À propos de notre évaluation du niveau des élèves de seconde
Bonjour, Comme beaucoup cette semaine, j'ai entendu parler de votre évaluation du niveau des élèves des classes de seconde. Si nous sommes d'accord pour remarquer que le niveau des élèves de lycée est actuellement plus faible qu'il y a 30 ans, je suis personnellement dubitative sur le choix des élèves évalués. En effet, vous comparez les résultats obtenus par les élèves cette année et les années précédentes le tout donné sous forme de pourcentage. La scientifique que je suis vous pose la question suivante : la seule variable est-elle vraiment l'année de passage des épreuves toutes choses étant égales par ailleurs ? Par exemple, la proportion d'élèves évalués issus des classes de seconde professionnelle ou générale et technologique est-elle constante ? D'ailleurs je m'avance un peu parce que rien concernant l'origine des élèves évalués n’apparaît dans le compte rendu (
D'autre part, vous notez "une véritable formation, solide et unifiée, des instituteurs et des professeurs de français à la grammaire ; or, la réforme annoncée des concours de recrutement prévoit de juger les candidats davantage sur leur conformité idéologique ou pédagogique à un modèle figé que sur leurs compétences dans leur discipline". Je ne suis pas d'accord car les étudiants devront maintenant faire 5 ans d'étude au lieu de 3 pour avoir la possibilité de passer et obtenir le concours. De plus, comment peut-on faire de telles affirmations alors que les maquettes des concours sont à peine à l'état de proposition ?
Parlons sciences maintenant, si l'Union des Professeurs de physique et de chimie devait faire des évaluations sur le niveau scientifique des élèves, la catastrophe serait bien plus grande. Cela serait tout aussi vrai pour à peu près toute la société d'une inculture chronique en ce domaine.
Je crois qu'il ne faut pas penser seulement disciplinaire pour faire augmenter le niveau car votre argument concernant le nombre d'heures enseignées ne tient pas. Vous parlez d'un temps (avant 1976) où tous les élèves n'étaient pas accueillis en collège, encore moins au lycée. Un temps où la sélection était forte, où les élèves avaient d'autres choix que celui de continuer jusqu'en troisième... Un temps où finalement seuls ceux qui réussissaient "naturellement" allaient au lycée. Vous comparez deux systèmes d'orientation différents. Il ne s'agit plus maintenant de faire plus mais de faire mieux et la pédagogie aide à faire en sorte que les plus faibles soient soutenus et guidés vers la réussite. On ne se contente plus de prendre les meilleurs et de laisser les plus faibles derrière. Alors oui, forcément, les résultats sont moins bons parce que la proportion d'élèves en difficulté entrant en seconde est plus grande non pas à cause d'un manque d'heures ou de programmes trop légers mais parce qu'il n'y a plus de sélection : on prend tout le monde et plus seulement les meilleurs.
Oui le niveau des élèves de seconde est plus faible mais cela est dû au fait que nous accueillons une plus grande part de la population et plus seulement les meilleurs. Nous devons par conséquent non pas nous tourner vers les méthodes du passé mais en inventer de nouvelles.
Cordialement,
Melle S. 01/02/2009
Chère collègue,
Veuillez nous excuser de répondre si tardivement à votre message du 1er février. La publication des résultats de notre test de français en seconde a en effet entraîné avant la vôtre de nombreuses réactions particulières, et autant de sollicitations venues de périodiques ou de chaînes télévisuelles auxquelles notre collectif a dû se consacrer avant de pouvoir vous écrire.
En ce qui concerne la proportion d’élèves évalués issus d’une seconde professionnelle lors de nos tests de français, sachez donc qu’elle est nulle : la passation de l’épreuve ne concerne depuis sa création que des élèves de seconde générale et technologique. Si tel n’avait pas été le cas nous l’aurions bien sûr indiqué.
A propos de rigueur, nous précisons de nouveau (car apparemment vous nous aurez mal lus) que nous ne comparons pas les élèves de 2008 à ceux de 1976, mais à ceux qui ont passé le même test en 2004 et 2000. Or les résultats de ces élèves se dégradent bel et bien, et la sélection des candidats n’y est pour rien.
