Le sujet d’invention et la valeur littéraire
des textes
« Une compréhension effective des lectures » ?
Les sujets d’ »invention et d’imagination
», censés favoriser « une compréhension effective
des lectures » mettent rarement sur la « bonne piste
» de la compréhension, les sujets proposés par les
nouveaux manuels correspondant pour une bonne part à
une trahison du texte initial et de l’intention de son
auteur. C’est ainsi que l’on trouvera, par exemple, des changements
de point de vue impossibles, simplement parce que le personnage muet dans
un texte en a sa part de sens, et que faire cesser cette mutité
ruine « l’originalité des œuvres ou leur beauté »
que la réforme prétend faire percevoir dans la littérature
- « Récrivez la scène (Flaubert,
L’Education Sentimentale, la rencontre avec Madame Arnoux) et faites
le portrait de Frédéric en adoptant le point de vue de la
jeune femme. » (Hatier NPF p. 113)
- Imaginez les questions posées par Frédéric
à Madame Arnoux » (lors de leurs retrouvailles) (Ibid. p.
100).
- « Récrivez la scène
du point de vue de Rodolphe » (au moment où il s’apprête
à abandonner Emma). Justement, c’est son silence qui est révélateur
et parlant (ce qu’Emma ne perçoit pas) et justement, c’est ce que
Flaubert espère que son lecteur, lui, comprendra ! (Bertrand-Lacoste,
p. 134).
- La rencontre de Manon et Des Grieux : « Ecrivez le dialogue
au style direct. Quels changements remarquez-vous ? Lisez-le ensuite à
deux voix. » (Hachette T. p. 116). C’est la négation du questionnement
opéré par le texte sur son lecteur : Manon est-elle ingénue
ou rouée ? La faire répondre à cette question, c’est
ôter l’intérêt du texte, et du roman. Par ailleurs,
c’est l’hésitation immature de Des Grieux sur l’attitude de Manon
qui crée les attentes du lecteur en ce début de récit.
Lorsque, de plus, les concepteurs de ce manuel ont la malhonnêteté
de couper le texte original (l. 18) en retirant précisément
le discours indirect et les indications comportementales de Manon, il n’y
plus ni texte, ni littérature, ni respect de l’élève,
mais une manipulation de l’extrait qui semble ne viser qu’à la conception
de ce sujet, antérieur au texte et non né de lui. Quelle
va être la « compréhension effective de (sa) lecture
» par l’élève, là où on a supprimé
ce qu’il y avait à lire et à comprendre ?
- Sur un extrait de La Jalousie : «
Dans le cadre d’un roman d’analyse à la première personne,
récrivez cette scène en faisant apparaître clairement
le point de vue du mari jaloux » (Bordas FS p. 183). Or Robbe-Grillet
dans ce roman cherche à effacer les focalisations classiques,
surtout interne, et à fuir l’analyse personnelle ! Ce texte, qui
repose sur les hypothèses incertaines du lecteur et sur sa déstabilisation,
est ainsi détruit par le sujet d’invention
qui s’y applique. Comment mieux ruiner «
la compréhension effective » des textes qu’en
foulant aux pieds « (l’)originalité ou (la) beauté
» qu’on prétend faire percevoir aux élèves
dans les textes littéraires ? Sauf, évidemment, si le terme
de « littéraire » n’a plus aucun sens, ni aucune importance,
et si « l’école pour tous », c’est la littérature
pour personne , « l’héritage » liquidé, et le
« sens » évacué.
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