L’Esprit public du 25/03/2007
Transcription de quelques moments de l’émission L’Esprit public du 25/03/2007 ("Nation, nationalisme et identité nationale"), animée par Philippe MEYER sur
Invités :
Jean-Claude CASANOVA : Economiste, Directeur de la revue "Commentaire"
Marc FERRO : Historien.
Max GALLO : Romancier et Historien
Pierre NORA : Historien, Directeur de la revue "Le Débat".
Pierre NORA –
On ne s’intéresse pas à leur histoire [NOTE : celle des immigrés.]. Mais les Français, c’est la même chose ! C’est la place de l’histoire dans l’enseignement pour les Français qui est largement en cause. L’histoire qu’on apprend ou qu’on n’apprend pas, aux jeunes Français – on l’apprend encore moins aux immigrés, je dirais. Mais c’est aux Français qu’il faut commencer à l’apprendre. Et ça pose un très grand problème : quel type d’histoire ? On en revient là. C’est lié au déclin global des humanités dans l’enseignement. C’est lié à l’attitude des enfants devant le passé en général, la très grande difficulté à leur faire admettre un lien chronologique, qui est constitutif, quand même, de l’histoire…
Jean-Claude CASANOVA –
µC’est le refus des grands écrivains.
Pierre NORA –
Le refus des plus grands écrivains…
Jean-Claude CASANOVA –
Tous les Français sont écrivains, tous les Français sont de futurs écrivains !
Pierre NORA –
Voila.
[…]
Jean-Claude CASANOVA –
C’est la fuite vers le journalisme. Il y a une étude sur les manuels d’histoire en Terminale, on estime que José BOVE est la personne la plus citée. José BOVE est cité plus que BISMARCK ou CLEMENCEAU ! Tout est dit.
[…]
Pierre NORA –
Je pense que Jean-Claude sait, mais peut-être pas tous les auditeurs, qu’un des grands projets du Ministère de l’Education nationale, c’est de casser la discipline dite du " Français " en deux : d’une part, une discipline obligatoire, qui serait la langue et la communication, et une discipline à option qui serait l’histoire de la littérature et de la tradition littéraire française. Il faut se rendre compte de l’ampleur énorme que peut représenter le fait que, effectivement, on ferait apprendre aux petits français, le Français dans les notices pharmaceutiques, et que STENDHAL ou BALZAC seraient réservés à une petite élite qui, parce que ce sont des fils d’enseignants, ou parce que ce sont, peut-être, des fils d’immigrés qui veulent apprendre mieux le Français, se choisissent l’option de la tradition littéraire. C’est énorme. Il faut bien se rendre de ce que simplement l’existence de ce projet véhicule de rupture de civilisation.
Philippe MEYER –
Oui, et de rupture active, même.
Marc FERRO –
Je pense que ce que dit Pierre est très grave. Ca participe d’un mouvement de longue durée, qui est le ressentiment contre les élites. On a vu ce ressentiment contre les élites à la Révolution française qui a commencé par nier les aristocrates, et même les grands savants, puisqu’elle les a exécutés. Ensuite, nous avons eu la Russie avec le proletkult qui en quelque sorte interdit aux intellectuels de participer au proletkult – il faut " enseigner autrement ". Nous, nous avons eu la vague 68 et les pédagogues, qui revient un peu à la même chose – rappelez-vous : Jean-Louis BARRAULT chassé de son théâtre… pourquoi ? Parce que ceux qu’on appellerait aujourd’hui les intermittents n’avaient pas le rôle qu’ils souhaitaient dans le théâtre…
Pierre NORA –
Tous les candidats présidentiels tiennent un discours différent de celui-là, je dirais : heureusement.
Marc FERRO –
Mais il n’en reste pas moins que c’est un phénomène constant, et dont nous voyons les suites aujourd’hui. Et je pense que ce que Pierre indiquait comme réforme imaginaire participe à cela…
Philippe MEYER –
Pas imaginaire, projetée !
Marc FERRO –
Projetée, et travaillée. Et je pense que les instruments de cette destruction ont été à un moment les linguistes, et ce sont toujours un petit peu les linguistes, la preuve, dans ce que tu dis. Et puis ce sont d’autres, aussi, les pédagogues. Mais c’est un autre débat.
Note : certaines marques d’oralité, comme on dit, ont été supprimées. Transcrit par J.E.