Un ministre qui censure les lectures de 70 000 profs
Avant même les récents sondages, et déjà inquiet de la progression du non chez les enseignants, le ministre de l'Education a pris un risque, celui de paraître ridicule. Il a décidé de censurer, puis de retarder la parution d'un numéro spécial de « Textes et documents pour la classe », une revue destinée à 70 000 profs de lycées et collèges. Lesquels venaient d'être invités à s'en inspirer avant d'organiser des débats dans leurs classes, et de familiariser les adolescents « avec les développements de l'Union européenne ». Le 10 février, le « Bulletin officiel » du ministère adressé aux dirigeants des rectorats, des inspections et des établissements demandait à tous de rester « attentifs à la pluralité des
opinions qui pourraient être exprimées ». Une excellente directive, et défense de ricaner en lisant ce qui suit. A savoir une histoire où la stupidité le dispute à l'intolérable, car l'équipe de rédaction, l'impression et la diffusion de ces « Textes et documents » sont financées sur les crédits du respectable ministère de l'Education. Le "non" au panier En décembre 2004, les responsables de cette revue se mettent au travail. Ils demandent à Florence Deloche-Gaudez, prof à Sciences-po (favorable au oui), et à Dominique Rousseau, prof à l'université de Montpellier et membre
du Conseil supérieur de la magistrature (partisan du non), de participer à un débat destiné à être publié le 15 mars. Le sommaire de ce numéro et le choix de ces deux spécialistes des questions européennes sont « validés » (acceptés, dans le jargon administratif) par le ministère. Tout est bientôt prêt, titres, photos et textes déjà imprimés, quand, soudain, Fillon s'affole. Sans doute craint-il que les 70 000 profs ne deviennent encore plus réceptifs aux arguments du non. Et si, par malheur, leurs élèves-ados, après discussions en classe, allaient ensuite influencer le vote de leurs parents ? Résultat : le 24 février, Dominique Rousseau est averti que « le cabinet du ministre » refuse de publier sa contribution au débat avec la prof favorable au oui. Puis on lui fait cette proposition grotesque s'il accepte de supprimer certains arguments prônant le non, et de laisser sa collègue conclure le débat, il sera, « peut-être possible » de publier une partie de son texte. Aucune promesse ferme et, d'ailleurs, Dominique Rousseau a refusé. La revue censurée paraîtra cette semaine. Ironie de l'histoire, le 1er février dernier, la même revue « Textes et documents » publiait un numéro très réussi sur « La propagande ». Voilà qui a dû inspirer François Fillon, naguère partisan du non au traité de Maastricht. On ne peut pas être et avoir été...