Marc Le Bris : «L'école faillit à sa mission»
Propos recueillis par Nicolas Treiber
LE FIGARO LITTÉRAIRE. – Pourquoi vous en prenez-vous à l'inspection académique et aux programmes de l'Education nationale ? Comment justifiez-vous votre constat ?
EN QUESTIONS
Marc Le Bris : «L'école faillit à sa mission»
Il se définit comme «un sombre instituteur perdu dans sa campagne, qui tente depuis quinze ans de dénoncer un scandale». Aujourd'hui, Marc Le Bris, 50 ans, enseignant et directeur d'école à Médréac, en Bretagne, pousse un cri d'alarme: l'école primaire a failli à sa mission. Elle ne forme plus d'élèves sachant lire et compter à leur entrée au collège. L'origine du mal? Les méthodes que l'Education nationale impose depuis la loi – dite Jospin – de 1989, notamment celle de la lecture semi-globale, qui n'apprend plus à déchiffrer avec les syllabes mais à «deviner» les mots. Incompris par sa hiérarchie, Marc Le Bris est donc entré en résistance. Il collabore activement au collectif Sauver les lettres. Son livre s'adresse avant tout aux parents d'élèves.
Marc LE BRIS. – A l'Ecole normale, jeune instituteur, je me suis nourri des théories pédagogiques de l'après-Mai 68, que nous voulions efficaces, universelles et définitives. Celles-là mêmes qui prônaient la méthode globale et les mathématiques «modernes». Vingt ans après, j'en suis revenu! Il est clair que les élèves formés avec la technique traditionnelle du B. A.-ba avaient de meilleurs résultats en lecture. Je ne fais que constater l'inefficacité des pratiques dites «modernes», que la loi Jospin a renforcées. Par exemple, en mathématiques, les techniques opératoires sont exclues; dans l'enseignement primaire, on ne multiplie plus par un nombre décimal, etc. Résultat: les enfants quittent l'école sans savoir effectué des divisions.
Quelle a été votre réaction ?
Je suis revenu aux sources des anciens manuels. Prenez un livre de calcul de CE2 d'avant 1960, vous aurez du mal à le faire comprendre aujourd'hui par des élèves de CM2. Les travaux systématiques ont été remplacés par des théories, dont la principale est que l'enfant construit lui-même son savoir. Mais si l'enfant est autonome... c'est qu'il est devenu adulte. Si j'avais un conseil à donner à des jeunes collègues en formation, je leur dirais: «Écoutez bien ce qu'on vous dit à l'IUFM, et faites le contraire.»
Selon vous, des enfants laissés à eux-mêmes dans les cours d'école fabriqueraient leurs propres lois sociales élémentaires. Vous dites qu'ils réinventent l'humanité à chaque fois. N'est-ce pas noircir le tableau ?
Il faut continuer à motiver les élèves. Mais la motivation ne doit pas devenir le but ultime. C'est ce qui se passe avec les projets d'écoles créés par la loi Jospin. J'ai remis en vigueur les notes, proscrites car cataloguées comme étant réactionnaires, et donc remplacées par les notions d'acquis. Or, sans échelle de notation, les enfants créent d'autres systèmes de mesure, qui ne sont plus fondés sur la valeur de la tâche bien faite mais, pourquoi pas, sur le prix de leurs chaussures... Il y a néanmoins une issue: que les parents prennent en charge le travail que l'école ne fait plus. Les plus avisés, ceux qui sont conscients du problème, tentent comme moi de boucher les trous. Je leur conseille à tous d'aller voir sur place ce qui se passe dans les écoles, et de commencer à réagir!
Votre livre est tout entier tourné vers la critique du système éducatif. Avez-vous des propositions ?
Je m'oppose au changement perpétuel des programmes et revendique la liberté pédagogique, afin que chaque instituteur puisse mesurer l'efficacité de ce qu'il fait, et non pas qu'on lui interdise la lecture à voix haute pour, huit ans après, la rendre obligatoire. Les propositions feront l'objet d'un prochain livre. Je prends part, d'ores et déjà, au Groupe de recherche interdisciplinaire sur les programmes (Grip), qui travaille à leur réécriture, et mobilise tous les maillons du corps enseignant, depuis l'universitaire jusqu'à la maîtresse de maternelle. La connaissance est devenue une annexe de la vie active des enfants. Je crois qu'au niveau littéraire et scientifique nous sommes en situation de catastrophe culturelle.