Le sujet d’invention et les atteintes à
l’élève
Qui va protéger l’élève
des réformateurs ? En effet, cette mesure majeure qu’ils proposent,
le sujet d’invention,
le livre à eux pieds et poings liés. Sans
règles définies, sans méthode, sans apprentissage
possible, donc sans parades, l’ »invention
» est grosse de tous les ridicules, susceptible de toutes les dérives,
capable de toutes les inquisitions et de toutes les cruautés, comme
on va le voir ci-dessous :
- « Lisez les trois textes
suivants. Quel type d’intertexte la fable d’Esope constitue-t-elle pour
La Fontaine ? Quel type d’intertexte la fable de La Fontaine constitue-t-elle
pour Tristan Corbière ? Quelle version préférez-vous
? Justifiez votre réponse en fonction de votre horizon d’attente.
En vous aidant du modèle proposé par Tristan Corbière,
réalisez à votre tour un pastiche de la fable de La Fontaine.
Vous l’actualiserez en l’appelant : « Le lycéen et la fourmi
».(Nathan MT, p. 108).
- « Imaginez le monologue
d’une créature mythique ou mythologique (Minotaure, chimère,
centaure, dragon) qui évoquerait, avec enthousiasme ou tristesse,
sa condition, ses relations avec les hommes et sa fonction symbolique ».
(Magnard LT2, p. 202).
- Pierre à Trouville
dans Pierre et Jean : «Le regard de Pierre s’attarde sur une
femme. Décrivez-la à partir de son point de vue, sans oublier
de noter ses sensations (couleurs, bruits, parfums) et ses pensées.
» (Magnard LT2, p. 223).
- « Après avoir
soigneusement lu ce poème, écrivez, comme elles se présentent,
les réminiscences que ces vers vous laissent. Vous y ajouterez vos
propres associations d’idées et votre conception de l’amour »
(Magnard LT2, p. 330).
- « Après
avoir soigneusement lu ce poème, composez un blason en vers ou en
prose, relatif à une personne qui vous est chère. »
(Magnard LT2, p. 317).
- « Rédigez un
blason à la personne que vous aimez le plus, en choisissant, comme
le conseille Marot, « des membres seulement que l’on peut voir sans
honte descouverts » (Magnard T1, p. 75). Bravo ! le risque de dérive
a été vu !
- « Le lyrisme est le
développement d’un cri » (Paul Valéry). Cherchez en
vous ce que vous auriez envie de crier, et composez un texte, court ou
long, qui commencera par : « J’ai envie de crier… » (Delagrave
F2, p. 69). On partage la même envie…
- « Décrivez
comme Benjamin Constant un de vos traits de caractère. Vous expliquerez
comment il vous semble lié à votre histoire familiale. »
(Hachette T. p. 123).
- « Décrivez
le cadre d’un de vos rêves les plus excentriques. Vous vous attacherez
entre autres à peindre un objet particulièrement symbolique
de cet univers » (Magnard, LT2, p. 230).
- « Avec des camarades
de classe, recherchez d’autres textes déplorant la disparition d’un
être cher. Récitez-les dans l’ordre chronologique. »
(Delagrave, p. 84). L’imprudence le dispute à la sottise. Croit-on
donc que les élèves n’ont pas d’histoire personnelle ?
- Même chose dans le
sujet suivant : « Dans un ordre qui vous conviendra, notez les impressions
que provoque en vous ce poème sur la disparition d’un être
aimé » (Magnard LT2 p. 319).
- Pire encore ici : «
En imitant les procédés de Victor Hugo [dans l’éloge
funèbre à Jean Bousquet], faites l’éloge funèbre
d’une victime de l’injustice, de l’intolérance, ou d’une autre personne
qui vous tient à cœur » (Hachette T., p. 401).
- La mort de Gavroche : «
Imaginez cette scène racontée du point de vue de Gavroche
» (Belin A., p. 313). On va donc demander à un adolescent
de faire raconter à un enfant l’approche de sa propre mort ? Les
réformateurs connaissent-ils ce qu’on appelle l’identification ?
Non contents de priver les
élèves de sens, de connaissances et d’appuis, comme on l’a
vu dans cette dernière partie, où « l’élève
en difficulté » est abandonné à son triste sort
qu’ils n’auront de cesse de renforcer, les nouveaux programmes permettent
donc, par l’innovation majeure et partout célébrée
dans les textes officiels, du « sujet
d’invention et de création »,
d’attenter à l’intimité de l’élève,
à ses expériences parfois secrètes, souvent douloureuses,
toujours personnelles. Quoi que l’on pense des exercices traditionnels,
discussion, commentaire, dissertation,
jamais ils n’ont mis l’élève dans cette situation d’agression
ou de viol. Jamais ils ne l’ont laissé dans cet état de détresse
méthodologique, en lui fournissant toujours des
façons de faire objectives, et, partant,
des protections et des boucliers contre des professeurs, des correcteurs,
des examinateurs partiaux ou inquisiteurs. En condamnant la « glose
», les réformateurs retirent à l’élève
l’objet à examiner, et font de lui leur propre objet, ce qu’on ne
peut admettre.
Pour télécharger ce
texte : invention intimité.rtf |