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Le sujet d’invention,  la citoyenneté, les bons sentiments

    La perversion s’étend loin lorsque les textes officiels chargent les professeurs de français d’une mission que les textes les plus forts de la littérature, justement, discutent et récusent sans cesse : « la formation intellectuelle du citoyen ». Est-elle légitime, ne contredit-elle pas, exactement, la discipline qu’ils enseignent  ? On citera ici Antoine Compagnon : « Les modernités ont toujours insisté sur la fonction de rupture des normes sociales exercées par la littérature » . La littérature, et l’enseignement du français, ne sont-ils pas dévoyés et utilisés dans cette nouvelle obligation qui leur est faite  ? Si le professeur de français s’est toujours soucié de la qualité de la réflexion de ses élèves, de leur honnêteté intellectuelle et de l’exactitude de leur expression, c’est d’un élève qu’on le chargeait, non d’un citoyen. Sa nouvelle mission conduit les manuels à utiliser et manipuler la littérature, le sens des textes, et les élèves, comme le montrent les sujets suivants, dont la plupart se passent de commentaires. On remarquera seulement que ces dérives sont autorisées par les textes officiels, et qu’elles ne sont possibles qu’au prix de l’innovation majeure de la réforme : l’introduction du sujet d’invention. Les exercices antérieurs d’argumentation et de commentaire formaient un rempart sûr contre les tentations de manipulation et d’abandon de la neutralité. Ces tentations s’exercent maintenant librement  dans les manuels, et les sujets suivants :

 Les “bons sentiments”
    - Le Désespoir est assis sur un banc : « En utilisant le registre polémique et en adoptant le point de vue de Prévert, rédigez la lettre ouverte que vous adresseriez à un journal pour dénoncer cette situation. » (Nathan MT., p. 192.)
    - “Organisez un débat sur les professions qui ont (selon certains) mauvaise réputation. Quelle attitude faut-il adopter vis-à-vis de ce type de préjugés ? » (Delagrave F2 p. 246).
    - « Dans un dialogue théâtral, mettez en présence deux personnages dont l’un explique à l’autre ce qu’est la paix ». (Magnard LT2, p. 289).
    - A la suite de L’Esclavage des Nègres : « Reformulez l’argumentation de Montesquieu, ,en insistant sur la dignité des peuples noirs ». (Magnard MP. p.78)
    - Après le même texte : « Sur le modèle de Montesquieu, défendez de façon clairement ironique un sujet indéfendable (la dictature, le travail des enfants, le chômage, etc.) «  (Belin A., p. 204).
    - « L’Egésippe du troisième millénaire ne serait pas d’accord avec le portrait que fait de lui La Bruyère. Il lui envoie un portrait rectificatif de sa condition de demandeur d’emploi. A la manière de La Bruyère, vous rédigerez ce nouveau portrait. » (Magnard, LT1, p. 276)
    - Après Hugo, Les Contemplations, «  O jeunesse ! Printemps ! Aube ! En proie à l’hiver ! » : «   Vous commencerez votre texte, rédigé en prose, par « A dix-sept ans! Grand Dieu! Mais que faire ? »    - a) Vous imaginerez en une vingtaine de lignes les encouragements qu’un jeune travailleur pourrait adresser à un jeune de son âge, à la recherche d’un emploi
    - b) vous sélectionnerez ensuite dans votre texte de prose trois ou quatre phrases qui vous plaisent particulièrement et essaierez de créer, à partir de chacune, une strophe poétique. » (Hachette LL., p. 108).

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