Contre-rapport sur la filière littéraire

Analyse du rapport des Inspections générales sur la filière littéraire :
Evaluation des mesures prises pour revaloriser la filière littéraire au lycée.
(http://media.education.gouv.fr/file/63/8/3638.pdf)

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NB : Les chiffres entre parenthèses renvoient aux numéros de pages du rapport.Les chiffres entre crochets renvoient aux notes.

L’Inspection générale de l’Education nationale et l’Inspection générale de l’Administration de l’Education nationale et de la Recherche ont rédigé, en application d’une lettre de mission de septembre 2005, un rapport destiné à l’"évaluation des mesures prises pour revaloriser la filière littéraire au lycée ". Le titre étonne : l’évaluation va être évidemment celle d’un échec, puisque la filière littéraire attire de moins en moins de bacheliers. Le rapport propose donc logiquement de passer à une étape définitive, façon de régler le problème : les mesures de " valorisation " ayant échoué, l’institution, lasse d’entretenir de ses efforts une filière moribonde, va courageusement tirer, en quelque sorte, un trait chirurgical sur une série qui aurait fait son temps. Soit en fondant les séries dans une filière unique, soit en diluant les littéraires dans les économistes, soit en vendant la littérature à la communication et l’enseignement général à la technologie. Qu’il nous soit permis d’envisager autrement la situation.

La filière L a certes perdu en proportion beaucoup de bacheliers, passée en trente ans de 24,3 % (1972) à 12 % de l’ensemble des bacheliers généraux et technologiques. Mais dans le même temps se créait la filière générale ES économique et se diversifiaient les filières technologiques tertiaires, qui ont absorbé, en faussant les chiffres, des littéraires potentiels qu’il est difficile d’évaluer. Les statistiques, apparemment parlantes, ne sont pas si bavardes.

Une autre série, STI (sciences et technologies industrielles) atteint elle aussi un pourcentage d’élèves voisin, 10,7 %. Mais on ne se penche pas sur elle avec une compassion qui conduirait à l’éliminer.

Le sujet semble donc se mêler de passion. Un dénigrement, nocif dès lors qu’il s’étale sur la place publique, sourd des propos des Inspecteurs généraux de lettres eux-mêmes : ils parlent d’ " effondrement ", de " décrochage " [1] de la série. Loin de s’en prendre à des défauts peut-être structurels de la filière au lycée, et donc remédiables, ils accusent les professeurs de cultiver la " connivence culturelle " propre à écarter des élèves, et la littérature d’un " ghetto culturel " [2] propre à les détourner de pareil enfermement. La presse, s’emparant du sujet au moment de la publication du rapport et de la conjoncture favorable des épreuves du baccalauréat, accrédite durablement auprès des familles le danger d’une orientation vers " le littéraire " [3], accroissant ainsi le " déclinisme " ambiant à ce sujet.

Le ressentiment des responsables de la discipline majeure de la série se double du mépris des politiques. La saillie du candidat Sarkozy à l’égard de " la littérature ancienne " [4] indûment subventionnée par les contribuables reflète le dédain généralisé des " décideurs ", peut-être de la société tout entière, pour la culture et la réflexion. Qu’il s’y mêle des préoccupations comptables contre le maintien d’une filière grosse consommatrice d’options donc de crédits, et c’est toute la légitimité culturelle de la série qui est officiellement remise en cause, quand il ne s’agit que de financement. C’est ainsi que Xavier Darcos dira devant l’Assemblée nationale, en 2003, et répétera sur RMC en juillet 2007 : " " Les options qui consistent par exemple en l'étude d'une langue rare, doivent être rationalisées car elles concernent peu d'élèves mais représentent un coût de recrutement très élevé. " [5]

Les solutions à la crise du rapport de 2006 coïncident ainsi curieusement avec l’orientation d’une des quatorze propositions de François Fillon en 2004 pour sa loi d’orientation : " La filière littéraire sera rendue plus attractive en valorisant ses débouchés ". Serait-ce donc que la conclusion était écrite avant le rapport ? Et la fonction de ce dernier ne serait donc qu’un enterrement de première classe téléguidé en haut lieu, indépendant de la réalité et de la vertu de la formation littéraire ?

Pour éclaircir la situation de la série L, il faut donc se défaire de ces filtres, passionnel, économique, politique et parfois idéologique, qui en faussent la perception, et des paralogismes fréquents dans le rapport et qui en paralysent l’analyse.


I. Un rapport à charge.

A. Des schémas éculés.

1) " L’après-bac L se présente comme semé d’incertitudes… "

" 1.2.4 La faible visibilité des débouchés porte préjudice à la série
L’après-bac L se présente comme semé d’incertitudes et contribue à détourner les élèves de Seconde des études littéraires. Ce manque de visibilité, qui concerne autant les poursuites d’études que l’insertion professionnelle, n'est pas sans lien avec l'absence d’explicitation des compétences majeures développées en série L et de leur lien avec les débouchés futurs auxquels elle prépare.
1.2.4.1 La série L n’apparaît pas comme la meilleure préparation aux études relevant traditionnellement du domaine des Lettres
Les voies d’excellence accessibles aux bacheliers littéraire
s (écoles normales supérieures, instituts d’études politiques, écoles de commerce…) ne concernent qu’une infime minorité d’élèves. Mais, si elles peuvent inciter quelques très bons élèves à s'engager dans la voie littéraire, elles sont aussi accessibles, nous l'avons déjà relevé, à des bacheliers S et ES et les meilleurs littéraires sont souvent incités à choisir, pour y accéder, de passer par la série S. Ils sont supposés y acquérir des méthodes de travail et bénéficier d'un entraînement à la compétition propice à la préparation des concours.
Nous avons également vu que, pour la majorité des titulaires du baccalauréat L, l’éventail des débouchés universitaires est plus restreint que pour les deux autres séries de l’enseignement général. Alors que personne ne s'étonne de voir des bacheliers S ou ES réussir brillamment des études dans le domaine des sciences humaines ou sociales, personne n'imagine qu'un bachelier littéraire s'aventure dans des études supérieures de physique, de chimie ou de biologie. La médecine leur est désormais fermée. Ils ne sont même pas toujours présents là où l’on pourrait les attendre : ainsi, en droit ou en sciences politiques, ils ne représentent que 20 % des étudiants, contre 40 % issus de la filière ES. Cette situation résulte, nous l'avons vu, du mode de recrutement de la série L; mais, bien connue des lycéens, elle conduit ceux d'entre eux dont les résultats scolaires le permettent, à choisir plutôt de "passer" par la série S ou ES ".
(23)

Débarrassons-nous d’emblée des présupposés : non, la filière littéraire n’est pas une filière scientifique ; non, la filière littéraire n’est pas une série économique ; non, le second cycle du lycée n’est pas une filière unique. Cette confusion constante entre nature et hiérarchisation des séries plombe le débat. Et faute d’en avoir fait le départ, le rapport sombre constamment dans une confusion intellectuelle qu’on n’attendait pas d’experts, en comparant sans cesse S, considérée d’emblée et sans discussion comme la meilleure série, avec L qui n’a pas les mêmes finalités.

Il est clair que si on a pris, par mauvaise habitude, la coutume de mettre les meilleurs élèves en S, on les y retrouvera partout à l’arrivée et dans toutes les filières – et pas de préférence en sciences ! – et partant, toutes les statistiques du monde sont faussées.

Tant que l’on n’aura pas compris, et au plus haut niveau, qu’une série de baccalauréat n’a aucune vertu par elle-même, et que cette supposée vertu vient au contraire de la qualité des élèves que l’on y met, on ne pourra avoir aucun débat intellectuellement bien posé, ni aucune vraie orientation. Or l’orientation a tout à perdre de la hiérarchisation. Faute de le dire clairement, le rapport ne fait qu’entériner les vieilles lunes et les poncifs, et leur donner le poids de son autorité. Ce faisant, il enterre encore un peu plus la série L, au lieu d’apporter à son endroit une vision intelligente et réaliste qui seule peut montrer que la série est bien évidemment indispensable, d’une part aux élèves qui ont un esprit littéraire de recherche, d’analyse et de synthèse qui les rend irremplaçables, d’autre part à notre société, qui en voyant croître le nombre des problèmes qu’elle a à résoudre, voit croître proportionnellement le nombre des penseurs nécessaires aux solutions.

Les paragraphes qui précèdent, issus du rapport, font preuve de la plus consternante acceptation des préjugés, et pratiquent la désinformation. Si " les voies d’excellence accessibles aux bacheliers littéraires (écoles normales supérieures, instituts d’études politiques, écoles de commerce…) ne concernent qu’une infime minorité d’élèves ", c’est seulement que les hypokhâgnes et khâgnes sont peu nombreuses en France..., et cela n’a aucun rapport avec un vice de la série L. De même, si " elles sont aussi accessibles(…) à des bacheliers S et ES et les meilleurs littéraires sont souvent incités à choisir, pour y accéder, de passer par la série S " (23), c’est aussi parce que certaines d’entre elles, sous la forme d’hypokhâgnes B/L, ont un programme de mathématiques qui les réserve aux bons élèves de ES à spécialité maths, et aux S… Autrement dit, en créant des hypokhâgnes à spécialité mathématique et économique, il est évident qu’on en a écarté les L. Et maintenant, on en arguerait pour les condamner ?

Le rapport endosse les préjugés du tout venant : les élèves sont supposés y [en S] acquérir des méthodes de travail et bénéficier d'un entraînement à la compétition propice à la préparation des concours " (23). Des Inspecteurs généraux pensent ainsi que la concentration et l’effort intellectuel que représentent les travaux littéraires par exemple en français – dans le commentaire composé et la dissertation qui exigent à la fois analyse, synthèse et plan clair – ne sont pas des " méthodes de travail " ni " un entraînement à la compétition "… ne serait-ce que par rapport à soi-même… On se demande alors par quel miracle, selon ces théories fumeuses, des littéraires ont pu réussir sans " compétition " des concours comme ceux des ENS, des Chartes, des IRA ou de l’ENSSIB, beaucoup plus malthusiens que ceux des scientifiques qui, pourvus d’une pléthore d’écoles, finiront bien par y décrocher une place quelque part… En effet, 54,6 % des élèves issus de CPGE scientifiques, 4,5 % des élèves issus de CPGE littéraires réussissent un concours. Non parce que les littéraires seraient moins bons, mais parce qu’il y a moins de places. A confondre la cause et la conséquence, notre rapport n’en sort pas grandi. Et manque pour le moins des qualités des littéraires rompus au discernement et au raisonnement [6].

2) Pas de débouchés ? Mais si, bien sûr !

Toute consultation de service universitaire d’orientation apprend à qui le veut à quel point les littéraires sont recherchés, dans tous les secteurs, y compris les plus inattendus. Quelques exemples suffiront.

Les études de géographie débouchent sur l’aménagement du territoire, l’urbanisme où les L réussissent à 100% ; la sociologie conduit à l’urbanisme également ou à l’informatique très employée dans ce secteur de recherche et où les littéraires sont appréciés pour leur clarté d’esprit et leur intuition ; les études de LEA débouchent certes sur le tourisme, mais aussi le droit ou l’AES si le cursus L comportait la spécialité mathématiques ; la psychologie conduit vers tous les métiers des DRH, et les métiers de la formation (organisation, bilans de compétences) ; les IUT littéraires ne se comptent plus et conduisent à la communication, la documentation d’entreprise, l’édition ; trois d’entre eux diplôment en journalisme. Si les L sont moins nombreux que les autres séries en première année de droit, ils réussissent à 100 % en troisième année en droit notarial, droit public par exemple. Dès que l’on parvient à bac + 4 ou bac + 5, les littéraires sont partout : plus le niveau d’études monte et évolue vers davantage de réflexion et de théorisation, toutes capacités développées par les études littéraires, plus les L se distinguent et s’en sortent à 100%. Au lieu de se cantonner aux chiffres d’entrée des L dans les diverses filières du supérieur, et de dénigrer la série, le rapport aurait été plus avisé d’observer les pourcentages de réussite à la sortie. D’autant que les chiffres [7] sont parlants :

 

L

S

Succès en Licence en un an

69,8 %

70,4 %

Succès au DUT sans redoublement

71,3 %

71,2 %

Succès aux DEUG

DEUG littéraires : 88 %

DEUG scientifiques : 83,6 %

Les services de l’Etat recherchent leurs compétences, et les IRA offrent 700 postes par an, par des concours sans mathématiques mais pourvus d’épreuves de composition, droit public, langue étrangère… Les banques ou l’immobilier recherchent des littéraires, en particulier pour leur culture générale, dès lors qu’il y a contact avec la clientèle : la plupart des conseillers clients ou conseillers financiers sont des littéraires.

Dans sa note préparatoire au rapport de 2005, l’Inspection générale des lettres le disait déjà :
" Le tronc commun d'études obligatoires, s'il n'ouvre pas pour les littéraires directement sur des métiers répertoriés par les documents de I'ONISEP par exemple, développe en revanche des compétences dont la " valeur ajoutée " est reconnue et qui trouvent à s'employer aisément. Les enquêtes du CEREQ indiquent que les diplômés à " bac + 4 " issus des universités de sciences humaines sont, parmi les demandeurs d'emploi, ceux qui se placent le plus vite sur le marché du travail. Les grandes industries en recrutent beaucoup, sur leurs capacités à communiquer, à s'informer, à rédiger, sur leur curiosité intellectuelle, leur sens des rapports humains ; elles les forment ensuite en interne à leurs besoins précis " [8].

3) Changer une équipe qui gagne

Le rapport de 2006 lui aussi reconnaît des débouchés à la filière littéraire ; … mais contre toute logique en tire argument pour la dénigrer :
" Si l’on a pu montrer que l’insertion professionnelle pour les littéraires était sensiblement plus difficile que pour les bacheliers S, on ne doit pas pour autant verser dans un pessimisme sans nuances. D’une part, les métiers de l’enseignement ne constituent pas l’unique perspective offerte aux bacheliers L ; d’autre part il est possible de constater que des débouchés bien réels leur sont ouverts dans des secteurs larges et variés : communication, édition, journalisme, gestion des ressources humaines, échanges internationaux, loisirs et tourisme, animation culturelle, etc.
L’attrait des professions à connotation littéraire, d'ailleurs, ne se dément pas. On constate en effet (cf. Education et formations N° 72, septembre 2005) que 32 % des bacheliers, toutes séries confondues, ont comme projet professionnel un métier relevant d'un des domaines suivants : communication, culture, arts, enseignement, fonction publique, justice. Or, les formations qui y préparent sont accessibles aux bacheliers L, mais les élèves et leurs familles, parfois les services d’information et d’orientation eux-mêmes, ne le savent pas toujours ou pensent qu'on a plus de chances d'y accéder en choisissant une autre série.
Le poids des représentations – et la baisse réelle du niveau de la plupart des classes de L – sont tels qu'il ne va plus de soi que l'accès aux formations naturellement ouvertes aux littéraires puisse encore être efficacement préparé par la série L du lycée.
Pourtant, l’avenir n’est pas dépourvu de perspectives. On entend de plus en plus souvent dire que "les littéraires ont le vent en poupe " (Le Figaro, 13 février 2002). Ils sont très présents, sans qu’on le sache toujours, dans les élites sociales. Surtout, contrairement à certains clichés, ils sont capables de s’adapter à des secteurs professionnels très divers : ceux déjà cités qui ont des liens, proches ou lointains, avec les lettres, mais aussi le commerce, l'économie, la banque, etc. pour lesquels sont recherchées des compétences intellectuelles générales, l'aptitude à la relation humaine et à la communication – que des études littéraires peuvent contribuer efficacement à développer. Dans une société où le poids du secteur des services ne cesse de s’affirmer au détriment de celui de la production, il existe assurément des gisements d’emplois potentiels pour les jeunes ayant reçu une formation littéraire. Encore faudrait-il les repérer, préciser les parcours qui peuvent y conduire et accompagner ces parcours."
(23-24)

Les bras en tombent : alors que les débouchés existent, et que les secteurs mentionnés se sont fournis et se fournissent parmi les diplômés littéraires récents ou actuels – donc que la filière marche !-, le rapport en tire argument pour dire contre toute logique que " l’accès aux formations naturellement ouvertes aux littéraires " ne peut plus " être efficacement préparé par la filière L du lycée " ! S’il fallait choisir une priorité et si l’on n’était pas dans l’absurde, il faudrait bien évidemment et au contraire fermer la filière S, qui si elle a des élèves ne les conduit pas vers les métiers attendus : " En deçà de bac + 5, les diplômés en sciences occupent dans une forte proportions des emplois non scientifiques ", et de toute façon a peu de débouchés : " l’insertion des scientifiques est très sensible à la conjoncture. Lorsque celle-ci est mauvaise, les étudiants de deuxième cycle en sciences ont un taux de chômage supérieur à ceux de droit-sciences économiques et même supérieur à ceux de lettres-sciences humaines et sociales. " [9]. Les élèves de S souffrent eux aussi d’une mauvaise information : " moins d’un sur dix s’engage dans cette voie [le DEUG]. Les raisons de cette moindre orientation sont multiples, mais l’incertitude concernant les débouchés professionnels de cette filière n’y est sans doute pas étrangère : le sentiment d’un manque d’information dans ce domaine est très fort parmi les bacheliers inscrits dans un DEUG scientifique " [10]. Songe-t-on pour autant à fermer la filière S ?

S’il ne s’agit pour L que de " visibilité ", de " poids des représentations " ou de " préciser les parcours ", il est du ressort d’une haute administration éclairée d’une part de lutter contre les préjugés et d’imposer une autre vision des littéraires, d’autre part de veiller à mieux diffuser une information volontariste, mais pas de détruire une filière de lycée.

Il est bien évident que les littéraires sont recrutés pour la littérature et les connaissances, exercices, travaux et réflexions que la littérature et les sciences humaines leur ont permis… Il est bien évident aussi qu’une voie générale a pour débouchés naturels des voies universitaires, et non une profession. Poser le problème de L en termes de débouchés, et penser le résoudre en restreignant explicitement, par des dénominations, les voies auxquelles la filière peut prétendre, est singulier.

Par quel côté qu’on le prenne, le rapport a donc des fondements erronés. Au lieu de traiter par la suppression, avec un paralogisme confondant chez des responsables institutionnels, le problème du recrutement dans une filière appréciée dans le post-bac et les métiers ultérieurs, le ministère serait mieux avisé de renforcer les matières qui restaureraient l’attrait de L pour les lycéens, et pérenniseraient la satisfaction de leurs futurs employeurs.

4) De vieilles lunes défaitistes.

Le rapport, pourtant fait par des inspecteurs généraux de diverses matières, ou de l’administration générale du ministère, dont la qualité semble peu suspecte d’idées reçues et de conformisme, manie sans distance aucune les poncifs les plus éculés et les plus triviaux attachés aux " littéraires ".

" La formation qu’apporte la série L n’apparaît pas comme adaptée aux exigences les plus visibles de la société contemporaine dont l’environnement, les objets et les pratiques reposent sur la technique. Or, l’essor de la civilisation techniciste se fonde sur le développement des sciences de la matière et le langage mathématique. En outre, le triomphe des écrans (télévision, Internet) s’est fait à l’avantage des supports de diffusion plutôt que du sens et du contenu, ce qui n’a pas été sans conséquences sur le déclenchement et le développement des vocations de type " littéraire ". (17)

Reprenant à leur compte l’idée que l’avenir de la société n’est que technique et non réflexif, adoptant sans recul la conception naïve d’un Internet diabolisé et non simple vecteur nouveau d’une information toujours à refaire et à maîtriser quel qu’en soit le support, - l’invention de l’imprimerie a-t-elle fait disparaître les écrivains, les philosophes, les historiens, sous les caractères de plomb ? -, le rapport sur la filière littéraire accepte tranquillement le monde comme il va, et, comme l’opinion publique mal informée, adore le veau d’or de la technique.

On est fâché de rappeler à ses auteurs que " science sans conscience n’est que ruine de l’âme ", et que tout développement de la science et de la technique appelle son corollaire qui exige de penser le progrès et la découverte. Les avancées génétiques sont inhumaines sans la réflexion éthique de la philosophie, l’informatique est invasive sans la protection de commissions " informatique et liberté ", le modèle intellectuel de la " décroissance " peut faire repenser l’économie, etc. Il est stupide de prendre des airs effarouchés pour " craindre que la mondialisation ne fasse qu’accroître ce décalage " ; la mondialisation au contraire appelle à le réduire : les problèmes ne sont plus nationaux ni continentaux, mais mondiaux, et exigent donc une réflexion de plus en plus approfondie qui réclame finesse d’analyse et de discernement, connaissances historiques, humaines et sociologiques, recul et esprit critique, fondements et moyens de pensée de la philosophie, que seuls donne une formation littéraire digne de ce nom. Comment expliquer d’ailleurs la vogue actuelle des " cafés philosophiques ", si elle ne répond pas à un besoin ou à une urgence ?