Toutefois, puisque vous pensiez que nous comparions 2008 et 1976, nous vous invitons à bien considérer que les élèves admis en seconde GT qui ont passé notre test depuis 2000 sont plus sévèrement triés que ceux qui le passaient lors du BEPC en 1976. Cette année-là en effet, 13,5% des élèves sortant de 5ème ont rejoint une 4ème préparatoire de lycée professionnel, 13,7% une CPPN-CPA, et il y a eu aussi 2,6% de sorties du système scolaire [1] ; les autres (soit 70.2% des élèves entrés en 1972 en 6ème) ont continué jusqu’en 3ème et passé le BEPC. En 2007, les orientations en lycée professionnel après la 3ème représentaient en revanche exactement 40,5%, et celles en seconde GT 58,4% seulement [2]. Etant plus " sévèrement " sélectionnés, les élèves qui ont passé le test de 2008 en seconde auraient donc dû obtenir de meilleurs résultats que ceux qui l’ont passé à la fin de leur 3ème en 1976, or il n’en est rien : 80% des inscrits ont obtenu cette année-là leur diplôme, alors qu'en 2008 86% n'ont pas obtenu la moyenne à la même épreuve de français [3].
Nous attirons d’ailleurs au passage votre attention sur le fait qu’en 1976 tous les élèves candidats au BEPC avaient été admis en 6ème sans examen : contrairement à ce que vous pensez, tout le monde rejoignait donc le collège d’office, sauf déficience intellectuelle établie (remarquez que ce n’est plus le cas aujourd’hui avec la fermeture des CLIS et des SEGPA, laquelle entraîne l’admission d'enfants déficients dans des classes non spécialisées). Par conséquent, nous ne comprenons pas pourquoi vous nous accusez de parler " d’un temps (avant 1976) où tous les élèves n’étaient pas accueillis au collège ". D’une part en effet tous les élèves de 1972 l’étaient, et d’autre part, encore une fois cette comparaison avec 1976 n’est pas notre objet. Même si, notre test ayant eu lieu en seconde GT, il est parfaitement clair que le niveau baisse pour des raisons étrangères au tri des élèves (car cette sélection aurait dû jouer en faveur des candidats de 2008), ce qui s’établit ici, c’est que puisque ce tri n’entre pas en ligne de compte la dégradation des réponses à une même épreuve de langue française et de compréhension littérale de 2000 à 2004 puis à 2008 résulte directement de vingt années de pédagogisme en France (la loi d’orientation de Lionel Jospin qui a fait du constructivisme la doctrine officielle de l’école publique française date en effet de 1989).
Au ton de vos derniers paragraphes, on se rend cependant compte que le catéchisme pédagogiste poursuit son interminable imprégnation des esprits : " Il ne s’agit plus maintenant de faire plus mais de faire mieux ", dites-vous, et notre " argument concernant le nombre d’heures enseignées ne tient pas ". On croirait entendre messieurs Meirieu et Darcos à la fois, l’un pour le slogan formaté à la mode IUFM, l’autre pour les économies de postes que cautionnent les slogans du premier. Bref, une fois de plus on nous affirme que moins l’enfant passera de temps à étudier et à s’exercer, mieux il apprendra. Nous nous interrogeons alors sur le manque de lucidité de tous ces professeurs grévistes qui s’insurgent contre les suppressions de postes, et nous nous demandons bien pourquoi l’Union des Professeurs de Physique et de Chimie a récemment lancé une pétition contre la baisse des horaires de sciences dans la réforme Darcos.
Par ailleurs, la scientifique que vous êtes manque ici doublement de logique. D’une part en effet, vous vous opposez à notre critique des nouvelles modalités de recrutement " car les étudiants devront faire cinq ans d’études au lieu de trois pour avoir la possibilité de passer et obtenir le concours " ; et deux paragraphes plus bas vous jetez au panier notre volonté de rétablir des horaires disciplinaires décents dans le Primaire et le Secondaire. Ainsi donc deux années de formation en plus sont précieuses pour les étudiants, mais huit cents heures de français en moins pour les plus jeunes sont sans gravité… D’autre part, vous présentez l’augmentation du temps d’études nécessaire avant de se présenter au concours comme un argument nourrissant votre désaccord avec ceci : " la réforme annoncée des concours de recrutement prévoit de juger les candidats davantage sur leur conformité idéologique ou pédagogique à un modèle figé que sur leurs compétences dans leur discipline ". Or nous ne voyons pas en quoi votre argument nourrit ce désaccord : nous attaquons la nature des épreuves, et vous contrez en répondant que leur temps de préparation sera plus long. Où est le rapport ?
