Un débat dépassé... mais par quoi ?

Le Figaro Magazine du 29 novembre 2003


Un débat dépassé... mais par quoi ?
Voici quelques extraits du débat sur l'école auquel le ministre Xavier Darcos et le spécialiste des questions d'enseignement Philippe Meirieu ont choisi de se livrer. Chacun avec ses convictions et ses interrogations. Publié sous le titre Deux voix pour une école, aux éditions Desclée de Brouwer, et prêt depuis six mois, ce dialogue a été animé par la journaliste Marielle Court.

Xavier Darcos, êtes-vous le réactionnaire que certains décrivent ? Philippe Meirieu, comment réagissez-vous aux portraits de «pédagogo» que l'on dresse parfois de vous ?
Xavier Darcos -
Réactionnaire ? Certainement pas. Pragmatique ? Sûrement. La pédagogie ne doit pas se substituer au savoir. Non pas tant, d'ailleurs, pour les apprentis enseignants, qui ont déjà une formation générale solide, que pour les élèves. Durant les années 1970-1990, les élèves ont été largement invités à être les auteurs de leur propre formation : ils ont été incités à se former en s'appuyant sur leurs convictions, leurs désirs, pour construire du sens et du savoir. Cette pédagogie de la spontanéité, de l'autopromotion a été extrêmement nuisible à ceux qui avaient le plus besoin de nous : c'est-à-dire - je n'hésite pas à le souligner - qu'elle a fini paradoxalement par constituer un déni de démocratie. Les jeunes qui étaient bien entourés par leurs parents pouvaient laisser libre cours à leur fantaisie, sans risque important pour leur formation culturelle : l'environnement familial compensait. Mais ceux qui avaient des assises culturelles plus fragiles n'ont pas tiré leur épingle du jeu d'un enseignement fondé sur le ludique, l'autoconstruction et la remise en cause de toute hiérarchie. (...)

Philippe Meirieu - Je ne me définirai évidemment pas comme un «pédagogiste». Je prétends simplement que, s'il est vrai que l'on enseigne toujours quelque chose, il n'en est pas moins vrai qu'on l'enseigne toujours à quelqu'un. Sur les années 1970-1990, vous caricaturez : on ne peut absolument pas parler d'une renonciation généralisée des enseignants à leur autorité. Après la récréation de 1968, l'ordre est vite revenu. Depuis, les sanctions dans l'école n'ont pas cessé d'augmenter. Et je refuse complètement d'assimiler la volonté d'impliquer l'élève dans ses apprentissages avec la généralisation du spontanéisme. C'est tout le contraire : cette implication demande un travail pédagogique considérable ! Organiser ce que nous appelons une situation d'apprentissage, au cours de laquelle l'élève va être conduit, dans une activité où il s'implique, à découvrir et à construire des connaissances n'est, en rien, une attitude non-directive ! (...) Bien sûr, je reconnais qu'il existe une forme de «pédagogie active» - libérale en quelque sorte - qui profite aux enfants ayant trouvé leur costume d'écolier au pied de leur berceau, ceux qui font les exposés spontanément, qui fréquentent les maisons des jeunes et de la culture, les associations ou les organisations culturelles. Mais vous semblez ignorer qu'il faut surtout mobiliser les autres sur les savoirs scolaires et que cela passe, évidemment, par le fait de les rendre actifs. Car les enseignants sont confrontés aujourd'hui à la nécessité de transmettre des savoirs à des élèves qui ne veulent pas toujours apprendre et ne voient pas bien ce qu'ils font à l'école... et c'est bien affaire de pédagogie. C'est même la grande affaire de la pédagogie ! (...)

Quelles sont ces exigences ?
Ph. M. - L'Ecole n'est pas une juxtaposition d'enseignements disciplinaires. C'est une institution particulière qui a ses principes et ses règles : ce n'est ni la rue ni la famille. A l'école, celui qui a raison n'est pas celui qui crie le plus fort, mais celui qui démontre le mieux. L'école est un lieu où comprendre est plus important que réussir, où l'exigence de rigueur, de justesse et de vérité doit constamment s'incarner : on ne peut pas faire dire n'importe quoi à un texte, ni cacher une partie des données recueillies lors d'une expérience. (....)