Quoi qu’il en soit, on attendrait de décideurs chargés de préparer le futur une pensée plus prospective, plus perspicace et plus dynamique que l’adéquation paresseuse à l’air du temps. On pense donc l’avenir de la filière L sur la foi de l’opinion publique ? A moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse de lui préparer le billot, lequel ne demande pas tant d’arguments.

5) L’Inspection générale à Epinal

" C’est donc bien d’un problème d’image dont (sic) souffre le plus aujourd’hui la série : elle est souvent présentée, de façon caricaturale, comme une série sympathique, où l'on a du temps pour soi, peuplée pour l’essentiel de jeunes filles généralement fâchées avec les mathématiques, et qui ne mènerait à rien hormis, pour les meilleurs, au métier d’enseignant.

Cette image, peu compatible avec le discours officiel sur l’égale dignité des formations, est pourtant portée et colportée par l’ensemble de l’institution. " (p. 25).

Comme on le voit, le colportage n’est pas fini. Et les colporteurs sont à l’Inspection. Archaïques bien sûr : qui a encore, sauf au ministère, cette idée loufoque de la série L ? Le rapport, faute de rigueur, ne fait d’ailleurs jamais clairement le départ entre les préjugés [les termes " image " (13, 18, 25…), " apparaît " (19, 45, 47…), " représentations  (51)", " réputée " (19) et " réputation " (six occurrences) " perçu " (22), " visibilité " (23), " donnent l’impression " (45), " affichage " (55), et ainsi de suite] et sa conviction, semblant par là adhérer à toutes les erreurs d’appréciation. Or il est bien évident que l’avenir des enseignements littéraires ne peut se décider sur des apparences. Le rapport en ceci n’est pas sérieux. Et l’audience qu’il s’est donnée dans les média est ici gravement contre-productive pour la série : les journalistes et les lecteurs ou auditeurs ne peuvent imaginer qu’un ministère ne les entretient que d’impressions, dévalorisantes, d’" une approche subjective et approximative du réel " et non d’une analyse objective. La partialité éclate à toutes les pages, car un adjectif négatif rôde toujours dans les parages des apparences : " mauvaise image ", " image dépréciée ", " image ambiguë ", " image peu compatible ", " faible visibilité ", " manque de visibilité ", etc. Les élèves littéraires qui ont eu vent du rapport en ont été blessés. Ravis de leurs études et de leur originalité, ils ont découvert que pour les autorités ils étaient moribonds et au rencart. Belle victoire ministérielle !

Ajoutons la féminisation (13, 25) aux facteurs de dépréciation [11], comme si l’" indice garçons " était un signe de meilleure qualité : l’imaginaire des Inspecteurs est à nu.


B. Pourquoi tant de haine ?

1) Platon, quels " standards " ?

Les études scientifiques s’appuient sur des langages et des contenus correspondant mieux aux standards " internationaux " que ceux d’une série littéraire dont les caractéristiques peuvent apparaître comme très franco-françaises. " (17)

On atteint ici l’insondable. De même que l’Inspecteur général des lettres Alain Boissinot appelait en 2000 à sauver le littéraire par la disparition (ou la transformation, autant dire la dénaturation) de la littérature [12], voilà que nos inspecteurs reprochent à notre littérature d’être française… Jusqu’ici, on la croyait pourtant universelle - les traducteurs d’ailleurs sont là pour en témoigner - et appartenir non à la France mais à l’humanité : qui ne voit que nombre des meilleures études de la littérature française se font à l’étranger, que le XVIIIème siècle est traité à Oxford plus qu’à la Sorbonne, que la " Voltaire Foundation ", non contente d’approfondir l’œuvre de Voltaire, est en train d’éditer la correspondance de Bayle (première édition critique du corpus), que le prochain colloque Proust aura lieu à Londres ? Nos " standards " " franco-français " ont tout l’air d’être furieusement " internationaux " ! Le petit monde fermé de l’Inspection a des ignorances.

Il doit ignorer aussi que les meilleurs échanges " intellectuels " se font par des sites conçus dès la première heure de la Toile par des professeurs de lettres français (par exemple : Fabula http://www.fabula.org/, " Ressources en langues anciennes " de Versailles, www.ac-versailles.fr/pedago/Lettres/ensla.htm), canadiens (Michel Pierssens), belges (Louvain) que les standards de l’informatique – prétexte poussiéreux que la pensée unique de l’Inspection n’invoque que pour mieux nourrir son dénigrement - n’ont jamais rebutés ou gênés : un vrai littéraire s’approprie tous les langages, et surtout les comprend. Les musées et les bibliothèques, les services culturels de l’ensemble du territoire, les théâtres et les opéras l’ont immédiatement saisi.

Il ignore enfin que bien des recherches menées en classe de français sur les œuvres (avant que la réforme du lycée n’occulte leur singularité) se faisaient par le biais de l’hypertexte ou de la lexicométrie, et que leur fausse opposition entre informatique et littérature dessert leur propos et discrédite leurs conclusions [13].

2) " Une approche subjective et approximative du réel "

L’idée prédomine aujourd’hui que seules les mathématiques, les sciences, l’économie ou la technologie sont adaptées aux besoins du marché du travail alors que les études littéraires seraient déconnectées de l’actualité sociale.

L’adjectif "littéraire" lui-même a pris une connotation souvent péjorative, qui l’identifie à une approche subjective et approximative du réel, et au manque de rigueur. On sait en outre à quel point les "intellectuels" jouissent dans l’opinion d’une image ambiguë : les "littéraires", qui en sont la quintessence, ne sauraient prétendre à plus d’indulgence .(p. 18)

Un seul conditionnel, tout au présent de vérité générale : quelle différence entre la pensée experte d’une Inspection et l’idée reçue ? On n’est plus au ministère, mais dans un café du commerce. Les préjugés les plus rebattus dictent son mépris et sa condamnation : l’indulgence va à un coupable… Là encore l’ignorance le dispute au ridicule : la littérature justement éclaire le réel, et débusque la réalité sous les apparences, la vérité sous les mots. Quelle meilleure explication de la cupidité et du calcul que la lettre de Charles Grandet à sa cousine, de l’arrivisme que l’itinéraire de Bel-Ami ? Les inspecteurs généraux ont-ils lu Zola, dont " les thèses, les méthodes, et l’épistémologie (…) sont ce qu’il y a de meilleur dans les travaux scientifiques de ce temps " selon Michel Serres ? Ont-ils lu Maupassant : " Quelle que soit la chose qu’on veut dire, il n’y a qu’un mot pour l’exprimer, qu’un verbe pour l’animer et qu’un adjectif pour la qualifier. Il faut donc chercher, jusqu’à ce qu’on l’ait découvert, ce mot, ce verbe, et cet adjectif, et ne jamais se contenter de l’à peu près. " C’est cela, une approche subjective et approximative ? Moins en tout cas que celle de scientifiques qui, incapables de traduire et de comprendre les textes anciens faute de connaissances littéraires et linguistiques, ignorants de l’Histoire des oracles et de la dent d’or de 1687, disputent depuis trente ans de la température de l’enfer et du paradis. [14] Ou qui se sont fait piéger dans l’affaire Hwang Woo-suk, en cédant " à la volonté de croyance en même temps qu’au culte de l’efficacité, (…) ce qu’il reste de la science quand la technoscience a presque tout mangé " [15].

Quant au réel, la littérature en fait son objet. Maupassant, à nouveau : " La vie encore laisse tout au même plan, précipite les faits ou les traîne indéfiniment. L’art, au contraire, consiste… à mettre en pleine lumière, par la seule adresse de la composition, les événements essentiels " [16]. L’écrivain montre non seulement le réel, mais ses sources et ses replis, et le décape de ses accessoires ou de ses illusions. La métaphore ou la connotation dévoilent et expliquent. Le romancier met en évidence ou devine ce que le document ne sait pas montrer, comme l’a dit Pierre Nora à Jonathan Littel à propos des Bienveillantes : " La façon dont vous racontez Bavy Yar, par exemple, est supérieure à tout ce que les historiens ont dit " [17] On ne voit pas en quoi l’économie ou la technologie seraient plus précieuses que la compréhension de la vie, et plus adaptées à la finesse et à la perspicacité nécessaires aux métiers " intellectuels ", nous dit-on.

Quant à la rigueur, il n’y a pas plus scientifique qu’un plan de commentaire ou de dissertation bien fait, et ne sait-on pas que depuis qu’on en a dépouillé les mathématiques, le français et la philosophie sont les seules disciplines où les élèves font encore des démonstrations ? La dissertation n’est rien d’autre qu’une réponse à un problème, qui n’est terminée que lorsque la solution est épuisée. Le commentaire n’est rien d’autre que la justification la plus complète et la plus rigoureuse, par le texte, de toute affirmation ou intuition : le français n’accepte jamais les extrapolations gratuites. Qui est plus scientifique et strict ? Quelle est la matière où toute hypothèse de sens n’est acceptable chez l’élève que validée à outrance par la plus grande exactitude ? Quelle est la matière où le sens trouvé n’est qu’une étape d’un autre sens plus profond encore à rechercher ?

3) Le français, ce pelé, ce galeux…

" Entre 1992-93 et 1999-2000, les réformes ont progressivement déplacé le centre de gravité de la série L vers le français " (28)

" L’augmentation des horaires, l’introduction d’un enseignement et d’une épreuve obligatoires de littérature en Terminale, le doublement de l’horaire de cet enseignement ont déplacé le centre de gravité de la série L vers le français, reportant sur cette discipline, pour une très large part, le poids de son identité. Ni la philosophie ni l’histoire-géographie ne concentrent sur les deux années autant de points de coefficient au bac et d’heures d’étude. " (29-30). " Le "recompactage" autour des "Lettres" a profondément nuit (sic) à la série littéraire." (27)

Le rapport n’en est pas à une contradiction de rédaction près, puisqu’une autre page incrimine au contraire la faible place du français dans la spécificité de la série (" Dite " littéraire ", elle ne consacre, depuis une date relativement récente d'ailleurs, à la littérature qu’un temps assez peu discriminant au regard des autres séries " - 21). Cependant, dans la majorité des propos, le français, et la place prééminente qui lui serait faite en L, endosse toutes les tares.

Pourtant, le coefficient 9 dont il dispose est égal ou proche, jamais supérieur, à celui des dominantes des deux autres séries : sciences économiques à coefficient 9 en filière économique ES, ou mathématiques à coefficient 8 en filière scientifique S, pour peu que les unes et les autres soient choisies en spécialité. Il aurait donc été paradoxal que le français ne soit pas la dominante de la série littéraire, et que la formation donnée par la pratique intensive de l’analyse littéraire et le maniement le plus fin de la langue ne soit pas le signe de reconnaissance de la filière.

Les Inspecteurs pourtant l’attaquent, en tant que matière " malade " : " Or, le français, en tant que discipline scolaire, du fait de la massification, souffre de nombreuses ambiguïtés tenant, en particulier, à l’hétérogénéité du public visé et aux attentes contradictoires de l’opinion à son égard. Comme discipline fondamentale, il concerne toutes les séries et participe de la formation générale du futur citoyen. Comme enseignement de spécialité, il se fixe des objectifs plus ambitieux qui viennent se heurter à la réalité des besoins sur le terrain. Le public lui-même est partagé sur ses finalités. (…) En outre, il concentre et révèle, plus que les autres disciplines, les symptômes du malaise social : illettrisme, inégalités, exclusion, violence…, il n’est pas de problème important de notre société qui ne renvoie à des insuffisances supposées de l’école et notamment de l’enseignement du français. Dès lors que cette discipline devient la première discipline de la série L, on comprend que le malaise augmente." (30)

C’est la nature même de la filière qui est ici attaquée : sa discipline fondamentale est accusée de son échec, en raison même de ses richesses et de la variété de ses apports. A-t-on jamais vu les mathématiques en elles mêmes rendues responsables des problèmes de la filière S ? En quoi une matière peut-elle être nocive, et en quoi " l’opinion ", " le public " auraient-ils à se mêler de codifier ou dénigrer une discipline qui relève d’une définition académique et institutionnelle, de l’art, ou des nécessités de la formation intellectuelle ? En quoi, surtout, des Inspecteurs généraux peuvent-ils rejeter sur une matière qu’ils prétendent indispensable des problèmes qui relèvent soit de l’enseignement et " des besoins sur le terrain ", soit d’une politique ? Une analyse saine se mène d’autre manière. Ou bien que les Inspecteurs dévoilent la commande qui leur est faite ainsi que le désir de voir disparaître la filière littéraire, au lieu de les éluder et de les noyer dans de demi-aveux, lourds de rancœur contre l’enseignement - " une série (…) qui ne mènerait à rien, hormis au métier d’enseignant (25) " actuellement en partie discrédit(é) (17)" -, la littérature - à la " connotation souvent péjorative " -, ou les professeurs de lettres – " comme s’ils étaient les premiers à ne plus croire en leurs propres disciplines. " (25). De telles passions ne mènent à rien de solide, même si elles se parent d’enquêtes ou de statistiques destinées à des apparences de sérieux.

Des boucs émissaires

La réforme du français au lycée, mal menée de 1999 à 2003, avec de pesants atermoiements officiels qui n’ont eu de cesse de déstabiliser cet enseignement, est constamment présentée comme positive en même temps que la matière est dénigrée - curieuse schizophrénie. Les débats qui ont à juste titre contesté des changements regrettables dans les programmes de la discipline (la connaissance des œuvres de la littérature passant au second plan derrière l’acquisition d’outils discutables de classification) sont stigmatisés et défigurés par le rapport sous forme de " positions défensives et soubbbvent caricaturales elles-mêmes victimes de représentations négatives ", du " resserrement du champ des lettres sur la littérature " pure ", de " diabolisation de l’image " (32). Les professeurs de lettres soucieux à la fois des difficultés et des besoins de formation littéraire solide des élèves, déjà dénigrés dans d’autres passages, sont ici qualifiés de " tenants d’une conception nostalgique des humanités ".

Bref, un rapport qui se veut objectif et impartial continue à diffuser à l’égard des professeurs de français une haine profonde qui ne s’est jamais démentie à l’Inspection générale des lettres depuis 1999, lorsque le doyen Marc Baconnet voulait " déscolariser le français [18]. Le règlement de comptes de l’Inspection des lettres paralyse ici l’analyse, et l’annule. L’accusation de " resserrement du champ des lettres sur la littérature " pure " (31), tombe à plat : la restriction du champ aux réalisations majeures de l’écriture n’est-elle pas corollaire de l’approfondissement et de la qualité de la formation ? "La lecture d’un seul poème, d’une seule page de Rabelais, de Molière ou de Proust, même isolée, pourrait suffire à ouvrir tout l’éventail des questions et des réponses que le texte lance sur les voies de la biographie intérieure, du psychisme humain, du rapport à l’histoire, de l’anthropologie culturelle, du travail de la langue et, par-dessus tout peut-être, sur celles qui conduisent à la jouissance de lire, au sentiment de la beauté et de l’unique. A la condition que l’élève soit incité (...) à ouvrir grand le rideau sur la scène du texte." [19]

 

C. Table rase.

1) En finir avec les pauvres

L’imaginaire des Inspecteurs parle sans fard lorsqu’il corrèle la répulsion de L avec la présence d’élèves "  cumulant un certain nombre de handicaps socio-économiques ou socioculturels " et ajoutant : " on comprend dès lors qu’il existe dans les esprits des élèves comme dans celui des enseignants une image hiérarchisée des trois filières générales au détriment de la filière littéraire, conduisant les meilleurs élèves, qui sont souvent les plus favorisés d’entre eux du point de vue socio-culturel, à s’orienter en S. Cette dépréciation de la série L ne peut que dissuader de s'y engager ceux qui souhaiteraient poursuivre des études littéraires par goût des disciplines enseignées ou en fonction d'un projet personnel. ".(13). Pour plaire à nos Inspecteurs, il faut donc être bon élève et riche ; si on est pauvre, on verra de ses yeux ses camarades se détourner de soi – légitimement selon nos inspecteurs -, sa filière dépréciée par l’IG, puis fermée par les autorités… A l’extrême limite, même fille, la riche passe la barre – les " arts d’agrément " sont bien assez bons pour elle, et il s’agit de conforter les préjugés : " le choix des études littéraires paraît plus facilement acceptable pour une jeune fille, notamment dans les milieux favorisés et très favorisés, où se manifestent encore des réticences à orienter les filles vers les carrières scientifiques et surtout industrielles "(13).

 

2) En finir avec le " patrimoine "

" Les enjeux ne sont pas minces. Derrière le déclin de cette formation se profile en effet une autre menace, celle de voir disparaître un pan essentiel de notre tradition et de notre culture. Or, ce patrimoine représente une certaine vision du monde, un mode d’expression original de l’expérience humaine. Plus simplement, il nourrit une approche intellectuelle profitable à un fonctionnement social équilibré – particulièrement utile dans un monde où l’information et la communication exercent un rôle décisif. " (7)

Dernier poncif : la série littéraire relèverait de la " tradition ", du " patrimoine " et serait " historique " - bel euphémisme pour ne pas dire archaïque. Bref, du côté de la momie à conserver comme émouvant souvenir " d’une certaine vision " d’un monde disparu. Et n’oublions pas le " supplément d’âme " abandonné à la moribonde par des décideurs compatissants : maintenir " un fonctionnement social équilibré ". La littérature comme ciment du consensus social ! Les Inspecteurs ont-ils lu Antoine Compagnon, et bien d’autres, mettant justement en valeur les ferments contestataires et novateurs de l’art : " Les modernités ont toujours insisté sur la fonction de rupture des normes sociales exercées par la littérature " [20]. Sont-ils du côté du procureur Pinard ? Le cabinet Darcos quant à lui a pris récemment peur devant la dernière Palme d’or du Festival de Cannes… Célébrons au contraire le caractère vivant, créatif et prospectif de la série littéraire. Et regrettons que les Inspecteurs ne voient pas que dans les œuvres bien expliquées du passé, les élèves lisent et cherchent, aussi et encore, le présent de leurs préoccupations et de leurs émois.

3) En finir avec le bac.

" Il est beaucoup plus difficile, même pour un très bon élève, d'obtenir une très bonne note à une dissertation de philosophie, un devoir de français ou d'histoire qu'à une épreuve de maths ou de sciences physiques. " (10)

Les matières phares de la série, philosophie et français, qui sont le fondement des qualités littéraires recherchées par les professionnels, deviennent ainsi dans le rapport la cible des attaques : elles empêcheraient d’avoir facilement non seulement une mention, mais même l’examen, vu ici non comme une certification et une vérification des acquis, mais une sorte de dû social, indépendant de la moindre connaissance. Nouvelle absurdité chez nos responsables, capables de préférer un diplôme vide de contenu à une véritable formation, et de liquider une série de baccalauréat pour l’exigence intellectuelle qui fait sa difficulté certes, mais en revanche sa qualité et son intérêt. Dans les années 90, un recteur de l’académie de Lille, Claude Pair, déclarait devant un amphithéâtre de futurs professeurs que l'objectif de l'école n'était plus la transmission des connaissances, mais la réussite des élèves. Il a été rejoint.

Le clou est enfoncé un peu plus loin :

De surcroît, la philosophie est perçue comme une discipline à faible rendement à l’examen. La moyenne au baccalauréat s’est certes élevée depuis quelques années, mais elle reste inférieure à celle d’autres disciplines, et ne dépasse que rarement 9,5/20. La réputation faite aux professeurs de philosophie d’exiger, au baccalauréat, un niveau de compétence trop exigeant au regard des acquis culturels des lycéens d'aujourd'hui n’est pas fondée, mais la discipline est en elle-même plutôt discriminante."

La scolarité n’est plus vue comme un parcours de formation, mais une course à l’échalote mesurée au " rendement " et destinée à engranger les points de l’examen, même vides de signification : ainsi en est-il des TPE (travaux personnels encadrés) qui n’ont rien de " personnel " puisque réalisés en groupe, ni de " travaux " puisque souvent réduits à de piètres " copiés-collés " de documents à peine compris. L’esprit de " recherche " qu’ils seraient censés développer vire avec eux au contresens : les élèves remplacent une démarche intellectuelle créatrice de ses propres pistes par une recherche fébrile d’ "informations " toutes prêtes qu’il suffirait de découvrir sur Internet pour obtenir une bonne note [21]... Le point de vue " consumériste " d’élèves trompés par les instances du ministère est repris sans aucune distance par des Inspecteurs en principe comptables d’une formation authentique : " On sait que les TPE ont été d’autant mieux apprivoisés, pour ne pas dire plébiscités, par les élèves de toutes les séries qu’ils y trouvaient un moyen de gagner des points pour le bac. " (50) Une telle confusion des ordres quantitatif et qualitatif, tant d’inconséquence ou de vue à court terme laissent pantois. Ainsi les Inspecteurs généraux sont-ils prêts à condamner, par démagogie, tous les enseignements porteurs d’exigence qu‘ils sont censés représenter et défendre, ici la philosophie, le français, l’histoire : au risque effectif de la pensée, ils préfèrent des pourcentages.

