L'imposture des diplômes courts et des leçons faciles

"L’inganno delle lauree brevi e delle lezioni facili", par Francesco Alberoni
Corriere della sera, 10/03/2003
Traduit par Luigi-Alberto Sanchi


Je m'adresse à tous les jeunes qui s'apprêtent à rentrer à l'université. Si vous voulez comprendre vous-mêmes, le monde où vous vivez, faire carrière, jouir d'un succès durable, revenez aux études classiques, aux facultés de lettres, de langues et littérature, à la philosophie. Et si vous faites de l'économie, ou de l'ingénierie, ou de la médecine, ne vous limitez pas à votre spécialité, épanouissez votre esprit par d'autres lectures, par d'autres cours. Lisez des romans, des livres d'histoire, de philosophie, de sociologie, regardez les grands films. Suivez les cours des meilleurs professeurs, des plus profonds, même s'il se trouve qu' au départ vous aurez du mal à comprendre, même si vous devez étudier davantage que les mille cinq cents heures globales que cette réforme vous requiert de ne pas franchir. Ignorez cette loi, étudiez davantage. Apprenez à raisonner, à argumenter.

Ne vous faites pas éblouir par les cursus les plus modernes, par les spécialités de la communication, croyant devenir des journalistes célèbres, des cinéastes mondialement connus, des managers qui savent créer et diriger de grandes entreprises. Les diplômes bac+3 de la réforme Berlinguer-Moratti [réforme de 2001 entérinée dans sa scandaleuse substance par le nouveau gouvernement de droite, N.D.T.], copiés du modèle anglo-saxon, ne vous offriront qu'une information de base. Permettez-moi d'être franc: vous sortez ignorants des lycées généraux ou techniques. Vous ne savez pas l'italien, les lettres, l'histoire, la philosophie, les mathématiques. Vous ne connaissez ni notre culture, ni les grands tenants de la culture mondiale. Les professeurs les mieux préparés, quand ils vous entendent parler, restent effarés car ils s'aperçoivent que vous manquez même du vocabulaire pour comprendre ce qu'ils vous disent. C'est pourquoi ils partent en masse vers un cours de niveau supérieur.

Ceux qui restent, souvent se résignent à offrir des cours plats, élémentaires. Certains, pour épargner du temps et de la peine, ne se confrontent jamais avec vous, face à face, lors d'un examen oral. Ils vous font un test où les meilleurs ne pourront jamais démontrer leur vraie valeur. Ces diplômes bac + 3 ne sont pas de vrais diplômes; on les qualifie ainsi car les gens veulent le titre de "diplômé" mais, en réalité, souvent ils ne sont que des diplômes professionnels. D'ailleurs, ne vous laissez pas non plus éblouir par les succès faciles de la télévision. C'est un parcours où comptent beaucoup les entremises, les jeux politiciens. Bien sûr, le talent est important, un succès imprévu est toujours possible. Il est souvent éphémère, cependant.

Tout le monde fait l'éloge de la science et de la technologie occidentales. Or, dans la science, les progrès sont dus à de grands savants qui consacrent toute leur vie à l'étude et qui ont une vision philosophique de l'existence. Dans la technique, au contraire, beaucoup, ainsi que bien des managers, ne sont que des spécialistes sans racines culturelles, sans épaisseur, sourds et aveugles à tout ce qui est étranger à leur laboratoire. Ils ne comprennent pas les conséquences de ce qu'ils font. Ils agissent comme un maçon travaillant à un édifice dont il ne sait pas à quoi il va servir. Ainsi, quand des questions complexes surgissent, ils n'ont pas le moyen pour y faire face. Le résultat, ce sont les désastres écologiques, économiques, politiques. L'Occident va subissant un déclin culturel. Super-technique, super-spécialisé, il sombre dans le bavardage et dans l'ignorance. Ne vous laissez pas emporter par le courant, tâchez, vous du moins, de mettre un frein à cette dérive.