Philippe Meirieu, vous n'en êtes pas moins accusé de vouloir transformer les établissements scolaires en «lieux de vie» et les enseignants en animateurs socioculturels, quand vous, Xavier Darcos, vous êtes soupçonné de rêver une école où chaque discipline serait enseignée hors de toute influence du monde alentour. (...)
X. D. - L'école est effectivement un espace clos spécifique, avec ses logiques et ses règles. L'école n'est pas seulement synonyme de performance réussie mais aussi de lieu où il arrive d'échouer, où sa propre erreur permet de grandir, où l'on n'évalue pas seulement les résultats mais également les méthodes. Le métier d'enseignant est devenu plus difficile. Il est de plus en plus ardu de faire entendre aux élèves que le travail, le mérite, la compétition et l'effort sont des valeurs qui permettent de s'inscrire dans le futur, quand tout le dément autour d'eux dans la survalorisation et l'exaltation de l'instantané, du clip et du zapping : c'est ce que j'appelle «l'esthétique MTV». Il n'en reste pas moins vrai que les contenus disciplinaires sont trop souvent sacrifiés, au profit du maintien de la cohésion de la structure scolaire. Dès lors que l'Ecole arrive à occuper le public qui lui est donné, on considère que le système ne fonctionne pas trop mal. La réussite scolaire, le savoir viennent après cette préoccupation-là.

J'en veux pour preuve le fait que, malgré mon titre officiel de ministre délégué à l'Enseignement scolaire, j'ai trop rarement à m'exprimer sur les contenus du savoir. Je parle de violence, de drogue, de sexualité, de nutrition, de communautarisme, de dialogue syndical, de décentralisation, des relations des établissements avec leur environnement, de sécurité routière... Mais des disciplines, de la volonté de transmettre aux autres générations, presque jamais. Ne serait-ce pas parce que cela n'intéresse pas grand-monde ? Evidemment, je ne fais pas de procès à Philippe Meirieu. Mais la doctrine qui, à un moment ou à un autre, a consisté à privilégier la construction d'espaces «pour vivre ensemble» a eu beaucoup d'effets pervers (...)

Ph. M. - C'est là, sans doute, un point de divergence fondamental entre nous. Je crois, pour ma part, que l'acquisition des savoirs est inséparable de celle des règles du «vivre ensemble» : apprendre à respecter celui qui raisonne juste et convainc sans violence relève bien de la mission première de l'école. C'est donc à l'occasion de la transmission des savoirs, en réfléchissant à la manière d'organiser les apprentissages que se construit le «vivre ensemble». Cela se fait en travaillant sur des textes littéraires ou des expériences scientifiques.

Je n'ai jamais été partisan de la cohésion de l'établissement et de la paix sociale à tout prix. L'école n'est pas d'abord faite pour être bien ensemble, mais pour apprendre... et apprendre ensemble.

X. D. - Ce débat «pédagogie contre savoir» a conduit sans doute à une exacerbation des positions. (...) Mais le professeur confronté à ses problèmes quotidiens dans la classe ne se pose pas toutes ces questions. Il est dans le concret, il se débrouille avec le réel. Il ne se demande pas : «Suis-je un pédagogue ou un républicain ?» Il est, bien évidemment, l'un et l'autre.

Pour certains jeunes aujourd'hui, le savoir n'a pas plus de légitimité que ce qu'ils peuvent voir à la télévision, trouver sur internet ou entendre dans la cour de récréation. Comment lutter contre ce phénomène ?
Ph. M. - L'essentiel est de leur faire entendre que les savoirs ne leur sont pas imposés de manière arbitraire et dans une perspective purement scolaire, mais qu'ils ont des occasions d'entrevoir et d'obtenir des satisfactions intellectuelles plus importantes que les renoncements provisoires qu'on leur impose. (...)

Apprendre à lire, ce devrait être se réjouir de pouvoir, enfin, choisir soi-même son programme de télévision, chercher l'information pour contredire ses parents et tenter d'accéder, à travers le livre, au secret des choses. (...)