Dans ces conditions, toute rénovation de la filière S, qui ne fournit plus de bons scientifiques faute de programmes conséquents [22], est vouée à l’échec : des mathématiques exigeantes ou " discriminantes " feraient chuter les taux…, faisons-leur la chasse. Qu’on pousse la logique à son comble : pour obtenir 100% de réussite au baccalauréat et donc l’égalité parfaite, il faut supprimer toute connaissance, toute discipline, toute complexité, tout raisonnement, partant tout enseignement. Et surtout toute filière littéraire, pour faire bonne mesure, elle qui a l’impudence de former et promouvoir, en sus des connaissances, l’esprit critique propre à les évaluer et les relier, mais avare de " rendement à l‘examen ". Autant dire que la formation du jugement et l’esprit des Lumières si porteurs de recul réflexif et de discernement ont disparu de l’horizon de nos Inspecteurs généraux, réduit, quel progrès et quelle victoire de l‘esprit, aux " attentes… de l’opinion " (30). Il est vrai que le mouvement d’éviction de la réflexion argumentée date de loin : il était la raison de l’introduction en 2001 du sujet d’invention au baccalauréat de français. Le rapport sur la filière L le met en évidence : foin de l’instruction, plions la formation des élèves aux demandes sociales, soit à l’air du temps peu informé ou erroné, et peut-être lourd de déboires économiques : l’efficacité professionnelle existe-t-elle sans connaissances, sans réflexion ni jugement ?

 

D. Florilège.

La subjectivité, l’opinion, le fatalisme débilitant constatant passivement et compulsivement – vingt et une occurrences du terme - "le déclin… inexorable de cette formation " ne sont pas les seuls fondements erronés et consternants du rapport. Des ignorances de fond, des contradictions même s’y font jour, attestant que ce document a été composé de bric et de broc par des Inspecteurs ne disposant pas tous d’une connaissance suffisante de la filière ni du même degré d’information, et en tout état de cause qu’il n’a pas été relu.

Les mentions en L.

" On sait depuis longtemps qu'il est beaucoup plus difficile, même pour un très bon élève, d'obtenir une très bonne note à une dissertation de philosophie, un devoir de français ou d'histoire qu'à une épreuve de maths ou de sciences physiques. Les mentions "bien" et "très bien", sont donc plus difficiles à obtenir, même pour un bon élève littéraire et cela pénalise ceux qui veulent entrer dans une CPGE, un IEP, ou dans certaines formations post bac (IUT ou certains BTS) pour lesquelles la mention est un élément essentiel du dossier de candidature ".(10)

Les dossiers de candidature en CPGE, IUT et BTS sont constitués bien avant le baccalauréat, de trois à cinq mois avant selon les filières, et les élèves savent avant l’examen s’ils sont acceptés. La mention n’a donc aucune importance, sauf à l’IEP de Paris. Quant aux IUT qui recrutent sur concours (en info-com journalisme par exemple) avant les résultats du bac, ils n’ont que faire des mentions et s’en remettent à leurs propres épreuves. On ne voit donc pas en quoi les L seraient pénalisés. Cette légende des mentions a la vie dure chez les parents, on est fâché de constater que l’IG n’est pas mieux informée.

Les arts.

Une confusion plus grave affecte la place des arts dans la filière littéraire : alors qu’en série L la spécialité " arts " (plastiques, cinéma/audio-visuel, théâtre, histoire des arts, etc) occupe une place de choix, à la fois en horaires (de 5 à 8 heures hebdomadaires), en épreuves (une dissertation écrite et une épreuve orale) et en coefficients (6, éventuellement couplé à un coefficient 2 d’épreuve facultative supplémentaire), le rapport la compare sans sourciller, en qualité et intérêt, à… l’ "atelier " d’arts à 2 heures hebdomadaires facultatives proposé dans les autres séries générales :

" Certains enseignements perçus comme caractéristiques de la série L, les arts en particulier, pourraient constituer des vecteurs d'identification ; mais, comme on l’a vu, ils ne concernent que 20% de l'effectif et cette identification est faussée du fait qu’une option facultative " enseignements artistiques ", non moins intéressante, est simultanément offerte aux séries S et ES. De plus, l’existence de séries technologiques " STI - arts appliqués " ou " Techniques de la musique et de la danse " (TMD) ne contribue pas à accroître la lisibilité du paysage. " (22).

Elèves et professeurs des sections " arts " apprécieront tant de compétence, et la pertinence informée des comparaisons. Si les arts ne représentent que 20% des élèves de L, c’est que les autres ont opté pour une autre spécialité " obligatoire au choix ", langue ou mathématiques. Et la comparaison avec les séries technologiques correspondantes (très rares et parfois absentes de certaines académies) est ridicule, puisque justement elles sont technologiques et non générales, et dénuées de suites universitaires comparables. A-t-on jamais eu idée de comparer ES et STG ? Et de comparer leur coexistence, très répandue, à une absence de " lisibilité " ? L’acharnement dans le dénigrement de L cultive la désinformation. L’erreur est réparée à la page 52 : " Au final, une vraie dynamique s’est créée autour des enseignements artistiques qui a d’abord profité aux L, étant donné le nombre d’heures qui leur sont attribuées et leur fort coefficient au baccalauréat (6), comparable à celui de la philosophie (7), ou encore à celui des sciences en S (5 à 7). ", mais était-il utile et sérieux de la commettre et de rédiger deux pages contradictoires dont l’une fautive, sauf à vouloir nuire ? Ou à adhérer une fois de plus aux poncifs les plus rebattus sur les arts, " ces disciplines génératrices de préjugés " (51), ou les lycéens qui les ont choisis : " à tort ou à raison, les élèves de ces sections ne bénéficient pas toujours d’une excellente réputation " (53). Est-ce à des Inspecteurs généraux, en principe éclairés, de continuer à répandre des rumeurs précisément infamantes, et de scier consciencieusement une des branches qui fait l’intérêt et la spécificité irremplaçables de la filière L ? On voudrait la supprimer qu’on ne s’y prendrait pas autrement, par l’affichage du mépris.

On admirera au passage que les Inspecteurs se plaignent de l’absence de débouchés visibles de la filière : eux-mêmes ne les connaissent pas. Ou ignorent la formation exigeante donnée par les arts : " les enseignements artistiques ont encore du mal à s’imposer comme producteurs de savoirs construits, de méthodes rigoureuses, de capacité d’analyse et d’argumentation. " (53-54) Curieux, lorsque la moitié de leur coefficient 6 est dévolu à une épreuve de dissertation. " D’un côté on s’accorde pour reconnaître chez les élèves qui les choisissent une curiosité intellectuelle, une mobilité mentale, une personnalité et une ouverture d’esprit que l’on trouve de moins en moins souvent chez les lycéens, de l’autre, ces qualités sont méconnues et les enseignements artistiques restent encore dans une dynamique de conquête de leur légitimité ", même auprès des responsables si modernes du ministère, au bout de plusieurs décennies d’existence en L.

Les modules.

Une ignorance semblable concerne les modules : " la réforme n’a pas été suffisamment assortie d’une réflexion pédagogique globale sur la manière d’accompagner les adolescents dans leur hétérogénéité pour que puissent réellement s’épanouir les talents des uns et des autres – les modules n’ont pas suffi à pallier cette insuffisance. " (28) Nos Inspecteurs savent-ils que les modules de 1991 ont été pratiquement supprimés en 1999, en étant remplacés en seconde, depuis huit ans, par une heure d’" aide individualisée " ne concernant que huit élèves par classe et ne laissant de " module " que... 30 minutes par semaine, et supprimés en première à la même date par l’introduction des TPE ? Une sérieuse mise à jour des connaissances s’impose.

Les langues anciennes.

Le rétablissement du latin au niveau des matières obligatoires aurait pu être l’occasion de restaurer ce qui fut longtemps la discipline de distinction et de rigueur chez les littéraires, mais il n’a pas joué ce rôle puisque, comme on l’a vu, la deuxième langue vivante a été mise d’emblée en concurrence avec les langues anciennes, au niveau fondamental comme au niveau des options, et, de fait, on constate qu’elles sont aujourd’hui plus étudiées, en chiffres absolus, en S qu'en L. (En 2002, 7794 élèves faisaient du latin en Terminale L et 1335 du grec, alors qu'on en trouvait 9539 et 1535 en série S). Les nouvelles dispositions ont permis à la série S de confisquer à la L les bons élèves (qu’ils soient littéraires ou scientifiques). " (30) Comment parler encore de " déclin inexorable ", lorsqu’il ne s’agit pas de destin funeste, mais de l’incohérence et de la stupidité des " nouvelles dispositions " qui ont plombé la série littéraire ? Pour rétablir la possibilité de l’étude du latin en L, il ne fallait pas le mettre en concurrence avec une matière aussi courue que la seconde langue vivante, obligatoire depuis la 4ème, appréciée des littéraires, et munie éventuellement d’un renforcement en spécialité à coefficient 4, alors que le latin en est dépourvu.

Quel aveuglement que d’évoquer sans faiblir " la politique volontariste de revalorisation des langues anciennes " (48), ou quelle ignorance que de s’ébaubir comme nos Inspecteurs devant le nombre d’élèves latinistes et hellénistes de S (11) : depuis la réintroduction de la LV2 dans le tronc commun de S, le latin et le grec n’y rencontrent aucune concurrence, et sont presque la seule matière qui puisse être choisie par les scientifiques en épreuve facultative, " rapportant des points " à coefficient 3 au baccalauréat. Qu’on ne dise pas que les littéraires ne choisissent pas le latin, quand dans les faits il leur est presque impossible de le faire sans nuire au reste de leur formation. Et que ces merveilleux scientifiques y parviennent, alors qu’ils n’ont pas d’autre possibilité facultative [23] ! Le comble du comique involontaire est atteint page 48 : " Le latin intervient, en concurrence avec la LV2, parmi les enseignements communs en série L. Cette possibilité n’est pas offerte dans les autres séries. " Heureusement : que resterait-il, sinon, des langues anciennes ?

Les langues vivantes.

L’Inspection nage ici dans le même dédale de contradictions et d‘incohérence. Regrettant d’une part que les langues n’aient pas été reconnues comme une dominante intéressante de la filière L (" Etant donné que 70% des élèves choisissent aujourd’hui la voie littéraire pour étudier les langues, on aurait pu s’attendre à ce que celles-ci constituent un levier pour la série L. Les choses ne se sont pas passées ainsi, sauf peut-être pour ceux qui ont fait le choix de l’option langue vivante renforcée. Il y avait là une occasion d’être la série de l’excellence dans un domaine. Les langues donnent l’impression de ne pas y jouer pleinement le rôle qu’elles pourraient y jouer " (45), elle peine à reconnaître que l’enseignement des langues a été presque détruit par la réforme Allègre qui en a massacré les horaires : " La modification des horaires, intervenue à la rentrée 2000, à (sic) touché les trois filières. Elle aurait pu être une opportunité pour mieux répondre à la demande d’un grand nombre d’élèves ayant fait le choix de la série L. Cela n’a pas été le cas : sur les deux années du cycle terminal du lycée, l’horaire des L a été diminué (…) de 0h30 en LV1 et 2 h en LV2. (…) Le résultat ne concerne pas spécifiquement la filière L, qui n’a pas fait l’objet d’un traitement particulier et qui a été juste un petit peu moins touchée que les deux autres [24]. Si l’on examine aussi bien les horaires anciens que les nouveaux, on peut dire qu’à aucun moment, les langues n’ont vraiment été l’apanage des L " (46).

Le propos est ambigu : si le ministère est responsable du déficit des horaires de langues vivantes en L, et du manque de " traitement particulier ", le " déclin " littéraire cher aux Inspecteurs n’est plus " inexorable " (8), mais orchestré et programmé, et donc aisément réversible, surtout s’il concerne " 70% " (45) des effectifs de la filière : n’y aurait-il pas là le moyen de retrouver des effectifs décents ? D’autre part, l’Inspection s’en tient aux horaires minima, en omettant les coefficients et les options de langues propres à L, qu’elle semble totalement ignorer comme le montrent les tableaux lacunaires des annexes du rapport, dépourvus des coefficients d’examen : L est la seule série où les langues peuvent être valorisées en horaire et à l’examen, grâce à la spécialité " langue de complément ", faisant monter le coefficient de la LV1 ou de la LV2 à 8, sur deux épreuves (épreuve obligatoire et épreuve de spécialité sur programme littéraire), coefficient équilibrant sensiblement le français de coefficient 9, la philosophie de coefficient 7. Mais le mensonge par omission dessert efficacement la série L : n’est-ce pas le but du rapport ? Et les média embraient sur le " déclin ", bien sûr : comment peuvent-ils soupçonner que les spécialistes ministériels ignorent leur sujet ?

Le sort dévolu à la LV3 montre la déshérence réservée à la série : " La LV3 a pu, lors de son introduction, et pourrait encore servir de moteur, et il est vrai que l’emploi du temps de L étant le moins chargé, elle y trouve assez naturellement sa place. Mais elle disparaît progressivement : d’une part, les effectifs de L s’effritent (…), d’autre part, la réduction de l’offre d’options obligatoires dans un établissement permet de récupérer des heures – ce qui n’encourage pas les proviseurs à en faire une priorité. " (47). Quel meilleur aveu de l’abandon des langues vivantes en L ? Les élèves (même faibles, même pauvres, même filles, même artistes) n’y sont pour rien : il s’agit d’une suppression officielle et orchestrée, liée à des économies dans l’offre d’enseignement. La filière L a perdu le tiers de son horaire de langues ? : c’est ce que le rapport appelle sans rire " la politique de développement des langues vivantes " (45).

Eau tiède et philosophie.

La philosophie suscite la déclaration la plus naïve du rapport : " Pour reprendre les mots d’un inspecteur pédagogique régional, " L est la seule série où l’on choisit en fin de seconde une matière qu’on ne connaît absolument pas, qu’on ne découvrira qu’en terminale " (22). Quelle surprise ! Mais quelle fausseté aussi : la philosophie a toujours été le dernier enseignement découvert, correspondant à la conclusion naturelle des études générales, qu’elles soient littéraires, scientifiques et techniques, une fois acquises la maîtrise de la langue et de la rhétorique permettant l’expression et l’exercice de la pensée nécessaire à la philosophie. L’élève de seconde quant à lui n’a pas ce point de vue négatif, et ne se détournera pas de L pour cette raison : la philosophie, de toutes façons, apparaît dans toutes les séries ; il s’agit d’une donnée des études au lycée, qu’en général les élèves attendent avec curiosité et intérêt. La supposée spécialité de la matière, " qui a la particularité d’avoir une moyenne au bac inférieure à 10 ", ne les arrête pas davantage : il s’agit d’un calcul frileux et marchand qui n’appartient pas aux adolescents de cet âge, soucieux au contraire d’aborder une "réflexion méthodique sur les problèmes existentiels ", comme l’évoque plus justement la page 23. Pourquoi s’acharner contre la philosophie et en faire un repoussoir, alors que les sciences économiques et sociales sont un domaine tout aussi nouveau pour les élèves de ES, d’autant plus que l’initiation de seconde dans cette matière n’a que très peu de rapports avec le programme des deux années suivantes, que les notes de la discipline sont tout aussi rigoureuses, et que son coefficient est de 7 lui aussi, ou même 9 lorsque les SES sont choisies en spécialité ?

La nouveauté de la philosophie n’est qu’une banalité du lycée, qui dans beaucoup d’autres domaines, y compris scientifiques, présente aux élèves bien des disciplines sous des jours nouveaux, propres au second cycle. L’expérience montre d’ailleurs qu’une présentation de la philosophie en une ou deux heures, en seconde, loin de détourner les élèves, entraîne chez eux le plus vif intérêt, et que l’accès à la matière est moins redouté qu’attendu, avec d’autant plus de bienveillance que toutes les séries, y compris technologiques, y ont droit, ce qui égalise les élèves à leurs propres yeux. La laborieuse accusation de la philosophie n’est ici qu’un argument grossier, et cette suspicion maladroitement construite sent la mauvaise foi : autant dire directement qu’on souhaite voir disparaître la philosophie des enseignements du lycée, le raccourci aura au moins la vertu d’être honnête.

Après le rapport…

La filière littéraire mérite mieux que ces analyses sommaires et désinformées, ces contradictions inadmissibles reprochant à la série littéraire de ne pas être identifiée tout en imputant sa ruine à la place excessive du français (28) et à la " vitrine " de la philosophie (22), ces préjugés d’une autre époque, qui ne sont relevés par le rapport que pour être complaisamment repris et réactivés sous prétexte de justification, cette paresse d’esprit partisane qui fait citer des établissements promoteurs de la filière littéraire (21, 53), en se gardant de jamais analyser de près leurs pratiques et les raisons de leur succès, de jamais rechercher les raisons de leur rareté.

Le temps a passé, la formation littéraire est plus indispensable, plus vivante et plus novatrice que jamais (à preuve les nouvelles filières universitaires qui s’ouvrent à elles, des " arts du spectacle " à la " médiation culturelle ", les développements de la sociologie friande de la précision et de l’esprit d’analyse des littéraires, la numérisation des bibliothèques qui ne s’embarrasse pas de scientifiques, la traduction littéraire, scientifique et juridique nécessaire à l’ouverture européenne et mondiale, etc.). La baisse des effectifs de la série est trop récente pour être assimilable à un mouvement de fond ou de société qui condamnerait définitivement la réflexion, la profondeur et la culture qui sont l’apanage de la formation littéraire. Le rapport insiste d’ailleurs et à juste titre sur le caractère récent des réformes appliquées en L, et n’hésite pas à parler de mesures " contre-productives " (8, 64). Si le déclin de L n’est que la résultante d’une suite d’erreurs et non pas d’une mutation " inexorable ", il faut déplacer l’analyse. S’il a été voulu, il faut le montrer. Enfin, il faudra se demander si les mesures palliatives préconisées par le rapport ne sont pas la fuite en avant qui précède l’enterrement, et si d’autres propositions ne seraient pas plus positives.


II. Une autre analyse.

A. Des conditions structurelles

Au lieu de parer leur propos de nébuleuses analyses sociologiques - " contexte sociétal peu porteur", " civilisation techniciste " (16), " déconne(xion) de l’actualité sociale " (17) - donnant constamment raison au monde comme il va, à la fatalité contre la volonté, et corps aux poncifs les plus rebattus, les techniciens du ministère auraient dû observer de plus près le fonctionnement effectif du lycée.

Au lieu de cultiver l’obsession de la série S, et d’interpréter la baisse de la série L comme un manque de symétrie avec elle - hypothèse de travail bien peu productive, puisque l’on sait que la filière S est elle aussi en échec en ne produisant plus de scientifiques, et logique stérile puisque poussée à son comble elle porterait à fondre les deux séries, scénario que le rapport évacue en conclusion -, les spécialistes de l’Inspection auraient dû étudier le parcours réel du lycéen littéraire. Ils y auraient découvert quelques vérités, en contradiction avec certaines de leurs affirmations, et quelques responsabilités officielles, en contradiction avec une pente " inexorable ".

Aller vers L : un " parcours " plus " fléché " que les autres.

Contrairement aux propos du rapport pointant l’absence de " parcours fléché " vers la filière littéraire en seconde (19), l’orientation vers L se prépare dès la troisième, sinon la quatrième, et ne peut se faire sans une vision claire de la structure de la filière de second cycle. Un élève qui ignore tout du lycée peut se laisser porter vers S sans projet précis : toutes les matières nécessaires ou obligatoires dans la série scientifique font partie de son univers scolaire depuis les petites classes, des mathématiques aux sciences en passant par le français et les langues : aucune volonté ni aucun projet, voire aucun goût, ne lui sont nécessaires pour se laisser glisser vers S - d’où le plus grand nombre d’élèves qui s’y retrouvent, d’où la crise des vocations scientifiques, dès lors qu’il ne s’agit justement pas de vocation, mais d’échouage dans la série dominante par la force des choses et surtout celle de l’inertie.

Les conseils donnés aux élèves en fin de troisième sont consternants : à presque tous est prôné le couplage automatique LV2/SES, alors que L demande un choix plus réfléchi, et bien antérieur. Les élèves de seconde tentés par L découvrent ainsi parfois en cours d’année, douloureusement, qu’ils auraient dû conserver leur langue ancienne de collège, ou commencer une LV3 au lieu de choisir une option SES sans suite pour eux : personne ne leur avait jamais dit antérieurement que L comportait trois langues (vivantes et anciennes) si l’on n’était pas bon en mathématiques et si l’on n’avait pas choisi d’option " arts ". Le " parcours fléché " existe donc bien, et il est beaucoup plus prégnant que dans les autres séries : un élève peut faire ES sans avoir choisi l’option SES de seconde ; on fait S sans rien choisir du tout ; un bon bac L se construit de loin, dès les options de collège.

