L’enseignement des classiques aujourd’hui :
une simple querelle des Anciens et des Modernes ?
Conférence donnée dans le cadre du " cycle de rencontres avec les Fonds départementaux thématiques de livres " Vous vous souvenez peut-être d’un article qui a mis le feu aux poudres, en mars 2000, et qui a été un coup de boutoir décisif contre Claude Allègre. Le mécontentement généralisé des enseignants contre leur ministre trouvait enfin une expression publiée. Cet article paru dans Le Monde, signé de grands écrivains, d’académiciens, d’universitaires de renom, était intitulé, " C’est la littérature qu’on assassine rue de Grenelle " (document joint). C’est dans ce cadre, dans cette lutte, dans ce cri d’alarme que notre collectif de professeurs de lettres de lycées et de collèges s’est fondé : il s’agissait de s’opposer à un assassinat de la culture, perpétré avec les meilleures intentions apparentes, celles de la démocratisation et celles de l’efficacité. Démocratisation : les réformateurs actuels considèrent que l’école ne doit plus être faite pour les " wasp " (white anglo-saxon protestants) ou leur équivalent français, dans la mesure où elle accueille maintenant des enfants de tout horizon et de toute origine. Leur imposer la littérature en général – et la littérature française en particulier – avec toutes les exigences de son étude, c’est, d’une part, les inférioriser car les désavantager par rapport aux enfants qui ont baigné dans cette culture ; c’est, d’autre part, se livrer à un ethnocide, puisqu’en les coupant de leur histoire et de leur culture, notre culturo-centrisme en fait des hommes de nulle part, accentuant le rejet dont ils sont victimes, justifiant leur violence et leur rancœur à l’égard d’une société qui nie la valeur de leurs valeurs. Il faut donc bannir cette littérature qui, de Rabelais à Sarraute, est l’instrument de domination d’une civilisation, d’une idéologie, et d’une classe, sur les autres. En même temps, il faudra faire croire, dans le cadre d’un enseignement égalitaire, qu’on ne renonce pas à la littérature : elle sera enseignée à tous. Mais comme sa difficulté et la patience qu’elle requiert ne peuvent convenir à une école qui prône l’égalité par la facilité et l’immédiateté, il faudra transformer la nature de la littérature : faire croire, qu’un usage plus utilitaire et plus pratique de la littérature la rendra accessible à tous. Efficacité : comme l’a écrit M. Philippe Meirieu, véritable éminence grise des réformes entreprises depuis une douzaine d’années, il y a urgence. L’école doit apprendre aux élèves l’ " autonomie ", à se débrouiller dans la vie. La démocratisation a entraîné la venue de " nouveaux publics " , étrangers aux media traditionnels de la bourgeoisie humaniste (le livre). Il faut donc avoir massivement recours aux media familiers à nos nouveaux élèves, afin de les rendre le plus rapidement possible autonomes et efficaces. Aussi M. Meirieu trouvait-il, il y a encore quelques années, qu’il était beaucoup plus pertinent de faire lire et écrire les élèves à partir de modes d’emplois d’appareils électroménagers, plutôt que de leur faire découvrir et comprendre les poèmes de Ronsard ou de Baudelaire. Mais surtout, devant la faillite d’un certain nombre de moyens de transmissions des valeurs autrefois efficaces en dehors de l’école (le travail et la famille), l’école doit former des citoyens moraux calmes et policés, persuadés d’être tous égaux, faute de quoi on court à " la guerre civile " pour reprendre le titre absurde et racoleur de M. Meirieu) I - La haine de la littérature D’où cette méfiance, pour ne pas dire cette haine de soi des intellectuels et des pédagogues qui ont présidé à ces réformes. Ils se disent : " Ne renouvelons pas les erreurs, les péchés que nous avons commis contre le tiers-monde, contre les enfants en général, et les enfants issus de l’immigration en particulier. Pour qu’ils s’épanouissent, effaçons-nous. Ne les aliénons pas à nos valeurs. Franz Fanon (Peaux noires et masques blancs) et Rousseau (qui dans L’Émile écrit : " la raison est un frein de la force ") sont les figures tutélaires de cette révolution qui, mettant " l’enfant au centre ", demande à l’adulte de se faire discret, et de voiler ses " Lumières " pour ne pas aveugler les enfants en les leur imposant. Cette honte de soi est sensible dans la débaptisation de nombreux lieux comme celui-ci, qui sont devenus des " médiathèques ", effaçant toute référence au livre. (Par bonheur, nous sommes encore ici dans une " bibliothèque ", et qui est fière de l’être.). Dans les établissements scolaires, les bibliothèques sont devenues des " centres de documentation et d’information ". Les élèves ne s’adressent plus à des bibliothécaires (mot du xive siècle, de la pré-Renaissance), mais des " documentalistes " (1937). Ce ne sont plus, au sens étymologique, des " dépositaires des livres ", mais des spécialistes du documentum, de "ce qui sert à instruire". Cela signifie donc qu’on n’entre plus dans une bibliothèque parce qu’on veut, parce qu’on aime lire ; on entre dans une médiathèque pour trouver les moyens (media) de se documenter, de s’instruire. Cette négation de l’otium (en quoi les Romains faisaient consister le fait de se cultiver par loisir, pour s’enrichir personnellement) conduit à l’utilitarisme du " nég-oce ". La médiathèque n’est plus un temple du plaisir, c’est un moyen de s’instruire. J’espère que vous sentez combien, dans notre monde marchand et utilitariste, ce changement de dénomination doit être pris pour vous comme une promotion. Car qui prendrait au sérieux, encore, de simples "dépositaires de livres " ? Et pourtant je voudrais montrer que si la bibliophilie disparaît au profit des autres media, au prétexte qu’il y en a de plus efficaces pour se documenter, c’est en fait une grave mutilation de l’intelligence. 1) D’abord parce que le livre n’est pas un moyen, mais sa propre fin : lisons-nous Stendhal pour connaître Parme, ou même la Restauration ? La littérature a le langage pour fin. Nier cette dimension non fonctionnelle, c’est donc mutiler l’homme de sa plus haut distinction, son goût pour l’art. 2) C’est aussi une mutilation de l’intelligence pour une deuxième raison : comme l’indique son étymologie, la littérature, avant d’être le corpus des Belles Lettres, est constituée de lettres. C’est donc un monde extrêmement compliqué. Comme le dit Tzvetan Todorov, " la littérature n'est pas un système symbolique "primaire" (comme la peinture, par exemple, peut l'être, ou comme l'est, en un sens, la langue) mais "secondaire" : elle utilise comme matière première un système déjà existant, le langage. Cette différence entre système linguistique et système littéraire... est à son minimum dans les écrits de type sapientiel. " En faisant des bibliothécaires des documentalistes de médiathèques, on réduit la littérature à sa pauvreté " sapientielle " . 3) Mais plus encore : ce " système déjà existant, le langage ", sur quoi se fonde la littérature, est lui-même un code complexe, à deux articulations. Pour faire sens, il faut réunir, adapter, bricoler sans cesse des signes abstraits que sont les lettres, puis les syllabes, et c’est de la réunion de ces signes sans sens que naît le mot porteur de sens. Accéder au plaisir littéraire, c’est donc être capable d’opérations mentales très complexes, que seules des sociétés parvenues à un très grand degré d’instruction peuvent connaître. Et l’on se demande comment A. Viala, président du groupe d’expert chargé de la réforme, a pu écrire que " l’accès à la maîtrise de la langue n’est pas un préalable à la connaissance de la littérature ". La première atteinte à cette spécificité de l’écrit, nous (je veux dire le collectif Sauver les lettres) la faisons remonter au cours préparatoire et à l’utilisation de méthodes d’apprentissage de la lecture inspirées de la méthode globale sous des noms qui la dissimulent (" semi-globale ", " naturelle ", " idéographique ", " à hypothèses "… ; voir à ce sujet une conférence de M. Marc Le Bris sur le site du collectif Sauver les lettres : http://www.sauv.net/conflect.php.) Vous savez qu’il existe, pour simplifier, deux manières d’envisager l’apprentissage de la lecture : la méthode globale et la méthode syllabique. Depuis une génération, la méthode globale s’est imposée, au prétexte qu’elle était plus simple : l’enfant mémorise visuellement le mot, souvent associé à la représentation iconographique du référent, puis apprend à le retrouver, à le reconnaître, sans la représentation iconographique : c’est ludique, ce n’est pas rébarbatif. Dans la méthode syllabique, c’est le principe du meccano : on apprend à l’enfant à se servir des éléments abstraits que sont les lettres pour les combiner afin qu’il puisse, en entendant la suite des sons formés, reconnaître le mot. C’est, peut-être, plus ardu au début, mais beaucoup plus proche de la nature même du principe alphabétique : la dissociation maximale du mot et de sa représentation. (Si l’alphabet phénicien contenait encore une partie idéographique, l’alphabet grec, qui lui a succédé, était un nouveau pas vers l’abstraction, puisqu’il associe un signe arbitraire non à un sens, mais au plus petit phonème identifiable). Le résultat est que la méthode globale crée une forte proportion d’échec parce qu’elle nie la nature même de ce qu’elle prétend enseigner, et en efface le principe intellectuel de discrimination et de combinaison constamment successives et associées. Comment s’étonner ensuite qu’un si grand nombre d’élèves de collège et de lycée ne puissent plus ni observer les détails d’un texte, ni saisir leurs relations pour en tirer du sens ? La " machine à combiner de