[1] Les classes à "Projet Artistique et Culturel" doivent être créées dès cette année en primaire, et, comme la réforme du collège l'indique, en 6ème à partir de 2002. Il s'agit de classes où, pour le collège, les professeurs "toutes disciplines confondues" devront participer, sous l'oeil vigilant d'un artiste professionnel, à la réalisation "inderdisciplinaire" d'un projet artistique commun englobant toute l'équipe pédagogique.
Danièle
Sallenave a attaqué "bille en tête" avec sa conviction habituelle, en posant
clairement les problèmes: "ce ne sont pas les moyens qui manquent, ce sont les
fins", pour ajouter, et c'était le coeur du débat , "on ne se livre plus à
l'interprétation des textes, on assiste à l'évitement du sens. A quoi
sert cette orgie méthodologique si elle ne débouche pas sur le sens?"
On a attendu en vain la réponse à cette
question primordiale.
Dans la
foulée, Gaëtan Cotard expose la genèse de
la ruine, telle qu'elle apparaît dans le livre de Sauver les lettres :
depuis 1969, en primaire, on est passé de 15 heures par semaine de
français au Cours préparatoire à 10 heures, puis 9 heures, sans oublier
les 6 heures à venir, avec la réforme imminente. Il évoque, en
parallèle, la mise en place du collège unique, et la loi d'orientation de
Jospin en 1991, qui a quasiment interdit les redoublements des élèves à l'école
primaire. On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, de ce que les élèves
arrivant en 6è ne possèdent pas les rudiments de leur langue maternelle.
Sur ce, intervention
de J.C. Chevalier, qui avoue, avec son inimitable manière de
cartilagineux : "je ne connais pas suffisamment l'école primaire ".
On brûle de savoir ce qu'il connaît, mais on reste sur sa faim. Pressé
de noyer le poisson, il se réfugie dans la thèse du "complot" dont
le corps enseignant, contaminé par la mentalité victimaire en vogue aujourd'hui,
s'imagine être l'objet. La main sur le coeur, Monsieur
Chevalier proteste qu'il n'a jamais rencontré quelqu'un qui voulût la mort de
l'école.
Il enchaîne immédiatement sur la diminution des
horaires qu'il esquive illico en exhibant la dernière trouvaille de
l'inépuisable brain-trust jacklanguien. Les "classes à P.A.C." [1]
déboucheront sans faille, dans le primaire, sur d'abondantes
productions scripturales suscitées par l'enseignement de la
photo, du cinéma, des arts et de la communication. L'enseignement de la
mauvaise foi ne figurant pas au catalogue proposé, on en déduit avec
soulagement que les géniaux concepteurs de cette innovation ont encore un
soupçon de lucidité.
Pour ce qui est
de "l'école structurale de Genette ", M. Chevalier s'insurge : " Personne
n'oblige un professeur à l'enseigner, et puis Roland Barthes
n'a-t-il pas parlé du plaisir du texte ?". Fin provisoire de la
prestation.
Le
sociologue de service, Gérard Mauger, monte alors au créneau. Il
dispose de la panoplie classique : c'est la massification du système scolaire
qui est d'abord en cause. Tout le monde a accès à l'école de nos jours, ce
qui n'était pas le cas auparavant: seuls les héritiers chers à
Bourdieu recevaient la manne de l'école. G. Mauger a ici un trou de mémoire
providentiel qui lui évite de mentionner que, comme D. Sallenave le rappellera
plus tard à mots couverts, Pierre Bourdieu , fils d'un petit
métayer du Sud-Ouest, doit à l'école publique le privilège exorbitant d'en saper
les fondements depuis le Collège de France.
Deuxième raison invoquée : le
nouveau public dont on se doit de respecter la mutation en lui servant
la brouchtoucaille qu'attend désormais son estomac de
zappeur télévisuel et de couche-tard.
Troisième raison: la fin de la domination des lettres
en matière d'excellence scolaire, au profit des sciences.
( et alors
???)
Quatrième raison, cette fois franchement
comique : la féminisation des élèves de 1ère L. "Les filles
sont littéraires et les garçons scientifiques ". (Ah bon ? Mais comment que ça
se fait ?)
Enfin,
dernier trou de mémoire argumentatif : pas un mot sur la
transformation des programmes. (Saluons l'artiste)
Danièle Sallenave reprend alors la main : la
massification constitue un faux argument contre l'exigence , comme le prouve
l'exemple d'un célèbre sociologue, fils de paysans. Elle pointe du
doigt le soubassement ségrégationniste de la massification et parle
de "racisme" : si l'on n'est pas un héritier, on n'aura pas accès à
Ulysse. On abat donc la littérature, sous le prétexte indigne qu'elle est
inaccessible aux cerveaux des banlieues.
Gaëtan
Cotard, ancien enseignant de ZEP, rebondit : il enseigne la même chose aux
héritiers et aux banlieues. Tout au plus faut-il être plus patient et plus
autoritaire. Il affirme que la grammaire doit être la même pour tout le monde,
et qu'elle doit être assimilée par la répétition. On ne saura jamais écrire si
l'on ne reçoit qu'un faible nombre d'heures de français par
semaine.