De là l’existence des " littéraires contrariés ", mal informés, et en butte à la structure extraordinairement compliquée de la série L, que les professeurs principaux de collège ne connaissent pas, et que ceux du lycée dominent seulement s’ils sont professeurs de lettres. L’organisation de L, intéressante, est une usine à gaz pour les familles, et on comprend que certaines, effrayées par sa complexité et par leur responsabilité en cas d’erreur, préfèrent la sécurité passive de S et détournent leurs enfants, même littéraires, de cette voie dont elles ne perçoivent pas les dominantes et que presque personne ne peut leur expliquer. Le ministère est gravement coupable sur ce point, et les commentaires obscurs et dévalorisants des brochures ONISEP achèvent de discréditer la filière. Accuser les élèves de désertion de L, ou les professeurs de L d’entretenir un " ghetto culturel ", est irresponsable, quand l’Etat n’est pas capable de mettre sur pied une structure claire et solide des études littéraires, dont l’obscurité actuelle n’a rien à voir avec un problème de débouchés ni avec une absence de " professionnalisation ", mais relève de l’incompétence notoire des décideurs du ministère. Les fondements du rapport sont donc faux, à plus forte raison son analyse, et par voie de conséquence ses préconisations.

Aller vers L : découvrir le malthusianisme.

De plus, les dominante fortes que l’élève peut se choisir en L (les langues correspondant à l’ancienne voie A2 ou les arts à l’ancienne voie A3) doivent être décidées dès la fin de troisième, car elles sont (et ce sont les seules : ni l’option SES vers ES, ni l’option fantôme ISI vers S ne sont soumises à la moindre commission ni ne subissent le même malthusianisme) dépendantes de la procédure informatisée d'affectation des élèves de Troisième (Préaffectation multicritère PAM), faisant régir par l’Inspection académique l’affectation en " classe européenne " ou en section " arts " (plastiques, audio-visuels, théâtre, pour les plus répandues) à numerus clausus, de plus en général soumises à dérogation. L’élève littéraire, ou qui pense l’être, est ainsi contraint à un parcours du combattant qu’aucun autre ne connaît, et parfois à l’entrée dans un établissement éloigné, et à l‘internat. Et si la " section européenne " est ouverte à toutes les séries, seule la filière L la valorise efficacement à l’examen, en lui accordant un coefficient pouvant aller jusqu’à 10 : 4 en épreuve obligatoire, 4 en langue de complément, 2 en option de DNL (discipline non linguistique). L’affectation dans ces classes est donc souvent vitale pour le futur élève de L. Quelles familles en sont vraiment informées, sauf celles qui sont culturellement favorisées ? Qui connaît les établissements porteurs ? Quel déficit pour les classes de L ? Combien d’élèves potentiels qui n’iront jamais dans cette filière qui leur aurait convenu ? On filtre les élèves de L, jamais ceux de S. On oblige souvent les élèves de L à dérogation vers un établissement éloigné, jamais ceux de S qu’on scolarise sur pied. Et ensuite on s’étonne des différences d’effectifs ? On déplore une absence potentielle de " parcours fléché "?

Entrer en L : maîtriser une structure plus complexe que les autres.

On a vu que la préparation à l’orientation en L est liée à des choix très anticipés d’enseignements optionnels, donc peu nombreux, inégalement répartis dans les académies et le territoire, soumis à la demande et non à une obligation d’existence et d’implantation fixées officiellement - autant de matières fragilisées par essence, et moins sécurisantes pour les familles, défavorablement impressionnées par leur rareté ou leurs difficultés d’accès.

La même situation se reproduit à l’entrée en première L. Alors que les élèves n’ont rien à choisir pour entrer en première S puisque le choix de leur spécialité est retardé à l’entrée de la Terminale et ne constituera que le renforcement de l’une des trois matières scientifiques bien connues dont leur professeur de sciences en place leur conseillera le choix, peu à choisir pour rentrer en première ES sauf le renforcement en spécialité de l’une de trois matières déjà enseignées elles aussi (LV, mathématiques, sciences économiques), les lycéens de L doivent faire des choix ou prendre des décisions difficiles. Ils doivent choisir eux-mêmes leur parcours, et ne pas puiser dans le vivier des matières fondamentales de la série qu’ils n’ont pas le droit de renforcer (sauf une LV), contrairement à S et ES. Si les arts, les classes européennes et les LV3 déjà choisis sont en général confirmés, tout reste à faire pour les choix des autres élèves : quelle spécialité choisir, entre la langue vivante renforcée, les mathématiques, la langue ancienne ou la LV3, l’équilibre entre matières de spécialité et facultatives, le meilleur slalom entre les coefficients pour préserver les meilleures chances à l’examen ? De plus le poids de la spécialité est double ou triple de celui des autres séries, coefficientée à 2 en ES et S, 4 ou 6 en L. Ce statut de la spécialité lourde, intéressant en soi, devient un casse-tête dans certains cas, et inquiète les élèves, pour peu que leur professeur principal hésite lui aussi dans ses conseils. Le coefficient de la spécialité mathématiques enfin rétablie, fixé bizarrement à 3 et non 4 comme pour les autres spécialités, complique la donne en brouillant les cartes et affaiblissant le poids de la matière. On aurait voulu écarter à tout prix les élèves de la filière L qu’on ne s’y serait pas pris autrement, en multipliant les bourdes et les incohérences structurelles à un niveau inégalé pour des experts.

Le tableau suivant, comparant dans les trois séries de première les matières obligatoires (en vert), les matières optionnelles de renforcement (en rouge), les matières optionnelles supplémentaires (en rose) et le coefficient des spécialités au baccalauréat (en bleu), est édifiant

Filière L

Filière ES

Filière S

Français

Français

Français

Mathématiques

Mathématiques

Mathématiques

LV1

LV1

LV1

LV2 ou latin

LV2

LV2

Histoire-géo

Histoire-géo

Histoire-géo

Sciences de la vie et de la terre

Sciences de la vie et de la terre

Sciences de la vie et de la terre

Sciences physiques

Sciences physiques

Sciences physiques

Spécialité

Spécialité

Spécialité (2)

LV1 de complément (4)

LV1 de complément (2)

x

ou LV2 de complément (4)

ou LV2 de complément (2)

x

Ou Mathématiques (3)

Ou Mathématiques (2)

x

Ou latin (4)

Ou Sciences économiques (2)

x

Ou grec (4)

x

x

Ou LV3 (4)

x

x

Ou Arts (6)

x

x

Cette structure, moyennant quelques aménagements ultérieurs, a été appliquée à partir de 1992, soit depuis quinze ans. Or le rapport fait naïvement remarquer en liminaire, sans établir aucune relation, pourtant évidente, avec l’organisation du second cycle décidée à cette époque : " la série littéraire de l’enseignement secondaire (série L) a connu, durant les récentes décennies et singulièrement au cours des dernières années, une érosion marquée de ses effectifs. En quinze ans, ils ont baissé de 28 %. "(7) Que dire de plus, sinon que les décisions prises il y a quinze ans ont eu un effet catastrophique, que le " déclin " est moins " inexorable " (8) que programmé, et que des instances capables et responsables auraient dû discerner dans leurs prévisions des effets pervers ? L’on aurait également aimé que le rapport fournisse les chiffres antérieurs de la série, à l’époque A, pour mener une analyse sérieuse et crédible, et ne pas présenter comme fatalité irrémédiable un résultat construit de toutes pièces. La différence de traitement entre séries est trop évidente.

Entrer en L : échec et maths.

Revenant sur la réforme de 1992, le ministère a de plus supprimé en 1999, en L, la spécialité " mathématiques " à coefficient 4, qui avait préservé une suite à la filière A1, lettres-mathématiques, bien adaptée à de nombreux lycéens polyvalents, souhaitant allier une formation littéraire solide à un niveau de mathématiques conséquent, pour se préserver des débouchés. Cette suppression, remplacée un temps par une option facultative de faible rendement, effaçait un profil possible de la série, et a considérablement amplifié la chute des effectifs de L, les lycéens concernés se tournant vers S. La spécialité a été rétablie en 2003, mais incomplètement puisque de façon incompréhensible, son coefficient a été limité à 3, alors qu’il est au moins de 4 dans les autres enseignements de " spécialité " de L ; et puisque son programme et son horaire (3 heures au lieu de 5) n‘ont jamais été à la hauteur du profil A1 antérieur.

De plus, beaucoup de lycées, étranglés par l’étroitesse des moyens horaires attribués par le ministère, n’ont pu rétablir cette spécialité de 3 heures hebdomadaires lorsqu’elle a été promulguée, et leurs classes de L n’ont donc pas retrouvé leurs effectifs antérieurs, alors que l’ancienne série A1 existait dans tous les lycées.

De tels atermoiements et variations brouillonnes dans le statut des mathématiques en L, et dans le statut de la filière dans les établissements, ont durablement terni l’image de la série aux yeux des familles, et imposé l’idée d’une incompétence ministérielle, doublée de la disparition d’un statut national de la filière L, abandonnée à la bonne ou la mauvaise volonté des rectorats. Que n’aurait-on dit si la filière S avait été privée d’une spécialité de sciences ou de mathématiques, ou laissée à des initiatives locales de réduction de ses enseignements !

Le manque de lucidité et de volontarisme officiel a brisé la série L, alors que ses profils antérieurs dont l’un avec mathématiques assuraient sa vitalité : " A l’époque où la série A existait encore sous sa forme tripartite, il y avait une grande diversité des parcours (A1, A2, A3) à l’intérieur de la voie littéraire. Cette diversité permettait qu’au sein de la série, il y ait de la place pour des profils variés ainsi que pour de bons et de moins bons élèves. " (27). Le rapport, relativement sévère sur ce point, parlant d’ " "avatars ", de " revirements ", de " la valse-hésitation concernant l’enseignement des mathématiques, qui a porté un grave préjudice à la série " (39-40), ne donne cependant pas les chiffres permettant de juger les fluctuations d’effectifs dans la période correspondante, et surtout se garde de prescrire le remède simple et évident : le rétablissement de l‘option. Auprès des familles perdure l’idée qu’une filière sans cesse remaniée est peu sérieuse, qu’on ne peut lui confier ses enfants, et qu’il vaut mieux les orienter vers les autres séries plus stables dans leur organisation.


B. Des choix budgétaires ciblés.

Une filière laissée résolument à l’abandon par le ministère.

La structure retenue en 1992 pour la filière L, presque entièrement optionnelle, est par sa nature même une menace pour sa survie. Or jamais les responsables du ministère ne se sont montrés capables d’en tenir compte, et de concevoir que des options pouvaient cacher des enseignements obligatoires, comme la spécialité de bac pourtant appelée officiellement " obligatoire à choix ". La preuve en est ce rapport, qui impute aux élèves une désaffection de L, alors que ce sont les récents ministères qui leur ont dérobé leur filière sous les pieds : toute la politique officielle actuelle, en effet, ne vise pas l’instruction ni l’enseignement, mais les économies, aisément réalisables au premier chef sur les fermetures d’options.

En effet, par nature soumises à la demande et donc à effectifs variables et parfois faibles, les options sont plus difficiles à anticiper et gérer, et plus coûteuses, que les matières obligatoires facilement prévisibles à partir des flux d’élèves par série. Personne ne concevrait qu’on retire quelques heures de mathématiques à des élèves de S, mais on admet très bien que les rectorats ferment des sections de latin, de grec, de portugais ou d’arts plastiques aux élèves de L, sans voir ni comprendre que ces suppressions sont le cœur de leur série. Ne dominant même pas l’usine à gaz qu’il a lui-même créée, le ministère en vient à fermer, par exemple, des sections de grec " spécialité " de L pour petits effectifs, en confondant épreuve de bac et enseignement reçu, sans donc savoir que cette fraction de section fermée, regroupée avec les autres élèves de grec d’autres séries du même lycée, suivait les mêmes cours qu’eux, les mêmes programmes, et ne coûtait donc rien… L’opinion publique, plus étroitement contribuable que jamais et facile à tromper en ces domaines complexes au point de confondre le ministère lui-même, soutient bien évidemment ces fermetures, et le ministre Xavier Darcos, pourtant ancien professeur de lettres, propose de "rationaliser" de petites sections d’italien [25], ce qui conduira évidemment à leur disparition.

Entrer en L : entrer dans une série victime de la gestion comptable du ministère.

La situation n’a fait qu’empirer : depuis 2000 et l’instauration de leur dotation horaire globale (DHG), les établissements assurent en priorité les enseignements obligatoires, en second lieu et seulement si possible les enseignements optionnels. Ces derniers ont donc pris de plein fouet la politique d’économies drastiques appliquée aux lycées, et la filière L s’est ainsi trouvée victime de première ligne.

Contraints par le ministère à une gestion qui fait passer les suppressions de postes avant les besoins d’enseignement, les rectorats ont fermé sur ordre, en masse et chaque année, des options, sans voir qu’ils détruisaient la filière littéraire. Aucun volontarisme ni aucune lucidité ne se sont manifestés en haut lieu, et la gestion paresseuse des postes s’est acharnée contre la série L : année après année, les options de latin, de grec [26], d’arts, de mathématiques, de langues vivantes, d’histoire de l’art ont fermé dans nombre de lycées, des postes ont été supprimés, rendant impossible le rétablissement de ces options. Les familles, en protestant contre les fermetures en même temps que les enseignants, se sont aperçues ainsi que la scolarité en L était dangereuse, puisque leurs enfants n’y recevaient pas leur dû, et qu’il valait mieux les envoyer dans les séries ES et S, préservées de tout danger par le ministère.

Le discours officiel a pris le relais des suppressions : baissant par la force et partout les effectifs des options de L en les fermant pour tarir la demande, le ministère en a pris acte et prétexte pour les rebaptiser " rares ", en y trouvant une nouvelle raison de continuer à les supprimer, d’en détourner les élèves, et de baisser les postes aux concours de recrutement dans ces matières, pour être assuré de ne plus avoir à les rouvrir - et de ne plus avoir d’élèves de L, série décidément trop coûteuse. C’est ainsi qu’il y a de moins en moins de langues vivantes différentes enseignées en France, et que la déploration du " tout anglais " a de beaux jours devant elle : tout est fait pour l’encourager. C’est ainsi qu’il y a de moins en moins d’élèves de L, comme le dit le rapport en se gardant bien d’en tirer la moindre conclusion : " les L sont 19 % à déclarer avoir été confrontés à un problème d’offre scolaire insuffisante contre 11 % chez les S et les ES. " (12) : le résultat escompté dépasse toutes les espérances. Les Inspecteurs généraux qui feignent de déplorer la baisse de L sont des crocodiles : n’importe quel professeur de base sait que toutes les mesures prises au lycée ont eu pour effet de la provoquer presque minutieusement ; n’importe quel proviseur soucieux de ses classes de L sait les combats qu’il aura dû mener pour en préserver les options.

En dehors d’une allusion à des suppressions de sections de LV3 (47), le rapport occulte au contraire complètement ces destructions convergentes des composantes de la série L. Son silence, en exonérant le ministère et les gouvernements successifs de toute responsabilité gestionnaire et peut-être politique dans la baisse des effectifs de L, fausse toutes les analyses, et dévoie les problèmes. Le titre du rapport, " Evaluation des mesures prises pour revaloriser la filière littéraire au lycée ", sonne donc ici comme une provocation. Sauf pour ceux qui ont depuis longtemps compris que dans la novlangue du ministère, le sens est systématiquement inversé, que " revaloriser " signifie toujours " détruire ", et que toute intervention officielle sur une matière ou une série est une façon de sonner l’hallali.

Une filière étouffée dans l‘oeuf.

Les options de collège, vitales comme on l‘a vu pour la constitution du vivier de lycéens littéraires, subissent le même sort : les sections de latin et de grec sont fermées dans beaucoup de collèges, en dépit de la demande des familles qui ne faiblit pas (cf http://www.sauv.net/effectifsla2007.php ). Pour la décourager plus sûrement, on multiplie les obstacles à l’étude de ces langues : les collégiens élèves des sections musicales CHAM sont interdits de latin ; des chefs d’établissement, pour simplifier leurs emplois du temps, font abandonner le latin aux collégiens qui entrent en 4ème en classe européenne ; enfin en 3ème, une option de " découverte professionnelle " a été créée en 2004, en concurrence avec le grec qui se débute à ce niveau. Ou bien les rectorats suppriment des postes de lettres classiques, ou marginalisent leurs professeurs en dépeçant leur trivalence : on leur retire l’enseignement du français pour leur donner seulement des sections de langues anciennes sur deux ou trois établissements, en fragilisant leur implantation dans les collèges pour limiter leur influence, leur volontarisme, et les protestations en cas de fermetures de leurs postes.

Une autonomie mortifère.

L’autonomie prônée par le ministère et qui devrait encore s’étendre si les audits [27] sont adoptés, parachève cette disparition : beaucoup d’établissements, se croyant " modernes " faute d’être éclairés, jouent les langues vivantes contre le latin, par le biais de dispositifs " expérimentaux " locaux - classes " bilangues " (deux langues vivantes dès la 6ème) ou européennes - qui prennent le pas sur les dispositifs et les horaires officiels et nationaux qui fixent l’étude du latin. L’autonomie joue parfaitement ici le rôle obscurantiste qui lui est assigné : non seulement on prive ainsi les élèves d’une matière " utile " dans le dispositif du bac littéraire, mais on stérilise à la source des vocations : beaucoup de collégiens développent un goût pour la culture et les études littéraires par le biais des langues anciennes.


C. L’abandon de l’enseignement du français.

Le déficit d’analyse du rapport est tout aussi patent sur le plan disciplinaire, dans les laborieuses pages 28 à 34 consacrées à la place excessive du français dans la série (" Entre 1992-93 et 1999-2000, les réformes ont progressivement déplacé le centre de gravité de la série L vers le français "). Le rapport réussit le tour de force d’accuser la nature de la matière : le français ne conviendrait pas au lycéen en raison d’une " connivence importante avec les œuvres et les textes patrimoniaux " et d’une " bonne maîtrise de la langue "(28). Autant dire que les mathématiques sont nocives d’être en " connivence " avec des raisonnements et des théorèmes " patrimoniaux " et de nécessiter " une bonne maîtrise " des chiffres, on aura éclairci et au passage résolu le problème de l’instruction. Autant dire, avec une intelligence renversante sinon perverse, que l’élève et l’école sont incompatibles et que, à moins de faire table rase des savoirs, les connaissances scolaires nécessaires nuisent à la survie du lycée.

Plutôt que de se perdre dans des ratiocinations hasardeuses sur les " nombreuses ambiguïtés " du français supposées nuisibles à la filière L, le rapport aurait dû observer ce qui ne souffre aucune ambiguïté : le déficit d’apprentissage, dans l’enseignement actuel réformé du français, d’une " bonne maîtrise de la langue ", et le manque de transmission et de compréhension des " œuvres et … textes patrimoniaux ", si marqués l’un et l’autre qu’ils dissuadent ou découragent le lycéen de choisir L. D’une part l’institution méprise la maîtrise de la langue, d’autre part elle produit des programmes nuisibles au goût pour la littérature, enfin elle ne domine en aucune manière les réformes qu’elle met en œuvre. Comment penser que L puisse en sortir indemne ?

Les chiffres sont cruels et imparables, dépourvus de toute ambiguïté : le lycéen qui entre actuellement en seconde a reçu, depuis les débuts de sa scolarité en primaire, huit cents heures d’enseignement du français de moins que son homologue de 1976 [28]. Autrement dit, il entre au lycée avec le niveau de fin de cinquième de son aîné de trente ans, son père par exemple. En une génération, un enseignement a été sacrifié et détruit. Le rapport a beau jeu ensuite de feindre ignorer cet état de fait, et de déplorer " le niveau socioculturel et linguistique d’une majorité des adolescents " : n’était-ce pas à l’école de le leur fournir, au lieu de le leur refuser ? Si l’école n’instruit plus, mais seulement les familles, ne contribue-t-elle pas à reproduire et perpétuer toutes les inégalités sociales ? Faute d’analyse, le rapport reporte sur les élèves la responsabilité de leurs lacunes ; que les Inspecteurs ne se s’en sont-ils pris à eux-mêmes, incapables de défendre au sein de l’institution la nécessité d’une formation linguistique et littéraire solide pour tous les lycéens : le lycéen moyen ne comprend plus spontanément le moindre texte d’actualité contemporain, la filière L se vide faute d’élèves compétents, les grandes écoles scientifiques instaurent des cours d’orthographe et de grammaire dans les premières années, le directeur de l’Ecole centrale d’électronique souligne : "le respect de l’orthographe et de la syntaxe n’est pas une exigence bêtement scolaire, c’est la base de l’efficacité professionnelle", "une entreprise qui recrute sur le long terme ne peut pas se permettre d’engager un jeune qui écrit mal car elle sait qu’il sera difficile de le faire évoluer "[29]. Ce sont des preuves suffisantes de l’urgence d’une reconstruction de l’apprentissage de la langue.

La maîtrise de la langue au rayon des souvenirs.