La seule légitimité des savoirs suffit-elle à habiller les professeurs de l'indispensable autorité dont ils ont besoin pour enseigner ?
Ph. M. - (...) Dans une classe de CM1 que je visitais, il y a quelques jours, le maître s'est fait interrompre par un élève qui lui a demandé : «D'où tiens-tu ce que tu dis ?» On voit bien que la contestation de l'autorité de l'enseignant tourne parfois au conflit d'opinions : l'enseignant a une opinion, l'élève également ; chacun des deux l'exprime, et celui qui a le pouvoir l'impose. Pis, l'autorité est parfois vécue comme un affrontement entre deux caprices ou une soumission aux règles d'une autre tribu. C'est ce que renvoient certains jeunes de banlieue : «Tu me dis de faire cela... Mais pourquoi ta loi serait-elle meilleure que la mienne ?» C'est pourquoi l'enseignant qui impose sa position par la force savonne la planche sur laquelle il devrait se tenir debout. Ce n'est pas le fait qu'il soit le plus fort qui lui donne sa stature d'enseignant... c'est parce qu'il parle plus juste, qu'il est le plus proche de la vérité et qu'il sait le faire entendre à ses élèves. (...)

X. D. - Précisément. Parce qu'il n'est pas acceptable que la parole professorale soit considérée comme une opinion, une sorte de point de vue à partir duquel un élève pourrait opposer le sien, il faut qu'elle ait force de loi. Bon gré mal gré, le savoir doit être légitimé par le seul fait qu'il s'énonce. Renoncer à cette certitude, c'est compliquer considérablement la notion d'autorité, car c'est la rendre elle-même négociable. (...) L'autorité du maître n'est donc pas négociable chaque jour. C'est pourquoi les approches auxquelles vous avez contribué sont erronées : l'idée selon laquelle les enfants doivent adhérer à ce qui est donné à savoir est une idée généreuse et respectable, mais profondément inadaptée. (...) Transmettre un savoir ne peut se faire indépendamment de l'exercice de cette autorité.

Ph. M. - Je partage totalement l'idée que les savoirs ne sont pas négociables dans la classe et que l'autorité de l'enseignant n'est pas discutable par les élèves.

X. D. - C'est déjà beaucoup !

Ph. M. - Mais les savoirs ne peuvent être assimilés et intégrés que s'ils ont du sens pour ceux qui les apprennent. Et ce dès les petites classes. Apprendre, en maternelle, à mettre son manteau peut se faire sous le signe du dressage, mais aussi sous le signe de la conquête d'une certaine autonomie. Apprendre à lire et à faire une carte peut être un exercice scolaire purement mécanique ou un travail riche de découvertes et même d'aventures. (...) Ce qui m'inquiète dans votre propos, c'est que vous semblez résigné à ce qu'un certain nombre d'élèves trouvent du sens à l'école quand, pour les autres, il faudrait simplement les faire apprendre par la contrainte. C'est ce clivage que je refuse.

X. D. - Ne me faites pas de procès d'intention ! L'autorité n'est pas la contrainte. En définitive, tout en convenant que les savoirs ne sont pas négociables et que l'autorité de l'enseignant n'est pas discutable, vous faites néanmoins de la compréhension de ce qu'on apprend le préalable à la légitimité de tout enseignement. (...) La discussion qui s'installe dans les établissements, voire la contestation sur ce qui est donné à savoir, représente une difficulté réelle. Certains élèves, dans une confusion épouvantable, récusent des exposés sur des faits mythologiques qu'ils prennent au premier degré. Mara Goyet en donne un très bon exemple (1). Alors qu'elle racontait l'histoire de Zeus et d'Héra, un élève lui a posé une question dans ce style : «Comment se fait-il que Zeus trompe Héra alors que c'est interdit par le Coran ?» A cette confusion s'ajoute un phénomène encore plus inquiétant : la remise en cause, voire la négation, du savoir et de ceux qui le transmettent. C'est l'élève qui se dresse en s'exclamant : «Monsieur, je vous interdis de parler de la foi parce que vous êtes victime du complot judéo-américain !» Et l'on pourrait prendre des exemples hors du champ communautariste. Dès lors, l'approche tout à fait respectable qui est la vôtre et qui manifeste un véritable humanisme ne peut, néammoins, qu'échouer. (...) Il existe, plus qu'on ne croit, un rapport de forces qui s'est établi. Tout ce qu'on dit ne se négocie pas, ne se discute pas. Pardon pour ce truisme, mais les élèves doivent apprendre à se discipliner. Cet apprentissage débute par le respect des professeurs, par la tenue vestimentaire, par le vocabulaire. Commençons par refuser les formes diverses d'insultes qui ont cours dans les établissements. Les élèves ne savent même pas pourquoi ils s'appellent les uns «feuj», les autres «bougnoules». Rappelons que les mots ont un sens, y compris les insultes.