l’abstrait ", donc à penser, est cassée dès l’enfance. Au nom de la pédagogie du plaisir, la méthode globale et ses avatars ont engendré une véritable mutilation, non seulement de la lecture, mais du sens de l’observation, de la capacité de discrimination et d’analyse, et pas seulement dans le domaine de la lecture. Nous nous trouvons devant des enfants – et maintenant des adultes – qui ne savent plus voir, plus observer, plus distinguer, qui n’ont qu’une perception approximative et globale du monde qui les entoure. Les professeurs de mathématiques se plaignent qu’ils ne savent plus observer une figure ou un énoncé, les professeurs d’histoire en disent autant à propos des documents ou des cartes. Mais imaginez les dégâts politiques d’une telle atrophie. Une petite anecdote à ce sujet : l’an dernier, une classe de première technologique, le lendemain du conseil de classe, m’accueille par des grognement et des cris d’animaux. C’étaient des élèves sérieux, et leur comportement m’a surpris. Je leur demande la raison de leur attitude et les élèves, très remontés, me disent : " Monsieur, la délégué nous a dit qu’hier au conseil de classe vous nous avez traité d’animaux !". Or, j’avais évoqué, au conseil de classe, l’animosité qui existait entre certains élèves de la classe. L’exemple éloquent : puisque le signe n’a pas d’importance, que le mot est " global ", il n’y pas, pour de nombreux élèves, de différence entre " animalité " et " animosité " ! Et la différence, à l’oreille, des deux mots (car la plupart des élèves connaissaient " animalité ") est sans importance et n’appelle aucun doute. le plus grave est qu’un certain nombre d’élèves, dans cette classe étaient majeurs : ce sont des électeurs, mais ils sont incapables d’analyser un message politique faute de vocabulaire. A quoi bon donner la parole, si l’on n’a pas donné les mots ? Revenons à la haine de la littérature et à ses causes. Je vous ai expliqué ce qui me choquait dans le changement de la dénomination de lieux comme celui-ci, et de professions comme la vôtre. C’est un peu pour les mêmes raisons que les nouveaux programmes de Lettres (entrés en vigueur en septembre 2000, 2001 et 2002 respectivement en 2nde, 1re et terminale) ont attenté profondément à l’enseignement de la littérature : si les textes littéraires peuvent encore être abordés, c’est à condition qu’ils soient porteurs d’un message moral ou citoyen (j’en reparlerai à propos des nouvelles épreuves du CAPES, qui exigent qu’on tire une leçon morale des textes étudiés), ou qu’ils servent de modèle à une expression, à une argumentation claire et efficace. Je voudrais donc dans un premier temps expliquer les raisons pour lesquelles nous sommes toujours inquiets, malgré les dénégations officielles qui nous traitent de paranoïaques. Pour cela, je vais commencer par vous faire le tableau de ce qu’est devenu, dans les nouveaux programmes, l’enseignement de la littérature. Au vu de ces nouveaux programmes, nous avons toutes les raisons de craindre qu’un jour, il n’y ait plus guère besoin, comme dans Fahrenheit 451, de brûler les livres ou les bibliothèques, car plus personne ne les fréquentera, et en toute bonne conscience. J’essaierai ensuite de vous expliquer ce que nous entendons par " enseignement de la littérature " et de préciser les hautes finalités que nous lui attribuons. II - La littérature disparaît des programmes Enseigner la littérature n’est plus le but de l’enseignement du français Les programmes ne comportent plus aucun nom d’œuvre ou d’auteur (seuls des textes officiels complémentaires les mentionnent). C’est qu’ils ne sont plus au premier plan. L’étude de l’originalité et de la singularité des œuvres, l’étude des projets des écrivains ne sont plus primordiaux, parce qu’ils sont difficiles. À leur place, on a mis une méthode : celle de l’abord des œuvres ou des textes par les genres (classement en catégories descriptives : le romanesque, la biographie, le théâtre…), et les registres (catégories émotionnelles apparentes dans les textes : lyrisme, tragique, ironie…). Il s’agit, par cette méthode descriptive et fondée sur la subjectivité, de rendre la littérature démocratique
(vendredi 13 décembre 2002, bibliothèque municipale de Fresnes)
Mais la littérature dans son essence artistique est liquidée, puisqu’elle ne vise plus à la compréhension du sens : elle vise à apprendre à ranger. Et ce rangement ne cherche plus la formation d’un esprit éclairé mais le sursaut de l’instinct.
Il est subordonné à l’ambition de socialisation de la réforme : l’élève n’est pas en classe pour s’instruire, mais pour " faire société " (Ph. Meirieu), c’est-à-dire apprendre à supporter et accepter les autres (pour réduire la violence, croit-on). On ne lui apprendra donc que des genres sociaux, ou qui lui permettent de se reconnaître comme être social.
Voici les différentes rubriques du programme :
en 2nde :
1 – un mouvement littéraire et culturel du xixe ou du xxe siècle
2 - Le récit : le roman ou la nouvelle
3 - Le théâtre : les genres et registres (le comique et le tragique)
4 - Le travail de l'écriture
5 - Démontrer, convaincre et persuader
6 - Écrire, publier, lire
7 - L'éloge et le blâme
en 1re :
1 - Un mouvement littéraire et culturel français et européen du xvie au xviie siècle
2 - La poésie
3 - Convaincre, persuader et délibérer : l'essai et le dialogue
4 - Le théâtre
5 - Le biographique
6 - L’épistolaire
7 - Le travail de l'écriture
(Vous trouverez des extraits plus détaillés des programmes dans l’un des documents joints)
Commentaire :
- Le mot " littéraire " n’apparaît qu’une fois pour chaque année; encore est-il accompagné, comme pour s’excuser du mot " culturel ".
- Un mouvement littéraire par an : l’histoire littéraire présentée aux élèves est désormais seulement celle d’un mouvement par année d’étude (xixe ou xxe siècle en 2nde, xvie, xviie ou xviiie siècle en 1re). C’est la négation même de la notion d’histoire, de déroulement et d’interaction. L’ " histoire littéraire ", prise ainsi, devient absurde, puisqu’elle ne contribue plus à rendre compte de l’avènement d’une forme nouvelle d’écriture et de vision du monde, liée à un temps et à des circonstances, par rapport à un passé culturel et politique, mais paraît exister en toute atemporalité, sans doute comme une des " attitudes et émotions fondamentales " évoquées dans le préambule des programmes. Au tout historique, au tout dialectique des marxistes a succédé le désir d’une table rase radicale de la conscience historique. Nous verrons qu’il y a à cela des justifications politiques : cette histoire n’est-elle pas celle de l’ancien public des " héritiers ", selon le terme célèbre de Bourdieu ? Pourquoi l’imposer aux " nouveaux publics " dont les histoires sont toutes différentes de celle qu’on leur apprend à l’école ?
- La poésie et le roman, en tant que tels, n’occupent chacun que 7 % des programmes ; si on veut étudier un roman en lui-même et pour lui-même, il faut le faire en seconde, car il est exclu des programmes de 1re (Il ne peut y être abordé que subordonné à l’étude du genre " épistolaire " ou " biographique " ou comme illustration d’un " mouvement culturel "). Que choisir ? Mme de La Fayette, l’abbé Prévost ? Stendhal ou Balzac ? Hugo ou Flaubert ? Maupassant ou Zola ? Encore les programmes nous incitent-ils à nous contenter d’une nouvelle, si vraiment notre clientèle est rétive à l’imprimé. Pour la poésie, il faudra attendre la 1re pour y consacrer quelques heures. Faut-il alors renoncer au théâtre classique en 2nde au prétexte qu’il est essentiellement en alexandrins ?
- Le théâtre se taille la part du lion puisqu’on y consacre 14 % du temps. Cette générosité s’explique aisément. C’est plus ludique, on peut " l’oraliser " ; bref, on peut attirer les élèves en leur disant, " tu verras, c’est de l’écrit, mais on dirait que c’est vivant comme de l’oral. ".
À quoi est donc consacré le reste du temps ?
À leur apprendre à s’exprimer, à communiquer, à se tenir bien, à se supporter les uns les autres.
- Si vous trouvez qu’il est absurde de consacrer autant de temps à " l’épistolaire " ou au " biographique " qu’ à la poésie c’est que vous n’avez rien compris à la finalité des nouveaux programmes.
Vous vous dites : que pèsent les trois ou quatre romans épistolaires (Montesquieu, Goethe, Laclos...), les trois ou quatre autobiographies (Montaigne, Rousseau, Chateaubriand…) face à la kyrielle de grands poètes ? Mais si vous pensez cela, c’est que vous continuez à mettre au centre le savoir et non l’élève. Or qu’est-ce qui compte pour nos " pédagogistes " ? Que nos élèves sachent communiquer ! Comment communiquait-on avant le portable ? par lettres ? Qui communiquait le mieux ? les " pros " de l’écriture. Donc faisons-leur lire des romans épistolaires, des correspondances d’écrivains...
Autre priorité : que nos élèves apprennent à se connaître, à s’exprimer, à s’extérioriser. Or qui a fait cela mieux que personne ? Les écrivains qui ont raconté leur vie. Voyez Chateaubriand, voyez comme c’était un adolescent aussi malheureux que vous ; et Rousseau, quel petit voyou ! mais au fond quelle sensibilité... comme vous !
De même le " travail de l’écriture " est élu, parce qu’il présente un exemple à suivre : je doute que M. Viala ait la sottise de croire que les élèves aimeront d’autant plus Proust qu’ils auront vu ses brouillons, et qu’ils entreront plus tard dans une librairie en demandant au libraire le fac simile des brouillons avant de décider du choix d’un roman... En revanche, il croit – ou feint de croire – que si l’élève constate comment l’auteur travaille avant de " communiquer ", il retiendra qu’il ne suffit pas de s’exprimer pour être compris.