Pendant ce temps, l’horaire hebdomadaire du français au CP est passé de 15 heures en 1969 à 10 heures actuellement, l’horaire du CM2 de 9 heures à 6 heures 30, diminué encore si l’on " enseigne " une langue vivante en dépit des résultats négatifs d’un tel enseignement [30] alors même que le français n’est pas maîtrisé ni même appris. L’horaire de 6ème est passé de 6 heures dont 3 dédoublées jusqu’en 1977 à 4 heures 30 ou 5 heures actuellement, en classe complète.

Les méthodes les plus hasardeuses, fondées sur le constructivisme, s’en sont mêlées. Si les méthodes de lecture sont maintenant mieux évaluées, elles ont fait leurs dégâts, et il est pénible d’entendre un élève de première ânonner lamentablement à l’oral des EAF, un élève de seconde - ancien écolier de la globale " à hypothèses "- remplacer un mot par un autre dès lors qu’on lui demande une lecture à haute voix. Comment imaginer que les mots d’un texte aient une quelconque réalité ou un poids de sens, lorsqu’ils ne sont même pas " lus " en tant que tels ?

La grammaire a été elle aussi frappée de plein fouet par les lubies pédagogistes, qui ont imaginé qu’il était meilleur pour l’élève d’observer que de mémoriser. Il n’est pas utile d’étaler les ravages de telles conceptions : les écoliers ne sont même pas mis en état de s’approprier leur langue et ses mécanismes, dès lors qu’on leur refuse l’usage systématique de la méthode et de la mémoire. Ajoutons le refus constant de l’enseignement de l’orthographe, le refus du recours aux dictées comme exercice de langue et concentration sur elle. Comment imaginer qu’un texte ait un sens et ses mots un rapport logique fort, pour qui, écolier puis collégien et plus tard lycéen, n’a jamais maîtrisé les accords ni les conjugaisons ?

Le " décloisonnement " du collège a pris le relais : interdisant la construction d’un cours de grammaire autonome et progressif indépendant de l‘étude des textes, il a laissé les apprentissages linguistiques au hasard de la " rencontre " dans un texte, et au hasard de la répétition ou de l’absence de ces " rencontres ". La diminution des horaires se combinant avec la faible efficacité de méthodes aussi aléatoires a ainsi " interdit d’exercice " la plus grande partie des élèves, privés de temps et de méthode pour l’assimilation et la pratique effectives de leur langue. Si le français en pâtit au premier chef, les mathématiques et les sciences, portées par cette " discipline fondamentale " (31), aussi.

Ajoutons la baisse régulière des contenus enseignés, fruit à la fois de celle des horaires et de celles des exigences - considérées comme " élitistes " dès lors qu‘elles diffuseraient des connaissances - et l’on aura la mesure du désastre linguistique actuel [31]. Le " socle commun ", cache-misère à usage médiatique et économique, n’arrange évidemment pas les choses : le BO d’avril 2007, qui en fixe les exigences pour l’école primaire, continue l’office de coupe claire, en supprimant l’apprentissage du conditionnel et du subjonctif. Comme le fait remarquer Régis Debray [32], l’égalitarisme conduit au nihilisme.

Admirons notre rapport qui se penche désolé sur une " hétérogénéité du public visé " (31) : l’école a entretenu cette " hétérogénéité " de départ, en s’interdisant d’instruire les élèves qui en avaient le plus besoin, en leur interdisant d’apprendre. Ainsi va le ministère : de pédagogisme hasardeux en refus d’enseignement, de baisse des horaires en baisses de contenu, il finit effrayé par se pencher sur " les mesures prises pour revaloriser la filière littéraire ". Il aurait mieux fait d’analyser celles qui ont présidé à sa destruction. Le soupçon sur la littérature, et le refus de la transmettre, en font partie.

La littérature à l’emporte-pièces

Les récents programmes de littérature, au collège comme au lycée, ont en effet fait disparaître la lecture, la connaissance et l’étude des œuvres derrière un arsenal descriptif qui tue la singularité et le sens des textes, tout en encombrant les élèves de notions universitaires incompréhensibles à leur niveau, et en les dégoûtant du français.

Au collège, depuis 1995, l’élève doit apprendre les quatre formes de " discours ", descriptif, narratif, explicatif et argumentatif, dont les textes étudiés ne sont présentés que comme des exemples ou des échantillons dépourvus de variantes. "Il en résulte une approche purement technique de l’écrit, et notamment de la littérature, qui dans un tel contexte n’est plus qu’un support à l’étude des discours, au même titre que l’interview d’une star du sport ou de la chanson" [33]", et une exclusion du sens allant jusqu’à celle du plaisir de lire.

Au lycée, l’étude des œuvres est remplacée par celle des " objets d’étude ", corsetant les œuvres majeures dans des critères de " genres " et de " registres " prétendus universels. Ainsi, le " genre narratif " subordonne-t-il l’étude de tout roman à la mise en évidence du " fonctionnement et de la spécificité du genre narratif ", indépendamment de l’intrigue, du sens, de l’organisation et de la singularité de l’œuvre étudiée, qui disparaît au contraire derrière des catégories de forme, comme si la littérature était le produit de recettes calibrées. L’autre notion imposée, le " registre " comme expression d’une émotion particulière (le tragique, le pathétique, le satirique), catégorise elle aussi des types de texte, indépendamment de l’œuvre qui les comporte. Ajoutons l’omniprésence de l’argumentation, faisant de tout texte, même poétique, une arme de conviction du lecteur, et Hugo n’est plus qu’un opposant politique, Ronsard qu’un séducteur médiocre, La Fontaine un avocat, Balzac ou Flaubert des manipulateurs. Ajoutons l’absence d’histoire littéraire malgré le discours prolixe des programmes qui en parle sans jamais en faire faute de progression chronologique, nous obtenons des élèves à la fois privés de tout repère et en même temps submergés de catégories orientant la lecture de textes qu’ils ne comprennent même plus faute de maîtrise linguistique et historique.

Pire, le règne des classifications tue l’essentiel même de la littérature : la langue unique qui la distingue et la fait [34]. Si le " genre " est universel, n’importe quel roman de gare égale Stendhal. Si le " registre " est mondial, n’importe quel fait divers peut être plus " tragique " que la force irrépressible poussant Horace à assassiner sa sœur Camille : il suffit de tuer la langue au passage. Alain Viala, le promoteur des réformes du français, le confirme sans ambages : " l’accès à la maîtrise de la langue n’est pas un préalable à la connaissance de la littérature " [35]. C’est exact, lorsque la littérature est vue sous son angle de banalisation et de réduction, qui ne connaît pas d’œuvre d’art. Mais alors, il n’y a plus de littérature [36].

C’est la conviction des réformateurs du français, sourdement ennemis des œuvres littéraires et d’une discipline qui reposerait sur une " connivence culturelle " qu’il est pourtant du devoir des enseignants de créer. Ils ont voulu fabriquer " un vrai français pour tous " [37] pour répondre aux lacunes d’un " nouveau public " issu de la " massification " (31) et qui, dépourvu de richesses culturelles et langagières, aurait eu besoin pour comprendre les textes littéraires non de les étudier en eux-mêmes et pour eux-mêmes, mais de les voir transformés en " contenus objectivables " [38], saucissonnés en savoirs calibrés accessibles à tous. Manque de chance, la littérature est rétive au formatage, et le saucissonnage n’apprend et n’explique rien à personne [39].

Car, en dehors de toute polémique, les fondements scolastiques de la réforme du français sont revenus en boomerang contre les études littéraires, sous forme de technicité, de baisse des acquis, de résistance de la littérature à un tel dévoiement de sa nature, de désintérêt des classes. Les élèves qui dans leur grande majorité appréciaient le français il y a quelques années, en dépit parfois de leur faible niveau, s’en détournent. C’est qu’en leur retirant le sens des oeuvres, on leur a dérobé l’écho qu’elles éveillaient en eux, et qu’ils recherchaient : "Ne négligeons rien de ce que les approches modernes apportent à la lecture, mais songeons que les classes où l’on commente la scène du pardon d’Auguste dans Cinna, l’aveu de La Princesse de Clèves, les démêlés de l’amour et de l’amour-propre chez Marivaux ou la métamorphose de Julien Sorel au terme de son parcours social, font partie aujourd’hui des très rares lieux publics où des jeunes gens débattent de matières élevées" [40].

Les " contenus objectivables " ont en effet envahi et phagocyté l’espace du cours de français : leur apprentissage, leur application, leur valorisation sont devenus l’unique activité des élèves, contraints d’apprendre, en lieu et place de la littérature, un métalangage et des méta-connaissances qui ont occulté et empêché l’essentiel : l’apprentissage de la langue et la connaissance des œuvres [41], et font tristement les beaux jours des marronniers de la rentrée [42]. Les élèves, de collège ou de lycée, sont souvent découragés de devoir apprendre un jargon obscur et des notions absconses (" l’énoncé est-il ou non ancré dans la situation d’énonciation ? ", demande-t-on à l’élève de sixième, "la progression du texte est-elle linéaire, à thème constant, dérivé ou éclaté ?" à celui de quatrième), et confusément conscients qu’il leur manque l’essentiel, le goût des textes, la connaissance des œuvres, et l’intérêt pour la matière. Les conséquences sont lourdes pour la série littéraire : comment un collégien peut-il avoir spontanément envie d’aller en L, sauf si son professeur s’est affranchi des méthodes du programme et a risqué les foudres de l’Inspection ? Comment peut-il avoir envie de lire, alors que faute de maîtrise de la langue et du lexique, il ne comprend pas le sens de ce qu’il lit - pire, ne sait pas que les livres ont un sens, développent une intrigue, éclairent la vie ou l’expérience humaine ? Comment le lycéen de L peut-il se sentir à l’aise, alors que les énoncés d’examen manient ce langage de notions qu’on ne peut pour cette raison éluder ? Toutes les séries sont marquées de ce dégoût des élèves pour le français réformé, à plus forte raison celle qui en valorise l’horaire, et qui peut-être en meurt, puisque les statistiques insistent sur la baisse des effectifs de L " singulièrement au cours des dernières années " (7), celles de la réforme. Seule l’année de Terminale console les élèves littéraires, enfin autorisés à un programme d’œuvres, le seul bon point des nouveautés scolaires, et à des épreuves bien coefficientées fondées sur leur sens. Les pages 34 et 35 qui y sont consacrées sont parmi les seules exactes et apaisées du rapport.

Le laborieux éloge de la réforme du français dans le rapport laisse d’ailleurs pointer quelques épines révélatrices. Voilà que cette bonne réforme a induit des " dérives technicistes ", " des dérives importantes ", " notamment dans les manuels scolaires ", dont on apprend, avec surprise, " qu’ils sont conçus pour les professeurs " (32) : serait-ce que les élèves n’auraient pas dû s’en servir ? On apprend aussi que cette bonne réforme a connu " un contexte polémique ", " une méconnaissance (…) des instructions officielles, (…) une incompréhension " (ibid.) : les Inspecteurs n’ont donc pu convaincre ?

1995 versus 1992 ?

Le rapport, de toutes façons, avoue un premier échec autrement grave, celui de l’imprévoyance et de l’incohérence des décideurs en matière de formation littéraire. Puisque la réforme de 1992 induisait que " les caractéristiques de la série littéraire [étaient] nettement renforcées ", et que les mesures prises à ce moment et ensuite avaient " progressivement déplacé le centre de gravité de la série L vers le français " (28), il fallait préparer cette nouvelle orientation, et la formation littéraire des futurs L, en renforçant le français au collège pour tous les élèves. On a vu ci-dessus que, soit aveuglement, soit négligence, soit incompétence, soit idéologie, c’est le contraire qui a été choisi : baisse des horaires, baisse des contenus, opacification de la matière. En bonne logique et en bonne gestion, la réforme du français mise en œuvre depuis 1995 au collège, 1999 au lycée, prétendument mue par une " ambition de modernisation ", " une pédagogie (…) susceptible de prendre en compte la diversité culturelle (…) et surtout d’ouvrir des perspectives graduées pour tous les élèves " (31) aurait dû, douze ans après, avoir produit des effets positifs et les élèves souhaités, capables d’absorber les exigences littéraires fixées par la réforme antérieure du lycée de 1992. Or il n’en est rien, l’effet est même paradoxal car les deux réformes étaient en totale contradiction : " en la fondant et en la recentrant sur des matières qui impliquaient une connivence importante avec les œuvres et les textes patrimoniaux et nécessitaient une bonne maîtrise de la langue (censée être acquise à la fin du collège), la réforme a aggravé le décalage qui pouvait exister entre les ambitions de la voie littéraire et le niveau socioculturel et linguistique d’une majorité des adolescents qui étaient accueillis en L. " Autrement dit, les baisses d’horaires, les déficits de contenu, et les doctrines imposées, en totale opposition avec les nouvelles nécessités de la série, sont devenus insupportablement visibles dans le niveau d’élèves que l’institution a refusé de préparer à leur orientation. Nos Inspecteurs sont les seuls à s’en étonner.

L’analyse du rapport n’est donc pas sérieuse. Elle fausse les données du problème qu’elle étudie en négligeant la concomitance de deux réformes majeures pour la série L. Elle se laisse tromper par l’assurance de l’Inspection générale des lettres qui dans ces pages recycle en direct des éléments de son rapport de 2005, imprégné de la rancœur suscitée par des professeurs qui avaient osé dire que l’on faisait fausse route en haut lieu. Elle prend pour argent comptant son discours officiel proclamant que " les programmes de 2001... resserr(ent) les liens entre maîtrise de la langue et connaissance des grandes œuvres de la littérature ", alors qu’il n’en est rien, pas plus dans le détail des horaires que dans le type d’étude prôné par les programmes. Elle ne pointe ni ne remet jamais en cause la divagation officielle de la conduite des affaires du lycée, principale responsable de la dérive de la série L. Pour ce faire, elle se trouve de faciles boucs émissaires, qu’elle présente comme des éléments incontournables de ses constats : l’air du temps, les élèves, les professeurs, la littérature.

Si le rapport était sérieux, il proposerait de remédier aux lacunes des élèves, en rétablissant des horaires, des méthodes et des savoirs nécessaires à une poursuite d’études en second cycle, ultérieurement à l‘université, puisque ce sont précisément ces savoirs et ces méthodes qu‘apprécient les formations universitaires et les employeurs potentiels. Mais l’Inspection préfère entériner l’échec et supprimer la filière littéraire en accusant les élèves de désertion.

Si le rapport était sérieux, il se préoccuperait de l’inadéquation à la discipline de la réforme du français. Car la littérature se venge à intervalles réguliers du traitement technique qui a pris sa place : en témoignent les mini scandales qui année après année montrent que la manipulation des textes par le formalisme a ses limites : le sens se réveille toujours, et grince, par exemple dans les sujets d‘examen. Le dernier sujet du bac des séries ES et S (http://www.sauv.net/eaf2007sujets.php ) demandait en effet de dégager " la visée commune " de textes qui n’en avaient pas et sur lesquels l’Inspection avait donc fait un contresens, et prêtait à Victor Hugo des propos qu’il était impossible qu’il tînt ; à confondre la forme et le fond, la réforme perd le sens [43]. Et discrédite publiquement la série littéraire : les journaux s’emparent des erreurs auxquelles conduit cette réforme bizarre qui a remplacé la littérature par des théories, et en font leurs gorges chaudes [44]. Pendant ce temps, l’élève est conduit, sans avoir appris quoi que ce soit de l’écriture ni de l’histoire dans une réforme aussi incapable qu’arrogante, à écrire n’importe quoi le jour de l’examen, par exemple en 2002 : écrire comme Giraudoux en parlant comme l’Hector de Troie, ou évaluer en poète professionnel, après avoir " fait " cinq semaines de poésie en deux ans de lycée, le poids des "contraintes formelles " sur la création poétique…


III. Les remèdes ébouriffants de l’Inspection générale.

Les trente dernières pages particulièrement filandreuses du rapport, consacrées aux remèdes possibles à la baisse des effectifs de L, sont d’une lecture entravée par l’opacité des dénominations et les nombreuses contradictions résultant sans doute d’une absence de relecture. Deux " scénarios ", la spécialisation des séries et la fusion de L et ES sont envisagés pour être écartés au profit d’une L " refondée " non sur des disciplines, mais " des dominantes identifiables en termes de débouchés ". L’architecture de la filière ne va donc plus être celle d’une formation générale pensée pour l’ouverture ultérieure à de nombreux domaines, mais celle d’une spécialisation précoce en fonction des " besoins de la société contemporaine " (74). L’élève serait donc dès seize ans programmé pour un marché donné, étroit et peut-être éphémère, aux dépens d’une formation large et solide permettant adaptation, évolution et reconversion professionnelles d’un individu par ailleurs cultivé et éclairé. La " refondation de la voie littéraire " (67) ressemble furieusement à une disparition.

A. Des contre-choix structurels.

Oxymore à l’Inspection : une filière générale hyperspécialisée.

Le rapport additionne les pistes contradictoires. Une filière unique doit être écartée car " un cursus indifférencié exclut davantage qu’une somme de parcours distincts " (95). La " logique de spécialisation de la série " doit aussi être écartée car elle " imposerait une choix quasi définitif de l’orientation à la fin de la Seconde et sans doute même à l’entrée du lycée " (69). Le résultat arrache l’admiration : la filière littéraire finit dans le rapport indifférenciée sur le modèle de S ("présence d’un enseignement substantiel de mathématiques et de culture scientifique dans la partie obligatoire du cursus " littéraire ", 71) et hyperspécialisée.

Cinq " dominantes " vont en effet constituer autant de sous-filières étanches et irrémédiables, imposant l’écueil du "choix quasi définitif de l’orientation à la fin de la Seconde " : la boucle de l’expertise est bouclée. Prétendues " identifiables en termes de débouchés ", leurs dénominations ne sont que celles de filières universitaires dont on se demande bien quels " débouchés plus larges qu’aujourd‘hui " (75) elles peuvent indiquer aux élèves : " Littératures et civilisations ", " Arts et culture ", " Communication et maîtrise des langages ", " Sciences humaines ", " Institutions et droit " : n’importe quelle revue ONISEP dit la même chose. La montagne du rapport accouche d’une souris d’information : fallait-il pour ce résultat réunir treize Inspecteurs généraux ? A moins qu’il ne s’agît d’impressionner les familles avec ces titres ronflants, puisqu’aussi bien le rapport n’aurait rien d’autre à régler qu’une question d’" image " et de " représentations ".

Les " dominantes " optionnelles : la métamorphose de L en série technologique.

Chaque " dominante " est prétendument calquée sur le fonctionnement de l’option " arts " - que le rapport a pourtant au passage abondamment dénigrée pour avoir mal utilisé ses chances : " les enseignements artistiques ont encore du mal à s’imposer comme producteurs de savoirs construits, de méthodes rigoureuses, de capacité d’analyse et d’argumentation. " (53-54) ou pour sa réputation : " l’actuelle dévalorisation de certaines options (arts plastiques par exemple) ", (74).

Il va s’agir en fait, pour les " dominantes ", d’un fonctionnement d’options technologiques (la " communication " est d’ailleurs une option de STG), avec " une partie méthodologique axée sur les démarches et les méthodes appliquées aux besoins de la société contemporaine " et une " évaluation… au baccalauréat (pouvant) prendre la forme d’une présentation orale d’un dossier constitué par l’élève durant l’année " (74-75). La " Note sur l’avenir de la filière L " de 2005 dissimulait moins le contenu de ces options : " management, droit et économie de l’art, pratique de communication, cognitique, droit public ", dont on se demande ce qui les différencie d’options STG. Le rapport le reconnaît d’ailleurs ouvertement : " Une spécialisation accrue… rapprocherait beaucoup les séries générales des séries technologiques " (68).

Les savoirs généraux de fait s’effacent dans la nouvelle série L. La maîtrise de la langue serait particulièrement réservée à la " dominante " " communication et maîtrise des langages " : que deviendrait-elle dans les autres " dominantes " de L ? Quant à la littérature, elle n’est à aucun moment mentionnée, sauf dans la dominante " littératures et civilisations ". Bien évidemment, une filière dite " généraliste " et dite " littéraire ", sans être ni l‘une ni l’autre, aura vite fait d’être, aux yeux des familles soucieuses de formation large, une voie de relégation qu‘il faudra éviter. Pendant ce temps, les séries STG et ST2S se reconstruisent des visées généralistes pour pallier l’échec en post-bac. Ainsi va le ministère.

Le tronc commun obligatoire : vider davantage encore la filière L d’élèves et de substance.

En dehors des dominantes, la filière chercherait à " consolider et rééquilibrer les enseignements généraux ". Or que nous propose le rapport ?

Affaiblir la philosophie en la répartissant entre la première et la terminale, ce qui est à la fois trop tardif (en quoi cette décision peut-elle remédier à la " crainte " prétendument suscitée par la philosophie lors de l’orientation de seconde ?) et trop précoce (alors que les élèves n’auront pas consolidé grâce au français de première leurs qualités d’expression et de réflexion).

