Une conservatrice en rangers donne des leçons à l’Education Nationale

Par Philip Delves Broughton à Goussainville

Daily Telegraph du 3 Janvier 2004


Les méthodes radicales d’une enseignante mettent en émoi l’institution scolaire française


La cour de récréation de l’école primaire Jacques Prévert, située sous le couloir aérien de l’aéroport Charles de Gaulle, est représentative de bien d’autres écoles de la banlieue parisienne. S’y côtoient des petits Turcs et des Chinois, des Laotiens, des Sénégalais et des Algériens. Une minorité d’enfants sont blancs.

De sa salle de classe, Rachel Boutonnet les voit courir en tous sens les uns après les autres, alors qu’elle note au tableau des exercices de grammaire. "Certains parents me trouvent un peu trop sérieuse, " dit-elle. " Mais, je ne suis pas là pour amuser les élèves. Je suis là pour enseigner. " " Grammaire, " écrit-elle. " Articles et noms. Divisez les mots en syllabes. "

Mlle Boutonnet ne ressemble pas à une Miss Jean Brodie des banlieues immigrées. Elle a trente et un ans et s’habille en rangers, pantalon mauve et écharpe afro. Politiquement, elle se présente comme non seulement à gauche, mais " à gauche de la gauche ". A première vue, on pourrait la prendre pour un de ces profs branchés qui, selon elle, ont fait tant de mal à l’école française. Mais avec son Journal d’une institutrice clandestine, véritable succès de librairie, elle a donné un grand coup de pied dans la fourmilière de l’éducation nationale française.

Son livre décrit son année passée en IUFM, où elle s’est trouvée confrontée à une idéologie insipide et destructrice au point de causer chez de nombreux stagiaires dépression ou perte de vocation. Les élèves étaient qualifiés d’ " apprenants " et les instituteurs s’entendaient dire qu’ils ne devaient sous aucun prétexte se considérer comme des modèles pour les enfants. Leur travail consistait purement à aider les élèves à découvrir en eux leurs propres qualités.

Connaissances et exercices grammaticaux étaient considérés comme dépassés. Mlle Boutonnet raconte comment on lui a demandé d’enseigner la géographie : elle devait découper des photos représentant des paysages et des pays étrangers dans des magazines et les soumettre aux élèves pour les amener à " se sensibiliser à la géographie ", plutôt que leur enseigner ce qu’est une montagne ou un fleuve, et encore moins quels sont leurs noms.

" On ne cessait de nous répéter que l’important c’est de donner aux enfants l’envie d’apprendre. ", dit-elle. " Je ne suis pas d’accord. Je pense que tous les enfants ont envie d’apprendre. L’important c’est de leur donner l’envie et la capacité de travailler. " Selon elle, cela est d’autant plus important pour les enfants d’immigrés qui ont besoin d’aide pour aborder une culture différente de la leur. " Ils ont besoin de bases solides pour pouvoir progresser socialement ", dit-elle. Elle considère que les théories basées sur l’épanouissement de l’élève au travers du jeu peuvent fonctionner pour des élèves qui ont reçu une éducation solide de leurs parents. Mais pour les autres, une éducation sérieuse est trop précieuse pour être parasitée.

Ses positions sont particulièrement pertinentes au moment où la France se demande comment intégrer au mieux ses immigrés. Un rapport sur la laïcité à l’école, remis à Jacques Chirac le mois dernier, a recommandé d’interdire aux élèves le port de signes religieux ostensibles à l’école. Il s’adressait principalement aux fondamentalistes musulmans qui bafouent la laïcité française en envoyant à l’école des jeunes filles voilées et en refusant que leurs fils aient des femmes pour professeur. " Ils savent pertinemment ce qu’ils font , " dit Mlle Boutonnet de ceux qui défient les règles. "Si ce n’était pas le voile, ce serait autre chose. La laïcité sera toujours la cible de ceux qui veulent faire du prosélytisme à l’école. Notre rôle c’est de garantir que chacun à l’école et en dehors peut être jugé pour ce qu’il est. Nous n’enseignons pas la laïcité ici, mais nous la pratiquons en traitant tout le monde de la même façon. "

Les inspecteurs de l’Education Nationale ont exprimé leur réprobation face aux méthodes pédagogiques de Mlle Boutonnet. Dans sa salle de classe, les tables et les chaises sont alignées, contrairement aux autres classes où elles sont disposées en groupes, reflet de ses méthodes traditionnelles. Mais son refus de céder, soutenu par les autres jeunes professeurs de son école, lui a valu l’admiration de hauts responsables au sein du Ministère de l’Education, qui s’efforcent de décentraliser l’éducation nationale et d’imposer des changements aux enseignants et intellectuels de gauche de la génération mai 68 qui dominent l’éducation en France. La manière dont Mlle Boutonnet prend en compte les besoins que rencontre sa classe, sans ce soucier des théoriciens du moment, pourrait constituer un modèle pour l’éducation française dans les années à venir.

[Traduction de Sophie Vige, 01/2004]