Depuis un certain nombre d’années, les correcteurs de l’épreuve anticipée de français ( en fin de 1ère ) subissaient les pressions de l’Inspection, lors des " réunions d’harmonisation " qui suivaient les corrections, pour relever les notes des candidats ; les arguments donnés aux professeurs étaient divers : le souci de justice dans le traitement des candidats ( les moyennes de notation entre les correcteurs pouvant varier de 3 points ), la volonté de ne pas voir les élèves considérer l’épreuve comme une " loterie ", ou encore la revalorisation de la discipline ( !) ( les notes attribuées dans les matières littéraires étant inférieures à celles des matières scientifiques ) . La Dexaco ( Division des Examens et Concours ) fournissait les statistiques des moyennes dans les diverses séries à l’écrit et à l’oral, le nombre de correcteurs par décile ; les correcteurs ayant des moyennes basses étaient invités à relever leur notation, mais ils n’étaient pas contraints de le faire . Tous les professeurs le savent, ces " rectifications " n’avaient qu’un seul but : faire monter les moyennes, pour permettre que les résultats du baccalauréat soient en augmentation et ainsi prouver que le système éducatif progresse ; on parvenait ainsi à ce que 80% des élèves passant le bac l’obtiennent ; ce n’était pas 80% d’une classe d’âge, mais cela y faisait penser dans l’opinion ( 61,5 % en 1997, tous bacs confondus ). Si c’était le sens de la justice qui inspirait ces modifications, on pouvait s’étonner que les collègues ayant trop généreusement noté, s’écartant donc aussi de la " norme ", ne soient pas invités à baisser leur notation : non, dans ce cas, " l’intérêt du candidat " prévalait … Ces dernières années, le système était devenu plus contraignant : si le candidat avait un écart de plus de 5 points à l’écrit ou à l’oral avec la moyenne du livret scolaire, ou si le total de l’écrit et de l’oral s’écartait de plus de 3 points de cette moyenne du livret scolaire, le livret était consulté et l’examinateur modifiait sa note ou non, selon l’appréciation positive ou négative portée sur le livret . Le résultat était bien mince : sur plusieurs centaines de candidats traitées dans une commission, moins d’une dizaine voyait sa note augmenter, d’1 ou 2 points seulement, pour entrer dans le créneau fixé . Cela signifiait qu’il n’y avait pas tellement d’aberrations entre le résultat de l’épreuve finale et la moyenne exprimant le niveau et le travail de l’élève sur l’année . Il faut savoir aussi que les collègues, à l’issue d’une correction de 150 copies ou du passage de 150 candidats, et ce après une année scolaire qui les avait " lessivés ", n’avaient pas envie de subir ces séances désagréables, où les détenteurs de moyennes plus basses étaient culpabilisés de façon plus ou moins feutrée comme d’infâmes " sacqueurs " ; ils avaient trouvé la parade : connaissant les statistiques des années précédentes de la série où ils intervenaient, ils surnotaient pendant l’examen pour pouvoir grosso modo parvenir à la " norme " ! Mais cela ne suffisait toujours pas : cette année, l’Inspection ( ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, elles aussi ayant vraisemblablement subi les pressions du Ministère ) a trouvé un moyen encore plus performant : lors des réunions d’harmonisation, les enseignants apprennent qu’une consigne de relever les notes, si elles étaient inférieures de 0,5 point avec la moyenne académique de la série à l’écrit et à l’oral, a été donnée oralement ( et non par écrit, cela risquait de se retrouver dans " Le canard enchaîné " ! ) par l’Inspection lors de la réunion d’entente académique . L’application devient alors totalement administrative, sans aucune coloration pédagogique comme pouvait l’être le recours au livret scolaire du candidat . Un collègue, approuvé par la quarantaine de professeurs présents à cette réunion, a comparé cette exigence avec " les plans quinquennaux " de l’ex-Union Soviétique, où les résultats proclamés n’avaient qu’un lointain rapport avec les réalités . Les professeurs de la commission ont décidé ensemble d’appliquer la consigne " en fonctionnaires obéissants ", pour ne pas faire retomber la responsabilité de modifier leurs notes ou non sur les collègues " hors norme " et de faire savoir leur position à l’inspection, l’un d’eux citant G. Darien dans Le Voleur : " Je fais un sale métier, mais je le fais salement ", et ajoutant : " Heureusement qu’il y a les élèves pendant l’année ! " . Enfin, la récente circulaire du Ministère permettant de " charcuter " encore une fois la note de l’EAF au jury du baccalauréat en fin de Terminale, en l’absence possible des examinateurs concernés au cas où cela ne suffirait pas, a reçu un accueil " chaleureux " de la part des présents . Les objectifs du plan doivent être remplis . " Quousque tandem, J. Lang, abutere patientia nostra ! " ( d’après Ciceron ) . Loïc Bervas, Lycée Colbert ( Lorient )
Examinateur de l’EAF ( Centre d’Hennebont Morbihan )