Vider encore davantage la filière L, en y introduisant un volume important d’enseignements mathématiques et scientifiques obligatoires (comme si les mathématiques constituaient le nec plus ultra de la qualité et la formation intellectuelles - préjugé que l’Inspection reprend à son compte, vu l’obsession de la filière S qui sous-tend le rapport), qui auront tôt fait de rejeter d’éventuels élèves de L vers une filière STG de communication dotée de peu de mathématiques et dénuée de sciences.

Certains élèves très fins et très logiques, dont la clarté d’esprit dérive de l’intuition et de la pratique de l’analyse et de la synthèse, et non des mathématiques où ils n’ont jamais été bons, seraient donc définitivement perdus pour la filière littéraire. Alors que l’on prétend en regonfler les effectifs… Les Inspecteurs feraient mieux de se renseigner auprès des professeurs et des élèves, au lieu de faire des propositions in vitro. La menace voilée de suppression du français en S si l’on refuse des mathématiques en L, et de diminution du nombre d’hypokhâgnes littéraires A/L au profit des B/L comportant des mathématiques en cas de fusion des filières L et ES (83), frôle la stupidité : comment retrouver des lycéens littéraires si on leur demande d’abord d’être de bons mathématiciens pour mériter le droit de faire des lettres ? Certes, ces mathématiques de L seraient spéciales, assaisonnées au profil littéraire pour se présenter sous leur meilleur visage : de qui se moque-t-on ? (71).

L’enseignement du français enfin perdrait toute spécificité littéraire. Alors que le rapport dans la même partie déplore la négligence au lycée de la " dimension structurante des lettres" (66), il en propose quatre pages plus loin une vision débridée et allégée de toute littérature, ouverte sur " toutes sortes d’autres disciplines, de langages iconiques ou verbaux, logiques ou structurels ", et propose d’étudier " la page web " comme " nouveau genre en émergence ". Pendant ce temps, les élèves n’auront pas étudié les grands auteurs, les grandes œuvres " structurantes " par leur lecture et leur approfondissement, et la culture propre aux littéraires et appréciée professionnellement – qui leur permet d’évaluer sans professeur et sans coup férir la qualité d’une "page web"- sera passée aux oubliettes…

Si l’on comprend bien, pour sauver la filière L il faudrait en faire une filière S : beaucoup de sciences, moins de philosophie, peu de lettres. On croyait pourtant que le rapport abandonnait la filière unique, et se livrait à " une refondation des études littéraires au lycée ". Il n’en est rien, en dépit de ses contorsions rhétoriques et de ses déclarations émues sur les vertus des littéraires (66).

Des contre-choix inconséquents et obsolètes.

L’Inspection va ainsi à contre courant de toutes les observations et les mises en garde que le ministère lui-même diffuse.

Toutes les enquêtes ministérielles soulignent l’inadaptation et l’insuffisance des structures technologiques dans l’enseignement supérieur, le faible taux de succès au DEUG (38 % [45]) et le relatif insuccès aux DUT (66 % [46]) des étudiants issus de ces séries. Les enseignements généraux y sont trop faibles pour garantir le succès d’études demandant des capacités de théorisation et de synthèse absentes de la formation technique. Les séries technologiques se tournent d’ailleurs vers une plus grande généralisation. L’affaiblissement des enseignements généraux en L par l‘affaiblissement de l‘enseignement philosophique et celui de la littérature par exemple, et la spécialisation de ses débouchés sur un modèle de série technologique, seraient ainsi la combinaison de deux contre-choix que personne au ministère ne fait plus, sauf nos Inspecteurs. On se demande comment ils imaginent attirer ainsi des élèves.

Par ailleurs, le ministère vient de publier au Bulletin Officiel du 10 mai dernier un texte réorganisant profondément les CPGE littéraires, afin de les aligner sur le modèle des classes correspondantes scientifiques, pour leur donner des débouchés élargis et cohérents par l’instauration d’une banque d’épreuves communes harmonisant des entrées possibles concurremment vers les ENS, les écoles de journalisme, le CELSA, les IEP, l’Ecole des Chartes ; de grandes écoles de management y sollicitent leur entrée.

La réduction des voies d’excellence littéraires déplorée par le rapport n’est donc plus de mise… à condition qu’il y ait encore des élèves bien formés sur le plan littéraire pour y entrer. Or la réforme prévue de la série L nuit au niveau de connaissances et de méthode indispensable à l’entrée dans de bonnes conditions dans ces écoles : formation disciplinaire exigeante et suffisamment ouverte, qualités de réflexion et d’expression qui ne peuvent être développées sans exercices fréquents et formateurs, méthodes de travail résultant d’une habitude importante de la réflexion et de la pensée menant à la rapidité de conception et d’exposé. Comment imaginer que les nouveaux élèves de la nouvelle série L, qui aura liquidé ses composantes dans une spécialisation échevelée et inconséquente de faible niveau - puisque les professeurs n’y seront même pas préparés (un professeur d’histoire peut-il enseigner sérieusement le droit, comme le pensent non moins sérieusement nos Inspecteurs ?) seront de bons candidats ? Ainsi le ministère prépare-t-il des réformes incompatibles dans des cabinets étanches. Ce n’est pas sérieux. Il est vrai que pour préparer la réforme des CPGE littéraires, il s’est adressé à des scientifiques. On le comprend, et on l’approuve, lorsque l’on lit le rapport des littéraires, qui haïssent leurs matières.


B. Des choix disciplinaires idéologiques.

La " refondation des études littéraires au lycée " : le savoir liquidé par les " compétences ".

Les autres filières du lycée sont fondées sur l’acquisition des savoirs nécessaires dans les carrières économiques et scientifiques. Le rapport prévoit qu’il n’en soit plus de même en L : les " compétences " vont prendre le dessus. On reconnaît là le lexique du " socle commun ", cherchant à remplacer le savoir, c’est à dire le lien organisé et intelligent entre les connaissances, par des techniques d’exécution en situation donnée, nommées " compétences " et réclamées par le monde professionnel, qui souhaite faire passer l’enseignement sous sa coupe : " Il est donc tout à fait légitime de maintenir au niveau de l’enseignement secondaire un parcours susceptible de développer chez les élèves des compétences qui, tout aussi sûrement que d'autres voies, les mèneront à des débouchés variés. Pour atteindre cet objectif, cependant, une refondation de la voie littéraire est nécessaire " (67). Les " compétences " sont nécessaires car l’enseignement littéraire aurait retiré " le sens aux apprentissages ". Et l‘on voit réapparaître les vieilles lunes pédagogistes : la " pédagogie de projet ", " l’interdisciplinarité " " II s'agit aussi de développer chez l'élève la capacité à transposer une connaissance ou un savoir-faire acquis dans un certain contexte à un autre contexte, de transférer ses repères, de " traduire " au sens plein du terme. Cette mobilité intellectuelle peut être renforcée par la démarche interdisciplinaire telle qu’elle a été mise en place pour les TPE par exemple, qui permet aux équipes pédagogiques de bâtir un projet commun pour leur classe (…) L’approche interdisciplinaire permet de donner du sens aux apprentissages en les inscrivant dans une démarche de projet et de décliner les compétences transversales à partir de problématiques contemporaines. " (70).

Ces théories ont entraîné les ravages que l’on sait dans le primaire et le premier cycle (le français " transversal " empêche que le français soit effectivement enseigné et transmis à l‘école primaire, le " décloisonnement " fait de la grammaire un apprentissage sinistré au collège), ainsi qu’au lycée où les TPE se traduisent par le non-travail et la compilation inintelligente : copiés-collés, plagiat, absence de problématique qui permettrait d’entamer un véritable travail de recherche et de synthèse, et engorgement des CDI interdits d’accès dans les lycées lorsque les classes à TPE sont présentes. Bref, avec les " compétences " inévaluables et l’interdisciplinarité en forme de supercherie [47], les élèves n’apprennent rien et gâchent leur temps.

Mais, plus grave : pour la première fois, les " compétences " réclamées par les commerçants ("L’éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique", recommandations de l’E.R.T. (Table ronde des industriels européens) en 1995) passent en textes officiels dans l’enseignement français, avec le " socle commun " et cette " refondation " de la série littéraire, qui doivent veiller à ce que " les savoirs soient en harmonie avec les besoins de l'économie de la connaissance ". On comprend mieux le retournement copernicien que propose le rapport, et sa mise en cause systématique de toutes les disciplines littéraires, les unes après les autres au fil des pages, en consultant les demandes du Parlement européen : " Au niveau des États membres, la réforme des programmes d'éducation initiale fait l'objet de nombreuses mesures témoignant d'une évolution de priorité de la transmission de connaissances vers le développement de compétences transférables préparant les jeunes à la vie adulte et à de futurs apprentissages. " [48]

Voilà que le rapport en fait le fondement de la filière L, qui va ainsi servir de champ d’expérimentation à ces principes hasardeux [49]. Autant décréter sa disparition. Pour plusieurs raisons.

La charrue avant les bœufs.

Les compétences sont bien entendu nécessaires à l’exercice de nombreuses professions. Mais elles sont un résultat, et non la cause, des apprentissages organisés, intelligents et progressifs que l’on appelle disciplines : le français, l’histoire, les mathématiques, par exemple, sont enseignés autant que faire se peut en dépit des réformes récentes, selon un ordre et des fondements qui leur donnent l’intelligibilité et forment l’esprit des élèves de façon à créer chez eux les qualités intellectuelles ouvertes attendues pour l’avenir. Le rapport l’affirme lui-même : " Toutes les disciplines qui appartiennent au champ " littéraire ", pour peu qu'elles soient sérieusement travaillées, et que l'on y maintienne de réelles exigences pour les élèves, favorisent l'acquisition, à travers l’étude des textes, de la maîtrise des concepts, du raisonnement, mais aussi de l'analyse fine des langages, des événements, des lieux, des univers mentaux et des formes diverses de l'expérience et de l’expression humaines. " (66). De telles déclarations sont le programme parfait d’une reconstruction de L : des disciplines bien enseignées et non supprimées par le ministère, des examens dignes de ce nom et non réduits au niveau du brevet des collèges comme en français et son " sujet d’invention ", garantissent les qualités intellectuelles nécessaires à nombre de professions.

Mais le rapport qui pratique le double langage, sans doute pour se couvrir en toute occasion, préconise à la suite la logique inverse : ce ne sont plus les savoirs qui doivent créer les compétences, mais au contraire les compétences attendues doivent servir à circonscrire et formater les savoirs enseignés, jusqu’à s’y superposer. Les " dominantes " de L par exemple doivent pratiquer " les démarches et les méthodes appliquées aux besoins de la société contemporaine "  (74). Que cette " société " erre et condamne par exemple la recherche, ou les arts, ou la réflexion critique, et ce sont des pans entiers de la culture, de la formation intellectuelle, du libre arbitre et de l’épanouissement des individus qui disparaissent. Les projets pour L témoignent ainsi de la fin de l’enseignement : la finalité de l’instruction ne devient plus la formation d’un individu libre de son jugement et de ses actes éclairés par le savoir et la réflexion, mais le formatage intellectuel et comportemental d’une " main-d’œuvre ". Toutes les connaissances doivent être " professionnalisées ", c’est à dire soumises à l’utilité. Autant dire que c’en est fini de l’enseignement, comme en témoigne le rapport qui le discrédite totalement, en dénigrant les professeurs, ou les lycéens littéraires qui souhaitent le devenir (16). L’Inspection générale que l’on croyait indépendante révèle ainsi son rôle de courroie de transmission politique de soumission à l’ordre marchand.

On comprend mieux dans ces conditions pourquoi le rapport condamne la littérature et marginalise la philosophie : ce sont les deux disciplines qui permettent de penser, et demandent le plein exercice de l’intelligence, c’est à dire la capacité de créer des liens. Or les compétences réclament, précisément, l’abolition des liens, pour devenir pure exécution, nettoyée du doute. Qu’a-t-on besoin de lettres et de philosophie, quand on n’a à proposer à des jeunes que d’être des techniciens de la communication ou du droit ? Le rapport l’avoue d’ailleurs, puisque le " sociétal " est sa jauge et son idéal : " l’effort pour penser librement n’(est) jamais facilement accepté par la société "(37).

Le succès de ces théories est pourtant hasardeux : qui peut garantir que les compétences obtenues soient à la mesure des enjeux, puisque " la société " qui les aura déterminées peut être aveugle, obscurantiste ou castratrice : les savoirs sont plus ouverts et novateurs que les compétences, et remplacer les premiers par les secondes est un risque capital pour la connaissance, la recherche, la création. Pour la pédagogie aussi : en quoi des compétences peuvent-elles être attrayantes pour des élèves, particulièrement des élèves de L, et faire remonter les effectifs de la série ? Et pour l’institution enfin : " Il est clair que le succès de ce mouvement mettrait gravement en cause la nécessité de l'école. L'idée peut en effet dans ces conditions s'installer que l'école " fera toujours trop de culture ", que les savoirs liés à des œuvres humaines considérées comme importantes dans le passé sont de moins en moins utiles " [50].

Une logique inversée.

Les Inspecteurs prétendent donc faire entrer les compétences dans le cursus de L. Ce projet a deux conséquences illogiques et improductives : chasser les savoirs du lycée, et modifier les disciplines.

On sait ce qu’il en est du français : le fameux "vrai français pour tous " d’une massification improbable est catastrophique pour la baisse des connaissances et de l’intérêt des élèves qui rejettent cette matière devenue technique et consensuelle, l’argumentation qui devait produire " la régulation des conflits " ayant mis à mal la formation de l’esprit critique.

Les Inspecteurs assignent maintenant à la philosophie, réduite à l’état de " composante (…) de la dominante Sciences humaines " (76), un rôle qui la dénature : loin de rester une discipline indépendante responsable de la connaissance de notions indispensables à l’exercice éclairé de la pensée, elle devrait développer la compétence de l’argumentation et de la conviction, et de " la capacité à transposer ". Elle permettrait une " démarche interdisciplinaire ", capable de " décliner les compétences transversales à partir de problématiques contemporaines " (70) - où l‘on reconnaît le programme Renaut que tous les philosophes ont rejeté au terme d’une longue opposition. Il paraît que l’introduction de la philosophie en première apporterait ainsi " quelque chose de spécifique " (70). On aimerait savoir quoi, dans cette bouillie rédactionnelle qui surprend de la part d’Inspecteurs qui ont affirmé ailleurs " la dimension structurante des lettres et des arts " (66).

Et on ne voit pas en quoi supprimer ou marginaliser les savoirs favoriserait les débouchés de L : c’est en raison de ces savoirs facilement transposables et efficaces en eux-mêmes, dans tous les domaines et pas seulement dans les cinq pauvres " dominantes " proposées, que les L ont été recherchés - du moins ceux qui ont obtenu leur baccalauréat dans les années 90, avant les diverses destructions de la série. Faire entrer au lycée, en les appauvrissant, des spécialisations universitaires qui nécessitent justement que les savoirs antérieurs culturels et théoriques aient été assimilés, est une aberration. Rien enfin ne dit que ces spécialisations universitaires réduites intéressent les L. Ni qu’elles soient d’avenir.

Préserver et augmenter les effectifs d’élèves littéraires, en vue de professions ultérieures, demanderait la perspective inverse : maintenir tous les savoirs littéraires, irremplaçables par des compétences, permettant une orientation large et parfois inattendue ; les écoles de soins infirmiers par exemple recrutent par concours sur des épreuves de type spécifiquement littéraire, privilégiant la clarté d’esprit, une psychologie solide et l’aptitude à la réflexion nécessaires au métier ; les connaissances scientifiques sont enseignées en post-bac, et ne sont que secondaires, après " la maîtrise des concepts " et " l’analyse fine… des événements… et des univers mentaux " irremplaçables et propres aux littéraires. Vouloir "professionnaliser" les études littéraires en les définissant par quelques débouchés est précisément supprimer une grande partie des débouchés futurs.


C. Des choix pédagogiques négatifs, contraires à la qualité et à l’équité.

Une filière promise à la dissolution des matières et des structures.

Les matières de L sont déjà, pour la plupart, dénaturées. Le français n’enseigne plus la langue ni la littérature, et se dissout dans des exercices invertébrés qui garantissent un succès bananier au baccalauréat. Les épreuves de mathématiques-informatique et de sciences font la honte et l’humiliation des élèves de L : on ne leur demande aucun jugement, on les réduit au prélèvement d’indices dont la solution ou la synthèse sont présents dans les énoncés. La dissertation historique est concurrencée par l’épreuve sur documents qui se rapproche de celles de sciences. Les épreuves de langues vivantes sont consternantes. On promet maintenant de réduire la philosophie aux débats contemporains.

C’est encore trop pour nos Inspecteurs, qui inventent spécifiquement pour L le professeur non-spécialiste, l’intervenant non pédagogue, et les disciplines sans programmes. C’est ainsi sans doute qu’ils comptent attirer les gogos. Leurs projets illustrent les doctrines pédagogistes qui imprègnent le ministère Le danger pour la filière L est de devenir le terrain d’expérimentation de docteurs Folamour.

Les " dominantes " seraient ainsi enseignées par des professeurs qui n’en connaîtraient rien : " une initiation au droit public serait prise en charge en première par les enseignants d’histoire… ", ou des professionnels qui ne connaîtraient pas l’enseignement "… qui feraient appel autant que de besoin à des intervenants extérieurs " (76). C’est dire le sérieux que les Inspecteurs accordent aux études littéraires, et au devenir des élèves. C’est deviner la redéfinition du métier de professeur prévue par le ministère : gardien-animateur.

" Au plan pédagogique, ces " dominantes " seraient définies non par un programme, mais par un cahier des charges qui imposerait une structure identique pour toutes les dominantes. " (74). Structure n’est pas programme. De plus, la structure proposée, " une partie historique et théorique (…), une partie méthodologique (…), une partie pratique (…),une part importante de travail interdisciplinaire et sur projet "(74) est si floue qu’elle ne garantit rien, et ressemble furieusement à la structure générale de n’importe quelle matière, sauf le " projet ". Pourquoi et comment gagnerait-on au change ?

On se demande bien par ailleurs ce que pourraient devenir, sans programmes officiels, ces " dominantes " différentes d’un établissement à l’autre, interdisant aux élèves le déménagement puisqu’il n’y aurait plus en L d’organisation nationale, et ne garantissant aucun niveau, puisque de surcroît l’évaluation à l’examen se ferait sous " la forme d’une présentation orale d’un dossier constitué par l’élève durant l’année… ou (...) d’un contrôle en cours de formation ", avec dans les jurys " les intervenants extérieurs " (75), toutes procédures interdisant des épreuves nationales anonymes et objectives garantes de savoirs effectifs.

Tous les professeurs sont attachés au baccalauréat national. Ils ont rejeté en 2005 le contrôle continu en s’opposant aux "bacs-maison" désavantageant et stigmatisant les élèves selon leur origine géographique ou culturelle. La réforme prévue de L, faisant rentrer par la fenêtre ce que les professeurs de base ont fait sortir par la porte, ne peut rencontrer en aucun cas leur assentiment. La concurrence entre établissements, qui dans le cadre de la fastueuse "autonomie"prévue en haut lieu ne présenteraient pas la même variété ni le même contenu des "dominantes" faute de professeurs ou de moyens, ouvre la porte à toutes les inégalités. Que vaut un enseignement républicain, lorsqu’il n’offre pas à ses élèves l’égalité d’accès au savoir et aux formations ?

Un "bac L-maison" option " perso".

La dissolution prévue de l’enseignementt et de l’examen atteint son dernier degré avec la prévision du choix par l’élève de ses coefficients au baccalauréat : "une des finalités de la réforme étant de renforcer l'égalité des chances en permettant à chaque élève de valoriser ses atouts, la possibilité pourrait être offerte à chaque élève de moduler les coefficients (à l'intérieur de certaines limites) de façon à valoriser autant que possible ses points forts, dans un contexte où toutes les disciplines sont réputées d'égale dignité. " (71). Les lycéens issus de L ont ainsi une perspective positive, bien propre à les attirer dans la filière : être les seuls étudiants contraints de passer un examen de sélection à l’entrée de l’université. Laquelle en effet pourra accorder la moindre foi à leur baccalauréat sur mesure, dénué de la moindre validité ? On voit mal de plus comment le rapport, après avoir affirmé sans fléchir que " les nouvelles pratiques interdisciplinaires représentent (…) un véritable espoir pour les disciplines littéraires qui, par nature, s’épanouissent dans la transdisciplinarité ", peut soutenir imperturbablement une certification quasi monodisciplinaire, qui aurait de la " dignité ". Et faire croire que le lycéen littéraire est une sorte de chaland naïf qu’on va attirer par la démagogie.

La répartition par pôles désavantagera et dépréciera L.

