L’école face à la démagogie électoraliste


Comme chacun peut le remarquer, tout véritable débat de fond se trouve désamorcé dans l’actuelle période pré-électorale au profit d’une " démocratie-marketing " peu soucieuse de la formation et de l’expression de la volonté générale. Peut-on réellement croire que la récente entrée en lice des " deux grands candidats " à l’élection présidentielle va contribuer à insuffler quelque esprit à une campagne que leur double jeu a jusqu’à maintenant assez bien réussi à enrayer ?

Pour ce qui est de l’école, plus précisément, le bilan du septennat présidentiel et du quinquennat ministériel est on ne peut plus clair : à défaut d’être " la seule politique possible ", leur seule politique réelle a été de continuer à déstabiliser l’école afin de la soumettre de plus en plus à la loi du marché, à la fois dans ses contenus (abaissement des disciplines) et ses méthodes (" travailler autrement "), en la formatant à la novlangue techno-pédagogique de l’époque.

N’oublions pas que ces cinq dernières années ont vu une tentative ministérielle des plus brutalement autocratiques dans sa démarche et des plus consensuellement néolibérales dans son contenu visant à mettre au pas l’école et ses personnels. Il a fallu une mobilisation massive des professeurs (dépassant les appartenances et les directives syndicales) pour contrarier un moment une telle lame de fond sinon l’enrayer tout à fait, puisque notre actuel ministre excelle dans son rôle de mise en oeuvre " soft " de la réforme Jospin-Allègre de l’école.

En effet, pendant que nos pyromanes officiels plastronnent dans les médias (voir Ouest-France des 19 et 21 février, où J. Lang et F. Bayrou semblent subitement découvrir la nécessité et l’urgence de " savoir lire, écrire et compter "), ce qui continue à être effectivement mis en œuvre c’est :

- la dégradation des apprentissages fondamentaux (dont celui, essentiel, de la langue), aussi bien dans le primaire qu’au collège, ce que dénonce massivement l’actuel mouvement, exemplaire, des instituteurs de Loire Atlantique, dont on ne peut réduire les revendications à " plus de moyens pour appliquer les réformes " comme le voudraient certaines organisations syndicales ; ce que dénoncent aussi de très nombreux professeurs de collège dans la mise en place des " itinéraires de découverte ", qui réduit encore les horaires disciplinaires, notamment en français et mathématiques, et va accentuer les inégalités dans l’accès des élèves au savoir (voir le récent ouvrage du collectif " Sauver les lettres " et les textes ci-contre)

- la normalisation " pédagogique " et idéologique des contenus et méthodes d’enseignement, qui destitue les disciplines en les " allégeant " de leurs dimensions les plus réflexives au profit d’" activités " substituant la socialisation " citoyenne " à une scolarisation émancipatrice, comme cela est manifestement le cas, au lycée, dans ces anti-matières que sont les T.P.E. et l’E.C.J.S. et qui s’installent au moyen de la suppression d’heures de cours voire d’options entières, à quoi s’opposent de façon active les professeurs de philosophie et de langues anciennes notamment (voir textes ci-contre)

- les atteintes récurrentes portées à la laïcité par la complaisance de nos gouvernants et leurs réformateurs à l’égard des pressions conjuguées de la loi du marché et de l’identité des communautés, comme dans " l’affaire Diwan ", association dont le président va désormais jusqu’à revendiquer ouvertement la suppression de l’article 2 du texte de la Constitution, qui fait de la langue française la langue officielle de la République (voir Ouest-France du début janvier et du 24 février)

- la destruction des statuts intellectuels et administratifs des professeurs, qui garantissent l’indépendance de l’enseignement (dans ses contenus et méthodes ) à l’égard de toutes les pressions bien intentionnées de " la communauté éducative " locale et nationale, dont nos jeunes collègues (T.Z.R. et autres contractuels et vacataires) mais aussi les personnels ATOSS subissent le zèle de plus en plus tatillon et arrogant ; à ce propos, l’ARTT actuellement envisagée constitue le cheval de Troie d’une dérégulation généralisée, surtout quand elle est revendiquée par " les organisations syndicales représentatives et responsables " contre la promesse d’accepter, enfin, de " changer le/de métier " par " l’enrichissement des tâches ", comme cela est clairement apparu lors des " défilés " du 10 décembre et du 24 janvier !

Entendons donc bien les discours électoraux qui surenchérissent démagogiquement sur la nécessité de " changer enfin l’école " et sachons nous préparer à affronter des lendemains qui accentueront encore ce processus de destitution déjà bien en cours, mais de façon probablement encore plus radicale cette fois puisque président, gouvernement et parlement seront forts de la perspective d’un quinquennat nouveau, désormais bien en phase avec " les défis de la modernité " néolibérale.

La Liste Indépendante du lycée Clémenceau (Nantes), le 25 février 2002