Pour se résumer, la littérature pour elle-même se réduit à 28 % du programme. Tout le reste concourt à une utilisation des textes littéraires à d’autres fins.
Et encore ! On étudie ainsi le roman pour comprendre ce qu’est un récit, pour " faire apparaître le fonctionnement et la spécificité du genre narratif ", pas pour voir le mystère et la singularité de Zola ; et on étudie le théâtre pour comprendre les registres (tragique, comique, lyrique...).
Que faire alors des œuvres qui n’entrent dans aucune de ces catégories (et c’est souvent la caractéristique des chefs-d’œuvre) ? Que faire des œuvres qui les intègrent toutes (Dom Juan, Le Misanthrope, Phèdre) ? Une collègue très respectueuse des programmes me disait que depuis qu’avait été abandonnée la classification par auteurs au profit de la classification par genres et registres, elle regrettait de ne pouvoir étudier les plus grandes œuvres de notre patrimoine, parce que justement, elles étaient toutes atypiques !
Et une autre collègue qui demandait à ses élèves quelle œuvre les avait le plus marqués l’année précédente s’entendit répondre : " le biographique " !
À ce régime, la littérature n’existe plus. Le propre de la littérature est d’échapper au connu. Dès lors qu’elle s’étiquette, ce n’est plus de la littérature. Elle qui déborde des moules ne peut résister à l’étude d’un " fonctionnement ", et seul un très petit nombre d’œuvres respectent des codes aussi étroits. La littérature ainsi comprise devient très restreinte, et ne peut inclure les innovations et les renouvellements, pas plus que les œuvres de rupture.. La conséquence en est une énorme régression, et un enseignement figé et rétrograde, marqué par les théories du moment.
À ce régime, la langue littéraire est niée. Elle n’est plus l’expression la plus achevée et la plus profonde d’un univers, puisque l’univers de l’écrivain est éliminé au profit de la forme dans laquelle il s’est plus ou moins (et plutôt moins que plus !) coulé. S’il ne s’agit que d’un message à véhiculer, d’un discours, autant ne s’occuper que de la communication, et aller à l’essentiel sans se soucier de la qualité et de la résonance de la langue. De sorte que l’on trouve aujourd’hui dans les manuels des exercices demandant, par exemple, aux élèves de formuler " à l’aide d’un télégramme bref la déclaration d’amour de Solal à Ariane "… Or rien n’est plus éloigné de la prolixité baroque de Cohen que la sécheresse d’un télégramme.
S’il n’y a plus que des formes, leur expression importe peu. Ainsi, l’entrée par le genre épistolaire met en complète équivalence, dans un manuel de 2nde, des lettres de Madame de Sévigné avec une lettre commerciale d’un responsable d’organisme de vente par correspondance ! C’est même la seconde qui sert de modèle du genre dans la leçon du manuel…
Il s’agit de mettre au premier plan, pour libérer les élèves de toute contrainte réflexive et scolaire, leurs réactions sensibles comme mode de compréhension des textes. Leur moi ainsi préservé et mis en avant, ils ne se sentiront plus brimés et ne seront plus violents, puisque le mode de lecture proposé est individuel et subjectif, irréfutable puisque non justifiable logiquement. Les programmes précisent à ce propos que " le champ de la littérature est celui de l’opinion ".
C’est pour cette raison que les nouveaux programmes abandonnent l’histoire littéraire au profit des registres : Alain Viala déclare en effet que l’histoire littéraire " correspond à la culture du professeur, mais qu’elle ne prend pas en compte le point de vue de l’élève, ce à quoi répond la grille des genres et des registres ". Si l’élève est censé mieux s’y retrouver dans les registres, c’est qu’ils " sont la manifestation par le langage des grandes catégories de l’émotion et de la sensibilité " ; les connaître permettra aux élèves " d’exprimer eux-mêmes ce qu’ils éprouvent ". Ainsi, le caractère " affinitaire " et bourgeois de la culture littéraire historique est remplacé par une culture universelle ; Montaigne, Pascal, Proust supposent cette " connivence culturelle " que déteste M. Viala parce qu’elle exclurait tous les élèves qui ne sont pas des héritiers ; " la joie, la colère, l’indignation, la plainte.. " sont par contre des émotions universellement ressenties ; c’est donc par là qu’il faut aborder les textes.
Pour le président du Groupe d’experts, il y a un savoir de classe mais il n’y aurait pas d’émotions de classe. Mais M. Viala n’a sans doute pas beaucoup enseigné dans le secondaire : il saurait d’expérience qu’il n’y a rien de plus connoté socialement que le rire ou les larmes, et qu’autant que le scepticisme de Montaigne, la " joie " de Rabelais, la " colère " de Voltaire, ou la " plainte " de Racine demandent ce long apprivoisement à l’inouï, qui fait que nous aimons ce métier.
Mais plus que l’histoire littéraire, c’est la littérature elle-même qui est niée dans cette transformation des programmes. Car s’il s’agit de faire accéder les élèves à la conscience des " émotions fondamentales ", pourquoi s’embarrasser d’œuvres complexes, dont en général la grandeur est inversement proportionnelle à leur faculté à entrer dans ces moules simplificateurs ? Comment classer une œuvre qui fait à la fois rêver, rire, pleurer et réfléchir ? N’est-ce pas, au fond, le cas de nombreux chefs-d’œuvre ?
Enfin, j’en reviens à la méthode globale, à la régression que constitue cette attitude face au savoir, à l’inconnu, à soi-même. En effet, dans cette méthode, au lieu de s’arrêter sur ce qu’ils ne comprennent pas, ils vont de ce qu’ils reconnaissent (donc qu’ils connaissent déjà) à ce qu’ils reconnaissent, en zappant sur le jamais lu ou sur le jamais vu. Le problème n’est plus que les élèves ne comprennent pas certains mots ou certaines idées ; mais bien qu’ils ne voient pas ce qu’ils ne comprennent pas, parce qu’ils ne savent pas voir ce qu’ils n’ont jamais vu. C’est dans le droit fil de cette méthode globale qu’on nous demande maintenant de ne plus aborder l’œuvre comme ce qui dépayse, comme ce qui transforme notre vision du monde et nous-mêmes, comme du jamais vu. Elle est devenue, au contraire, ce qui permet de reconnaître ce qu’on sait, ce qu’on est, et de mieux le dire : les registres " sont la manifestation par le langage des grandes catégories de l’émotion et de la sensibilité " ; les connaître permettra aux élèves " d’exprimer eux-mêmes ce qu’ils éprouvent ".
Nous voilà retourné au monde d’avant Gutenberg, et dans un monde profondément religieux : tout est déjà pensé, déjà ressenti, l’homme est créé une fois pour toute. La littérature l’aidera à représenter, à exprimer, son essence et la Vérité.
Ce choix du recours aux " émotions " comme mode d’explication fait fortement régresser la formation de l’esprit critique : si l’émotion seule donne accès aux œuvres, c’est alors la porte ouverte à l’instinct, à l’immédiateté, à l’opposé de la réflexion et du recul que donne une explication historique ou étymologique. Comprendre, ce n’est plus associer, combiner, interroger, utiliser des connaissances pour évaluer ; c’est ressentir. Moyennant quoi, on choisira des œuvres " choc ", en faisant passer la réaction avant l’analyse ou la difficulté ; c’est ainsi, en ne faisant retenir, bien sûr, que le parricide et l’inceste, que, dans un manuel, on demandera aux élèves de " raconter le mythe d’Œdipe à la manière d’un fait divers ". Moyennant quoi également on fait croire à un enseignement égalitaire – l’émotion appartient à tout le monde : qui oserait prétendre qu’il est insensible ? – et on nie la réflexion et l’effort. La subjectivité simplificatrice ne s’embarrasse pas de profondeur historique, l’émotion est immédiate. Peu importe le contresens, donc le sens même des œuvres, pour peu qu’on produise de l’émotion ou de l’opinion. Un autre manuel demande aux élèves d’écrire, dans un récit pathétique, la bien improbable " visite de ses filles au Père Goriot sur son lit de mort " ; peu importe si cela enlève tout sens au roman et à la vision du monde de Balzac.
Concrètement, même si l’on nous recommande des supports littéraires, les grandes orientations du programme en nient le caractère central, en tant qu’histoire, en tant qu’art, en tant que patrimoine, en tant que source de réflexion et d’interrogation propices à la formation d’un jugement...
III - Pourquoi fait-on disparaître la littérature ?
Si je récapitule les reproches adressés à l’enseignement de la littérature je dirai qu’ils sont de trois ordres.
- des reproches d’ordre politique :
a - La littérature que nous enseignons est celle d’un peuple ; et d’une classe à un moment donné de l’histoire. Nous n’avons pas le droit de l’imposer comme patrimoine culturel à un public devenu aussi multiculturel que le nôtre.
b - La littérature est " élitiste " : faisant appel aux connaissances et à la réflexion, elle distingue les élèves ; or il faut faire disparaître cette distinction foncièrement inégalitaire ; il faut " révolutionner radicalement le profil du bon élève " qui " réussit au détriment des autres " (Ph. Meirieu). Il faut donc enseigner le moins possible, la littérature au premier chef, et baisser le niveau jusqu’à celui de l’élève le plus faible (c’est le " SMIC culturel " que François Dubet appelle de ses voeux).
c - Bien plus, en privilégiant l’écrit, nous infériorisons, nous condamnons au mutisme, nous nous privons de toutes les richesses des cultures orales que pourraient nous apporter une partie de nos élèves.