La filière L deviendra encore plus inégalement répartie sur tout le territoire que ses options ne le sont actuellement. Alors que tous les lycées généraux présentent les trois filières, permettant à tout élève de s’orienter selon ses goûts et ses capacités, le malthusianisme des " dominantes " ne frappera que la série L. Effectivement, parmi les cinq " profils " de la nouvelle L, " chaque établissement en proposera un ou deux " (72). Les élèves littéraires tentés par l’un des trois ou quatre autres " profils " non représentés dans le lycée de son secteur va-t-il s’expatrier, s’éloigner, pour satisfaire ses goûts ? Nos Inspecteurs n’ont aucune connaissance d’élèves de seize ans, encore hésitants sur leur orientation, qui ne vont certainement quitter ni leurs parents ni leurs camarades pour suivre une voie qui sera au mieux technologique sous couvert de générale. Beau gibier pour S, qui n’est pas près de voir baisser ses effectifs : a-t-on jamais pensé faire de la physique ou des SVT en S des " profils " qui ne seraient enseignés que dans quelques lycées éloignés ? A-t-on jamais pensé pour S à des " dominantes " : art chirurgical, pharmacie et pharmacopée, cinétique et kinésithérapie, applications vétérinaires… " enseignées " ici ou là en lieu et place des rudiments théoriques les plus nécessaires ?

De plus, les enseignements seraient soumis aux régions ou aux localités, en fonction de leurs ressources variables, incapables de satisfaire aux besoins d’un enseignement à visée universelle : " Des dominantes de ce type auraient l'avantage d'inciter les établissements à s'ouvrir à leur environnement et à travailler en lien étroits (sic) avec des partenaires locaux, ces partenariats contribuant à définir le profil de chaque lycée : établissement d'enseignement supérieur, institution ou entreprise culturelle, organe de presse, institution internationale ou judiciaire, collectivités territoriales… " (77). L’institution propose ainsi elle-même, dans ses élucubrations décoiffantes, d’abandonner l’enseignement à des intérêts et à des pressions possibles. Ou à la géographie : que penser, au fin fond de la Creuse ou de l’Eure, de tels propos : " La présence d’un IEP ou d’une école de journalisme ou de commerce, ou d’une école supérieure d’art dans les environs est évidemment un facteur de développement important, à prendre en compte dans le projet d’établissement, pour le choix de la ou des dominantes et pour la définition des projets interdisciplinaires. " (85) Que penser du sens de la réalité d’Inspecteurs qui écrivent sans broncher : " Le recteur devra s’assurer que l’implantation des dominantes favorise les partenariats et les poursuites d’études (proximité de structures culturelles partenaires pour la dominante " arts ", de structures universitaires pour les dominantes qui requièrent l’interventions d’enseignants du supérieur…) " (84). De tels projets cadrent trop bien avec ceux du ministère, prévoyant régionalisation et localisation d’enseignements qui jusqu’à présent préservaient aux élèves et étudiants toute leur mobilité et leur égalité sur tout le territoire.

Une classe de Seconde ectoplasmique.

Les choix d’orientation en Seconde bénéficient du flou le plus total. Pour éviter les pré-orientations abusives, les élèves suivraient des " options de découverte ". Les Inspecteurs font preuve de leur profonde connaissance d’un lycée de base, se débattant dans ses emplois du temps et la répartition des salles de cours, en simplifiant remarquablement la vie des établissements : " pour limiter le risque de préfigurer l'orientation future dès la Seconde, il pourra être utile, si les conditions de fonctionnement de l'établissement le permettent, d’éviter de regrouper dans une même division tous les élèves suivant la même option. " (79).

Aucune option n’est précisée, aucun tableau prévisionnel de matières et d’horaires n’accompagne les folles propositions du rapport. Pire, les options n’auraient pas de définition nationale : " Ces options de découverte de Seconde pourraient, comme les " dominantes " de Première et de Terminale, être définies, au plan réglementaire, plus par un " cahier des charges " que par un programme figé. Le recours à des intervenants ou des conférenciers extérieurs devrait y être également encouragé. " (79)

Les options de Seconde devraient donner lieu en Première à des options " mineures ", mais qui seraient inégalement présentes dans les établissements : " la limitation des options mineures devrait contribuer à la meilleure lisibilité des projets d’établissement et favoriser une concentration des moyens et des compétences "(85). L’expression qui suit (" rationalisation de la carte des options majeures et mineures ") cache bien entendu fermeture de sections et inégalités criantes, qui rejetteront vers S tous les lycéens.

Enfin il est impossible de comprendre quelles seraient les matières enseignées en option en seconde, particulièrement celles qui conduiraient à la filière L, car le contenu du rapport évacue toutes les options actuelles : pas de LV3, silence pudique sur les langues anciennes, etc. Plus d’enseignement, mais du n’importe quoi, soumis sans doute soit aux conseils d’administration, soit aux 20% d’" autonomie " prévus par l’audit sur les lycées : " Ces objectifs multiples ne peuvent être atteints que si les enseignements de détermination de Seconde ne sont en aucun cas conçus comme des spécialisations anticipées mais au contraire comme le croisement de plusieurs champs disciplinaires et l’occasion, pour l’élève, de découvrir une variété de processus intellectuels et de méthodes d’acquisition du savoir et de construction des compétences. (Note : A titre d’exemple, un parcours du type " connaissance de l’Europe ", que chaque établissement pourrait décliner en mettant l’accent soit sur l’histoire, soit sur les langues, les institutions, les arts ou les techniques en fonction de son profil, des spécialités qui y sont enseignées et – ce qui est très important – de la disponibilité de ses enseignants.) " (91).

Comment apprendre l’italien ou le chinois au "croisement de plusieurs champs disciplinaires"? Faire l’option SES et s’initier aux rudiments de l’économie au sein d’"une variété de processus intellectuels"? On comprend mieux le rapport : "La dénomination de cette nouvelle série sera un exercice particulièrement difficile "(91).

Il vaut mieux d’ailleurs pour le rapport ne rien prévoir, n’assigner aucune matière aux " options de découverte ", car n’importe quel professeur pourrait s’y consacrer et assainir ainsi la gestion des ressources humaines : " Une organisation souple de ce type aurait, du point de vue de l’établissement, le double avantage de permettre d’inscrire explicitement ces enseignements optionnels de Seconde dans le projet d’établissement et d’offrir des compléments de service aux enseignants éventuellement en sous-service. " Nos Inspecteurs experts ignorent sans doute que pour l’instant les enseignants en sous-service sont envoyés le compléter ailleurs, sur deux ou trois établissements de préférence très distants. La dissolution prévue de leur statut disciplinaire n’a pas encore eu lieu. Mais on voit que tout l’attend.

Délire et aveu atteints page 92 : " On s’efforcera donc de créer des parcours " transversaux ", mobilisant des disciplines différentes sur la base d’un projet commun construit autour de l’idée de découverte et de promotion de certains champs du savoir. Les enseignements de détermination actuels devront être repensés pour s'inscrire dans cette finalité ou, si cela s'avère impossible ou trop complexe, supprimés. "

Bulldozer.

Comment les familles et les élèves pourront-ils comprendre une organisation du second cycle aussi peu déterminée et aussi peu nationale, et mieux discerner, dans ce fatras enseigné dès la Seconde, que les études littéraires, et les autres, ont une finalité ? Les Inspecteurs, en prétendant rechercher la "lisibilité", n’obtiennent qu’une complication répulsive. Leur prose le montre : "Il conviendra donc, dans cette perspective, de structurer les enseignements optionnels autour de ces " pôles " étroitement liés aux poursuites d’études. Chacun d'eux sera caractérisé par une option " majeure " ou " dominante ", complétée par une ou plusieurs options " mineures ", permettant d’approfondir ou de compléter la " majeure ".

L'ambition de donner plus de lisibilité aux parcours possibles étant au coeur de cette proposition, il convient de bannir des termes opaques, comme " option obligatoire " et même " option facultative " ou " enseignement de spécialité " qui ne sont pas immédiatement compréhensibles par un public non initié. Il importe que la terminologie retenue fasse immédiatement comprendre qu’à côté des enseignements généraux, certains enseignements déterminent le profil dominant de la formation (sans pour autant enfermer les élèves qui l’on (sic) choisie dans une spécialité), alors que d'autres, les "mineures " n'apportent qu'un éclairage, des outils ou des pratiques complémentaires. " (72)

Les élucubrations de l’Inspection sentent l’excitation collective de la création : "On s’exalte toujours dans l’erreur partagée : la science éducative recrute des passionnés. A chaque innovation, on voit leurs yeux briller. Mais ceux des apprenants ?"[51] Elles ont le tort inexcusable de nuire profondément aux élèves littéraires, et à l’organisation du lycée tout entière, qui sous leur coupe confine à l’obscurité la plus totale. Elles nuisent également au caractère national de la formation et du baccalauréat, et à la qualité générale de l’enseignement du second cycle. Elles ne peuvent que pousser les élèves vers la série S, qui a pour elle une égale distribution sur le territoire, une grande limpidité de structure, l’absence de tout choix hasardeux, la solidité des matières enseignées, l’apparence de sérieux.

Aucune famille, aucun lycéen n’ira choisir la filière L que propose le rapport. L’obligation de choix définitif en Première d’une profession aléatoire, la professionnalisation superficielle de lycéens de seize ans, sont des aberrations, à l’heure où les familles retardent le plus possible l’orientation de leurs enfants et recherchent la meilleure formation généraliste. La falsification du français, l’instrumentalisation de la littérature, la marginalisation de la philosophie qu’une autre analyse montre très bien [52], la faiblesse de la formation générale ainsi dispensée sont les derniers arguments. On ne peut imaginer que des professionnels puissent considérer avec bienveillance des élèves ou des étudiants issus de cette L et aussi peu cultivés et capables. L’impossibilité pour eux d’accéder aux nouvelles CPGE condamne le projet. La destruction, au passage, de la classe de Seconde et de bien d’autres enseignements, est criminelle.

Toutes ces orientations mettent ainsi davantage la filière L sous la coupe des nouvelles théories du ministère exprimées par la loi Fillon et le décret Robien, toutes étroitement liées à la professionnalisation de l’enseignement qui lui retire toute vertu formatrice, au conglomérat flou de matières nouvelles enseignées sans qualification, par la voie de la bivalence ou des " professeurs associés " de la loi Fillon, issus du monde professionnel sans les garanties du concours national, au regroupement par " pôles " soumis aux ressources de la région, l’ensemble menaçant le caractère national des programmes et des diplômes, la qualité de l’enseignement dispensé, l’indépendance des formations proposées, le statut disciplinaire des professeurs.

Le recours permanent à l’autonomie sans garantie nationale, aux " parcours transversaux " sans garantie de savoirs, aux " projets " sans garantie de pertinence, et qui n’ont ni l’une ni les autres jamais fait la preuve de leur efficacité, montre la part belle faite à un pédagogisme qui ne cesse de nuire aux élèves, aux savoirs et à l’égalité des chances. A l’heure où le HCE constate ses ravages, et où toutes les recherches menées par les spécialistes canadiens ou belges insistent sur l’efficacité des "instructions directives " et "explicites"[53], le ministère n’a à proposer que des nébuleuses, "des croisements de champs disciplinaires", "une variété de processus intellectuels" ou "l’idée de découverte de certains champs du savoir.". L’échec scolaire coûte trop cher, humainement d’abord pour nos élèves, pour qu’on laisse ce brouillard remplacer des connaissances effectives et productives.

L’effondrement de la filière L n’est au fond qu’un prétexte. Sous couvert d’y remédier, les Inspections générales proposent un autre projet global beaucoup plus radical : la suppression d’un second cycle structuré, dont le remodelage de L, autre visage de sa disparition, serait le laboratoire. Sous prétexte d’étayer trois parpaings, elles prennent le bulldozer. Comment comprendre autrement que pour un supposé problème de communication et de diffusion d’information sur l’orientation, treize inspecteurs rédigent un rapport de 114 pages ? Comment comprendre autrement la destruction de la classe de Seconde, que rien ne réclamait puisque la filière L ne commence qu’en Première ? Comment comprendre autrement la brumeuse et indéterminée "promotion de certains champs du savoir"(92), en lieu et place d’"enseignements optionnels" de Seconde, alors qu’en traitant son sujet, le déclin de L, le rapport regrettait l’absence de "parcours fléché qui, sur la base d’enseignements optionnels d’appel en classe de seconde, ferait de la série L une série-cible"(19) ? Comment comprendre autrement les tout nouveaux propos de Xavier Darcos, qui accuse maintenant la série ES des mêmes tares que la série L [54], alors qu’elle ne souffre d’aucune désaffection marquée ? On attend donc le prochain rapport, sans doute daté de l’été 2007 et à paraître en décembre, des Inspections générales d’économie et de l’administration sur "l’évaluation des mesures prises pour valoriser la série économique et sociale au lycée".

Le passage suivant de la page 77 ne peut tromper personne : " Ces propositions ne sont pas très éloignées des indications données par le rapport annexé à la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école : "La série L, solidement articulée selon quatre dominantes (langues et civilisation, arts, mathématiques et communication) serait par exemple renforcée par l’introduction, en première, d’une préparation à la philosophie (humanités) et par des enseignements de spécialisation en civilisations étrangères ou antiques, arts, mathématiques et communication ".

" Ces propositions ne sont pas très éloignées " du texte annexé de la loi Fillon, parce qu’elles en sont l’inspiration. Paru en mars 2005, il avait été précédé d’un texte émanant de la seule Inspection générale des Lettres diffusé aux syndicats et antérieur à février 2005, " Note sur l’avenir de la série L " [55], qui évoque toutes les orientations échevelées du rapport, en particulier l’instauration des " dominantes " de type technologique, qui plombent l’avenir de la filière. Le ministre Fillon n’a fait que lui emboîter le pas, et souscrire à ses propositions sans aucune consultation, puisqu’elles répondaient à la fameuse idéologie de la professionnalisation de l’enseignement par les "compétences", demandée par le Parlement européen et précisée en novembre 2005. L’Inspection des lettres, alliée à d’autres Inspections générales, a dans le rapport recyclé son texte de 2005 dont des passages entiers sont recopiés, aggravé le trait, inclus l’idéologie du " socle commun ", visant à inculquer des compétences en lieu et place de connaissances, et dissous davantage les enseignements littéraires avant de dissoudre entièrement le second cycle. La filière L n’a pas de chances d’y survivre, pas plus que la structure du lycée dont elle préfigure la disparition.

On peut même supposer que la filière L a été choisie en cobaye et en priorité parmi celles du lycée, non parce que son "déclin" était un souci du ministère, mais parce qu’au contraire la chute providentielle de ses effectifs permettait une expérimentation moins étendue qu’en S où les parents se seraient davantage rebellés. Et parce que la mise au pas de ses matières principales, davantage rétives que les autres aux "compétences" étroites, permettait une démonstration plus probante, facilement extensible aux autres séries ensuite, en même temps qu’une suppression graduelle des enseignements et des enseignants de philosophie [56]. Enfin parce que le mépris et la dévalorisation dans lesquels le ministère la tient et dont le rapport se fait abondamment l’écho autorisaient tous les traitements. Sinon le rapport, pour véritablement préserver la série, aurait étudié avec soin, et non éludé, pourquoi et comment certains lycées faisaient vivre et se développer leurs classes littéraires.

 

IV. La reconstruction.

Les fossoyeurs de l’instruction formulent toujours à leurs détracteurs une demande de propositions, comme si leurs opposants leur devaient réparation d’un désastre dans lequel ils ne sont pour rien, comme si les responsables ministériels n’étaient pas eux-mêmes à l’origine d’une destruction qu’aucun professeur ne leur a réclamée.

On se pliera ici à l’exercice, non pour eux mais pour les élèves.

On se placera donc dans l’optique irremplaçable et positive de maintien pour le second cycle d’un enseignement formateur et exigeant, que n’appellent "élitiste" que ceux qui refusent de le transmettre et de développer les aptitudes de tous les élèves. On s’appuiera sur la valeur inégalée des disciplines pour transmettre aux lycéens des " bases " solides, un patrimoine commun de connaissances étayées, éprouvées et organisées et de savoirs créateurs à la portée universelle, vivifiés par une intelligence critique.

La conviction et le constat quotidien, par la pratique des classes, que les études littéraires intéressent les élèves et sont favorables à leur avenir professionnel et personnel, animent ces lignes.

Des mesures de réparation.

Les pages qui précèdent montrent suffisamment quelles mesures simples peuvent être rapidement prises. On répètera ici que ce ne sont pas les élèves qui se détournent de L, mais le ministère qui les en écarte ou les en décourage. On observera que sa détermination a fini par porter ses fruits.

Il faut donc lui opposer une autre détermination, constructive celle-là. Le problème n’est pas d’image, mais de structure et de volonté, deux éléments qui ne figurent pas dans les projets finaux du rapport, qui outre l’ectoplasme répulsif qu’ils proposent, sentent la méthode Coué et le voeu pieux.

Il ne faut toucher à la filière qu’aux marges, car la série L bien administrée peut contrecarrer la fonte de ses effectifs, comme le montrent tous les exemples d’établissements qui ont eu la volonté de la faire fonctionner et ont obtenu des résultats et des effectifs suffisants, et comme le montrent certaines pages du rapport, qui déplorent des effets "contre-productifs" de mesures qu’il faut donc annuler.

32 % des bacheliers, selon la page 24 du rapport (chiffres de Education et formations N° 72, septembre 2005), souhaitent exercer une profession relevant du domaine littéraire. La filière L a donc l’avenir et les chiffres pour elle : le tiers des lycéens correspond bien à une filière sur trois.

1. Une volonté politique.

Le ministère doit prendre rapidement des mesures précises, pour permettre un choix et une réussite véritables des études littéraires et de la filière L de lycée. Ce sont les suivantes :

- Le rétablissement des horaires de français, à l’école primaire et au collège.

Les horaires considérés jusqu’en 1969 nécessaires à un apprentissage et à une pratique indispensables du français doivent être rétablis, comme le demande l’Appel pour le rétablissement des horaires de français, http://www.sauv.net/horaires.php . Les calculs ont été faits et figurent ici : Comparaison des horaires en primaire (1968-2004) et au collège (1975-2004), http://www.sauv.net/horcomp.php. " Au mieux donc, l'élève a perdu en une trentaine d'années deux années de formation en français. Lorsqu'il arrive en seconde, il a eu, sauf aide familiale, autant d'heures d'enseignement qu'un élève arrivant en 4e en 1975, sans tenir compte du quart de l'horaire global du collège effectué alors en demi-groupe, ce qui, qualitativement, n'est pas négligeable. " En 1998, Jean Ferrier, Inspecteur général, publiait un rapport, Améliorer les performances de l’école primaire [57] qui indiquait : " la qualité des apprentissages et les progrès des élèves sont en relation directe avec le temps consacré aux apprentissages, diverses études en attestent en France et à l’étranger ".

- L’arrêt des suppressions d’options.

Le ministère doit d’une part ouvrir ou rouvrir tous les enseignements optionnels qui pour la série jouent le rôle de colonne vertébrale et constituent des " choix obligatoires ". Il faut rouvrir ou maintenir les enseignements d’arts, de mathématiques, de langue vivante 3, de latin, de grec, prévus par les structures officielles de la série. Chaque lycée doit présenter les enseignements prévus par les textes officiels et promis aux élèves par les documents ONISEP.

Les rectorats ne pourront leur opposer un effectif insuffisant, tant que les conditions pour réunir un effectif complet (cf suite) n’auront pas été réunies. La " rareté " de certaines options n’est pas une cause, mais un résultat.

- Le respect des textes officiels.

Les rectorats doivent respecter les textes et circulaires qui régissent l’enseignement en L, et ne pas les négliger sous prétexte qu’ils concernent la série littéraire. Par exemple, la circulaire du 16 décembre 2004 prescrivant l’ouverture de sections de langues anciennes pour ne pas rompre la continuité collège/lycée doit être mise en application. De même, la continuité de l’enseignement du latin au collège (prévue par le BO 3 de janvier 2000, http://www.education.gouv.fr/bo/2000/3/default.htm) doit être respectée.

- L’abrogation des textes limitant l’accès à des enseignements prévus par les textes officiels.

Tous les textes, décrets ou circulaires, en contradiction ou en opposition avec les enseignements littéraires doivent être corrigés ou abrogés (par exemple l’interdiction du latin aux classes CHAM, http://www.education.gouv.fr/bo/2002/31/default.htm )

- La priorité des enseignements disciplinaires sur les dispositifs interdisciplinaires. En conséquence, les horaires affectés aux " thèmes de convergence " ou " itinéraires de découverte " en collège ou à la " découverte professionnelle " de 3ème ne peuvent servir de prétexte à la suppression de poursuite ou de choix d’un enseignement disciplinaire, en général le latin et le grec.

- La priorité des enseignements disciplinaires sur les dispositifs divers votés dans le cadre de l’autonomie (décision d’ouverture de tel ou tel dispositif choisi par les CA, notamment en collège). Tous les projets qui nuisent aux enseignements dispensés ou conduisent à leur désaffection ne seront pas autorisés dans le cadre scolaire.

2. Une volonté disciplinaire et pédagogique.

- La suppression des programmes actuels de français en collège et lycée.

