Communiqué de presse du 08/09/2003


Luc Ferry et les itinéraires de découverte :
condamner, mais laisser faire…

Le Collectif Sauver les lettres a condamné dès leur création au collège les " itinéraires de découverte ".

Cette appellation désigne, pour les élèves de cinquième et de quatrième, une " activité " hebdomadaire de deux heures consistant en un travail de groupe supposé favoriser une approche pluridisciplinaire des programmes par des " productions " : le ministère propose (1) par exemple la " représentation d'un homme de Neandertal en pied " comme fruit d’une association géographie-sciences et vie de la terre, ou bien, pour le thème " être adolescent en Europe ", un " défilé de mode " (association langues vivantes-éducation civique)…

Nul besoin d’épiloguer sur ces exemples indigents. En revanche le Collectif Sauver les lettres a amplement fustigé les conséquences de cette mesure introduite en 2002, d’abord en classe de cinquième : diminution inévitable des horaires de français et de mathématiques réduits au minimum (" horaire-plancher ") à tous les niveaux du collège pour faire place à ce dispositif, menace sur les programmes nationaux (le contenu des " itinéraires " variant d’un établissement à l’autre), dispersion des classes réparties entre divers " itinéraires " au risque de désorienter encore les élèves les moins intégrés, disqualification des cours classiques exigeant plus de rigueur et d’effort, atteinte à la transmission des savoirs due aux élèves. (Un document émanant de l’académie de Paris reconnaissait que les ambitions en matière de contenu ne pouvaient être les mêmes que dans un cours classique.)

Le Collectif dénonce donc, en cette rentrée 2003, l’extension de ces itinéraires de découverte à toutes les classes de quatrième.

Pourtant, le ministre Luc Ferry se répand dans la presse en propos qui les condamnent : " les itinéraires de découverte doivent à mes yeux devenir facultatifs " (Libération, 1er septembre), et sa conférence de presse de rentrée annonce qu’il va falloir " réviser à la baisse les nouveaux "itinéraires de découverte" " (Le Monde, même date).

Bravo ! Le Collectif Sauver les lettres prend bonne note de cette déclaration encourageante.

Mais il s’interroge aussi. Pourquoi ne pas passer à l’acte, et laisser s’étendre en cette rentrée en quatrième une mesure qu’au bout d’un an d’expérience l’on déplore déjà ?

Comme le ministre l’a très bien fait dans la circulaire de rentrée en supprimant au lycée des " dispositifs " Allègre-Lang (il autorise en terminale à fondre l’ECJS (2) – non-matière réduite à des débats – dans les TPE (3) pour réaffecter son horaire à l’enseignement, et en seconde à rendre à toute la classe l’horaire de l’ " aide individualisée ", reconnue peu efficace), il lui aurait suffi pour les collèges, d’un trait de plume, sans nominations supplémentaires de professeurs, sans changements dans la structure des établissements, de supprimer les " itinéraires " pour rendre aux disciplines amputées les heures perdues, c’est-à-dire rendre à chaque professeur le temps de se consacrer aux enseignements fondamentaux indispensables. Le ministre Luc Ferry, pourtant, depuis sa nomination, ne cesse de répéter qu’ " au centre du système ", il faut placer " la transmission des savoirs ", et " recentrer l’école sur les fondamentaux " (Lettre à tous ceux qui aiment l’école).

Le Collectif Sauver les lettres s’inquiète fortement de cette absence de suite des propos dans l’action.

Lecteur attentif du célèbre opuscule de Luc Ferry, le Collectif Sauver les lettres ne s’en étonne cependant pas beaucoup. Les " itinéraires de découverte " y sont tantôt qualifiés ironiquement d’" énièmes dispositifs inédits " et condamnés de ce fait, et tantôt loués parmi les " pratiques pédagogiques nouvelles " qui " présentent l'intérêt de briser la solitude du professeur face à la classe en même temps qu'elles donnent davantage de sens aux apprentissages des élèves "…

Le Collectif Sauver les lettres craint d’avoir trop bien compris.

En cette rentrée, il fallait apaiser toutes les inquiétudes. Dire aux professeurs ce qu’ils voulaient entendre : privilégier les savoirs. Faire pour les pédagogistes et réformateurs de cabinet ce qu’ils attendaient : ne rien changer aux dispositifs destructeurs de l’école. Et confirmer une fois encore que dire, ce n’est pas faire…

Il ne s’agit donc pas d’action, mais de communication . Là où l’on attendait une volonté politique et une ligne claire ne subsiste que l’esquive.

Sont-ce les prémices du " grand débat " qui va s’ouvrir ?

Collectif Sauver les lettres

 

1. Document d’accompagnement pour la préparation des itinéraires de découverte (fin 2001) mis en ligne sur www.eduscol.education.fr
2. Éducation civique, juridique et sociale.
3.Travaux personnels encadrés : activité plus ou moins interdisciplinaire visant à présenter au bout de quatre ou cinq mois une " production " (le plus souvent un exposé). Prétendument destinés à former les élèves à la " recherche ", les TPE consistent généralement en un montage de documentations souvent mal comprises, issues de l’internet, pour ne parler que des exemples les moins scandaleux.