Halte à la faillite du système scolaire
Interview / Fanny Capel, agrégée de lettres, enseignante dans un lycée de Seine-etMarne. "Halte à la faillite du système scolaire". Près de 20% des élèves de sixième ne maîtrisent pas la lecture et 38% sont perdus en calcul…des chiffres qui, pour Fanny Capel, sont le résultat de nombreuses mesures inadaptées. A 29 ans, Fanny Capel déborde d'enthousiasme et de passion pour son métier. Interrogée sur les raisons qui l'ont poussée vers les lettres, elle raconte cette anecdote : " A9 ans, j'ai lu Le lion de Joseph Kessel. C'est ma première rencontre esthétique avec la littérature. J'ai immédiatement compris que j'en ferais mon métier." Etudiante, elle décide de devenir prof : " J'avais besoin d'être dans les livres, mais aussi dans la vie ", explique-t-elle. Seulement voilà : l'enseignante constate avec effarement l'appauvrissement des contenus pédagogiques au fil des ans : deux fois moins de temps consacré à l'apprentissage de la langue (lecture, écriture), des cours de mathématiques réduits comme peau de chagrin (entre 1970 et 2000, les lycéens ont perdu 81 heures de maths en série S) et, par ricochet, des élèves incapables de différencier pronoms et articles, ou d'effectuer une division un peu complexe, qu'ils soient en ZEP ou au prestigieux lycée Henri- IV… Bref, l'école nivelle par le bas pour maintenir le plus grand nombre d'élèves dans le système, puis brade le bac à coup de barèmes laxistes pour s'enorgueillir de 80 % de diplômés par classe d'âge. Forte de ce constat, Fanny Capel, prof de français et membre du collectif " Sauver les lettres "(1), vient de prendre la plume pour écrire ce que bon nombre de ses collègues dénoncent tout bas. Dans son livre, intitulé "Qui a eu cette idée folle un jour de casser l'école ?"(2), elle plaide sans détour pour la défense de la qualité des programmes scolaires. Femme actuelle : Dans votre livre, vous faites un bilan inquiétant du niveau des élèves… Fanny Capel : La cause du mal, c'est l'école, Contrairement à ce que l'on entend souvent, l'état désastreux du niveau scolaire n'est pas dû à une évolution sociale. Les jeunes d'aujourd'hui ont certes changé, mais ils ne sont pas moins intelligents que leurs aînés. Et croyez-moi, ce n'est pas le langage codé des SMS ou d'internet qui fait qu'ils ne maîtrisent pas la langue. Nous sommes face à un réel problème institutionnel. Femme Actuelle : Selon vous, depuis quand l'école ne joue-t-elle plus son rôle ? Fanny Capel : C'est à partir des années 70 que les bases fondamentales pour lire, écrire et compter ont été mises à mal. En ce qui concerne la lecture, la méthode syllabique a été remplacée par la méthode globale – jamais vraiment appliquée en France (voir notre encadré ci-contre). Une méthode plus ludique, donc censée être plus épanouissante. La méthode semi-globale, quant à elle (un mélange des méthodes antérieures), est
pratiquée aujourd'hui par 90 % des enseignants, car elle reste la référence des inspecteurs d'académie. Or, elle donne de mauvais réflexes aux enfants. Certains sont même dégoûtés de la lecture. D'ailleurs les chiffres sont parlants : en 2002, 17,5 % des élèves de 6e étaient illettrés. Femme Actuelle : Mais pourquoi persister dans cette voie ? Fanny Capel : Malgré les signaux d'alerte, l'Education nationale refuse de se remettre en cause. Il y a une espèce d'inertie et une idéologie aveugle basée sur l'idée que l'épanouissement de l' enfant passe avant tout. Femme Actuelle : S'intéresser à l' épanouissement de l'enfant, c'est une bonne chose, non ? Fanny Capel : Bien sûr. Le problème, c'est que cet "épanouissement" se traduit par une baisse ou une suppression des devoirs à la maison. Par ailleurs, les enfants sont censés construire seuls leurs savoirs ( inventer les règles de grammaire plutôt que les apprendre !) , c' est une aberration. Même des élèves présentant le concours de Normale supérieure font des fautes d' orthographe grossières, comme "son" à la place de "sont"... Femme Actuelle : Vous plaidez pour un retour en arrière ? Fanny Capel : Je souhaite que l'on applique des méthodes qui ont fait leurs preuves. L'école n'est plus assez exigeante sur le contenu des savoirs. Les premières victimes, ce sont les enfants des familles modestes qui ne peuvent pas bénéficier des cours particuliers extra-scolaires. Femme Actuelle : Que pensez-vous des mesures Fillon ? Fanny Capel : Elles nous inquiètent, car elles prévoient notamment l'extinction des langues anciennes en 3e. Elles devraient être remplacées par une discipline appelée " Découverte de la vie professionnelle". En fait de découverte, c' est plutôt une initiation précoce au monde de l' entreprise. On plaque ainsi l' école sur les besoins du monde du travail. Femme Actuelle : Avec le collectif "Sauver les lettres", que proposez-vous ? Fanny Capel : Il faut stopper la méthode semi-globale au profit de la méthode syllabique. Il faut consacrer plus de temps aux apprentissages de base : lire, écrire, compter. Il faut aussi redéfinir les contenus des programmes, aujourd'hui très flous. Et enfin, revaloriser le redoublement . Enseignants et parents pensent, à tort, qu'il est inutile. Pourtant, il est indispensable de revenir sur les notions qui ne sont pas acquises si on ne veut pas que l'élève soit handicapé par ses lacunes et finisse par décrocher. Propos recueillis par France Berlioz (1) Créé en 2000 par des professeurs de lettres, le comité "Sauver les lettres" (site : sauv.net) compte 200 membres. Horaires peau de chagrin 7,7 C'est le nombre d'heures consacrées chaque semaine au français (lecture-écriture) dans le primaire, contre 14,1 en 1923. En quatre années de collège, un élève perd aujourd'hui l'équivalent d'une année scolaire de français (soit 170h) par rapport aux années 70. Depuis l'an 2000, les lycéens ont perdu 81 heures de maths en série S, 63 heures de français et 153 heures de langues en série L. Les méthodes de lecture au fil du temps… La méthode syllabique : Le "b.a.-ba" apprend à l'élève que chaque signe écrit (lettre ou groupe de lettres) correspond à un son et lui apprend progressivement à les combiner (il sait lire en trois mois). A noter : un manuel d'apprentissage de la lecture entièrement syllabique, mis au point par des orthophonistes, Apprendre à lire avec Léo et Léa, Belin. La méthode globale : introduite dans les années 60, elle invite les enfants à reconnaître visuellement des mots et des phrases. Ceci est censé les amener à la compréhension progressive de la combinaison des lettres et à la coïncidence entre lettres et sons. En fait, on incite les élèves à déduire par eux-mêmes le fonctionnement des signes. La méthode semi-globale : elle date des années 70. Après quelques semaines de méthode globale, on aborde le syllabage des mots. Cette méthode hasardeuse donne à l'enfant le mauvais réflexe de deviner les mots au lieu de les déchiffrer. Aujourd'hui, beaucoup d'élèves passent en CE1 sans savoir lire.
(2) "Qui a eu cette idée folle un jour de casser l'école ?", éd. Ramsay, mars 2004.