- des reproches d’ordre idéologique, épistémologique :
a - On nous reproche le choix que nous faisons des chefs-d’œuvre : il est imposé arbitrairement. Toute production de communication doit être jugée à l’aune de son efficacité. Puisque Harry Potter, Tolkien, sont dévorés par la jeunesse, puisque les défilés de mode sont les spectacles qui les fascinent, pourquoi mépriser ces opera, ces œuvres ? Une photo de mode n’est-elle pas aussi digne d’analyse qu’un tableau de Manet ? Avec notre Panthéon poussiéreux et rebattu, nous arbitrons le goût sans laisser les élèves se former le leur.
b - On nous reproche de privilégier l’écrit : la langue écrite, en elle-même, est, selon l’expression souvent mal comprise de Roland Barthes, " fasciste ". Elle simplifie, elle appauvrit, elle enferme l’infinie profusion du désir et de l’imaginaire dans le cadre asséchant d’un code, de règles, de conventions rigides. Elle ne permet donc pas aux " nouveaux publics " d’exprimer leur être. Aussi faut-il libérer l’expression spontanée, et pour cela, cesser de donner des modèles aussi terrorisants que les œuvres des grands écrivains, dont on n’a jamais fini de découvrir la complexité et l’achèvement structural.
c - En enseignant la littérature et en faisant percevoir l’extraordinaire profondeur, l’extraordinaire " délinquance " (Patrick Grainville) de la langue littéraire, les professeurs de lettres ouvrent aux élèves le monde de l’inquiétude et du mouvant, qui s’oppose à la " société " pacifiée que doit être l’école. Il faut donc changer les objectifs de l’enseignement des lettres, en modifiant la nature de la langue à acquérir : on cherchera l’acquisition d’une langue " de base ", " pour tous ", qui exclut évidemment la langue littéraire, trop " élitiste ". Enfin, cette langue " pour tous " doit être aussi celle " de tous sans exclusive " : elle n’exprimera donc plus la pensée, qui est une recherche solitaire et exigeante, partant inégalitaire, mais servira à l’adhésion et à la manipulation, à l’expression des " opinions " qu’il importe de respecter, dans un relativisme exacerbé censé garantir la paix sociale.
- un reproche pédagogique :
Pour intéresser les élèves, il faut leur parler de leur monde ; or le monde des belles lettres était celui de la bourgeoise des petits messieurs ( comme R. Barthes appelait les lycéens des années soixante). Quand on leur parlait de Pascal ou de Montesquieu, de Racine ou de Stendhal, on les renvoyait au quotidien des rayonnages de la bibliothèque familiale. Mais il faut maintenant adapter notre enseignement aux nouveaux milieux que touche l’enseignement secondaire.
Aussi, si l’on veut faire " passer " l’alexandrin, il faut le leur faire RAPPER (consigne qui suivait le test d’évaluation national à l’entrée en 2nde en 2001) Le rapper, c’est pourtant détruire sa mélodie puisque l’accentuation est en français sur la finale, alors que le rythme du rap est obtenu en déplaçant systématiquement les accents des mots).
Ou bien, si l’on veut étudier La Princesse de Clèves, il faut leur demander de récrire la rencontre entre le duc de Nemours et la princesse " comme le ferait un journaliste de la presse people " (sujet trouvé dans un manuel de 2nde). Dans les documents, vous trouverez d’autres exemples de sujets imbéciles proposés par les manuels de la réforme ; et encore nous en sommes-nous tenus à ce qui concernait La Princesse de Clèves. (Une analyse exhaustive figure sur le site du collectif Sauver les lettres à l’adresse suivante : http://www.sauv.net/anamanuA.htm.)
Inversement, on nous suggère de partir du monde des élèves et de leurs références, sans imposer les nôtres : tel manuel propose, comme exemple d’humour, l’analyse de l’almanach Vermot (!?), un autre celle d’une photo de Claudia Schiffer.
À cette défiance pédagogique s’ajoute le souci d’assigner au professeur de lettres la formation " citoyenne ". Le préambule des programmes précise en effet que " l’enseignement du français concourt à la formation du citoyen " ; et l’épreuve du Capes de Lettres modernes l’impose :
" SUJET :
Dans le cadre de l’épreuve orale de l’ÉAF (épreuve anticipée de français ; en d’autres termes, l’épreuve de français du baccalauréat) 1999-2000, vous analyserez la liste de textes proposés. Vous pourrez vous interroger notamment sur l’organisation de cette liste, et sur les objectifs didactiques qui ont présidé à sa constitution. À l’initiative du candidat durant l’exposé, ou du jury pendant l’entretien, une ouverture sur la dimension civique de l’enseignement des lettres sera envisagée. "
Ce qu’on attend donc du candidat et du futur professeur, c’est qu’il privilégie " la dimension civique de l’enseignement des lettres ".
Si les jeunes professeurs deviennent ce qu’on souhaite qu’ils soient, c’est l’arrêt de mort de l’enseignement de la littérature, qui n’est plus ouverture vers le mystère, vers l’art, vers l’incommensurable, vers le plus grand que soi, vers l’étrange et l’inouï. Les " textes de toutes sortes, et notamment littéraires ", comme l’écrit le préambule des programmes, devront, pour être retenus par le jeune professeur, être porteurs d’un message " civique ".
D’une part, c’est nier la spécificité esthétique de la littérature, pour la réduire à un support particulièrement apte à délivrer des messages moraux. D’autre part, on se demande pourquoi l’enseignement des lettres se prêterait, plus qu’un autre, à la formation civique. Demande-t-on au professeur d’arts plastiques qu’il ouvre ses élèves à la dimension civique de la peinture ? On rirait d’un professeur qui choisirait d’étudier des peintres à message plutôt que ceux qui ont révolutionné leur art : pourquoi exiger l’inverse du professeur de lettres ?
Il faut donc maintenant choisir les textes, les œuvres, en fonction de leur poids de catéchèse, non de leur richesse esthétique, de leur faculté à donner accès au monde du doute, de leur aptitude à susciter l’analyse critique.
Seront désormais recalés au concours du CAPES tous les passionnés de littérature, de poésie, qui rêvent de faire partager leur émotion à la lecture du Bateau ivre :
" Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour ! "
Il ne pourront aborder cette œuvre majeure qu’à condition de demander à leurs élèves, dans un travail d’invention judicieusement choisi, si finalement, le bateau n’aurait pas mieux fait d’être plus sobre, de ne pas envoyer balader ses " haleurs " ; il aurait ainsi évité de regretter " l’Europe aux anciens parapets ". Le rapport du jury rappelle aux futurs professeurs que " l’école joue un rôle éthique dont les enseignants doivent être les agents ", qu’ils doivent " privilégier les dimensions axiologiques des documents ".
La finalité moralisante est particulièrement flagrante dans l’exemple donné par les rapporteurs du jury : on y loue une candidate qui, à propos de La Cigale et la Fourmi, a " privilégié la dimension axiologique (…) pour construire son étude à partir d’une triple définition de la citoyenneté " ! (Vous trouverez photocopies de ce rapport dans les documents qui vous ont été remis.)
On se demande bien quels droits politiques sont en jeu dans la fable de La Fontaine. S’il s’agit de réfléchir sur la charité et sur l’égoïsme, sur les principes de plaisir et de réalité, ce n’est pas de " citoyenneté " (de civisme, en français) qu’on parle, mais de morale.
Mais le plus pernicieux est dans la confusion entretenue entre ces deux notions : si l’on réussit à faire croire aux élèves que, lorsqu’ils font l’aumône aux misérables, lorsqu’ils cèdent leur place aux personnes âgées dans le métro, ils se comportent en citoyens, on ne risque pas de les voir s’enquérir du programme politique de leurs élus, ou même descendre dans la rue pour revendiquer des droits sociaux ou politiques. Avec la pseudo-citoyenneté de proximité, c’est, croient nos pédagogues, la paix politique et sociale assurée.
Mais c’est aussi la porte ouverte à la censure dans l’enseignement des lettres : la réforme pousse à éliminer les auteurs peu " conformes ". Que faire de Rimbaud, de Koltès, de Céline qui prêchent la révolte ? Va-t-on les éliminer, et où passera la frontière de la respectabilité ? Renoncera-t-on à faire connaître les exhortations cyniques de Vautrin à Eugène de Rastignac, la cruauté des conseils de Madame de Bauséant au même, pour ne citer que Balzac ? Madame de Sévigné avait-elle raison de renvoyer son valet Picard ? Que faire de Swift, qui fait proposer à son personnage anglais de faire passer tous les bébés irlandais catholiques à la casserole pour des ragoûts mijotés ? Et ainsi de suite…
On voit qu’une telle visée signe la mort de la littérature, de son enseignement, de son plaisir, de sa transmission... et de l’otium qui menait les gens vers les bibliothécaires. L’œuvre n’est plus qu’un media, un document sur le bien et le mal, soi et l’autre, etc. Ce n’est pas un hasard si dans les annales zéro du bac, tout un pan de la littérature a disparu : le xviiie, didactique, continue de se tailler la part du lion ; mais l’humanisme épicurien du xvie a disparu (plus de Rabelais, ni de Ronsard) ; l’individualisme pessimiste du xixe a disparu également : plus de poésie romantique ni symboliste (exit Lamartine, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud). Le roman du xixe est totalement exclu, car son pessimisme individualiste, son exaltation du héros solitaire et malheureux n’en font guère des modèles positifs de "citoyenneté". Ni Fabrice, ni Julien, ni Rastignac, ni Rubempré, ni Bel-Ami, ni Nana, ni Frédéric, ni Emma n’offrent un modèle axiologique exploitable ! Ils n’incitent guère à envisager la vie " citoyenne " avec optimisme comme le demandait le sujet de bac 2001 :
" À l'occasion du Premier de l'An 2001, un responsable de l'État expose les raisons que l'on peut avoir d'espérer en un monde meilleur. Rédigez son discours. "
Le seul poète du xixe siècle qui trouve grâce est bien sûr Victor Hugo ; mais pas le Hugo visionnaire, fécond du symbolisme et du surréalisme, celui qui a fasciné Baudelaire, Rimbaud, et même Breton ; pas le Hugo de Stella :
Je m'étais endormi la nuit près de la grève.