N'est-il pas nécessaire, pour restaurer cette autorité de retrouver des règles de vie, des rituels qui structurent la césure entre la vie extérieure et le lieu du savoir ?
Ph. M. - D'abord, je voudrais qu'on évite de stigmatiser systématiquement les comportements des enfants d'origine maghrébine. Il est vrai que certains d'entre eux - des garçons en grande majorité - commettent des excès indéfendables. Mais cela ne doit pas faire oublier les transgressions bien réelles, quoique plus «convenables», des autres élèves : de ceux qui, par exemple, n'insultent pas l'enseignant, mais le méprisent en silence royalement ! De ceux qui l'utilisent comme un valet et le traitent avec dédain ! Et puis, il y a autant d'obscurantisme et même de barbarie dans certaines formes de bizutage que dans les manifestations d'un communautarisme qui, bizarrement, ne concernerait que la communauté arabo-musulmane. Ensuite, il est évident qu'il existe aujourd'hui des classes où les enfants se comportent de façon absolument inacceptable : certains se lèvent tout d'un coup, d'autres jettent leurs affaires, d'autres encore s'interpellent ou insultent l'enseignant... Mais, dans ces cas-là, il est inutile de tenter de crier plus fort que les élèves. (...)

X. D. - Il est indispensable de restaurer des rites ou d'en inventer de nouveaux, de marquer des césures, de faire en sorte que l'école se manifeste dans sa différence par rapport au monde extérieur, de réintroduire le silence entre le temps du jeu et le temps du travail. Reste que la reconstitution de ces rituels est souvent difficile. D'autant que les nuances sont très grandes selon les lieux, les établissements, le type d'élèves. Loin d'être gêné par le caractère symbolique ou formel de ce que nous proposons, je crois, au contraire, qu'il s'agit de mesures très utiles : remettre des drapeaux aux frontons des écoles ; faire lire un livret des droits et devoirs qui fait que, lorsque l'élève entre dans l'établissement, on lui donne à connaître la règle du jeu ; faire signer ce livret en présence des parents... L'inquiétant, c'est que d'autres rites, promulgués le plus souvent par les élèves, s'imposent dans certains établissements scolaires. Des caïds, des intrus, des bandes, voire des dealers, prennent le pouvoir. Et en face, parfois : rien. Ou pis que cela : on assiste ici ou là à des flottements, à une abdication de l'autorité, aux équivoques de ceux qui devraient l'incarner, à la déresponsabilisation de l'institution officielle qui est dans un sophisme extrême. Ces établissements, nous risquons de les perdre, parce que d'autres que les éducateurs y ont pris le pouvoir. (...) Il faut du rituel, il faut de l'ordre, mais républicains, parce que, à défaut, nous entrons dans un système où règnent les us et coutumes : bref, l'arbitraire et la non-loi.

Ph. M. - C'est un fait : nous assistons aujourd'hui, au sein du «village planétaire», à une montée en puissance des rituels tribaux. Et la tribu n'est pas la société : la tribu donne sa protection contre la soumission aveugle à son chef et à ses règles. Or l'école publique doit être un rempart contre toutes les formes de tribalisme : tribus religieuses ou sectaires, tribus musicales ou commerciales, tribus sociologiques de toutes sortes qui font prévaloir la complicité sur la pensée critique. Une classe n'est pas un groupe de personnes qui s'aiment et qui pratiquent les mêmes rites au sens tribal du terme ; les élèves sont là, indépendamment de leurs affinités électives, de leurs origines, et doivent apprendre à travailler ensemble pour «faire société». (...)

Les enseignants n'ont-ils pas effectivement une part de responsabilité dans ce recul de l'autorité en refusant d'endosser un rôle d'éducateur ?
X. D. - Dans une certaine mesure, en effet, c'est également le choix des professeurs. Sans généraliser, il faut se demander s'il n'y a pas eu une sorte de lassitude. Ils sont exaspérés par l'extension de leurs domaines d'intervention. En tout cas, ils s'y sentent mal préparés (...) Mais ne faut-il pas aussi nous en faire le reproche à nous-mêmes qui avons la charge de la formation des maîtres ? Par ailleurs, il est exact que les établissements n'ont ni les lieux ni les moyens matériels pour faire en sorte que se manifestent plus clairement l'unité de la communauté scolaire et ses exigences. (...)

