horaires–plancher, qui supprimera, de fait, l’aide apportée aux élèves en difficulté : Moins de " français ", moins de " maths ", moins d' " histoire ", alors que depuis trente ans les horaires ne cessent de baisser.
-L’appauvrissement des contenus fondamentaux des programmes et l’éparpillement très préjudiciable des connaissances d’un élève à l’autre et d’un collège à l’autre : des disparités et des inégalités inacceptables découleront de cet enseignement en " libre-service ".
- L’enseignant, à terme, sera transformé en animateur polyvalent au détriment de la transmission des connaissances cohérente et progressive. Les professeurs ont vocation (et sont formés sérieusement) pour enseigner et éduquer, certes, mais pas pour animer. Ni le Capes ni l’agrégation ne constituent des brevets d’animateurs, même improvisés : on voit là le mépris où sont tenus les maîtres et surtout les élèves et le peu de cas qu’on fait , en réalité, du sérieux des " activités " proposées…
-Le discrédit est jeté définitivement sur le "cours " pas assez ludique et bon pour la casse, alors qu’il intègre depuis longtemps l’interdisciplinarité intelligente.
-La détérioration prévisible des emplois du temps des élèves.
-L'augmentation du nombre de professeurs par élève, alors que les élèves en difficulté ont besoin d’une grande stabilité des adultes " référents ".
-Impossibilité d'une évaluation rigoureuse et équitable.
-Quoiqu’on prétende, une démotivation des élèves qui dans les faits, n’auront nullement choisi librement un parcours : la nécessité de rééquilibrer les groupes en terme d’effectifs (sauf à laisser s’installer des déséquilibres exorbitants) et l’obligation qui est faite aux élèves de faire les 4 itinéraires sur l’ensemble des deux années du cycle central, obligera les principaux de collège à pratiquer des inscriptions autoritaires : nulle " dynamique de choix " pour l’élève, en réalité.
-La disparition brutale des libertés d’initiative pédagogique des enseignants et le formatage idéologique par la "concertation".

 

Exemple de "productions" (D'après les documents d'accompagnements officiels, voir www.eduscol.education.fr/D0072/lettrejournee.htm) ATTENTION : proprement sidérant de nullité !

"Les itinéraires de découvertes donneront lieu à une production, réalisée
individuellement ou collectivement : création d'un objet particulier, d'une
maquette, d'un cédérom"

Idées de réalisations et de production :  1.Nature et corps humain.

Thème : à la découverte de nos origines.
-Réalisation d'outils préhistoriques à partir d'os, de silex (bifaces)
-Représentation d'un homme de Néandertal en pied ; d'un homme de Cro-Magnon.

Thème : à la découverte du corps humain
-Réalisation d'une maquette fonctionnelle de muscle.

Idées de réalisations et de productions : 2.Arts et humanités.

Thème : la vie de château
-Plans et maquettes
-Défilé de costumes médiévaux sur des musiques d'époque.
-Mise en scène d'une veillée médiévale avec troubadours, musiciens,
jongleurs et conteurs
.

Thème : la place de la foi
-Exécution d'une polyphonie sacrée médiévale.

Idées de réalisation : 3.Langues et civilisation.

Thème : Etre adolescent en Europe.
-Exposition, défilé de mode...

Thème : les tracés de l'Europe
-Film constitué avec d'autres collèges établis le long du même fleuve.(?!)

Commentaire : on ne dit pas si le professeur, ou plutôt le gentil animateur, rentre chez lui avec trente hommes de Cro-Magnon en carton bouilli dans son cartable, pour pouvoir les " corriger " et les NOTER. Car n’oublions pas que ces productions, individuelles ou collectives sont censées être évaluées " rigoureusement " et que les " notes " compteront à l’examen de fin de troisième : le brevet nouvelle formule, tellement plus exigeant !

On croit à un cauchemar : il n’en est rien, hélas. 

 

Conclusion

Dans les mots, la réforme peut paraître séduisante et les intitulés ronflants des ID sont faits pour leurrer les parents et les associations de parents.

Mais derrière " l’innovation " revendiquée, la réalité sera beaucoup moins reluisante : désubstantialisation des programmes, interdisciplinarité alibi, projets bidons, promotion des " sciences de l’éducation " et de la culture du management. Médiocrité généralisée : voilà l’horizon ! Ce n’est pas une démarche autonome des élèves qu’on promeut, mais bien à terme une pédagogie du divertissement et du chatouillement qui veut faire de la Connaissance une friandise.

Eh bien nous disons que c’est méconnaître la psychologie des élèves et singulièrement celle des élèves en difficulté, de croire qu’on pourra remplacer sans encombres l’aliment par l’excitant de bas de gamme. Les élèves ne sont pas dupes et voient très bien s’ils sont aspirés par le haut ou par le bas et il appartient aux professeur de leur montrer, comme disait Valéry, la supériorité des plaisirs conquis sur les plaisirs reçus.

Halte, donc, à la pédagogie du mépris. Les dénégations incongrues du ministre Jack Lang disant que les " itinéraires de découvertes ne sauraient être des filières déguisées " et celles des documents d’accompagnement suggérant discrètement et malgré les exemples éloquents, que les ID seront " étroitement liés aux programmes ", ces dénégations surprenantes révèlent les arrières-pensées : on va vers une Ecole à plusieurs vitesse, et quant à la notion de programme national, elle est en passe de devenir complètement obsolète.

Les quatre objectifs du ministre étaient de lutter contre l’absence de motivation, donner le goût d’apprendre et de se cultiver, préparer l’orientation en testant les goûts et les aptitudes et renforcer la dimension technique de la formation. On peut prévoir un échec sur toute la ligne, comme pour les TPE en lycée qui sont un fiasco, de l’avis unanime ( et déjà parce qu’il n’y a aucun moyen financier et matériel pour mener à bien des projets pharaoniques qui nécessiteraient que le lycée fût milliardaire et disposât de toutes les nouvelles technologie…Les élèves , même ceux des terminales S, ne prennent pas du tout au sérieux ses activités et " foutent un bordel noir ", de leur aveu même !)

Si cette réforme passe, et nous l’affirmons avec la plus grande solennité, c’en est fait de l’Ecole. Ce projet est une insulte à Condorcet, une insulte à Jules Ferry, une insulte à tous ceux qui ont fait et pensé l’Ecole.  

Comme le dit un syndicat dont nous adoptons, en l’espèce, les conclusions : " La dénaturation de notre profession, avec son cortège de violence et d'indiscipline, se poursuit donc, à travers cette prétendue "réforme" des collèges, "usine à gaz" qui se traduira inexorablement par une baisse de la qualité de l’enseignement, par une nouvelle dégradation des conditions de vie scolaire pour les élèves et des conditions d'exercice des enseignants, et par la mort programmée de toute liberté pédagogique.  "

La diminution généralisée des horaires d'enseignement au profit de dispositifs de remédiation fumeux et inefficaces achèvera peu à peu de détourner l'Ecole de la République de sa mission essentielle : transmettre le savoir.