Cela dit, si deux années supplémentaires sont majoritairement consacrées à potasser les ouvrages de François Dubet et autres experts auto proclamés ès " sciences " de l’éducation, en quoi aurons-nous avancé quand tout montre que ces vingt années de prétendues sciences ont justement si fort contribué au sabordage de l’instruction publique ? Le temps en effet ne fait rien à l’affaire si le contenu n’y est pas, et c’est pourquoi nous sommes désolés quand notre préconisation d’" une véritable formation, solide et unifiée, des instituteurs et des professeurs de français à la grammaire " ne vous semble pas une évidente nécessité.
Permettez-nous alors de répondre à votre conclusion : vous écrivez que nous devons " non pas nous tourner vers les méthodes du passé mais en inventer de nouvelles ", et nous sentons là une accusation. Or tout dépend que ce que vous appelez le passé. Celui des vingt dernières années, où l’on a innové en gérant des heures et des blocs horaires ? Celui plus ancien où l’on gérait des postes, et où l’on divisait les classes d’un professeur en demi groupes plutôt que de casser son emploi du temps sur deux ou trois établissements ? Cet ancien temps où l’on parlait en toute simplicité du nombre d’élèves par classe en songeant à la qualité du savoir transmis, ou les vingt dernières années qui ont inventé la " gestion des flux " et remplacé l'intelligence du cœur par un logiciel d'orientation ? De quel passé parlez-vous ? Car quoi, le pédagogisme français a tout de même vingt ans ! Alors ? Le passé lointain où l’on apprenait à calculer de tête l’aire d’un rectangle, ou celui plus récent où l’on a appris à sortir sa Casio en se demandant combien diantre peuvent bien faire 4 x 8 ?... On pourrait continuer longtemps, si aérienne semble la légèreté avec laquelle vous considérez ce que ces vingt dernières années ont cassé. Seulement voilà : un retour à l’ancien temps n’est pas du tout notre propos et votre accusation de passéisme à notre encontre est sans fondement : si nous instruisons aujourd’hui à charge le procès du pédagogisme, c’est précisément parce que nous aimerions en finir avec les vingt années de constructivisme qui viennent de s’écouler. De parcours croisés en travaux diversifiés, que d’innovations en effet ! Et d’IDD en PPRE, quelle efficacité ! Certes, avec le temps le jargon s’est obscurci ; puis, l’esprit gestionnaire aidant, son lexique s’est fait sigle, et le sigle énigme : il importe que le citoyen lambda croie à quelque mystère celant une signification experte, à laquelle il ne saurait avoir accès sans devenir lui-même un spécialiste (et cela nécessiterait bien deux ans après une licence, n’est-ce pas ?) ; certes l’apprenant a remplacé l’élève et la tablette PC l’horrible tableau noir, mais quoi ? Tout cela pour que l’adolescent standard parvienne enfin en seconde sans savoir construire une phrase ?... Nous espérons nous tromper en supposant que vous voyez l’avenir dans les " innovations " des pseudo sciences de l’éducation, car quant à nous les choses sont claires : cette nouveauté-là a fait ses preuves, et notre souhait collectif le plus cher est qu’elle sombre au plus vite à son tour dans le passé ! Autrement dit, nous préconisons non le retour à la blouse grise, mais la reprise en main d'un système qui s'est coupé de l'apprentissage systématique et progressif, et qui a fragmenté le savoir en autant de " compétences " isolées les unes des autres.
Enfin, croire que l'avenir réside dans une séparation théorique aussi franche des méthodes et des contenus est selon nous une erreur : la méthode structure si fortement le contenu (ou au contraire empêche si fort sa structuration) qu'on ne peut les regarder comme étrangers l'un à l'autre. Exiger l'apprentissage par coeur d'une dizaine de tables de multiplication, faire poser de nombreuses opérations pour que l'enfant les effectue avec son propre cerveau dans une grande variété de situations, l'exercer à déchiffrer alphabétiquement une langue alphabétique, à raisonner systématiquement sur les rapports grammaticaux des mots entre eux par un jeu répétitif de questions grammaticales, sont par exemple autant de méthodes qui ne construiront pas le même contenu que l'utilisation de la calculette, ou que l'apprentissage de mots globaux pendant les six premiers mois de l'initiation à l'écrit. C'est le vieux débat de la forme et du fond, et du style qui est l'homme : nous pensons qu'en pédagogie la forme et le fond sont intimement liés, alors qu'en pédagogisme tout est seulement formel, et surtout conforme à la doxa des corps d'inspection.
Cordialement,
Luc Richer (pour SLL)
27/02/2009Notes :
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