Un vent frais m'éveilla, je sortis de mon rêve,
L'astre éclatant changeait la nuée en duvet.
C'était une clarté qui pensait, qui vivait ;
Elle apaisait l'écueil où la vague déferle ;
On croyait voir une âme à travers une perle.
Il faisait nuit encor, l'ombre régnait en vain,
Le ciel s'illuminait d'un sourire divin.
La lueur argentait le haut du mât qui penche ;
Le navire était noir, mais la voile était blanche ;
Des goélands debout sur un escarpement,
Attentifs, contemplaient l'étoile gravement
Comme un oiseau céleste et fait d'une étincelle ;
L'océan, qui ressemble au peuple, allait vers elle,
Et, rugissant tout bas, la regardait briller,
Et semblait avoir peur de la faire envoler.
Un ineffable amour emplissait l'étendue.
L'herbe verte à mes pieds frissonnait éperdue,
Les oiseaux se parlaient dans les nids ; une fleur
Qui s'éveillait me dit : C'est l'étoile ma sœur.
Et pendant qu'à longs plis l'ombre levait son voile,
J'entendis une voix qui venait de l'étoile
Et qui disait : - Je suis l'astre qui vient d'abord.
Écoutez l’écho de tels vers chez Rimbaud, dans Aube :
J'ai embrassé l'aube d'été.
(…) J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. (…)
Alors je levai un à un les voiles. (…)
...je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps.
Au réveil il était midi.
Les deux rêveries sont très proches, aux portes du surréalisme.
En revanche on nous abreuve du Hugo " citoyen ", du Hugo moraliste ou didactique dont on espère que le message simpliste et tonitruant parviendra aux oreilles assourdies de la nouvelle génération, dans le même esprit qui voit le retour de l’enseignement du fait religieux à l’école. Le Hugo qu’affectionne maintenant l’École, c’est le Hugo didactique et populiste de La Nuit du 4, véritable " tube " qu’on retrouve maintenant dans tous les sujets d’examen et dans tous les manuels :
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ; (morale)
On voyait un rameau bénit sur un portrait. (religion)
Une vieille grand'mère était là qui pleurait. (famille)
– Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre,
Cria-t-elle ! monsieur, il n'avait pas huit ans ! (journée de l’enfant)
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents. (bon élève)
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus. (l’enfant vu par Philippe Meirieu)
Moi, je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant !
– Que vais-je devenir à présent toute seule ?
Nous nous taisions, debouts et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.
(l’attitude recommandée est clairement explicitée dans la conclusion)
Le Hugo très répandu dans les nouveaux programmes, c’est aussi le Hugo " villieriste " dont les lieux communs satisfaits et ronflants irritaient tant Flaubert.
Je voudrais ici rapprocher un extrait du sujet de baccalauréat 2001 et le discours du conseiller général Lieuvain dans Madame Bovary, chef-d’œuvre de la bêtise ampoulée dont on sait qu’elle fascinait Flaubert :
Devinette : lequel pastiche l’autre ?
" Le premier arbre de la liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu même sur le Golgotha'. Le premier arbre de la liberté, c'est cette croix sur laquelle Jésus-Christ s'est offert en sacrifice. (applaudissements) Fonder créer, produire, pacifier... voilà la tâche de l’avenir. Or, dans les temps où nous sommes, l’avenir vient vite. on pourrait presque dire que l’avenir n’est plus demain, il commence dès aujourd’hui. (Bravo !) A l’œuvre travailleurs par le bras, travailleurs par l’intelligence , conduits au même but, rattachés au même cœur ! Depuis trois siècles, la France est la première des nations. Et savez-vous ce que veut dire ce mot, la première des nations ? Ce mot veut dire, la plus grande ; ce mot veut dire aussi, la meilleure. Que chaque nation soit heureuse et fière de ressembler à la France ! " |
" Je reporte mes yeux sur la situation actuelle de notre belle patrie, qu'y vois-je ? Partout fleurissent le commerce et les arts ; ... la religion, plus affermie, sourit à tous les cœurs, ...et enfin la France respire" . Où trouver, en effet, plus de patriotisme que dans les campagnes, plus de dévouement à la cause publique, plus d'intelligence en un mot ? Et je n'entends pas, messieurs, cette intelligence superficielle, vain ornement des esprits oisifs, mais plus cette intelligence profonde et modérée, qui s'applique par-dessus toute chose à poursuivre des buts utiles, contribuant ainsi au bien de chacun, à l'amélioration commune et au soutien des Etats, fruit du respect des lois et de la pratique des devoirs... " |
Le plus " Bouvard et Pécuchet " de deux n’est-il pas Hugo dans le texte de gauche ? Voilà pourtant le dernier texte de la littérature française sur lequel se sont penchés, à la fin de leurs études secondaires, des centaines de milliers de lycéens ! On frémit, et on se rapproche de l’esprit qui animait les pédagogues de la sombre époque où l’on avait assigné à l’école l’œuvre de " révolution nationale " auprès de la jeunesse. On frémit quand on songe aux régimes qui ont ainsi instrumentalisé la littérature et l’art dans un but de " formation morale ou citoyenne " : les théocraties, et les systèmes totalitaires, tous ceux qui assignent à l’école le rôle de former un homme nouveau.
IV - Pourquoi nous voulons continuer d’enseigner la littérature
Vous comprenez la gravité de l’enjeu, et pourquoi pour nous, la question de savoir à quoi sert la littérature n’est pas un débat purement intellectuel ou esthétique : ses implications politiques et culturelles sont immenses, et il ne s’agit pas pour nous de défendre un quelconque pré carré.
Au risque de provoquer, je dirai que c’est un outil essentiel de conservation. Conservation de l’homme, de sa liberté, contre la dérive du bougisme, de la mode et de la modernité. Ne nous y trompons pas : le " bateau ivre ", l’être sans référence et sans mémoire que les hommes politiques et les marchands cherchent à faire des citoyens, n’est pas celui de Rimbaud. L’imagination de nos élèves ne sera pas libérée parce qu’ils n’auront plus de références ni de repères : ils seront au contraire aliénés, aveuglés, éblouis, par le premier feu d’artifice venu. Ils deviennent des immémoriaux qui sont la cible parfaite des marchands ; ce sont des électeurs dociles, et des téléspectateurs béats, dont on peut retourner l’opinion, et le suffrage, par une bonne campagne médiatique en quelques jours. Regardez ce qui s’est passé au moment des présidentielles : grâce à une bonne campagne médiatique, toute la jeunesse est descendue dans la rue, heureuse de s’identifier à l’image que la télé donnait d’elle : une jeunesse joyeuse, bigarrée, responsable, tolérante, et vertueuse. Une fois Le Pen écarté, cette belle jeunesse est rentré chez elle et n’a pas voté aux législatives.
Voilà pourquoi nous tenons à ce que le passé comme valeur soit conservé et enseigné, contrairement à l’Inspection générale de l’éducation nationale qui regrette que les textes ne contiennent pas assez d’œuvres actuelles. Je voudrais rappeler cette phrase de Kundera, qui sait de quoi il parle : " la lutte de l’homme contre le pouvoir, c’est la lutte de la mémoire contre l’oubli ". Nous voulons conserver la mémoire, pour la pouvoir transmettre, comme les " hommes-livres " de Fahrenheit 451. Allègre ne voulait-il pas alléger les cartables en supprimant les livres ?
Sommes-nous vraiment en train de sortir de la Galaxie Gutenberg pour entrer dans la galaxie Marconi comme le pensait Mac Luhan ? Rien n’est moins sûr. Mais ce qui est sûr, c’est que nous gardons le monopole de la culture et de la mémoire – et donc du recul nécessaire à l’analyse et au jugement du présent – pour une élite sociale qui la transmettra à ses propres enfants, alors qu’elle laissera dans sa dérive les couches populaires qu’elle manipulera d’autant plus facilement. Nous n’entrons pas dans la galaxie Marconi : nous revenons au Moyen Âge ; le livre reste le meilleur facteur sélectif et discriminant, mais il est maintenant réservé à une caste, qui, elle, n’est pas aliénée à Star Academy ou Loft Story. Je voudrais donner pour preuve de la duplicité de nos décideurs, un geste de Bill Gates à mon avis hautement symbolique. Après être devenu le maître du monde en persuadant les gens que l’ordinateur avait remplacé le livre, il s’est empressé de s’approprier, pour une fortune, le manuscrit de Léonard de Vinci. On pourrait voir dans ce geste un désir de détruire l’ennemi qu’il avait terrassé, ou mieux, d’en faire son objet, comme les empereurs romains rapportaient à Rome les rois défaits. Je crois que c’est bien plus que cela. C’est de l’ordre du cannibalisme. Il s’agit bien plutôt, en dévorant Vinci, de s’approprier sa puissance ; car pour le roi du monde, on n’est pas tout à fait roi du monde si on est obligé de coexister avec Léonard de Vinci.
