Communiqué de presse du 15 décembre 2008
Le Collectif Sauver les lettres défend une conception républicaine de l’école et de l’enseignement des lettres héritée de Condorcet et des Lumières, fondée sur la qualité des connaissances garantissant l’exercice du jugement. Il s’élève donc avec la plus grande fermeté contre le projet de réforme du Concours d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (CAPES). Il faut espérer que ces " documents de travail " seront largement amendés voire carrément remis dans les cartons, car, en l’état, ils ont tout pour inquiéter : comment recruter, dans le cadre de ces CAPES tels qu’on nous les propose, des professeurs susceptibles de délivrer un enseignement de qualité en français et en langues anciennes, et bénéficiant de la liberté pédagogique ? Le principe même de concours évaluant à l’écrit les savoirs disciplinaires au prorata de 40 % des coefficients, ce qui signifie 60 % pour un oral " professionnalisé ", principalement constitué d’épreuves de didactique et de " connaissance du système éducatif ", marque un recul historique dans les exigences du CAPES quant aux " savoirs savants ". Le Collectif Sauver Les Lettres dénonce tout d’abord l’affaiblissement du contrôle des connaissances disciplinaires : la disparition de la langue vivante et du latin à l’écrit de lettres modernes, ainsi qu’une diminution de la part de la langue française du Moyen Âge, un des fondements de la langue moderne, limitent d’autant la qualité du recrutement. De même, en lettres classiques, une " épreuve de langues et cultures de l’Antiquité ", constituée d’une version sur 12 et d’une question de culture antique sur 8, se substitue aux deux " versions sèches " de latin et de grec, ce qui pose problème quant à la maîtrise par les candidats de la langue ancienne qu’ils sont – mais pour combien de temps ? – censés enseigner aux élèves. Le niveau requis à l’épreuve du concours ne dépasse en effet que de peu les savoirs exigés actuellement des lycéens à l’épreuve de langue ancienne du baccalauréat. À l’oral des deux concours, l’épreuve de " leçon " prend la place de l’explication française qui disparaît en tant que telle des maquettes, puisque le candidat doit adapter sa prestation à un public précis qui n’est plus un jury exigeant mais une classe virtuelle de collège ou de lycée. Cette épreuve, où l’on demande à un étudiant qui n’a jamais enseigné de "justifier ses choix didactiques et pédagogiques ", relève de la didactique-fiction et vise à évaluer davantage la conformité de l’impétrant à l’idéologie pédagogique dominante en IUFM que ses compétences disciplinaires. Le collectif Sauver Les Lettres dénonce enfin avec vigueur l'épreuve d'entretien avec le jury, " portant sur les aspects concrets du fonctionnement du système éducatif " et " vérifiant les connaissances du candidat relatives aux valeurs et aux exigences du service public, du système éducatif et à ses institutions et, de manière plus générale, à son aptitude à exercer son métier dans le second degré " : c'est de facto un entretien d'embauche, permettant de repérer rapidement les " fortes têtes " non conformes à la vulgate constructiviste, et d'évaluer efficacement le degré de complaisance de l'impétrant. Cela signifie qu’il ne s’agit plus de recruter des professeurs mais des employés, soumis aux directives des gouvernements et non plus aux principes républicains. Or jusqu’à présent le professeur bénéficiait statutairement de la séparation du savoir et de l’Etat [1]. Cette régression antirépublicaine est en tous points conforme aux annonces du ministère en octobre : " Passer dans les concours de recrutement de professeurs d’une logique de revalidation du niveau universitaire à une logique de recrutement conforme aux besoins de l’employeur " [2]. L' " aptitude à exercer son métier dans le second degré " inquiète tout particulièrement. Comment définir des critères d'évaluation objectifs, quantifiables et sérieux pour cela ? Ces critères de recrutement sont indépendants des connaissances académiques. Le collectif Sauver Les Lettres ne craint pas de répéter que l’" aptitude à exercer dans le second degré " consiste d’abord à maîtriser correctement sa discipline, tout le reste s’apprenant de surcroît et non en amont. Nous sommes donc confrontés à l’attaque la plus grave qui ait jamais été menée contre le statut des enseignants et les fondements mêmes de la République. Car ces nouveaux concours ont pour seul but de recruter des employés, soumis aux oukases des chefs d’établissement et de l’Inspection : d’autant plus dociles qu’ils seront ignorants, les " nouveaux " professeurs seront aptes à assumer leurs " nouvelles missions " conformes aux recommandations du rapport Pochard, qui n’auront plus rien à voir avec ce qui avait été jusqu’à une date récente le cœur de leur métier : assurer l’instruction de leurs élèves. Le collectif Sauver Les Lettres appelle donc le ministère à revoir complètement sa copie. Collectif Sauver les lettres 1. C’est ainsi qu’Anicet Le Pors, ancien ministre de la fonction publique, rappelait que " l'intérêt général est en France une catégorie noble, éminente, distincte de la somme des intérêts particuliers " ; il est garanti par les fondements du statut du fonctionnaire liés à des principes, dont : " Le principe d'indépendance, conduisant à distinguer le grade, propriété du fonctionnaire, de l'emploi, à la disposition de l'administration, afin de protéger l'agent public (et par là le service de l'intérêt général) de l'arbitraire administratif et des pressions politiques partisanes. C'est ce que l'on appelle le système de la carrière opposé au système de l'emploi en vigueur dans nombre de pays anglo-saxons. Le principe de responsabilité, fondé aussi sur la Déclaration de 1789, qui dispose en son article 15 que : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration." Il s'ensuit que le fonctionnaire, parce qu'il est soumis à cette obligation de service du bien commun, doit avoir la plénitude des droits et devoirs du citoyen et non être regardé comme le sujet du pouvoir politique ou le rouage impersonnel de la machine administrative.
2. Les nouveaux concours de recrutement de professeurs (10 octobre 2008), http://media.education.gouv.fr/file/10_octobre/15/1/nouveaux-concours-recrutements-des-professeurs_36151.pdf