Communiqué de presse du 26 novembre 2009

Le nouveau lycée Sarkozy-Chatel : un écran de fumée.

Le collectif Sauver les lettres demande le retrait de la réforme du lycée annoncée par le ministère le 19 novembre dernier (1). Il dénonce avec force le langage trompeur des annonces officielles, relayé sans distance par des médias mal informés : l’emballage scintillant dissimule de profondes régressions. Les mesures envisagées réduisent en effet le temps d’enseignement, laminent des matières entières ou mettent en péril leur maintien, et nuisent à la formation des lycéens. Aucune des nouvelles dispositions n’améliore la situation actuelle. Enfin le prétendu " rééquilibrage " des filières est de la poudre aux yeux : la filière littéraire en particulier ne peut que souffrir des restrictions objectives qui lui sont imposées.

Sauver les lettres dénonce tout d’abord l’annonce tonitruante mais fallacieuse de la " création " de deux heures " d’accompagnement personnalisé ". Loin d’être une " création ", ces deux heures vaguement affectées à un " soutien " cachent une suppression de deux heures d’enseignement : elles écrêtent au passage quatre disciplines de fond. Elles se substituent en effet, dans la classe de Seconde, à des cours de sciences (SVT et physique) et aux heures actuelles de " modules " (cours en demi-classe) de français et histoire-géographie, assurés par les professeurs de la classe dans leur matière. On voit mal comment un " accompagnement " qui fait disparaître des cours pourrait combler les lacunes qu’il cause, et serait plus " personnalisé " de ne plus être forcément dispensé par des professeurs qui connaissent les élèves et enseignent les matières dont ils auraient besoin… Ce tour de passe-passe, étendu en Première puis en Terminale, et couvert par un discours compatissant pour les élèves en difficulté, est surtout une machine à supprimer des cours, et à assurer la disparition d’une partie des 16 500 postes fermés en 2010 dans l’Education nationale. De plus, sans aucun cadrage national disciplinaire, cet accompagnement fourre-tout dépendant des moyens rectoraux renforcera l'inégalité des élèves : entre les lycées qui le transformeront en cours et ceux qui ne pourront en faire au mieux qu’une étude surveillée, le fossé sera profond.

En français, ce stratagème induit une perte sévère d’enseignement : au moment où les difficultés des élèves sont patentes et où les universités se mettent à imposer à leurs étudiants de suivre des cours de maîtrise de la langue, le ministère supprime en Seconde un module bi-mensuel (soit ½ heure par semaine) ; en outre, l’heure hebdomadaire d’" aide individualisée " de français instaurée en 1999, réservée aux élèves en difficulté dans cette matière, disparaît elle aussi de la grille horaire. Il en est de même en mathématiques.

La filière littéraire quant à elle est laminée par la réforme. Bâtie, contrairement aux séries scientifique et économique, sur des options et non des matières obligatoires, elle voit ses bases s’effondrer : les options " de détermination " actuelles de 3 heures par semaine deviennent " d’exploration " et sont réduites à 1 h 30 dans le lycée Chatel. Les matières à option d’arts (arts plastiques, histoire des arts, théâtre, cinéma, danse), qui constituaient une spécialité du bac L, perdent ainsi en Seconde la moitié de leurs horaires (2), et ne peuvent s’additionner : le premier enseignement " d’exploration " d’économie ou de gestion étant obligatoire, il supprime de fait le choix d’un second enseignement littéraire ou artistique actuellement possible. Quant au latin, au grec, aux troisièmes langues vivantes, également piliers de la série L tout en étant ouverts aux autres séries, leur avenir est menacé ; le ministère, qui évoque une " option " supplémentaire non définie de 3 heures, ne l’inclut pas dans la grille officielle de Seconde : quels établissements, et avec quels moyens, pourront proposer ces options ? Sans grille de référence pour protéger les matières d'une part, les postes d'autre part, des enseignements entiers préférentiellement littéraires vont disparaître au gré des contractions budgétaires.

De plus, la nouvelle grille horaire de Première, regroupant toutes les séries générales pour les enseignements communs sous prétexte de réorientation bien aléatoire, est particulièrement préjudiciable pour la L, qui perd une heure de langue vivante 2 et voit l’enseignement de français artificiellement divisé en 4 heures de français " enseignement commun ", et 2 heures de " littérature française ", enseignement de spécialisation : les élèves de la même classe auront-ils deux professeurs de français, l’un de langue et communication et l’autre de littérature ? En outre, les mathématiques disparaissent des enseignements obligatoires, amputant ainsi de façon dommageable la culture scientifique des élèves littéraires. Ainsi, contrairement à la situation actuelle, il n’y aura plus d’épreuve anticipée de mathématiques en série L au baccalauréat. Mais, miracle de survie, elles réapparaissent dans le cycle terminal sous forme d’option, en concurrence avec sept autres ! De qui se moque-t-on ?

En Terminale, la filière littéraire continue de perdre des heures spécifiques : l’horaire de l’enseignement des lettres est divisé par deux, en passant de  4 à 2 heures hebdomadaires… Et la nouvelle option littéraire de " droit et grands enjeux du monde contemporain " (à qui va revenir cette option rutilante ?) vient faire concurrence au latin, au grec ou aux arts, pouvant ainsi contribuer à leur disparition..

Il ne faut donc pas prendre les vessies officielles pour des lanternes. La comparaison des enseignements existants avec les projets ministériels montre aisément la propagande (3). Le nouveau lycée Chatel menace particulièrement les enseignements artistiques, les lettres, les langues vivantes " rares ", le latin, le grec, dont la survie devient aléatoire dans un contexte mal garanti et concurrentiel. Ayant pour seul objectif les suppressions de postes, il constitue une grave menace pour la formation des lycéens, quelles que soient les filières d’ailleurs : la disparition de l’enseignement de l’histoire en Terminale scientifique est lourde de signification.

Collectif Sauver les lettres


1. http://media.education.gouv.fr/file/11_novembre/06/8/Conference_de_presse_lycee_127068.pdf
2. Le laminage des options par leur changement de statut (passage de 3 h d’" enseignement de détermination " à 1 h 30 d’" enseignement d’exploration ") atteint également les sciences économiques et sociales (SES), et dès 2010 certaines séries technologiques : la série STG voit son horaire d’option IGC de Seconde diminué de moitié, et la série ST2S voit ses options de sciences médico-sociales et de biologie des laboratoires passer de 6 heures hebdomadaires cumulées à 3 heures.
3. Voir sur le site de Sauver les lettres les tableaux comparatifs de la Seconde actuelle et de la nouvelle Seconde Chatel : http://www.sauv.net/lycee2010HorairesSeconde2.pdf