Les six raisons de continuer à enseigner la littérature
1 - La littérature est outil de liberté parce qu’elle exige une attitude, une posture dans laquelle on affirme sa liberté, son indépendance face à autrui.
Tous les autres arts, la plupart des activités humaines s’apprécient en communauté, dans une durée et dans un espace donné : le temps et le parcours d’une exposition, la durée d’une pièce ou d’un film où je suis soumis à des contraintes spatio-temporelles. Mais la lecture m’y soustrait : je peux choisir la durée et le moment ; je revendique ma solitude, je peux décider d’arrêter le temps, de m’isoler du monde.
C’est d’ailleurs pour cette raison que nos élèves, aliénés à la trépidation stochastique de leur temps, ont tellement peur du loisir (< licet " état, situation d'une personne qui peut, qui est libre de faire ou de ne pas faire qqch. ") qu’exige la lecture. En lisant, on ne peut qu’avoir soi-même pour référent, ce dont ils n’ont plus du tout l’habitude, eux qui ne supportent pas le silence : sortis du cours, ils branchent leur walkman ; arrivés chez eux, ils allument la télé.
2 - La littérature est outil de liberté parce qu’elle aiguise les perceptions : elle oblige à tendre l’oreille.
Je suis toujours ébahi, ému, quand je vois, le dimanche matin au concert, des enfants de sept ou huit ans écouter, sans broncher, pendant quarante minutes, un quatuor ou une sonate. On me dira que l’école doit faire écouter du rock et du rap pour ne pas privilégier ces enfants-là. Mais ne voit-on pas que la concentration et l’attention devenues l’ordinaire de ces petits mélomanes leur donnera de toutes façons dix coudées d’avance sur les autres, quel que soit le contenu de l’enseignement ? Ce qui est catastrophique dans les dérives de notre enseignement, c’est que cet " enseignement de l’ignorance ", comme l’appelle Jean-Claude Michéa, engourdit et atrophie ces qualités intellectuelles, quand elles ne sont pas stimulées par le milieu. Et nous voyons des enfants littéralement s’assoupir au cours des années.
Lire un poème, un roman, c’est donc bien cela : tendre l’oreille, être sensible aux infinies variations de rythmes et de sons. C’est pouvoir sourire à la satire du Second Empire quand Zola écrit de Nana :
" Quand elle passait en voiture sur les boulevards, la foule se retournait et la nommait, avec l'émotion d'un peuple saluant sa souveraine ".
parce qu’on entend la connotation lointaine qui fait de la Prostituée une reine, et du Paris de Napoléon III, la grande Prostituée, référence aux anathèmes bibliques contre Sodome et Gomorrhe, contre Babylone la Grande Prostituée, que Dieu détruira par le feu comme la guerre de 1870 ravagera la fête impie du Second Empire.
Or, nos élèves, sollicités sans cesse par des signaux visuels et sonores d’une violence inouïe, deviennent sourds, aveugles, et muets ; doit-on les conforter dans leur infirmité ?
Les concepteurs des nouveaux programmes sont beaucoup plus pessimistes que nous : ils pensent que ces mutilations sont irréversibles, et qu’il faut proposer aux élèves, pour sauver la paix civile, quelques textes hurlants pour qu’ils puissent encore les percevoir. C’est le cas de tous ces mauvais poèmes, et toute cette mauvaise prose de Hugo, dont on nous casse les oreilles. Car au fond, le Hugo des Châtiments poursuit de la même haine le Second Empire que le Zola des Rougon-Macquart. Mais le Hugo pamphlétaire (c’est-à-dire non purement littéraire) est préféré à Zola, car avec Hugo, le message est clair et direct ; il n’est pas médiatisé par une représentation poétique et romanesque. Au moins, quand Hugo rédige des tracts en alexandrins de ce type :
" Au voleur qui tua les lois à coups de crosse,
Au pirate empereur Napoléon dernier,
Ivre deux fois, immonde encor plus que féroce,
Pourceau dans le cloaque et loup dans le charnier "
tout le monde peut comprendre que la dictature, c’est vilain.
Nous voulons, au contraire, aiguiser leur oreille et leur œil, pour enrichir leur palette et leur jugement ; qu’ils sortent du cours en se disant que tout écrit est riche s’il ne se laisse pas saisir à première vue, que l’ennui qu’il nous cause est fécond et nous élève. Que la vie est plus compliquée que ce qu’il croyaient. Leur donner confiance dans leurs élans est simple : tout démagogue peut le faire. Leur donner confiance dans leur jugement est une autre affaire : il s’agit de le former par une longue et patiente nage à contre-courant. Les pédagogues auxquels le collectif Sauver les lettres s’oppose ont baissé les bras : ils estiment que face à l’urgence sociale, il faut se contenter d’orienter leurs élans dans le sens du Bien, d’un bien révélé.
3 - La troisième vertu – profondément civique – de la littérature est celle de l’ab-straction.
Elle abstrait l’élève de son monde pour l’obliger à se plonger dans l’altérité radicale et compacte de Flaubert, de Stendhal, de Rabelais. S’il a compris la logique interne du personnage d’Emma, les deux facettes de la personnalité de Julien Sorel ou de Lucien de Rubempré, la force intellectuelle et vitale des personnages de Rabelais, il sera plus ouvert au monde et aux autres, il acceptera l’opacité de l’autre, son irréductible étrangeté ; il perdra l’illusion fusionnelle que l’autre est le même ; il acceptera l’idée que comprendre et se faire comprendre exige un déplacement, un travail hors de soi.
Mais il faut pour cela enseigner l’œuvre en ne la renvoyant qu’à elle-même (et à son temps), à la solidité de sa construction et de sa cohérence interne, à sa singularité irréductible.
Par exemple, le concept de " génie " chez Stendhal (qualification qu’il emploie pour caractériser ses héros) ne nous fait pas mieux comprendre ce qu’est le génie : il nous permet de comprendre ce qui fait des héros de Stendhal des êtres qu’il affectionne et qu’il privilégie. Grâce aux emplois du mot génie, je comprends la singularité de Stendhal, et sa vision des hommes. Je ne comprends pas mieux ce que sont dans la vie, des génies.
Autre exemple : si mon but, en étudiant Zola, se borne à faire comprendre la rubrique n° 1 du programme (" étude d’un mouvement littéraire et culturel "), je passe à côté de l’essentiel de Zola. En effet Zola n’est pas réductible au naturalisme, et ses œuvres ont une poésie qui excède largement la théorie du " roman expérimental ". On pense plutôt à la violence des expressionnistes lorsqu’il décrit, dans Le Ventre de Paris,
" le cœur saignant des laitues ",
ou Goujet, le forgeron de L’Assommoir :
" Quand il prenait son élan, on voyait ses muscles se gonfler, des montagnes de chair roulant et durcissant sous la peau; ses épaules, sa poitrine, son cou enflaient ; il faisait de la clarté autour de lui. "
On pense aussi aux scènes apocalyptiques des tableaux de Meidner dans cette description de Germinal :
" Pendant une demi-heure, le puits en dévora de la sorte, d’une gueule plus ou moins gloutonne, toujours affamée, de boyaux géants capables de dévorer un peuple dans le même silence vorace. "
L’intérêt de Zola n’est ni dans le fait qu’il correspond à un mouvement littéraire (section 1 du programme), ni dans le fait qu’il appartient au genre romanesque (section 3 du programme), ni dans le fait qu’il utilise le registre épique (section 4 du programme) ; l’intérêt de Zola réside dans le fait que personne n’a jamais écrit comme Zola, et que sa poétique, son univers imaginaire, offre au lecteur une représentation du monde complète, cohérente, et inouïe, qui nous émeut, nous enrichit, nous élargit, parce qu’elle nous déplace dans un système de références qui n’est pas le nôtre.
N’est-il pas meilleure école de la tolérance ? À la place de cela, le ministère nous impose, dans le cadre des absurdes TPE (travaux personnels encadrés), le thème de " l’Autre ", celui de la " Frontière ", pour que les élèves réfléchissent au fait qu’il faut respecter " l’autre ", et que les " frontières " entre les hommes, c’est mal. Mais si je sais me transporter chez Zola et chez Mme de La Fayette, ne serai-je pas mieux préparé à l’altérité ? Et je le serai proportionnellement à l’effort que cela m’aura demandé, c’est-à-dire proportionnellement à la distance entre l’œuvre étudiée et mon propre univers.
Il est une question qui ne manque pas de surgir, en classe, quand les élèves sentent qu’ils " ne sont plus guidés par les haleurs " de leur monde familier : " Mais Monsieur, qu’est-ce qui nous prouve que l’auteur a pensé à tout ça en écrivant son roman ? ". Cette question-là est une question grave, puisqu’elle consiste à demander : " Monsieur, qu’est-ce que la littérature ? Qu’est-ce que l’art ? Y a-t-il vraiment entre Baudelaire et nous une distance si incommensurable que je ne puisse m’imaginer " qu’il ait pensé à tout ça " ? " C’est proprement, pour l’élève qui la pose, la question du mystère de l’art.
Mais cette révélation est rarement accueillie, par l’élève qui la manifeste, comme quelque chose d’agréable : elle traduit une gêne et une peur, parce que cet élève voyait reculer les limites du monde.
