Séries technologiques
Texte A : Notre vie
Notre vie tu l'as faite elle est ensevelie
Aurore d'une ville un beau matin de mai
Sur laquelle la terre a refermé son poing
Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires
Et la mort entre en moi comme dans un moulin
Notre vie disais-tu si contente de vivre
Et de donner la vie à ce * que nous aimions
Mais la mort a rompu l'équilibre du temps
La mort qui vient la mort qui va la mort vécue
La mort visible boit et mange à mes dépens
Morte visible Nush(1) invisible et plus dure
Que la soif et la faim à mon corps épuisé
Masque de neige sur la terre et sous la terre
Sources des larmes dans la nuit masque d'aveugle
Mon passé se dissout je fais place au silence.
Paul Eluard, Le Temps déborde, 1947.
Texte B
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
3 septembre 1847 (1).
Victor Hugo, Pauca Meae(2), Les Contemplations, 1856.
Texte C
Comme on voit sur la branche, au mois de mai, la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube de ses pleurs au point du jour l'arrose ;
La grâce dans sa feuille et l'amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d'odeur ;
Mais, battue ou de pluie ou d'excessive ardeur(1),
Languissante elle meurt feuille à feuille déclose(2).
Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque(3) t'a tuée, et cendre tu reposes.
Pour obsèques (4) reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif (5) et mort ton corps ne soit que roses.
Pierre de Ronsard, Sur la mort de Marie, sonnet CVIII (1578),
Le Second Livre des Amours.
(1) chaleur.
(2) ouverte.
(3) divinité qui, dans la mythologie grecque, coupait le fil de la vie.
(4) offrandes mortuaires.
(5) vivant.