Le sujet d’invention, la citoyenneté,
le « politiquement correct ».
La perversion s’étend loin lorsque les textes officiels
chargent les professeurs de français d’une mission que les textes
les plus forts de la littérature, justement, discutent et récusent
sans cesse : « la formation intellectuelle du citoyen ». Est-elle
légitime, ne contredit-elle pas, exactement, la discipline qu’ils
enseignent ? On citera ici Antoine Compagnon : « Les modernités
ont toujours insisté sur la fonction de rupture des normes sociales
exercées par la littérature » . La littérature,
et l’enseignement du français, ne sont-ils pas dévoyés
et utilisés dans cette nouvelle obligation qui leur est faite
? Si le professeur de français s’est toujours soucié de la
qualité de la réflexion de ses élèves, de leur
honnêteté intellectuelle et de l’exactitude de leur expression,
c’est d’un élève qu’on le chargeait, non d’un citoyen.
Sa nouvelle mission conduit les manuels à utiliser
et manipuler la littérature, le sens des textes, et les élèves,
comme le montrent les sujets suivants, dont la plupart se passent de commentaires.
On remarquera seulement que ces dérives sont autorisées par
les textes officiels, et qu’elles ne sont possibles qu’au prix de l’innovation
majeure de la réforme : l’introduction du sujet d’invention.
Les exercices antérieurs d’argumentation et
de commentaire formaient un rempart sûr contre les tentations de
manipulation et d’abandon de la neutralité. Ces tentations
s’exercent maintenant librement dans les manuels et les sujets suivants
:
Le « politiquement correct »:
- « Quelles leçons Camus [Jean-Pierre
Camus, dans La Mère Médée] veut-il que le lecteur
tire de sa narration (sur les questions de l’adultère, de la passion
amoureuse, de la fidélité, de l’honneur qu’on doit aux femmes,
etc.), et quelles leçons en tirez-vous pour vous-même ? ».
Outre l’indiscrétion de la dernière question, on remarquera
la leçon de morale.. (Belin A., p. 121)
- Proudhon, La Philosophie de la Misère
: « En adoptant le ton du texte, montrez que la propriété
est légitime » (Belin A., p. 423).
- « Imaginez un court scénario (quinze
lignes, environ) ; l’action mettra en scène le jugement d’un individu
violent. Vous commencerez par décrire les personnages : l’accusé,
qui a pratiqué un chantage ou un racket ; la victime, qui a souffert
moralement ; un ou deux adultes susceptibles d’apporter un point de vue
moral sur ces actions. Les meilleurs dessinateurs d’entre vous mettront
en images la défaite de l’agresseur pour réaliser, sur une
page, une petite bande dessinée ». (Bréal FS. p. 30).
- « On donne parfois des conseils de conduite
aux jeunes gens, sous forme de proverbe ou de maxime. Choisissez-en au
moins deux, et dites en quoi l’expérience les confirme ou non »
(Magnard LT2, p. 85).
- « Enoncez une série de règles
de morale que vous réduirez progressivement à la forme de
maximes ». (Belin A.p. 184)
- Laclos, Des Femmes et de leur Education
: « Adoptez dans un dialogue le point de vue de l’autre sexe sur
un thème polémique (inégalité des salaires,
grossesse, etc.) ». (Belin A., p. 205). Pauvres garçons !
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