L'imposture des diplômes courts et des leçons faciles
"L’inganno delle lauree brevi e delle lezioni facili", par Francesco Alberoni Je m'adresse à tous les jeunes qui s'apprêtent à rentrer à l'université. Si
vous voulez comprendre vous-mêmes, le monde où vous vivez, faire carrière,
jouir d'un succès durable, revenez aux études classiques, aux facultés de
lettres, de langues et littérature, à la philosophie. Et si vous faites de
l'économie, ou de l'ingénierie, ou de la médecine, ne vous limitez pas à
votre spécialité, épanouissez votre esprit par d'autres lectures, par
d'autres cours. Lisez des romans, des livres d'histoire, de philosophie, de
sociologie, regardez les grands films. Suivez les cours des meilleurs
professeurs, des plus profonds, même s'il se trouve qu' au départ vous aurez
du mal à
comprendre, même si vous devez étudier davantage que les mille cinq cents
heures globales que cette réforme vous requiert de ne pas franchir. Ignorez
cette loi, étudiez davantage. Apprenez à raisonner, à argumenter. Ne vous faites pas éblouir par les cursus les plus modernes, par les
spécialités de la communication, croyant devenir des journalistes célèbres,
des cinéastes mondialement connus, des managers qui savent créer et diriger
de grandes entreprises. Les diplômes bac+3 de la réforme Berlinguer-Moratti
[réforme de 2001 entérinée dans sa scandaleuse substance par le nouveau
gouvernement de droite, N.D.T.], copiés du modèle anglo-saxon, ne vous
offriront qu'une information de base. Permettez-moi d'être franc: vous
sortez ignorants des lycées généraux ou techniques. Vous ne savez pas
l'italien, les lettres, l'histoire, la philosophie, les mathématiques. Vous
ne connaissez ni notre culture, ni les grands tenants de la culture
mondiale. Les professeurs les mieux préparés, quand ils vous entendent
parler, restent effarés car ils s'aperçoivent que vous manquez même du
vocabulaire pour comprendre ce qu'ils vous disent. C'est pourquoi ils
partent en masse vers un cours de niveau supérieur. Ceux qui restent,
souvent se résignent à offrir des cours plats, élémentaires. Certains, pour
épargner du temps et de la peine, ne se confrontent jamais avec vous, face à
face, lors d'un examen oral. Ils vous font un test où les meilleurs ne
pourront jamais démontrer leur vraie valeur. Ces diplômes bac + 3 ne sont
pas de vrais diplômes; on les qualifie ainsi car les gens veulent le titre
de "diplômé" mais, en réalité, souvent ils ne sont que des diplômes
professionnels. D'ailleurs, ne vous laissez pas non plus éblouir par les
succès faciles de la télévision. C'est un parcours où comptent beaucoup les
entremises, les jeux politiciens. Bien sûr, le talent est important, un
succès imprévu est toujours possible. Il est souvent éphémère, cependant. Tout le monde fait l'éloge de la science et de la technologie occidentales.
Or, dans la science, les progrès sont dus à de grands savants qui consacrent
toute leur vie à l'étude et qui ont une vision philosophique de l'existence.
Dans la technique, au contraire, beaucoup, ainsi que bien des managers, ne
sont que des spécialistes sans racines culturelles, sans épaisseur, sourds
et aveugles à tout ce qui est étranger à leur laboratoire. Ils ne
comprennent pas les conséquences de ce qu'ils font. Ils agissent comme un
maçon travaillant à un édifice dont il ne sait pas à quoi il va servir.
Ainsi, quand des questions complexes surgissent, ils n'ont pas le moyen pour
y faire face. Le résultat, ce sont les désastres écologiques, économiques,
politiques. L'Occident va subissant un déclin culturel. Super-technique,
super-spécialisé, il sombre dans le bavardage et dans l'ignorance. Ne vous
laissez pas emporter par le courant, tâchez, vous du moins, de mettre un
frein à cette dérive.
Corriere della sera, 10/03/2003
Traduit par Luigi-Alberto Sanchi