La fin de la littérature ?


France-culture, " La suite dans les idées ", émission du 23 Novembre 2005 : " La fin de la littérature ? "

[Question de Sylvain Bourmeau à Alain Viala, à propos de Lettre à Rousseau. Sur l'intérêt littéraire (PUF, septembre 2005). Extrait de la réponse, vers la 48ème minute de l’émission.]

Alain Viala : […] Le sujet même, c’était : que faire de la littérature, quel est notre rôle à nous qui étudions la littérature ? Et, dans le cas précis, la réponse était : la littérature révèle des manières de s’intéresser, donc des manières de construire des valeurs.

      Donc le choix auquel nous sommes confrontés me paraît assez clair : ou bien nous décidons que nous avons à transmettre telle ou telle valeur en tant que chercheur et professeur de littérature […], ou bien nous considérons que nous avons à observer quelque chose qu’on appellera la littérature, où se jouent toutes sortes de valeurs, où se construisent, par l’intérêt que l’on prend à un texte, par la manière dont un texte intéresse, les valeurs auxquelles on adhère, et, à ce moment-là, nous n’avons pas à " transmettre " des valeurs, nous avons à rendre tout un chacun capable d’observer le jeu des valeurs, et de faire ses propres choix.

      Donc il me semble qu’il y a une proposition possible quand nous observons la littérature, essayons de voir comment elle crée de l’intérêt, pour qui et pourquoi, et j’ai eu envie de dialoguer avec un auteur qui avait superbement posé ces questions, et qui les a superbement posées par exemple dans l’Émile où, alors qu’il a passé des pages et des pages auparavant à dire pis que pendre des études de lettres trop précoces, dit : je vais donner enfin à Émile devenu adolescent un livre à lire. Et c’est quoi ? C’est Robinson, lecture ludique, lecture de plaisir apparemment, mais pourquoi Robinson ? Parce que ça va être le moyen de se faire ce que l’on appelle en pédagogie un peu techniciste une simulation globale, c’est-à-dire de se construire un petit monde où l’on aurait à assumer les différentes tâches, et c’est comme ça qu’il apprendra la vie.

      Bon, je crois que la leçon est assez parlante : il ne s’agit pas de commenter Robinson pour savoir si c’est techniquement fait de telle ou telle manière, à la première personne ou à la troisième personne (c’est à la première personne), s’il s’agit de laisser place à un narrateur omniscient ou à une voix intérieure avec… Bon, il s’agit de prendre Robinson comme un livre qui construit un petit monde, et de se plonger dans ce monde, c’est une autre façon d’appréhender la littérature peut-être.