Si Baudelaire " a pensé à tout ça ", cela signifie qu’il existe un monde émouvant, où l’émotion ne vient pas de l’immédiateté, du reconnaissable, du familier, mais de l’inconnu, de l’infini distance entre notre pauvre représentation du monde et celle de Baudelaire. Ce que l’élève a découvert ce jour-là non sans un certain effroi, c’est tout ce qui sépare l’art du folklore. À ce moment, lui et moi sommes très proches : le dépit effaré qu’il manifeste est un sentiment que je connais, quand, au concert les larmes me viennent non parce que ce que chante la cantatrice est triste à pleurer, mais parce que j’ai conscience de vivre un moment de perfection, d’absolu, dont je sais qu’il ne peut être qu’éphémère, et qu’il m’est donné par une voix humaine, et que j’ai la conscience de ce que jamais ma voix ne pourra produire aucun son comparable à celui de la cantatrice, dussé-je y passer ma vie.
Mon élève, c’est évident, est ennuyé par la découverte qu’il vient de faire. Mais c’est justement dans ces moments-là qu’il s’ennuie le moins au lycée, dans ces moments d’arrachement dramatique à lui-même.
Si enseigner doit maintenant consister à ramener toute inquiétude, à un ennui qu’il s’agit de dissiper et de distraire, c’est la fin de cinq siècles de culture humaniste, et d’efforts prométhéens pour " bâtir ces pierres vives " à partir d’une attitude de doute raisonné sur soi et sur le monde. Car je me demande bien à quoi je pourrais servir, s’il ne s’agit que de renvoyer l’élève à lui-même, à ses valeurs, à son actualité, à ses références. Un professeur a le devoir d’enseigner, de signaler, qu’il existe un monde au-delà des bandes dessinées, des magazines de sport et des séries télévisées, que ce monde-là est radicalement autre, non familier, qu’il est une transgression permanente de nos habitudes, et que sans cette transgression assumée, il n’y a point de salut, ni intellectuel, ni social.
Si une brève de comptoir, est mise sur le même plan qu’une fable de La Fontaine, ce n’est certainement pas pour persuader les élèves de l’importance de La Fontaine ; on veut au contraire conforter le lycéen qui comprend l’humour subtil de : " Dis, Papa, c’est loin l’Amérique ? Tais-toi et nage ! " (manuel de 2nde édité chez Bertrand-Lacoste, p. 16), que l’almanach Vermot est un avantageux équivalent des Fables de La Fontaine, puisqu’il est drôle et en plus leur parle de ce qu’ils connaissent. Fini, alors l’écrasement des enfants sous le poids de la culture bourgeoise : libéré de notre tutelle, l’adolescent peut enfin être lui-même.
Si nous voulons faire entrer les élèves dans l’univers mouvant et inquiétant de l’art, il n’est pas possible de mettre sur le même plan, un objet de communication dont le but est de délivrer un message de la plus grande clarté possible, et une œuvre dont la richesse est inversement proportionnelle aux possibilités qu’on a d’en épuiser les sens. Ce n’est pas par une publicité de Nouvelles Frontières que j’apprivoiserai mes élèves à Segalen. C’est en leur montrant au contraire que l’exotisme de Segalen est poétique parce qu’il n’est pas représentable.
4 - La quatrième vertu de la littérature est sa bâtardise même :
Elle emploie la même langue que celle de la communication, mais elle n’en fait pas le même usage : c’est donc une école salutaire de méfiance à l’égard des mots, des paroles ; le sens immédiat n’est jamais le bon, car les mots de l’œuvre n’ont jamais de valeur dénotative (valeur absolue, celle de la définition du dictionnaire) ; ils ne prennent sens que par leurs connotations dans l’œuvre (chaque œuvre, finalement construit sa propre langue, son propre système de référence, donne un " sens (différent) aux mots de la tribu ". Ainsi, la littérature induit une posture, face aux mots, face au discours, radicalement opposée à l’émotion directe. Bien plus, la littérature est l’art le plus trompeur, le plus décevant de tous : car il paraît celui qu’on peut atteindre par pallier en passant de la langue courante, à la langue soutenue, puis à la langue imagée – tandis que le matériau musical, ou pictural, n’est jamais utilisé pour communiquer. Or, c’est à mon avis l’inverse : la littérature, de par la pauvreté figurative du matériau linguistique exige l’acceptation de conventions bien plus artificielles que la musique ou la peinture. Et cela dans ses rapport avec le temps et avec l’espace.
Je m’explique : tout poète, tout romancier est conscient de la pauvreté linéaire de la littérature – art de la mélodie – qui ne peut dire que les choses successivement, l’une après l’autre, comparée à la puissance de la peinture, art du contrepoint, qui donne à voir plusieurs choses en même temps. C’est à cette misère essentielle de la littérature que la métaphore, la " figure ", " l’image " essaient de remédier. Mais la comparaison, et même la métaphore auront beau faire, elles ne diront qu’une seule chose à la fois. Bien sûr, le récit, qui raconte une succession d’actions, n’en pâtit pas. Mais la description, avec ses chapelets de coordinations, de juxtapositions, ne fait que disposer à la queue leu-leu des éléments que l’on est censé percevoir simultanément. La peinture – ou la musique – révèlent donc à l’écrivain ses limites, son impuissance à tout dire en même temps. Si j’écris " il est grand et fort ", je ne peux, à moins de superposer les mots – mais cela deviendra illisible –, donner cette double perception simultanée du personnage que je décris. En revanche je peux, au piano, plaquer un accord, je peux entrelacer des fugues ; je peux, dans mon tableau, échelonner les plans, et marier, dans une vision unique, les plans et les couleurs.
D’où l’ennui que les élèves éprouvent face aux descriptions, et leur tolérance face aux récits, dans lequel la succession des mots correspond à la succession des actions. D’où sans doute l’enseignement populaire par mythes et paraboles, qui permet d’étaler de façon diachronique, dans une histoire, un système de correspondances et de valeurs purement synchroniques.
Voilà toutes les raisons – purement esthétiques – c’est-à-dire propres à la singularité littéraire – pour lesquelles l’enseignement littéraire, par ses exigences, est un garant de l’élévation de l’élève. Mais il y en a encore d’autres, culturelles et historiques.
5 - La cinquième vertu de la littérature est d’ordre culturel.
Chaque culture produit des personnages qui deviennent des références communes : on dit rabelaisien, dantesque, kafkaïen, pantagruélique, gargantuesque, un Tartuffe, un Dom Juan, un Gavroche, etc. Tout le monde, dans la rue, sait que les fables sont de La Fontaine, et Les Misérables de Victor Hugo. Il faut entretenir ce foyer de références communes qui constituent l’identité culturelle, en soufflant régulièrement dessus. Et tant pis pour les inspecteurs qui, en partisans de la modernité (moderne vient bien de " mode "), nous incitent à abandonner ce qu’ils qualifient de " hit parade ". En effet,
- aurait-on idée de détruire la chapelle Sixtine, ou d’en nier l’intérêt, au prétexte qu’il faut de la " variété " ?
- si, chaque année, en 1re, nous revenons aux grands poètes symbolistes, si chaque année en 2nde, nous faisons découvrir aux élèves l’épicurisme de Ronsard, c’est pour eux une découverte unique, et si cela devait être fastidieux, ce ne le serait que pour nous. Et leur émerveillement nous met à l’abri de toute impression de routine.
Par ailleurs, ces personnages de fiction devenus mythes ont peu à peu modelé la Weltanschauung collective et historique, nos valeurs et nos systèmes de référence, qui font la richesse et la singularité d’une culture. " Rabelaisien " ne correspond pas exactement à " lustig ", parce que Panurge n’est pas Till Eulenspiegel. Le fait même qu’ils ont passé les siècles montre combien cette culture est moins éphémère que la culture populaire : l’an dernier, dans une classe de 2nde, très peu d’élèves étaient capables de citer le titre d’un conte de Perrault ; encore l’attribuaient-ils à Walt Disney. Il en va de même avec la bande dessinée : qui se souvient de Bibi Fricotin ? Nos élèves ne connaissent plus Tintin ; lorsqu’on leur demande quelle est la plus vieille chanson qu’ils connaissent, ils répondent : " Monsieur, on ne connaît que les groupes ! ". Que peuvent-il alors partager avec la génération de ses leur parents ? Quelle communication nos élèves pourront-ils établir avec ses leur propres enfants, si chaque tranche d’âge a l’illusion de produire son propre folklore ? Isolé, sans références durables, prisonnier du matraquage publicitaire et médiatique qui lui fait croire que seule la consommation pourra assouvir son désir légitime et nécessaire d’identification sociale, l’élève choyé par la réforme qu’on nous propose devient le citoyen idéal d’une société livrée au marché, ou les mots " citoyen " et " client " sont devenus synonymes. On pourrait objecter qu’il est artificiel de se référer à un passé sorti des mémoires. Mais de toute manière, dans le monde du bougisme mercantile, la sédimentation d’un passé, d’un monde commun, ne peut être que le fruit d’une volonté politique.
6 - La sixième vertu de la littérature la rapproche de l’histoire : connaître le patrimoine littéraire, c’est aussi pouvoir juger avec plus de distance, avec des éléments de comparaison, les productions " culturelles " du présent. C’est donc être plus libre et moins aliéné.
C’est un préjugé imposé par les " marchands de nouveauté " de penser que les jeunes n’aiment que " ce qui vient de sortir ". Ainsi les élèves peuvent se passionner pour l’opéra, art populaire par excellence (voyez en Italie). Ainsi Zola, par sa part de naturalisme, prédispose les élèves à Puccini et sa part de vérisme : les élèves pleurent à la mort de Mimi si on leur montre La Bohème ; Hugo et Verdi ont aussi beaucoup en commun : l’inversion romantique qui fait de la prostituée un ange rédempteur est aussi sensible dans le destin de Fantine que dans la mort de Violetta (La Traviata) ; du Mariage de Figaro, on passe aisément aux Noces de Mozart ; la " petite flûte " de Rousseau dans Les Confessions conduit à Vivaldi et au motet Laudate Pueri ; il est ainsi possible de faire comprendre la révolution " sensible " du pré-romantisme, de l’incarner, par la musique classique.
