Lettres et sciences


Je m'associe entièrement aux idées exprimées dans votre lettre concernant l'enseignement des langues anciennes, et en particulier du grec ancien.

Je récuse les nombreux abus qui ont contribué à élever un mur quasi infranchissable entre les " lettres " et les " sciences ". Outre la constatation expérimentale que celui qui est bon en maths a plus de chances d'être bon en grec que celui qui est mauvais en maths (et réciproquement), être chercheur en mathématiques et informatique ne m'empêche pas d'être presque tous les jours suffoqué par l'ignorance et le manque de culture de nombreux étudiants " de haut niveau " et brillants par ailleurs. Comment peut-on se dire physicien si l'on ne connaît pas la différence entre un phénomène et un processus? Plus grave que l'ignorance, la bêtise qui provient du manque d'esprit critique et de capacité à raisonner, et qui est un handicap (au sens fort) pour de nombreux chercheurs même dans l'exercice de leur métier. Sans parler de l'épanouissement personnel... et général.

Il est vrai que la capacité à raisonner et à juger par soi-même plutôt que par référence aux jugements des autres, en d'autres termes la liberté intérieure, est par nature une menace pour tout puissant tentant d'abuser de son pouvoir...

L'enseignement des langues contemporaines est un autre problème, mais souffre du même mal. Je crois par exemple que des cours élémentaires de linguistique comparée (je ne parle pas de linguistique informatique, mais de linguistique classique) pourraient être donnés avec grand profit à de élèves de troisième, des le début de l'apprentissage de la 2eme langue ancienne, et que cela permettrait d'accélérer considérablement l'apprentissage des autres langues modernes en évitant les fastidieuses répétitions d'un cours à l'autre : pour un esprit logique (et la plupart des enfants ont l'esprit logique) si les notions sémantiques de l'école
primaire ont été convenablement assimilées (hiérarchie des propositions principales et subordonnées, causalité et relations temporelles, etc.) la pédagogie du type " langue morte " est certainement la méthode la plus facile, rapide et efficace pour l'apprentissage en parallèle de plusieurs langues modernes, tout au moins dans la phase initiale. En effet le " plongement " linguistique ne donne ses fruits que si les mécanismes grammaticaux ont été préalablement assimilés. Mais il y a tant à dire sur le sujet!

Et pour finir, une perle que m'a rapportée il y a bien longtemps un ancien de la Grande Guerre. Cours d'hippologie à l'école de cavalerie de Saumur. Le sous-officier : " Je vais vous parler d'hippologie. C'est un mot qui vient du grec. Ca vient de hippo, qui veut dire science – exemple : hippothèse - , et de logie, qui veut dire : cheval. Exemple : maréchal des logis."

Est-ce que ça en fait encore rire beaucoup ?
Cordialement

Jean Louchet
Docteur en Sciences (mathématique et informatique)
Professeur à l'ENSTA, chercheur associé à l'INRIA.
11/01/2002