Ph. M. - (...) Certains sont «difficiles» simplement parce qu'on s'échine à les faire tenir tranquilles avec des injonctions et des discours, alors qu'il faudrait leur donner du grain à moudre. (...) Car les élèves ne rechignent pas à l'effort : ils ont simplement besoin de l'inscrire dans une progression dont ils sont partie prenante. Ils ont besoin de comprendre que l'école n'est pas là pour les faire trébucher, mais pour les accompagner. Ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas motivés que la plupart des enfants échouent : c'est parce qu'ils ont trop échoué qu'ils ont fini par perdre toute motivation.

X. D. - Il ne serait pas possible d'avoir dans un collège difficile une juxtaposition de classes où ce type de méthodes serait appliqué. Cela ne ferait que rendre plus confuse la situation globale de l'établissement. Mais je suis favorable au rétablissement de certaines traditions, comme la remise des prix - et plus encore si les prix en question sont des ouvrages, ce qui réconcilierait nos élèves avec les livres.

Ph. M. - La confusion apparente qui peut exister dans une classe où les élèves travaillent par petits groupes est bien moindre que la confusion réelle des esprits qui existe dans des classes polies qui écoutent apparemment l'enseignant : chacun sait que la première chose que l'on apprend à l'école est de faire semblant : être là tout en étant ailleurs. L'essentiel est de mettre les élèves au travail, pas de les faire tenir tranquilles à tout prix.

Cela ramène au thème de l'ennui qui, pour la première fois, a fait l'objet d'un colloque très officiel de l'Education nationale. L'ennui est-il consubstantiel à l'école ou faut-il le combattre ?
Ph. M. - La véritable question n'est pas celle de l'ennui, c'est celle du sens. L'ennui n'est qu'un symptôme.
X. D. - Pourtant, la consultation (2) que vous avez effectuée auprès des lycéens portait sur ce thème ?
Ph. M. - Absolument pas. Il ne s'agissait pas de remplacer les programmes par le caprice des lycéens !
X. D. - C'est pourtant ce que beaucoup ont cru comprendre !
Ph. M. - Il s'agissait, en réalité, de réfléchir avec les élèves sur le sens de leur présence au lycée et les conditions de leur réussite. Je reste convaincu que le choix des contenus d'enseignement ne peut appartenir à ceux que l'on enseigne... Mais ce choix ne peut être fait indépendamment des élèves et de la manière dont ils reçoivent les savoirs ! Sauf à renoncer à toute efficacité ! Alors, effectivement, parmi bien d'autres questions, l'une était effectivement libellée ainsi : «Qu'est-ce que vous pensez important d'apprendre et qui, dans l'état actuel des choses, vous ennuie ?» On demandait bien d'abord ce qui était «important» ... et ensuite, on souhaitait faire réfléchir les lycéens sur la différence essentielle entre l'importance et l'intérêt. Ils l'ont, d'ailleurs, très bien compris. Ils n'ont pas du tout répondu de manière irresponsable en exigeant plus de détente et moins d'ambition intellectuelle. Tout au contraire : ils ont demandé, par exemple, plus d'histoire, une véritable information sur les faits religieux, une approche mathématique leur permettant de décoder plus précisément les données statistiques. Les lycéens des lycées professionnels ont souhaité massivement avoir accès à la philosophie. Tout en reconnaissant et en acceptant les difficultés de l'entreprise. En réalité, les lycéens savent bien que personne n'apprend à jouer du piano sans monter des gammes. Et monter des gammes, c'est ennuyeux. Mais, pour monter des gammes en assumant l'ennui de l'exercice, il faut avoir la perspective de jouer un jour de l'instrument avec plaisir et entrevoir les satisfactions auxquelles on pourra ainsi accéder.

X. D. - Enfin, vous rejoignez mes positions ! Pour moi, l'ennui à l'Ecole est une préoccupation de nantis ou de cancres : demandez à ces élèves étrangers, que nous appelons «primo-arrivants» et qui sont scolarisés dans notre système éducatif, s'ils s'ennuient un seul instant ! Ils sont loin d'être blasés, et ils savent que la réussite de leur intégration passe par l'école de la République. Venant d'où ils viennent, beaucoup savent apprécier le temps de l'école.