Communiqué de presse du 19 décembre 2008
Le collectif Sauver les lettres se félicite du recul du ministère sur la réforme du lycée prévue en classe de Seconde dès la rentrée 2009, et demande non le retrait provisoire de ce projet, mais son abandon définitif. Loin de favoriser la scolarité et les choix des élèves comme le proclamait le ministre, cette contre-réforme se caractérise par un système pervers dont la conception contredit le modèle républicain d’enseignement égalitaire et de promotion pour tous. Elle ne doit pas être appliquée. Les annonces partielles et la communication volontairement opaque du ministère appellent quelques précisions sur les grandes lignes, inacceptables et dangereuses, de l’architecture retenue pour la classe de Seconde. Elles se caractérisent tout d’abord par la réduction de l’horaire du tronc commun obligatoire, donc l'appauvrissement de l'enseignement garanti pour tous les élèves sur l’ensemble du territoire. Inférieure de 5 heures au tronc commun actuel LV2 comprise [1], cette version allégée amputerait les disciplines fondamentales, notamment français et sciences, nécessaires à la culture générale et au choix raisonné d’une filière de baccalauréat. L’introduction hâtive d’un horaire croupion de sciences économiques n’a leurré personne. En second lieu, le glissement vers des horaires optionnels d’une partie des enseignements généraux sacrifiés instaurerait, par l’abandon du cloisonnement entre tronc commun et options, une concurrence entre les matières dont jusqu’à présent les lycéens et les disciplines étaient préservés : littérature, sciences physiques et naturelles viendraient concurrencer et donc évincer les arts, les langues vivantes, les langues anciennes. Double jeu de massacre : l’enseignement commun des mathématiques, des sciences et du français serait ainsi mutilé, et des matières conduites à l’extinction, leur choix comme " option facultative " étant rendu impossible. Par exemple, un élève attiré vers les sciences devrait choisir des options d’approfondissement de mathématiques, physiques et sciences, mais pas de latin, grec ou troisième langue vivante qu’il peut aujourd’hui encore choisir sans contrainte, sa formation scientifique étant assurée par le tronc commun. De la même manière, un élève littéraire choisissant l’option " littérature " pour approfondir sa formation ne pourrait étudier à la fois le latin et le grec, le français venant faire obstacle aux langues anciennes. On voit par là que ce dispositif complexe, vanté pour faciliter des essais avant le choix d’une orientation, l’avancerait en fait d’un an, en fin de Troisième, et que seules les familles les mieux averties sauraient arrêter leur choix de matières propres à pallier l’appauvrissement organisé au lycée. Un tel système effondrerait le lycée au cœur. Les matières se faisant " naturellement " concurrence au sein d’un système rendu tactiquement optionnel, certaines disparaîtraient par une sélection contrainte mais apparemment " naturelle ". Admirable technique de gestion libérale – déjà rodée sur les langues anciennes - pour supprimer des postes sans en endosser la responsabilité : il suffit de laisser agir une organisation d’étranglement, puis de constater (voire déplorer) la désaffection des lycéens pour, par exemple, les arts, les langues ou la littérature, et décider pour finir que – " bon sens " oblige - les professeurs correspondants n’ont plus à être recrutés. La filière littéraire en particulier ne pourrait résister, ni d’ailleurs l’enseignement du français : amputé de la " littérature " réservée à l’option, il tournerait à vide, réduit à une communication sans contenu culturel. Un tel système effondrerait également le principe de l’égalité des élèves devant l’enseignement : le choix des matières optionnelles (ou " modules ") dépendant surtout du goût des élèves ou de leur milieu socio-culturel, certains lycées continueraient à enseigner certaines matières, tandis que d’autres les supprimeraient faute d’élèves. Les grands lycées des grandes villes continueraient d’offrir un éventail suffisant de formations, tandis les lycées de petite taille s’en tiendraient au socle minimal. Des déserts scolaires marqués par une absence de diversité d’enseignements apparaîtraient dans certaines régions. Les poursuites universitaires d’études risqueraient d’en pâtir à jamais. Le discours ministériel sur l’ "accompagnement " est par ailleurs une imposture : les 3 heures de soutien promises aux élèves ne sauraient remplacer les 5 heures de cours qui auraient été enlevées du tronc commun, ni les 6,5 heures actuelles d’enseignements en classes dédoublées [2], ni les deux heures d’aide individualisée accordées tantôt en petit groupe, tantôt en demi-classe. Enfin, l’organisation retenue de " modules " semestriels au terme desquels l’élève pourrait revoir ses choix ferait de la Seconde non plus une classe de " détermination ", mais une année blanche consacrée à un tourisme entre diverses options éliminables à mi-parcours. À ce jeu, l’élève risquerait de n’avoir suivi qu’un semestre des cours nécessaires à son orientation. La composition des classes de Première, et le niveau forcément faible et hétérogène qu’elles auraient, nourrissent les plus vives inquiétudes, de même que la désorientation d’élèves fragiles ballottés tous les cinq mois entre enseignements et professeurs. Quant au bac, il perdrait dans cette logique sa validité nationale. La qualité de l’enseignement est elle aussi visée par ce système : l’émiettement des modules en mini-programmes semestriels, conclus par des évaluations locales forcément hâtives au bout de quatre mois et demi, conduirait à l’abaissement des exigences et des savoirs. Privés de progressivité, les contenus d’enseignement se verraient réduits à une liste de " compétences " à acquérir sans lien organique ni construction de sens. Cette réforme ne peut être ni discutée, ni amendée, car elle n’a aucun rapport avec des préoccupations pédagogiques ou intellectuelles. Elle doit être abandonnée car son esprit est dangereux ; d’inspiration clairement libérale, elle livre clés en mains l’enseignement public à ses usagers, et désengage l’école de ses missions républicaines : bien loin de hisser le niveau scolaire d’une nation par des offres et des prescriptions communes de parcours et de formation, elle abandonne la définition de l’instruction aux demandes et aux variables sociales et culturelles du lieu où étudie le lycéen, et le cantonne à son milieu au lieu de l’en émanciper. Pire, par un système prétendument " à la carte ", elle confie aux élèves et à leurs familles le soin de détruire l’école par des choix contraints et faussés, ou de lui faire servir des intérêts de classe. Le collectif Sauver les lettres dénonce vivement ce projet de réforme, en condamne l’esprit, et s’opposera à toute mise en application. Collectif Sauver les lettres 1. Les horaires actuels de Seconde (voir
2. Les cours à effectifs réduits (modules en petits groupes ou dédoublements assurés par le professeur de la classe en français, mathématiques, LV1, LV2, histoire-géographie, ECJS, SVT et sciences physiques) atteignent actuellement un total de 6 heures et demie hebdomadaires. 2 heures d’aide individualisée (groupes de huit élèves) en français et mathématiques peuvent s’y ajouter. Les enseignements de détermination (deux enseignements pour un total de 5 ou 6 heures hebdomadaires) comportent de 30 minutes à 5 heures de dédoublement selon les matières, ce qui peut porter le total à 13 heures 30 par semaine (http://eduscol.education.fr/D0056/horaires2ndegt.htm ). Les 3 heures ministérielles sentent le gag.