Il faut continuer de lester les élèves du poids angoissant de la culture, pour qu’ils soient trop lourds, trop pesants, pour devenir des baudruches que se renvoient publicitaires, marchands et démagogues. Nous continuerons donc à inquiéter nos élèves des sections STT avec la poésie baroque et Pascal, parce que nous ne voulons pas être complices de cette lobotomisation d’une jeunesse qu’on coupe sciemment de toute référence historique et culturelle, au nom de la préservation de l’intégrité du Moi de l’enfant, de ce Moi qu’on voudrait protéger contre son étouffement par une détermination de la culture bourgeoise. Nous voulons qu’ils continuent à penser, c’est-à-dire à peser ; or pour peser, il faut deux plateaux. Comment peut-on juger sans comparer ? Avec quoi juger et comparer le présent, si ce n’est avec le passé ? La suppression de la dimension historique de la littérature dans les nouveaux programmes est bien symptomatique de cette révolution culturelle qu’on veut imposer à la jeunesse : mais si du passé on fait table rase, ce n’est que pour mieux leur fourguer des jeux vidéo. Dans ce but, en effet, à quoi bon leur faire aimer Mme de La Fayette ? elle est tombée dans le domaine public, ne rapporte plus un centime. C’est contre ce travail liberticide d’amnésie que nous devons les alourdir de ce qu’on appelait, autrefois, un bagage. C’est aussi leur laisser le temps de déposer des sédiments dans leurs mémoire. C’est grâce à ces sédiments qu’ils ralentiront la fuite sans fin des associations d’idées. Hugo disait qu’il préférait " les idées qui lui venaient par alluvion ", aux idées qui venaient par inspiration.
Je pense à ce vers extraordinaire, écrit après le long silence poétique de la mort de Léopoldine : " Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent ". On sent le poids d’un long travail de dépôt, de maturation, qui donne à ce vers une densité telle qu’il faudrait près d’une heure pour l’épuiser. Tout ce qu’on peut dire sur le long chemin parcouru, sur le type de regard sur le monde que révèle ce petit verbe : " il faut " ; cette façon de revenir à la vie, dans l’acceptation de l’ordre du monde qui n’est pas du fatalisme, ni un regard religieux, mais une acceptation de la vie comme elle est. À coup sûr, ce vers est anti-productif au regard des nouveaux programmes : il n’est pas clair, et il ne parlent pas aux enfants de leur propre univers.
Laissons-leur le temps, et donnons-leur de quoi accumuler ces sédiments.
J’aime bien ce genre de protestation : " Monsieur, je n’ai rien compris au texte ". Je réponds alors que si je leur proposais des textes qu’ils comprenaient immédiatement, nous n’aurions rien à faire ensemble, et que c’est justement la partie du texte qu’ils ont le moins compris qui est, à tous les coups, la plus importante, car il s’agit là d’une idée qu’ils n’ont jamais rencontrée, et qui sort donc du lieu commun. Jamais je n’essaie de leur faire croire que penser, réfléchir est récréatif – jusqu’où prolongera-t-on la pédagogie de la maternelle ? – mais que c’est effectivement un pensum, dont le plaisir ne vient qu’après coup, dans la fierté de l’énigme résolue et de l’obstacle surmonté, comme ces voyages aventureux et pénibles qu’on n’apprécie qu’au retour des vacances. Comme il serait simple, pourtant d’expliquer Les Colchiques en glissant sur " les mères qui sont les filles de leurs filles ", ou de renoncer à tel poème de Des Barreaux sur le temps, parce que
" Le passé n’est jamais que la mort qui se venge
De ne pouvoir du temps interrompre le cours "
n’est vraiment pas facile à expliquer. Mais je veux voir leurs yeux d’abord ennuyés, puis intrigués, puis agacés, enfin leur ébahissement devant l’idée que leur découvre l’image qu’ils ont élucidée, leur fierté d’être passés par ce travail – au sens obstétrique du terme – qui les a arrachés à leur monde pour venir dans le mien. La victoire n’est pas dans leur ralliement à moi, mais dans la liberté qu’ils conquièrent par cette capacité à s’arracher d’eux-mêmes. S’ils n’ont plus peur de l’inconnu, de l’incompris, j’aurais plus contribué, grâce à Apollinaire et des Barreaux, à en faire des citoyens tolérants, que si j’avais consacré une heure de " vie de classe " à un débat sur " comment supporter son voisin " ou sur " aimez-vous les uns les autres " ou " pourquoi le racisme est vilain ", ou si j’avais étudié un article de Jean-Marie Colombani expliquant les bienfaits d’une société plurielle.
C’est à Italo Calvino que je voudrais laisser le mot de la fin, car c’était à la fois un militant, un écrivain populaire de conte, et un apôtre de la littérature " inutile ", comme disait Figaro.
" Quand les politiciens et les esprits politisés s’intéressent trop à la littérature, c’est mauvais signe (…), parce que c’est à ce moment-là que la littérature est en danger. Mais c’est aussi un mauvais signe lorsqu’ils ne veulent pas en entendre parler (…) ; mauvais signe pour eux, puisqu’ils craignent tout usage du langage qui remette en question la certitude du leur. (…)
En somme, je crois qu’il y a deux façons erronées de considérer une possible utilité politique de la littérature.
La première est de croire que la littérature doit illustrer une vérité déjà possédée par la politique [n’est-ce pas cette démarche qui préside à l’idée d’une littérature citoyenne ?] c’est-à-dire de croire que l’ensemble de la politique vient avant, et que la littérature doit simplement s’y adapter. (…) Semblable fonction de pédagogie politique ne peut se concevoir qu’au niveau d’une mauvaise littérature [le mauvais Hugo, la poésie engagée d’Aragon], ou d’une mauvaise politique [celle des totalitarismes et de notre démocratie post-totalitaire].
La deuxième erreur est de voir dans la littérature un assortiment de sentiments éternels [les genres et les registres](…). Pareille conception confine la littérature dans un piètre rôle : confirmer du déjà connu.
(…) je crois en un type d’éducation par la littérature, un type d’éducation qui ne peut produire ses effets que s’il s’agit d’une éducation indirecte et difficile, si elle implique la quête ardue d’une rigueur littéraire.
Toute réussite de la littérature peut être considérée, dans sa rigueur, comme un point d’ancrage pour l’activité pratique : de la part du moins de ceux qui visent la construction d’un ordre mental [et non moral] assez solide pour contenir le désordre du monde(…).
(…) Car c’est l’unique possibilité que nous ayons de devenir différents de ce que nous sommes, c’est à dire l’unique façon de chercher à inventer un mode d’être renouvelé. "
(Italo Calvino, La Machine littérature, " Des bons et mauvais usages de la littérature ")
Ces réflexions ne sont pas d’un membre de Sauver les Lettres, qui s’insurgerait contre les programmes de 1999 ; elles ont été prononcées il y a 20 ans ; et des voix comme celles-là nous manquent.
Robert Wainer,
membre du collectif Sauver les lettres.
Synopsis
Sauver les Lettres entend s’opposer à un assassinat de la culture, perpétré avec les meilleures intentions apparentes, celles de la démocratisation et celles de l’efficacité.
I - La haine de la littérature
Ses manifestations dans les programmes et ses justifications
II - La littérature disparaît des programmes
III - Pourquoi fait-on disparaître la littérature ?
1 - des reproches d’ordre politique :
a - La littérature que nous enseignons serait celle d’un peuple et d’une classe.
b - La littérature serait " élitiste ".
c - En privilégiant l’écrit, nous inférioriserions nos élèves.
2 - des reproches d’ordre idéologique, épistémologique :
a - On nous reproche de n’étudier que des chefs-d’œuvre.
b - On nous reproche de privilégier l’écrit.
c - En enseignant la littérature, on ouvre aux élèves le monde de l’inquiétude et du mouvant, qui s’oppose à la " société " pacifiée que doit être l’école.
3 - un reproche pédagogique :
Pour intéresser les élèves, il faudrait leur parler de leur monde ; or le monde des belles lettres était celui de la bourgeoise jusqu’aux années soixante.
Les épreuves de Capes exigent des candidats qu’ils privilégient la " dimension axiologique " des textes.
IV - Pourquoi nous voulons continuer d’enseigner la littérature
1 - La littérature est instrument de liberté car elle exige une attitude dans laquelle on affirme sa liberté.
2 - La littérature est instrument de liberté car elle aiguise les perceptions : elle oblige à tendre l’oreille.
3 - La troisième vertu – profondément civique – de la littérature est celle de l’ab-straction.
4 - La quatrième vertu de la littérature est sa bâtardise même.
5 - La cinquième vertu de la littérature est d’ordre culturel.
6 - La sixième vertu de la littérature la rapproche de l’histoire.
- "C'est la littérature qu'on assassine rue de Grenelle" : grenelle.rtf (paru dans Le Monde du 3 mars 2000).
- Les réformateurs infligent les derniers outrages à la princesse de Clèves : clevesjoste.rtf (extrait de l’étude d’Agnès Joste : « LES MANUELS DE LA RÉFORME : UNE DÉMONSTRATION PAR L’EXEMPLE. » accessible à la page : http://www.sauv.net/anamanuA.htm).
- Programmes de 2nde et 1re (extraits) : prog2nde1re.rtf.
- Les sujets de baccalauréat : sujetbac2002.rtf.