Danièle Sallenave
surenchérit : on a changé les contenus au nom du sophisme de la massification :
d'où la disparition de l'enseignement de l'histoire littéraire, des textes
littéraires et du passé simple; pensez donc, ce temps qui est employé dans les
textes littéraires ! Elle est on ne peut plus claire :
"on nous a imposé les changements de
contenu."
Gaëtan Cotard
s'en prend alors au laxisme de l'institution qui se soucie comme d'une guigne de
la réussite des élèves de ZEP.(N.D.L.R. sauf pour sauver médiatiquement les
meubles en apposant des rustines, comme l'illustre la nouvelle procédure d'accès
des élèves de ZEP à Sciences-Po). Il incrimine notamment le travail en
séquences parfaitement contre-productif, sauf pour les producteurs de manuels,
désormais en situation de prescripteurs pédagogiques.
Monsieur Chevalier remonte en scène où il titube plus
que jamais : " Les programmes ne sont pas contraignants. L'enseignant est
libre de s'adapter à son public. De mon temps, on n'était pas libre, on
devait enseigner les siècles (N.D.L.R. : cette élégante périphrase désigne
vraisemblablement l'histoire littéraire), maintenant on fait ce qu'on
veut. L'enseignant jouit donc d'une grande liberté et d'une grande
responsabilité. C'est la même chose en grammaire: il y a de grandes possibilités
d'analyses de la langue. On enseigne la grammaire de façon méthodique et avec
liberté. J'en parle d'autant mieux que je suis grammairien." (Pas possible
!)
Mais le
poisson respire encore : c'est donc le moment de lâcher Estelle Farella
dont l'interminable numéro permet de mettre en oeuvre l'inusable technique de
l'obstruction. Estelle nous exhibe complaisamment son vécu , nourri d'une
pratique raisonnée de la "concrétisation" de la grammaire. Nous découvrons avec
elle l'art d'arriver à la définition de la proposition subordonnée en
s'interrogeant habilement sur le sens de l'expression "être subordonné à
quelqu'un". (Personne, à coup sûr, n'y avait encore pensé. Merci, Estelle
!)
Cette enseignante de choc fait
tout pour rassurer: oui, l'élève peut nommer à sa guise les phénomènes
grammaticaux. Est-il pendable en effet de méconnaître le nom véritable de la
proposition conjonctive objet?
( Conclusion implicite : Tout se négocie, même la grammaire.)
Gaëtan Cotard dégaine alors un
livre de 6è, un de ces livres uniques où la grammaire est cantonnée en fin de
manuel, sous la rubrique " point grammaire". Il fait éclater la pauvreté
des exercices, réduits au strict minimum. Dès lors, plus de
répétition possible, plus d'étude systématique. Bien entendu, ce sont les plus
défavorisés qui en pâtissent, comme l'atteste le rapport de l'Inspecteur Général
Ferrier qui souligna en 1998 le lien étroit qui existe entre la qualité
des apprentissages et le temps qu'on y consacre.
Rien n'y
fait. Monsieur Chevalier est en extase devant la prestation d'Estelle :
elle a tout compris. Le maître mot est là : " On ne parle plus d'une
grammaire d'imposition mais d'une grammaire de reconnaissance ".
Et voilà notre J.C. Chevalier soudain ragaillardi au point, (prenant ainsi
le risque de dévoiler ses doutes intimes) de proclamer " qu'être
réformateur ça sert à quelque chose " . Comme le dit Danièle Sallenave,
" on croit rêver. "
Elle impose sa voix pour
mentionner les graves difficultés des professeurs de langues à flexion, en
face d' élèves incapables d'identifier le moindre C.O.D. Elle parle
d' " abandon de personnes en danger ", et crie qu'on noie les enfants en
difficulté.
Il en faudrait plus
pour impressionner le savant G. Mauger qui pare l'estocade en brandissant
" l'énormité virtuelle des programmes scolaires possibles"
. Voilà un argument qui ne mange pas de
pain.
J.C. Chevalier se
jette sur l'occasion pour enfourcher le dada fourbu de "
l'immensité des savoirs ". " L'idéal, ce n'est pas
d'enseigner le C.O.D " face à cette immensité des
savoirs. Puisque G. Mauger l'a dit.
Gaëtan Cotard rappelle vainement, tandis que le débat frôle
la catalepsie, l'importance d'un enseignement progressif et substantiel.
Peine perdue, en
effet, la messe est dite. Les réformateurs, une fois de
plus, ont botté en touche, réduisant ainsi le temps et la teneur du débat , avec
la complicité objective de l'arbitre. En bons disciples des sophistes, ils
se sont attachés à " faire triompher la mauvaise cause de la
bonne.". Ils ont bien mérité des maniaques du texte argumentatif, si
influents et prospères dans le petit monde des "experts", et de leur antique
maître Calliclès. Ne lit-on pas, d'ailleurs, à la page 115 d'un manuel scolaire
publié chez Bertrand-Lacoste en 1988, imprimée en caractères gras, cette
profession de foi pénétrée d'humanisme : "Le choix
d'une thèse ne relève pas de la conviction intime, mais de l'efficacité
argumentative." ? (Boissinot-Lasserre, Lire, Argumenter, Rédiger)