Le ministère doit se contraindre à une révision des programmes qui nuisent au libre choix de la série littéraire. En particulier, les programmes taxinomiques actuels de français [58] seront supprimés, et remplacés par des programmes fondés sur le contenu, adapté à chaque cycle, de la matière : maîtrise de la langue et connaissance des œuvres (voir par exemple le Projet de programme de français - seconde et première, http://www.sauv.net/projetproglycee.php )

- Une filière S vraiment mathématique.

Pour éviter que des littéraires ne s’engagent dans la filière scientifique, il faut bien évidemment que celle-ci le soit vraiment. Un renforcement des mathématiques en S, en horaire et en contenu, remédierait à l’absence de goût de bien des élèves de S pour les sciences, et permettrait d’orienter intelligemment les élèves sans les faire se précipiter dans cette série S devenue invertébrée [59] par la force des choses et des dérives. Si le fonctionnement de L n’est pas satisfaisant dans le second cycle, celui de S lui donne aisément la réplique pour le supérieur, comme les pages précédentes l’ont montré. Il faut donc envisager conjointement l’avenir des deux séries.

- Une filière L affirmée et diversifiée, avec une troisième matière valorisée et bien coefficientée

Tous les établissements dont les classes de L fonctionnent bien sont ceux où une politique volontariste d’affirmation d’un ou plusieurs enseignements spécifiques ont permis d’avoir dans cette série une structure équivalente à celle de la série scientifique, en faisant bénéficier les élèves d’une troisième matière forte en dehors du français et de la philosophie, sur le modèle du triptyque de S mathématiques/ sciences physiques/ sciences de la vie et de la terre bien coefficienté à l’examen, et sur le modèle de la série A antérieure, valorisée soit en langues, soit en mathématiques, soit en arts.

La série L est la seule où les élèves de " sections européennes " peuvent valoriser en coefficients importants l’enseignement reçu, au lieu de devoir se contenter comme dans les séries ES et S soit d’un faible coefficient, soit de la simple " mention européenne " indiquée sur le relevé de bac. Il faut donc ouvrir le plus possible ces sections dans les lycées et faire valoir la formation linguistique qu’elles donnent, en contrecarrant l’effet catastrophique sur les horaires de langue des mesures Allègre, et en équilibrant les coefficients importants de la philosophie (7) et du français (9) par un coefficient de 8 (épreuves de LV1 et de langue de complément) complété par le coefficient 2 des points au-dessus de 10 offerts par l’épreuve orale de DNL (discipline non-linguistique). Tous les reproches indus de trop grandes exigence et discrimination faits au français et à la philosophie dans le rapport tombent d’eux-mêmes, dès lors qu’une troisième discipline répartie sur trois épreuves permet en L d’obtenir ce " rendement " si cher à nos Inspecteurs.

La reconstruction est simple : il suffit de valoriser et faire connaître la " spécialité mathématiques " déjà présente dans la structure de la série, de l’ouvrir partout où elle n’est pas présente ou a été fermée par les rectorats, de redensifier le programme puisque les élèves qui choisissent les mathématiques sont bien évidemment de bon niveau dans la matière, et de lui donner soit le coefficient 4 qu’elle avait avant les mesures erratiques de 1999-2003, soit le coefficient 6 accordé aux arts. Additionné au coefficient 2 des mathématiques-informatique obligatoires, le coefficient de la matière atteindrait ainsi 6 ou 8, ce qui lui donnerait le statut de troisième discipline " forte " de la série, et l’équivaudrait à celui de la langue " européenne " ou à celui des arts.

Les filières arts plastiques, histoire des arts, théâtre, cinéma sont bien connues. En général leur existence assure effectifs et pérennité aux classes de L dans les lycées où elles figurent. Il faut donc les faire connaître davantage, et interdire aux rectorats de les fermer comme ils l’ont fait massivement en 2003 et après. Leur coefficient 6 fondé sur deux épreuves permet à ces matières d’être la troisième discipline forte de leur série. Avec les " arts " en option facultative, il peut être de 8.

Les deux langues latin et grec seront offertes dans cette filière optionnelle, à raison d’un coefficient 4 pour chacune de ces langues. Leurs coefficients cumulés donneront le coefficient de 8 semblable à celui de la " langue européenne ". Sur le modèle des " arts " ou de la " langue européenne " qui peuvent bénéficier de trois épreuves, une épreuve facultative de traduction pourrait avoir le coefficient 2.

3. Une volonté administrative.

- La classe de Seconde.

Elle sera organisée de façon à permettre aux élèves un choix motivé de l’une ou l’autre des filières générales, en enseignant suffisamment d’éléments significatifs des matières principales de chaque série.

Dans cette optique, le français et les mathématiques seront renforcés chacun dans leurs programmes et dans leur horaire, à raison d’une heure hebdomadaire supplémentaire, en intégrant dans l’horaire l’heure d’aide individualisée actuelle de leur discipline [60], afin que l’une et l’autre de ces matières soient assez discriminantes pour faire choisir soit L, soit S en connaissance de cause. La série S y gagnerait d’avoir de meilleurs scientifiques, plus motivés par leur spécialité.

Cette classe devra comporter des matières d’appel de chaque série. Les sciences physiques et de la terre obligatoires jouent ce rôle pour S, l’option SES pour ES. Une langue ancienne, latin ou grec, sera la matière d’appel de L, obligatoire en Première. L’étude qui précède a en effet montré que le profil actuel de L est trop optionnel pour résister à la pression administrative et gestionnaire. La langue ancienne pourra être soit continuée du collège, soit enseignée en “grand débutant”.

La langue ancienne sera un complément de formation pour la filière “mathématiques”, un complément de culture générale pour la filière “arts”, et le complément de langue de culture [61] pour la filière “langue européenne”. Cette langue ancienne obligatoire sera en harmonie avec la réforme des CPGE littéraires, qu’elle rendra parallèle à l’organisation des CPGE scientifiques, dont toutes les matières sont représentées dans les enseignements obligatoires du second cycle.

Pour libérer des heures, les emplois du temps et des locaux, l’ECJS en seconde, l’ECJS et les TPE en première seront supprimés. La LV 2 sera incluse dans les enseignements obligatoires.

Les “sections européennes” garderont leur organisation actuelle. Les arts et la langue vivante 3 garderont leur statut actuel. La langue ancienne pourra être une matière facultative de ES ou de S. L’aide individualisée sera facultative.

Une présentation de la philosophie aura lieu au cours de l’année, sur deux à quatre des dix heures annuelles de “vie de classe” laissées à la disposition des professeurs.

- Les documents ONISEP.

La filière littéraire sera présentée objectivement et sans a priori, d’abord dans ses débouchés, ensuite dans les grilles horaires de la série. Sur le modèle des sous-filières de STG, les différentes options de la série littéraire seront présentées une par une, compréhensibles par les élèves et les familles dans leur composition et leurs coefficients, sous forme de tableaux individualisés.

- Les documents de l’administration.

Le ministère veillera à diffuser et faire circuler des textes et directives valorisant la série littéraire, sans déprécier ses qualités ni détourner quiconque d’y entrer, d’autant plus que toutes les études de devenir des littéraires sont positives.


Agnès Joste
09/2007
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[1] Alain Boissinot, inspecteur général des Lettres et chef de cabinet de Luc Ferry, dans Perspectives actuelles de l’enseignement du français, CRDP de Versailles, 2001, p. 34.
[2] Note sur l’avenir de la série L, rapport de l’Inspection générale, février 2005,
http://www.sauv.net/serieL.php
[3] Libération : " Lycéen littéraire, une espèce en voie d’extinction ", 11 juin 2007 ; Le Monde : " Les bacheliers littéraires sont de moins en moins nombreux ", 12 juin 2007.
[4]
http://www.sauv.net/ctrc.php?id=826, interview de M. Sarkozy dans 20 minutes du 16 avril 2007, p. 6 et 7.
[5] Audition de MM. Darcos et Ferry par la Commission des finances, 28 octobre 2003 (rapport 1110 du 3.11.2003)
[6] Comme l’indique Jacques Renaud, directeur des formations professionnelles à l’université littéraire de Marne-la-Vallée, au Nouvel Observateur du 29 mars 2007 : "Nous avons des étudiants brillants, qui ont acquis des méthodes de travail, une qualité de réflexion qui peuvent se révéler utiles partout ".
[7] Evaluations et statistiques : dossier 152 de février 2004 ; L’État de l’Ecole 2006, fiche 27,
http://media.education.gouv.fr/file/07/9/3079.pdf  
[8] http://www.sauv.net/serieL.php
[9] Les filières scientifiques et l’emploi, CEREQ, LIHRE - n° 177, septembre 2006.
[10] Que deviennent les bacheliers après le baccalauréat ? Note d’information DEEP, 04-14, avril 2004.
http://media.education.gouv.fr/file/98/0/3980.pdf
[11] Alors que toutes les études du ministère montrent que les filles réussissent mieux que les garçons : cf la fiche 13 de "L’Etat de l’Ecole ",
http://media.education.gouv.fr/file/08/9/3089.pdf  
[12] Il mettait en garde, devant les difficultés des UFR de lettres, contre " les dangers d’une définition trop étroite et conservatrice des formations littéraires " (in Perspectives actuelles de l’enseignement du français, CRDP de Versailles, 2001).
[13] Cf L’informatique dans les études littéraires, Revue de l’Epi 84,
http://www.epi.asso.fr/fic_pdf/b84p179.pdf
[14] Courrier International, novembre 2005
[15] Le Monde du 4 janvier 2006.
[16] Préface de Pierre et Jean.
[17] Le Débat, n°144
[18] L’Ecole des Lettres second cycle, décembre 1999, p. 13
[19] Henri Mitterand, Le Débat n° 135, mai-août 2005, p. 47.
[20] Le Débat, n° 110 p. 137, 2000.
[21] " Une fois les ressources disponibles, leur mobilisation et leur transfert passent pas des processus mentaux de haut niveau, qu’il est difficile de scolariser pleinement, puisqu’ils sont de l’ordre de la synthèse, de l’anticipation, de la stratégie, de la planification, de la pensée systémique ; dans tous ces domaines, il se peut hélas que la socialisation familiale soit, en milieu favorisé, plus efficace que l’action éducative de l’école… Il y a donc toutes les raisons de croire que la valorisation de compétences ne résoudra pas ipso facto la question des inégalités sociales devant l’école et risque même les accroître. Une telle approche pourrait mettre en difficulté les élèves qui ne survivent dans la compétition scolaire qu’en s’accrochant aux aspects les plus rituels du métier d’élève. " Philippe Perrenoud, Faculte de psychologie et des sciences de l’éducation, Genève : " L’approche par compétences, une réponse à l’échec scolaire ? " (2000)
[22] Voir Le Monde du 12 juin 2007 : Mathématiques : le bon niveau des élèves est un trompe-l’œil ; et dans Les Programmes scolaires au piquet (Textuel, 2006) : Les mathématiques à l’école primaire, par Rudolf Bkouche, et Les mathématiques en chute libre, de la sixième à la seconde, par Avi Benzekri et Jean-Yves Moittié.
[23] Les meilleures intentions ministérielles sont aveugles sur les effets pervers renforçant la suprématie de S : " Récemment, le coefficient des épreuves facultatives de langues anciennes a été revalorisé, mais cette revalorisation, née d’une volonté affichée de remédier à l’érosion globale de la discipline, n’a pas particulièrement profité à la série héritière des humanités classiques : elle est plutôt un moyen de sélection supplémentaire pour les élèves de S qui peuvent ainsi aisément valoriser au baccalauréat un effort dans une matière dont ils ne feront pas leur spécialité. Ce constat est d’autant plus regrettable qu’on voit ainsi s’aggraver le phénomène de hiérarchisation entre les séries. " (49).
[24] Admirons la litote : la filière L a perdu 30% de son horaire de langue, soit une année sur les trois de second cycle. La page 47 est moins pudique : " leurs horaires [des langues vivantes]ont été considérablement réduits. "
[25]
http://www.lyc-grandmont-tours.ac-orleans-tours.fr/italien/archives/Darcos_02_07_07_RMC.mp3
[26] Voir l’Appel pour le latin et le grec (
http://www.sauv.net/latingrec2004.php ) de février 2004, qui a réuni 70 000 signatures de soutien.
[27]
http://www.audits.performance-publique.gouv.fr/bib_res/182.pdf (collège)
http://www.audits.performance-publique.gouv.fr/bib_res/395.pdf (lycée).
[28] Cf.
http://www.sauv.net/horaires.php et http://www.sauv.net/horcomp.pdf
[29]
http://www.vousnousils.fr/page.php, Concours de dictée pour élèves-ingénieurs, 22 février 2007.
[30] L'enseignement des langues vivantes à l'école primaire: éléments d'évaluation des effets au collège. GENELOT Sophie, Notes de l'IREDU (Institut de recherche sur l'économie de l'éducation, UMR /CNRS 5225), 96.4. " Afin d'améliorer l'efficacité de l'EPLV (enseignement précoce de langues vivantes), l'auteur a cherché à identifier et à décrire les facteurs qui participent à l'efficacité de l'enseignement de l'anglais à l'école élémentaire et au collège. Le bilan de cet apprentissage s'avère positif pour les élèves "forts", qui bénéficient de l'allongement du temps d'apprentissage. Les élèves en difficulté tirent bien moins de bénéfices de l'EPLV, d'autant que l'horaire dévolu à l'apprentissage de la langue étrangère est souvent pris, selon l'étude, qui date de 1996, sur les horaires de français. Il existe en effet un lien entre niveau de français initial et niveau acquis en anglais.
Quant à l'impact au collège, il est minime, et ce sont les élèves les plus forts qui arrivent à mobiliser les connaissances acquises en primaire. Pour les plus faibles, l'EPLV n'a pas d'incidence. L'apprentissage de l'anglais est, selon cette étude,  lié à une moindre réussite des élèves en français, sans doute en raison d'un transfert d'horaires plus qu'à la présence de cet apprentissage. "
(Source :
http://centre-alain-savary.inrp.fr )
[31] Voir Quelques rédactions de l’évaluation 2005 en 6ème,
http://www.sauv.net/eval2005redac.php et Plus d’un élève de seconde sur deux ne maîtrise pas l’orthographe de base, http://www.sauv.net/fx050131.php .
[32] Dans Le Débat n° 135.
[33] Le français sans l’apprendre : les programmes de français au collège, Michel Buttet et Luc Richer, dans Les Programmes scolaires au piquet (Textuel 2006) ;
[34] " Le cours de littérature apprend-il encore quelque chose ? Oui, le texte. L’apprend-il de la même manière ? Non, la disparition de la lecture en fait un univers nouveau, détaché de la pratique ordinaire. Faut-il alors réévaluer (à la baisse) nos exigences ? Non (…), parce que le texte. " Sophie Labatut, Le Débat n°135, p. 159.
[35] Perspectives actuelles de l’enseignement du français (CRDP de Versailles, 2001), p. 99.
[36] Voir Contre-expertise d’une trahison, la réforme du français au lycée, Agnès Joste (Mille et une Nuits, 2002), et Les Programmes scolaires au piquet,( Textuel, 2006).
[37] Littérature et égalité : un vrai français pour tous, dans De l’élève à l’apprenant et autres pamphlets, de Michel Leroux (De Fallois, 2007).
[38] Alain Boissinot, Inspecteur général des lettres, Le Débat n° 110, mai-août 2000.
[39] " Sous prétexte que les enfants du peuple n’ont pas encore acquis l’aptitude à percevoir les valeurs et les raffinement de la sensibilité, de l’imagination et de la pensée, on les en prive, en somme, de manière définitive. ", Henri Mitterand, dans Le Débat n° 135, p. 46.
[40] Cf note 36, ibid., p. 50.
[41] " A l’école, on apprend non pas de quoi parlent les œuvres, mais de quoi parlent les critiques. ", Tzvetan Todorov, Le Débat n° 135, p. 57.
[42] Cf. par exemple Grammaire amère de Pierre Marcelle dans Libération du 10 juillet 2000.
[43] Cf les deux articles de Marie-Christine Bellosta, " Zéro pour le bac de français ", Le Figaro du 25 juin 2005, " Et si on enseignait le français en France ? ", Le Figaro du 6 juillet 2007.
[44] " Explication de texte ", Pierre Marcelle, Libération, 29 mai 2006.
[45] Note d’information 03.32 du ministère (DEP), mai 2002.
[46]
http://media.education.gouv.fr/file/07/9/3079.pdf
[47] " Seules seront convoquées les connaissances nécessaires à la compétence, sans que leur enseignement puisse être progressif et structuré, aller du simple au complexe comme le réclame une vraie formation de l’élève ", Le socle commun ou la connaissance pilotée par l’économie,
http://www.sauv.net/socle.php .
[48] Recommandations du Parlement européen pour les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie,
http://ec.europa.eu/education/policies/2010/doc/keyrec_fr.pdf
[49] " Il se pourrait que, prise au sérieux, l’exigence de compétences constitue un handicap de plus pour les élèves en difficulté (…) Pour ne pas trancher ce dilemme dans l’abstrait, il importe de se demander si les systèmes éducatifs qui adoptent en ce moment l’approche par compétences ont les moyens de contrôler ses dérives élitistes ". Philippe Perrenoud, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Genève : " L’approche par compétences, une réponse à l’échec scolaire ? " (2000)
[50] Samuel Johsua, L’École entre crise et refondation. Paris, La Dispute, 1999.
[51] Michel Leroux, op. cit., p. 33.
[52] " A propos du rapport sur la filière littéraire ", de Didier Carsin et Isabelle Sachinis-Mutel,
http://www.sauv.net/rapportL.php
[53] http://www.sauv.net/ctrc.php?id=854
[54] Dans Paris-Match du 23 août 2007. Voir
http://www.apses.org/spip.php?article693 et http://obouba.over-blog.com/article-12008283.html
[55]
http://www.sauv.net/serieL.php
[56] Voir  "Rapport sur la filière L : marginaliser l’enseignement de la philosophie ", par Didier Carsin et Isabelle Sachinis, http://www.sauv.net/ctrc.php?id=833&top=a

[57]
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/994000202/synth.shtml
[58] Voir Un programme pour rien ? d’Henri Mitterand, Europe n° 863, mars 2001.
[59]  "Cette classe n'a pas de sens et elle fabrique de l'incohérence. Traditionnellement la terminale scientifique comprenait deux filières, d'abord "mathématiques élémentaires" et "sciences expérimentales" (je ne parle pas de "mathématiques et techniques" qui différait peu de la classe de "mathématiques élémentaires"). Ensuite il y eut les filières C, D, E qui reproduisaient plus ou moins les filières antérieures. Donc d'une part une filière s'appuyant essentiellement sur les mathématiques et la physique comprenant C et E, - la seconde avec une tendance vers la technique -, d’autre part une filière s'appuyant sur les sciences naturelles, ce que l'on appelle aujourd'hui SVT.
Cette division a été transformée par deux faits, d'une part, avec la réforme Fouchet, les mathématiques sont devenues un outil de sélection, renforcé par la réforme des mathématiques modernes qui est à la fois une des dernières grandes réformes de l'humanisme scientifique et l'une des entrées des idéologies pédagogistes avec le rôle joué par l'épistémologie génétique de Piaget.
Rapidement la terminale C est devenue la filière des "bons", ce qui remettait au second plan le caractère de formation scientifique de la terminale C. Cette hiérarchisation des filières allait contribuer à sous-estimer la terminale D, comme si la biologie apparaissait comme une science inférieure aux mathématiques. Pour mettre fin à cette hiérarchie, le ministère a choisi la solution la plus mauvaise, une filière scientifique unique dans lequel les trois disciplines scientifiques mathématiques, sciences physiques, sciences de la vie et de la terre, se trouvaient à égalité ; pour renforcer cet enseignement, on créait trois enseignements de spécialité, les élèves devant choisir entre les mathématiques, les sciences physiques et SVT. On recréait ainsi les filières avec cependant un inconvénient : la déconnexion de l'enseignement obligatoire et de l'enseignement de spécialité. Un enseignement a une cohérence et l'introduction d'un enseignement de spécialité déconnecté de l'enseignement obligatoire casse cette cohérence.
Le rétablissement de deux filières scientifiques, l'une à dominante mathématiques et physique, l'autre à dominante SVT me semble un point essentiel d'une réforme à venir. Il faut évidemment que ces deux filières ne soient pas hiérarchisées. Cela permettra aux élèves de choisir en fonction de ce qu'ils veulent faire. »
Rudolf Bkouche, professeur de mathématiques émérite à l’université des sciences et techniques de Lille, ancien directeur de l’Institut de recherche en enseignement des mathématiques (IREM) de Lille
[60] Cf la note 01-4 de l’IREDU, " Evaluation d’une innovation pédagogique au lycée : l’aide individualisée en seconde ".
[61] Selon les travaux de la Mission ministérielle sur l’enseignement des langues et cultures de l’Antiquité de H. Wismann et P. Judet de la Combe : Éléments de réflexion pour la création d’un tronc commun d’éducation européenne (février 2004), http://www.sauv.net/wismann2.php .